Qatar Prix de l'Arc de Triomphe : mieux vaut élever ou acheter ? (1/2)

25/09/2016 - Grand Destin
L'ex favorite du 95e Arc de Triomphe, La Cressonnière, déclarée forfait ce dimanche 25 septembre, est une élève de ses propriétaires. Xavier Bougon s'est penché sur l'efficacité de l'élevage ou de l'achat pour gagner l'Arc de Triomphe. Au tout début, en tout cas, il valait mieux payer cash le prix du bonheur...


Comrade, le vainqueur du 1e Arc de Triomphe en 1920, avait été acheté pour une somme modique yearling tant il était affreux, puis revendu à Evremond de Saint-Alaray après avoir montré son talent à 2 ans. Il finira sa carrière invaincu.

 

Le 1e vainqueur, Comrade, acheté par simple politesse 

 
A l’arrivée de cette 1e édition de l'Arc de Triomphe disputée en 1920, les 3 premiers proviennent d’achats divers et variés: 
  • 1e : Comrade avait été acheté yearling à Newmarket, puis revendu à 2 ans par Evremond Saint-Alary.
  • 2eKing’s Cross était en revanche un élève de Saint-Alary, qui l'avait vendu yearling. 
  • 3e : Pleurs sera vendu yearling dans le cadre d’une vente privée.
 
A la fin du 19e siècle, le grand entraineur Peter Purcell Gilpin, installé dans le sud de l’Angleterre à Blandford (Dorset), décide de déménager plus près deu coeur des courses anglaises. Il achète en 1900 à Newmarket un terrain attenant à la Bury Road, pour y construire de toutes pièces son écurie d’entrainement qu’il nommera Clarehaven, du nom d’une gagnante du Cesarewitch Handicap portant les couleurs de Ludwig Neumann, un banquier d’outre-manche d’origine bavaroise.
 
Quelques années plus tard, ce banquier anglais d'origine bavaroise présente 4 yearlings aux ventes de Newmarket. Parmi eux, un poulain est peu attrayant et ne suscite aucun intérêt. « L’auctioneer » annonce que si on ne lui offre pas 25 guinées, il repartira d’où il est venu. Par politesse plus que pour toute autre raison, Gilpin fait une enchère. Quelques mois plus tard, il réalise qu’il a acquis un exceptionnel poulain qu’il nommera Comrade. A 2 ans, il débute victorieusement à Newmarket puis confirme à Lingfield et Sandown avant qu’il ne soit présenté aux ventes de décembre à Newmarket où il n’atteint pas son prix de réserve de 12.000 Guinées, une somme déjà conséquente. 
 


A gauche, le propriétaire français de Comrade, Evremond de Saint-Alary. A droite, son entraineur anglais, Peter Prurcell Gilpin. Ces types avaient tout de même une classe exceptionnelle !


Mais quelques jours plus tard, Gilpin accepte de vendre la moitié à un français, propriétaire du Haras de Saint Pair du Mont, Evremond de Saint-Alary. Pour sa rentrée, Comrade l’emporte à Hurst Park puis à Ascot avant de s’imposer, d’une courte tête, dans le Grand Prix de Paris avec sur le dos l’australien Frank Bullock. Il laissera le gagnant du Prix du Jockey Club, Sourbier, sur la 3e marche et son compagnon d’écurie, vainqueur du Derby d’Epsom, Spion Kop, dans le lointain. Comrade fera sa rentrée automnale directement dans le Prix de l’Arc de Triomphe qu’il remporte d’une longueur, demeurant invaincu. 
 
L'éleveur de Comrade vend tout et tombe du balcon
 
En dépit du succès de Comrade, Ludwig Neumann, son éleveur, décide d’arrêter l’élevage à la fin de l’année. Aux December Sales de Newmarket, il met sur le marché 13 de ses meilleures poulinières :
  • Sourabaya (Spearmint), la mère de Comrade, pleine de Jaeger, vendue 5.000 Guinées à William Allison 
  • Snow Marten, gagnante des Oaks chez Gilpin pour 6.000 Guinées, également à Allison.
  • Mésange (Persimmon), âgée de 17 ans, la mère de Jaeger (2e Derby et des 2000 Guinées) et Argos (Middle Park St.), est aussi vendue.
  • Salamandra, fille d'Electra (1000 Guinées) et elle-même 2e des Oaks et portant dans ses flancs un foal de The Tetrarch, sera achetée par Lord Furness (Gilltown Stud), pour le prix record de 16.000 Guinées. Nommé Salmon Trout, le foal sera vendu yearling 3.000 Guinées à S.A. Aga Khan III pour qui il s’imposera dans le St Leger anglais.
 
Neumann décèdera au Touquet en août 1934 après une chute du balcon de sa chambre d’hôtel.
 
 

Ksar, auteur du 1e doublé d'Arc de Triomphe, ici félicité par son jockey australien Franck Bullock.
 
 
Ksar, vendu par son éleveur Evremond de Saint-Alary au vieux Edmond Blanc juste avant son décès
 
Le conflit est enfin terminé et en août 1919, tout le monde se retrouve à Deauville autour du ring de ventes (organisées par les Etablissements Chéri) foulé par un yearling, nommé Ksar, aux origines exceptionnelles : en effet, il est le fils de deux parents gagnants du Grand Prix de Paris, Brûleur et Kizil Kourgan (sœur ainée de Kizil Sou, d’où King’s Cross, second de l’Arc 1920), élevé tous les deux à Saint-Pair du Mont par Evremond de Saint-Alary.
 
