Lutte anti-doping : l'Amérique va tuer son propre démon

23/07/2012 - Actualités
La signature de 50 des plus grands propriétaires éleveurs des Etats-Unis dans le manifeste anti-doping en Amérique annonce un changement radical des règles, opéré sans doute beaucoup plus par la contrainte de remonter la pente que par la volonté de faire le bien. L'Amérique s'est en effet enfermée dans le ghetto de son système de médication vicié et doit montrer patte blanche désormais pour en sortir. Edito par Arnaud Poirier

Une cinquantaine des plus grandes casaques américaines a signé un manifeste anti traitement au lasix le jour de courses. C'est une avancée significative vers un nettoyage, même si la propreté des écuries en terme de seringues est encore loin (détails dans l'article de Gérard de Chevigny sur le blog de Paris-Turf).

Pourquoi une tel événement ? Et pourquoi cela vient des grands propriétaires, dont une bonne partie fait aussi de l'élevage sur les riches terres du Kentucky, vend des saillies, des prestations et des yearlings sur les ventes ?

L'Amérique ne fait plus rêver. En tout cas en matière de course. Et même si cette nation immense a pour particularité de penser essentiellement à l'intérieur de ses frontières, aucun pays de course, si puissant soit-il (même le Japon qui continue d'importer en masse), ne peut survivre de manière autharcique.

Et c'est pourtant bien la situation dans laquelle s'est mise toute seule la super puissance américaine, aujourd'hui considérée avec défiance par ses anciens partenaires et mêmes ses vassaux émancipés. Très symboliquement, la réputation de la Breeders'Cup s'effrite chaque année, tandis que les grandes réunions européennes reprennent du poil de la bête et que montent sans cesse en puissance les manifestations asiatiques comme Hong Kong ou arabes comme Dubaï.

 

Mr Prospector, héros de l'âge d'or américain.

 

Le déclin de l'empire américain ?

 

L'époque de la création de la Breeders'Cup en 1984, qui s'est tout de suite placée comme le must du must, couronnait 4 décennies de progression formidable des courses américaines et surtout de son élevage. Des suites d'importations massives et d'un travail acharné, le Kentucky était le centre du monde de la reproduction, grâce à un savant mélange de production de chef de race locaux des années 60 (Mr Prospector, Northern Dancer, tout deux descendants de Native Dancer, père du 1e, père de mère du 2e), et d'importations fracassantes de la vieille Europe (depuis Nasrullah en 1949 jusqu'à Lyphard, Nureyev, Riverman et Green Dancer, dans les années 80, en passant par Blushing Groom et tant d'autres. Mais Kingmambo, le fils de Miesque qui a été mis à la retraite récemment, fit figure de dernier des mohicans dans les années 90.

De même, à la grande époque, les sangs américains de Hail to Reason, d'où Halo, Bold Reason et autre Roberto, influençaient le monde entier. Mais depuis Danzig, et dans une moindre mesure Gone West (d'où Zafonic, Elusive Quality, etc...), on ne voit plus vraiment un cheval issu du système de courses US avoir une telle aura. C'est un comble, mais le meilleur étalon américain des temps récents, Sunday Silence, a fait tout sa carrière au Japon...De nos jours, les meilleures juments d'Europe ne sont plus systématiquement attirées vers le Kentucky, mais tournent entre l'Angleterre et surtout l'Irlande, où les éleveurs les plus riches font leur marché du rêve à Coolmore, à Darley...ou à Sea The Stars !

 

Les paysages magiques du Kentucky n'attirent plus comme avant les meilleurs juments européennes.

 

Les mâles yankee n'ont pas plus la cote sur les rings



Sur les rings, les produits des étalons américains ne font plus guère recette de notre côté de l'Atlantique. En août 2010, le coefficient multiplicateur entre le prix de saillie et le prix de vente était inférieur à 2, soit le plus faible de tous les pays de provenance des pères...Il est évident que vu les investissements et les risques encourus, le jeu n'en vaut pas la chandelle. En août 2011, le premier étalon installé aux Etats-Unis, Bernardini, est arrivé seulement en 37e position des tarifs les plus élevés avec une femelle vendue 180.000 €. Plus haut, on trouve Raven's Pass, au pedigrée 100% américain mais qui était entrainé Outre-Manche et est installé en Irlande, et Kingmambo (voir ci-dessus), lui aussi né d'un pedigrée US, mais entrainé en France par François Boutin.

Ce tableau peut paraitre très noir, sinon sévère car des produits d'étalons américains continuent de s'imposer régulièrement en France : voir récemment le gagnant du Robert Papin Reckless Abandon par Exchange Rate, ou bien le bon Niarchos Smoking Sun par Smart Strike). Par ailleurs l'Amérique n'est bien sûr pas exangue car la société en général bénéficie d'un sens du rebond exceptionnel avec une ressource insondable de nouveaux clients locaux comme Benjamin Leon, acheteur de Royal Delta pour 8,5 millions de dollars en novembre 2011.

 

Royal Delta a été achetée 8,5 millions de dollars en novembre 2011 par Benjamin Leon, un milliardaire américain.



Mais le système d'élevage a souffert, outre la terrible épidémie d'avortement due aux chenilles des cerisiers qui a décimé 2 générations, de 2 probèmes majeurs :

- Depuis l'extérieur, la montée en puissance des finances nippones, arabes et irlandaises qui ont fait des razzias à Keeneland et Fasig Tipton a sérieusement dépecé de son élite le parc équin des Etats-Unis

- Depuis l'intérieur, ce qui est pire encore, le doping provoque une ruine sourde et profonde.


