Prix Fille de l'Air : Gaga, une Lady au parfum sud-américain dans la ville rose

12/11/2014 - Grand Destin
Née en Uruguay, Gaga A est la propriété d’un richissime brésilien, Benjamin Steinbruch. Retour sur la saga "Steinbruch" par Xavier BOUGON.
Going Somewhere, grand cheval alezan, a été le premier représentant de Benjamin Steinbruch à être importé chez David Smaga ©APRH
 
Les champions de Benjamin Steinbruch émigrent chez David Smaga
On connaissait déjà le brésilien en provenance de San Isidro (Argentine), Going Somewhere (Sulamani) qui avait foulé le sol français en septembre 2013 à l’occasion du Prix Foy (4ème d’Orfevre). Depuis, il n’a pas réussi à franchir le poteau en tête mais a tout de même été à l’arrivée du Prix Royal-Oak (second de Tac de Boistron), du Grand Prix de Deauville, du Prix Maurice de Nieuil et du Prix de Reux, à chaque fois sur la 3ème marche du podium. Ce stayer avait gagné en décembre l’Arc argentin, le Premio Carlos Pellegrini (en battant le champion argentin, Indy Point, dans un temps record).
 
Arrivé en France en mai 2013, il était accompagné dans le même « charter » d’une pouliche du même âge, Gaga A (fille de T H Approval, petit-fils de Caro), née en Uruguay (à la frontière brésilienne) dans l’un des haras sud-américains de Benjamin Steinbruch, le Haras Philippson. En fin d’année 2013, deux autres élèves sont venus les rejoindre dont une fille de Sulamani, Gas Total, gagnante à Pornichet en octobre dernier après avoir débuté en mai sur le sol français et une carrière brésilienne ponctuée par quelques places de Gr.1 au Brésil.
 
Gaga A brille ici dans le dernier groupe de plat de l'année en France le Prix Fille de l'Air à Toulouse, montée par Alexis Badel
 
Une première sur le territoire européen
Gaga A est donc arrivée en mai 2013 auréolée d’une récente 3ème place en Argentine dans le Gran Premio Criadores (Gr.1), d’une seconde place au Brésil dans le Prix de Diane de Cidade Jardim et à 2 ans dans le Gran Premio Immensity (1.600 m.). Pas le temps de souffler et pourtant, elle s’adjuge le premier accessit du Prix de Flore et le second du Prix Fille de l’Air de l’espagnole Frine.
Elle ouvre son palmarès cet été à Clairefontaine dans une Listed, récemment créée et réservée aux pouliches, le Prix Luth Enchantée devançant, celle qui devait servir de leader à Trêve, Belle de Crécy.
C’est ainsi que, cet après-midi 11 novembre, dans un Gr. 3 réservé aux pouliches, elle n’a fait qu’une bouchée de ses adversaires dont trois pouliches de 3 ans.
Une gagnante de groupe née en Uruguay doit être une première en Europe, c’est déjà la question que l’on se posait après sa victoire à Clairefontaine.
 
Né en Argentine mais entrainé en Uruguay, Invasor (par Candy Stripes, fils de Blushing Groom), pour la famille Maktoum, est, à ce jour, le meilleur ambassadeur de l’Amérique du Sud en dehors de ses frontières : Dubai World Cup, Breeders’Cup Classic....
 
Invasor a porté la casaque d'Hamdan Al Maktoum après avoir quitté l'Uruguay, son pays de courses et l'Argentine, son pays de naissance
 
Le Brésil a aussi ses heures de gloire avec, entre autres, Gloria de Campeao (BRZ) (Dubai World Cup 2010 entrainé par Pascal Bary), Sandpit et surtout Leroidesanimaux (père d’Animal Kingdom)....
 
Une histoire d’amitié
 
Le nom de David Smaga (au centre) est bien connu outre-atlantique grâce à ses liens amicaux avec quelques propriétaires sud-américains résidents argentins ou brésiliens notamment avec Benjamin Steinbruch (à gauche)
 
Quand Benjamin Steinbruch se décide à envoyer quelques pensionnaires en France, il demande à l’un de ses amis de longue date, Naji Nahas (résident à Sao-Paolo depuis 1969) de lui trouver un point de chute. Tout naturellement et avec l’aval de l’argentin Ignacio Correas, les chevaux débarquent à Lamorlaye.
Ignacio Correas a débuté en France en 1970 chez John Cunnington Jr puis une décennie plus tard remporte le Premio Roma (Gr.1) avec un élève argentin, Campero, à l’entrainement chez David Smaga. Par ailleurs, les poulinières de Naji Nahas en France étaient stationnées au Haras de Varaville, propriété d’un ami de David, le baron Thierry de Zuylen de Nyevelt. C’est d’ailleurs, son fils, Robert, qui a racheté le haras.
 
