Corée du Sud : Saint Isidore, le grand haras fondé par un missionnaire irlandais

08/09/2018 - Actualités
 Fondé par un missionnaire catholique arrivé dans un pays en ruine, le domaine de Saint Isidore qui s'étend aujourd'hui sur 500 hectares, a développé son propre haras de pur-sang en 2003, devenu le plus grand élevage privé de la Corée du Sud. Le meilleur étalon du pays, Ecton Park, y fait ainsi la monte... à but charitable.


Le père Patrick James McGlinchey avec son 1er étalon, Yehude, un fils de Sadler's Wells

 

 En 1954, le père Patrick James McGlinchey, missionnaire catholique de 26 ans, débarque à Jéju, une île volcanique de 100 kilomètres de long au large de la côte sud de la Corée, qui est le pire endroit d'un pays à l'état de champ de ruine. La guerre civile qui vient de s'achever, la Guerre de Corée, a conduit à la partition en deux d'une nation qui a déjà cruellement souffert de la très brutale occupation japonaise depuis 1910, et bien sûr de la 2ème guerre mondiale. En Corée, il n'y a plus rien, ou seulement des veuves. A Jeju, les survivants sont devenus fous et/ou malades, ayant perdu depuis longtemps toute notion d'agriculture. A l'époque, ils utilisent l'excrément humain, non seulement comme unique engrais, mais aussi comme nourriture des porcs, élevés directement dans les toilettes ! Evidemment, les pauvres animaux ne dépassent pas les 50 kilos à 3 ans.  McGlinchey, en qui personne ne croit au début, a apporté avec lui les techniques agricoles innées à tout bon irlandais. Il élève des porcs, puis des vaches pour le lait et la viande. En bon irlandais, il se lance aussi dans les moutons, mais se rendra vite compte que la saveur est trop forte pour le goût local.

 

L'ile de Jeju, devenue très touristique, n'en perd pas son attachement ancestral avec le cheval.

 

En l'espace de 60 ans, James Patrick McGlinchey, décédé à 89 ans en avril 2018, a monté une forme d'empire de la charité sur plus de 500 hectares, qui comprennent un hospice, une centre d'accueil pour jeunes en difficultés, une clinique pour enfants malades, un site de retraite spirituel, une crêche, etc...Si la propriété des terres est toujours à l'Etat, l'entreprise St Isidore appartient à l'Eglise Catholique avec un fonctionnement totalement autonome. La direction de St Isidore a une mission claire : il faut générer du revenu avec des produits agricoles sains pour financer les services de charité. St Isidore est le plus grand producteur de lait de vaches bio du pays, avec un troupeau de 1500 têtes. Sa dernière innovation est d'une marque de glace bio et de café au lait bio, produit et consommé sur place par les quelques 300 visiteurs quotidiens.

 

St Isidore est un domaine créé pour la charité chrétienne.

 

McGlinchey, qui avait l'avantage de l'accès direct à la divinité, avait aussi un nez exceptionnel pour sentir le vent venir. Et comme tout bon irlandais, il sait ce que c'est qu'un cheval. Au tout début des années 2000, il repère que le secteur des chevaux de courses va connaître un devéloppement fantastique en Corée du Sud, d'autant plus que le gouvernement a décidé de soutenir massivement cette industrie dans sa dimension agricole à travers l'élevage.  L'Etat va même construire un immense haras national avec des étalons acquis à grand frais aux Etats-Unis, un centre de pré-entraînement et un ring de ventes sur l'ïle de Jeju qui manque cruellement d'activité et qui reste très pauvre malgré la richesse de son sol volcanique.

 


En plus de l'élevage, St Isidore s'est doté récemment d'un centre de débourrage et de pré-entrainement.

 