De plaque tournante, l'Amérique est devenue un étrangeté dans le monde qui a exploité à fond un système arrivé au bout du rouleau, ne s'enrichissant plus de sangs externes (Trempolino, Bering et même Anabaa en ont été renvoyés car réputés inadaptés).

Les infrastructures d'élevage et la qualité de service du Kentucky sont bien sûr restées d'un niveau exceptionnel, mais c'est désormais la qualité des animaux eux-mêmes qui fait défaut. Car à doper les chevaux de façon absolue et systématique, de graves tarres ont se sont installées dans l'élevage. Pour mieux comprendre ses effets, le cas de l'Amérique du Sud est un témoignage très révélateur.

 

 

Symboles de la toute puissance américaine, les 2 tourelles de Churchill Downs ne servent plus de référence mondiale en terme sportif.



Ainsi le système des courses en Amérique du Sud, très ancien et même antérieur au développement du pur-sang en Amérique du Nord, s'était longtemps fondé sur des importations européenes avec des résultats maintes fois avérés malgré le fait que les sujets achetés étaient toujours des seconds voire 3e couteaux. Forli (arrière-grand-père de Sadler's Wells), le plus grand chef de race né en Argentine, en 1963, est issu du croisement de 2 étalons anglais. Plus récemment, les 2 contemporains Sandpit et Siphon,précurseurs des "sudistes" à l'assaut du monde dans les années 90, étaient truffées d'étalons français dans leur pédigrées : Félicio, Fort Napoleon, Formasterus pour le 1e, Sassafras, Snob, Freeman pour le 2e.

 

Les sud-américains reviennent en Europe



De même, le très atypique Candy Stripes, père du crack Invasor et père de mère d'Animal Kingdom (Kentucky Derby 2011), était certes né aux USA, mais il était bien né de 2 "Fr" (Blushing Groom et Bubble Company) et avait montré son talent à 3 ans en France, dauphin de No Pass No Sale dans la Poule d'Essai des Poulains.

Mais le Chili, l'Argentine, le Brésil et autres pays voisins se sont orientés vers les Etats-Unis, un partenaire plus "naturel" ces deux ou trois dernières décennies. Aujourd'hui, les socioprofessionnels doivent faire face à une grave dégéneresence de la qualité de leurs produits, qui sans pouvoir être soutenu par le doping saignent à tout va, cassent de partout et en général font illusion mais ne tiennent pas le coup longtemps...D'ailleurs, les incroyables réussites d'Hurricane Cat et Orpen (tous deux de souche américaine mais ayant couru et fait leurs preuves en Europe) en Argentine et au Chili signalent, sans dénigrer leur talent, d'une certaine faiblesse de l'opposition.

De fait, les professionnels locaux, fuyant les carrosseries rutilantes mais mais peu fiables des Etats-Unis, annoncent un retour massif vers les marchés européens pour redresser la barre. En plus des 2 étalons précités, ils cherchent d'autres sires en France pour faire la double saison. Mi-juillet, Soldier of Fortune (Galileo), cheval de gazon au profil classique européen, gagnant du Derby d'Irlande, a pris la direction de l'Argentine après avor sailli 116 juments pour sa 4e saison de monte en France. Un tel cheval ne semble pas avoir le profil de l'emploi, puisque ce n'est pas un sprinter speedé précoce, mais c'est un vrai cheval de course "à l'ancienne" et c'est ce genre de profil robuste en plus d'être doué que recherchent les sud-américains pour compenser la faible santé de leur animaux.

Les sud-américains cherchent désormais à utiliser les qualité de robustesse de vrais chevaux de course européens comme Soldier of Fortune.

 

Croisée des destins entre Storm Cat et Galileo


Il est très intéressant de voire la croisée des destins entre Storm Cat, ex-étalon le plus cher du monde à 500.000 $ la saillie, mais dont la descendance se révèle extrêmement fragile et que certains grands "boss" de l'élevage mondial comme John Magnier fuit désormais, et l'omnipotence de Galileo.

Car ce dernier, s'il est aujourd'hui solidement enracinés en Irlande, vient finalement d'une famille très américanisée en lignée mâles, que ce soit par son père Sadler's Wells (fils du canadien Northern Dancer et d'une souche maternelle US depuis la 2e guerre mondiale) que par sa mère Urban Sea, fille de Miswaki (vainqueur du Prix de la Salamandre chez François Boutin, mais né du croisement tout à fait yankee de Mr Prospector sur Buckpasser).

Galileo, tout comme Miswaki, sont des chefs de race d'essence US mais ils sont couru et prouvé leur talent sans médication, en Europe. C'est cela qui fait toute la différence aujourd'hui. Les 50 propriétaires des Etats-Unis ont signé le manifeste dans la foulée du cas de doping lourd "Dutrow", un désastre en terme d'image), contre l'avis de leurs entraineurs farouchement attachés aux aisances du doping, ne l'ont donc certainement pas fait par plaisir mais plutôt sous la contrainte...et la crainte de voir l'Amérique courir de plus en plus seule au monde, et donc leurs actifs payés très chers dans le Kentucky se dévaloriser inexorablement, et finalement s'étouffer en silence dans les poudres mirifiques...

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