La famille Steinbruch, 110 ans après son émigration
Benjamin Steinbruch, né en 1953 à Rio de Janeiro, possède 10 chevaux dans les boxes de David Smaga dont certains arrivés en mai dernier : 9 sud-américains (2 nés au Brésil, 7 en Uruguay). Il a élevé, l’an passé, plus de 65 yearlings. En 1998, il a été tête de liste des propriétaires-éleveurs au Brésil avec son champion Quari Bravo (GP Brasil et GP Sao Paolo), arrière petit-fils de Caro. Tous ses champions ont été élevés sur les pâturages du Haras Philippson, soit à Sao Paolo soit de l’autre côté de la frontière, une antenne urugayenne sur une grande propriété achetée au plus gros producteur de pommes du pays. Benjamin y produit du vin mais a aussi en pension quelques étalons, beaucoup de yearlings et fait également du débourrage. Les terres sont irriguées par un immense lac sur lequel les 4 enfants, que lui a donné son épouse, d’origine hongroise, font du ski nautique.
 
 
Benjamin Steinbruch est l'un des plus importants éleveurs-propriétaires d'Amérique du Sud
 
La famille Steinbruch est arrivée, comme une trentaine de familles juives, au Brésil en 1904 en provenance de Kishinev (nom russe), capitale de ce qui s’appelait encore la Bessarabie (aujourd’hui Chisinau, la ville principale de la République de Moldavie). Elle s’est implantée au sud du Brésil dans la province du Rio Grande do Sul sur un territoire de 6.000 ha près de la frontière urugayenne.
Le village avait été construit par les mains de ces émigrés dont les descendants ont majoritairement aujourd’hui quitté ces terres pour s’installer à Santa Maria, une petite ville proche de la colonie.
 
Philippson, la première colonie juive brésilienne
Suite à l’assassinat du tsar Alexandre II en 1881, son fils, Alexandre III mène une politique réactionnaire et profondément antisémite. Il est persuadé que ce sont les juifs qui ont causé la mort de son père.
Certains juifs d’Europe de l’ouest, riches et influents, se préoccupèrent à la fin du XIXe siècle de récolter des fonds et de chercher des possibilités d’émigration des familles juives vers des cieux plus cléments.
 
Le baron Maurice de Hirsch (en portrait ci-dontre, originaire de Bavière), vit passer sous ses fenêtres des hordes de juifs misérables venus de Hongrie, de Pologne, d’Autriche, se dirigeant vers l’Occident. Ayant perdu son fils unique en 1887, il décida de consacrer sa fortune au développement du projet de trouver des lieux de colonisation pouvant accueillir des immigrés.
 
 
 
Il fonda en 1891 la JCA (Jewish Colonization Association), une association philanthropique, au capital de 3 millions de livres sterling dont il apporta lui-même la quasi-totalité des fonds et à laquelle il associa quelques grands noms de la finance.
 
 
 
Un des administrateurs et vice-président de la JCA s’appelait Franz Philippson, banquier belge de son état, administrateurs de nombreuses sociétés industrielles belges et vice-président, entre autres, d’une compagnie ferroviaire qui développait ses réseaux dans le monde entier et notamment au Brésil, dans l’Etat de Rio Grande do Sul.
 
 
 
Le Brésil était à l’époque encore peu peuplé et le gouvernement cherchait à promouvoir une immigration qui permettrait de développer le territoire.
 
 
Portrait de Franz Philippson peint par son épouse
 
Le sud du Brésil offrait des terres libres, exploitables, les Indiens en étaient absents, le climat proche de celui du bassin méditerranéen.
La JCA avait pour objectif la migration de familles juives originaires de l’Europe de l’Est à qui elle proposait de financer les frais de voyages et d’implantation sur des parcelles de 25 à 50 hectares chacune, la construction d’une ferme, l’achat d’outils, d’un taureau, de deux vaches, un chariot et un cheval sous forme de prêts remboursables en 10 à 20 ans, avec un intérêt modeste. Les équipements collectifs tels que les voiries, les écoles, les bâtiments administratifs ou les entrepôts étant entièrement à charge de la JCA.
La première colonie juive au Brésil s’établit donc sur ces terres, en 1904, dans la région du Rio Grande do Sul, sur une superficie totale de près de 6000 ha et prit en reconnaissance, le nom de « Colonia Philippson »
 