Sans perdre une seconde, l'écclésial sent la bonne affaire. St Isidore, qui détient déjà des terres, aménage donc des paddocks et se lance en 2003 dans l'élevage des chevaux de courses qui promet des revenus importants. Pour produire, il faut acheter quelques mères mais aussi se trouver son propre étalon. Car l'Etat annonce qu'il va privilégier très largement dans le programme de courses les chevaux nés et élevés en Corée afin de motiver les gens à se lancer dans l'élevage. En tout bon irlandais, McGlinchey appelle Coolmore qui lui trouve en 2006 un fils de Sadler's Wells nommé Yehudi. Mais l'équipe de St Isidore, rejointe et dirigée désormais par Richard Troughton, un nord irlandais émigré en Australie, doit changer son fusil d'épaule. " Même s'il était précoce, puisqu'il a gagné une Listed à 2 ans en Irlande et a pris la 2ème place du Critérium de Saint-Cloud (Gr.1), on s'est rendu compte que la production de Yehudi avait besoin de trop de distances pour le système des courses coréenes, copié sur le modèle américain, c'est à dire exigeant beaucoup de vitesse à la sortie des stalles. Alors on a cherché un étalon purement américain. Et nous avons trouvé Ecton Park. un fils de Forty Niner avec une mère par Danzig, gagnant de Gr.1 et de plus d'1,5 millions de dollars en course. Il avait 11 ans et faisait la monte à Winchester Farm dans le Kentucky. Nous l'avons acheté pour 550.000 dollars et il est devenu un étalon leader en Corée du Sud, avec des statistiques exceptionnelles. C'est le père de nombreux champions dont Triple Nine, le cheval le plus riche de toute l'histoire des courses dans le pays."

 

Ecton Park, toujours très fougeux à l'âge de 22 ans.


Richard Troughton, le directeur de St isidore

 

Avant de conclure troisième à 4 ans du Pacific Classic (Gr.1) derrière Skimming et Tiznow, Ecton Park a été l'un des meilleurs 3 ans des Etats-Unis en 1999, vainqueur des Jim Dandy Stakes (Gr.2) devant Lemon Drop Kid et du Super Derby (Gr.1) devant Menifee. Par un incroyable hasard du destin, sa rivalité acharnée avec Menifee se poursuit juqu'à aujourd'hui. En effet, Menifee, double gagnant de Gr.1 (Haskell Invitational, Toyota Blue Grass) a lui aussi été importé à grand frais sur l'ile de Jeju, mais par la Korean Racing Authority pour le Haras National renommé Let's Run Park. Depuis les 2 étalons se battent en duel tous les ans pour le titre de champion. Menifee l'emporte plus souvent car il saillit beaucoup plus de juments. En effet, les 2 étalons ne se battent pas du tout à armes égales ! " Il faut savoir que la saillie de Menifee est gratuite ! C'est le cas pour tous les étalons du Haras National, dont la cour d'une vingtaine d'étalons qui se divisent en 2 parties : un côté pour les étalons de la Korean Racing Authority, et l'autre côté pour les étalons de Korean Thoroughbred Breeders Association (KTBA, la fédération locale des éleveurs), dont les saillies sont également gratuites. Donc malgré sa grande qualité, il est difficile de convaincre les éleveurs de payer 10.000 € pour amener leur jument à Ecton Park..."

 


St Isidore a des poils blancs naturels sur l'épaule.


 

Aujourd'hui, la situation des éleveurs en Corée du Sud est extrêmement privilégiée, tant ils sont couverts de subventions agricoles et d'aides aux investissements dans le matériel, dont St Isidore ne bénéficie pas à cause de son statut d'institution religieuse. " Ici, les éleveurs peuvent rentabiliser aisément leurs achats de juments aux Etats-Unis dès le 1er produit, quand on sait que l'enchère minimum aux ventes de yearlings est de 15.000 euros. Les éleveurs ne perdent pas d'argent mais en gagnent plutôt facilement. Mais du coup, ils n'ont pas l'habitude de prendre des risques et n'aiment pas investir au delà du strict minimum." Par ailleurs, de nombreux éleveurs, considérant le métier comme un investissement rentable, manquent de savoir faire pour s'occuper des chevaux de courses. Là encore, ils bénéficient beaucoup de l'assistance de la KRA qui proposent formations et services. Le cheptel de poulinières pur sang est arrivé au nombre de 3000, soit plus de la moitié de la France, qui ont le choix d'une centaine d'étalons. il faut rappeler que l'élevage en Corée date de moins de 30 ans !

" Nous abritons 50 juments sur le haras, dont la moitié appartient au haras et l'autre moitié à la clientèle extérieure. Nos prix de pension sont équivalents à ce qui se fait ailleurs dans le monde. La différence est que tous nos bénéfices sont reversés à nos services de charité. Nous vendons des produits aux enchères, et nous exploitons aussi des chevaux à l'entraînement depuis quelques années. Ainsi, nous faisons courir une douzaine de chevaux sur le site de Busan (NDLR  : la Corée du Sud détient deux hippodromes, l'un à Séoul, l'autre à Busan au bord de la mer au centre du pays.) L'exploitation de chevaux de courses dans ce pays est une activité rentable, quand on sait que le prix de pension mensuel est de 1500 € alors que l'allocation minimum d'une victoire de Class 6 est de 22.000 €. D'ailleurs, le nombre de chevaux est limité à 10 par propriétaire, tandis qu'il n'y a pas de plafond pour les éleveurs."

 


Indie Band, le meilleur cheval jamais élevé à isidore, est retourné dans la cour d'étalons au côté de son père.
 

 

Elever en Corée impose tout de même des contraintes. Car si les terres volcaniques de Jeju sont plus riches que le reste du pays, particulièrement pauvres, elles obligent Richard Troughton à re-semer ses prairies tous les ans. Par ailleurs, vu qu'il n'y a pas un producteur sur place, 100% de la nourriture doit être importée d'Angleterre !

Ecton Park tient une forme physique explosive pour son âge de 22 ans, mais sa fertilité a diminué. " J'ai dû le stopper en pleine saison de monte en 2017, et cette année, j'ai limité son book à 25 juments. Puis lui succéder, nous avons un fils qui appartient à notre principal client, Jeong Young Sik, et qui descend de la formidable poulinière Goofed (NDLR : mère de Lyphard, Barcus, Nobiliary). Indie Band est le meilleur cheval qui ait grandi à Isidore. Il a été le premier 3 ans né en Corée à avoir aligné, en 2013, la Président Cup et le Grand Prix de Séoul, qui est comme l'Arc de Triomphe de Corée, une course ouverte jusqu'alors toujours gagnée par les chevaux nés et élevés aux Etats-Unis, voire conçue aux Etats-Unis.

Il faut en effet préciser que notre programme de course est divisé en 3 catégories : les étrangers (tous américains), les nés en Corée mais conçus aux Etats-Unis, qui ont été importés en Corée dans le ventre de leur mère, et enfin les purs locaux, conçus, nés et élevés dans le pays. Jusqu'à récemment, les prix d'achat sur le marché public des yearlings de Keeneland était limité à 30.000 $ pour les mâles et 50.000 $ pour les femelles. Cette limite a sauté aujourd'hui mais cela n'empêche pas les locaux de toujours monter en gamme. Dernièrement, nous avons gagné une grande épreuve ouverte à Busan et à la remise des prix, il n'y avait pas de trophée pour l'éleveur car personne n'avait prévu qu'un local pouvait s'imposer face aux américains ! "

 


Bob and John, le dernier étalon arrivé à St Isidore en 2016.

 

Cette progression de l'élevage de Corée du Sud, qui est parti de zéro il y a moins de 30 ans, ne peut que se poursuivre tant les investissements affluent dans cette industrie. St Isidore achète régulièrement des juments pour plus de 100.000 $ à Keeneland, et a acquis en 2016 l'immense Bob and John (Seeking the Gold), gagnant du Wood Memorial Stakes (Gr.1) et d'un million de dollars. Ses grands rivaux du Haras National, appuyé par des syndicats d'éleveurs, ont carrément laché des millions de dollars pour importer des étalons de premier plan international. En 2013, ils convainquent les argentiers de Coolmore Stud de leur vendre Hansen au prix de 3 millions de dollars, au terme de la 1e saison de monte à Ashford de ce fils presque blanc de Tapit, lauréat de la Breeders'Cup Juvenile (Gr.1), invaincu à 2 ans.

Fin 2016, ils ont importé Take Charge Indy (AP Indy) pour une somme déclarée si énorme par le vendeur Elliot Walden (Winstar Farm) qu'elle ne pouvait pas être refusée. Ce vainqueur de Florida Derby (Gr.1) venait de terminer sa 3ème saison de monte à 15.000 $ avec 133 juments saillies. Mais sa première génération obtient de tels succès aux Etats-Unis que Winstar souhaite faire revenir son étalon, arguant d'une close de retour glissée dans le contrat. La négociation dure depuis des mois car les coréens ne veulent pas lâcher le morceau...

Voilà pourquoi malgré ses titres de gloire et le très haut niveau du marché pour les descendants d'Ecton Park, son fils Indie Band ne fait la monte qu'à 2500 €, de même que son propre frère Rock Park (gagnant de Gr.3) et même Bob and John. " Quand vous avez face à vous une telle concurrence qui est gratuite, il est compliqué de demander plus cher aux éleveurs ! "

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