Vue des terres Philippson à l'époque de la colonie ©Alegria Steinbruch
 
La JCA va sélectionner 37 familles candidates à l’émigration (dont deux frères Steinbruch, Abrahao et Idel Meier), 267 personnes au total partiront en trois voyages pour cette première tentative d’émigration juive au Brésil, entrainées par le succès des premières implantations en Argentine. Un rabbin fera évidemment partie de ce premier convoi (le rabbin Steinbruch) et, à défaut de médecin, un pharmacien sera chargé de la protection de la santé de cette expédition.
Ils mettront plusieurs jours à rejoindre l’Allemagne du Nord d’où partent les transatlantiques de la Hamburg-Amerika Line qui desservent la ligne de l’Amérique du Sud, de Pernambuco à Buenos-Aires en passant par Bahia, Victoria, Rio de Janeiro, Santos, Rio Grande et Montevideo. Je vous passe les détails des conditions de transport mais sachez qu’il a fallu 40 jours de mer pour atteindre le continent sud-américain.
Le bateau qui va jusqu’à Buenos-Aires fait escale à Rio Grande, port de mer et proche de Porto Alegre, capitale de l’Etat du Rio Grande do Sul, l’Etat proche de l’Uruguay.
 
La gare la plus proche de la colonie Philippson ©Gina Van Hoof
 
En 1926, il ne reste plus que quatre familles dont celle du rabbin qui ont acheté, l’une après l’autre, les parcelles de ceux qui ont quitté la Colonie Philippson.
Aujourd’hui, il ne reste quasiment plus rien de la colonie telle qu’elle était au moment de sa prospérité. Il y a quelques années, Alegria Steinbruch, l’arrière petite-fille du rabbin Abrahao, est encore sur place.
 
Mendel, l’un des patrons brésiliens les plus riches
Dans une modeste rue de la ville balnéaire de Rio Grande dans l’état du Rio Grande do Sul, vient au monde en mars 1925, Mendel, fils de Dona Clara et de Benjamin (Sr, né à Chisinau) qui auront au total 7 enfants. Quinze ans plus tôt, ses parents sont tombés éperdument amoureux. La noce a lieu à Santa Maria dans la première colonie juive du Brésil, la colonie Philippson. L’endroit ne leur est pas inconnu puisque c’est là, qu’en 1904, ils débarquèrent avec leurs parents.
Benjamin (Sr) s’impose comme vendeur de vêtements et de céréales pour faire vivre la famille qui est déjà composée de 2 enfants, 2 filles, Alegria (née vers 1915 à Rio Grande) et Amalia.
Il arrive à mettre de côté quelques économies, assez pour investir, en 1922 (l’année du décès de son père, le rabbin, Abrahao Sr), dans un magasin de meubles et permettre de faire bouillir la marmite d’autant plus qu’Abrahao (Jr) est arrivé l’année précédente. Quatre autres suivront : Mendel (1925), Eliezer, Anita et Diva. La fratrie vit sur les terres et la ferme, appelées Philippson.
 
Mendel, le père de l'actuel Benjamin Sreinbruch, ici à la faculté de droit de Rio de Janeiro en juin 1949
 
En 1937, Benjamin se fracture la jambe à cheval et, au grand dam de son fils Eliezer, la famille abandonne les lieux (elle n’y reviendra que pour les vacances) et s’installe en ville à Porto Alegre où Benjamin possède un dépôt de tissus en gros.
Les sœurs ainées se marient, Amalia et Alegria (épouse Samuel Rabinovich, pionnier de l’industrie du textile au Brésil en ayant débuté à Sao Roque) et quittent Philippson pour Rio et Sao Paolo. Leur mère Dona Clara décède en 1944, Mendel n’a que 19 ans. Il décide de s’expatrier à Sao Paolo pour travailler et poursuivre ses études, suivi en 1946 par son frère Eliezer. Leur père Benjamin décède à Porto-Alegre.
 
Pour faire court, quelques temps plus tard, Mendel et Eliezer s’associent à Jack Rabinovich (né en 1929, il est le neveu de Samuel, leur beau-frère) pour créer le Groupe Vicunha, qui deviendra la plus grande entreprise de textile d’Amérique latine. Mendel avait aussi fondé la CSN (Compagnie Nationale de Sidérurgie).
 
 
Mendel et Dorothea célébrant leur mariage
 
 
Après le décès de Mendel (1994), sa veuve, Dorothea (mère de 3 enfants dont Benjamin, le propriétaire de Gaga A, et Ricardo) devient la femme la plus fortunée du Brésil.
 
Le consortium est dirigé par Benjamin et son frère Ricardo, épaulés par leur oncle Eliezer. La famille est l’une des plus riches du Brésil et la 136ème fortune mondiale.

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