Edmond Blanc débourse la somme substantielle de 151.000 F. On n’avait pas vu un tel prix depuis 1912 lors de la vente pour 100.000 F de Mont d’Or à l’américain Joseph-Early Widener. Le poulain d’Edmond Blanc débutera en septembre de ses 2 ans par un succès dans le Prix de la Salamandre, monté par George Stern et entrainé par Walter-Robert Walton.
 
Edmond Blanc ne verra pas la suite de la fabuleuse carrière de son protégé puisqu’il décède en décembre 1920. Ksar fera sa rentrée directement dans le Prix Hocquart qu’il domine de 3 longueurs puis confirme en enlevant le Prix Lupin. Il échouera dans le Grand Prix de Paris (de l’anglais Lemonora), après avoir remporté le Prix du Jockey Club, monté par Frank Bullock, en remplacement de son cavalier habituel, George Stern, lié par contrat avec Marcel Boussac dont le pensionnaire Grazing termine à sa hanche.
 
 
 

Son père était décédé quelques mois plus tôt, c'est le fils d'Edmond Blanc qui accueille Ksar après sa victoire dans le Prix du Jockey-Club. La puissante écurie ne perdurera cependant pas.
 
 
A la rentrée automnale, il domine le Prix Royal-Oak, toujours monté par le jockey australien, laissant son dauphin, Fléchois, à trois longueurs. Puis viendra l’heure de vérité. George Stern est de nouveau associé au lauréat puisque Marcel Boussac n’a pas de partant dans le Prix de l’Arc de Triomphe. Il devance une nouvelle fois Fléchois (un élève du Haras des Sablonnets, le haras installé situé non loin de La Flèche) et un anglais de 6 ans, Square Measure (monté par Frank Bullock). La saison n’est pas terminée puisqu’il prend le chemin du Tremblay où il devra partager la victoire avec Vatel (au baron Edouard de Rothschild) dans le Prix Edgard Gillois, une épreuve bien dotée.
 
Ksar et Fléchois, le même jumelé gagnant
 
Ksar fait sa rentrée à 4 ans en enlevant le Prix des Sablons (futur Prix Ganay) devant l’élève de Louis Bedout, Cid Campeador puis confirme par un succès dans le Prix du Cadran (à l’époque couru au mois de mai) en devançant une fois encore Fléchois, futur 3e de la Gold Cup. Il devra se contenter de la seconde place du Prix du Président de la République (futur Grand Prix de Saint-Cloud) terminant à une courte tête de Kircubbin portant les couleurs d’un espagnol, le marquis de San Miguel.
 
A la rentrée, il domine son second, Bahadur de quatre longueurs dans le Prix du Prince d’Orange. On retrouvera ce dernier, portant les couleurs du magnat du pétrole russe, Léon Mantacheff, à la 4e place du Prix de l’Arc de Triomphe de Ksar, cette fois monté par l’australien Frank Bullock, George Stern étant retenu par Marcel Boussac pour monter Ramus (qui restera au poteau !). Approximativement, l’écart avec son second, Fléchois, est le même que l’année précédente. Un tel jumelé est encore unique dans l’histoire de la course. Puis toujours à Longchamp mais en terrain lourd, Flèchois prendra enfin sa revanche laissant Ksar à deux longueurs dans le Prix Gladiateur, couru sur 6.200 mètres (qui avait une certaine renommée à l’époque).
 
 

Parth, monté par le franco-américain O'Neill, après sa victoire dans le Prix de l'Arc de Triomphe 1923.
 
 
 
Parth, un irlandais entrainé en Angleterre, monté par un franco-américain
 
L’édition de 1923 est orpheline de Ksar, parti au haras. Deux anglais sont au départ dont Parth (Polymelus) qui semble le plus à même de contrer le favori Filibert de Savoie, un 3 ans en provenance du Haras des Sablonnets, vainqueur du Grand Prix de Paris et du Prix Royal Oak.
 
Né en Irlande et élevé par D. M. O’Leahy, Parth est acheté yearling à Newmarket en septembre 1921 pour 1.800 Guinées par l’indien de Bombay, Mathrodus Goculdas, magnat du textile, propriétaire de chevaux dans son pays depuis 1890. Ce personnage avait le sens des affaires et de l'opportunisme, démontrés 2 ans plus tôt, lorsque à 2 semaines avant le St Leger de Doncaster, ayant eu vent des problèmes conjugaux du propriétaire du favori, Lord Wilton, il demandé à l'entraineur anglais, Jack Leader, d’acheter son cheval Caligula (propre frère par The Tetrarch de Snow Maiden, Irish Oaks). Etant donné sa situation, le Lord accepte les 8.500 Guinées...Le contrat de vente stipule qu’en cas de succès, son ancien propriétaire toucherait la moitié de l’allocation. Ce qui fut fait.
 
Revenons à nos moutons......Goculdas avait fait la connaissance dans son pays de James H. Crawford, gentleman-rider et entraineur en Inde. Il l’avait ensuite embauché comme entraineur particulier à Ogbourne, près de Marlborough (C°Wiltshire), où débarque à l’automne 1921, un certain Parth. Celui-ci débute victorieusement à 3 ans, directement dans les Greenham St. à Newbury mais il est un décevant 7e des 2000 Guinées. Il se rachète ensuite dans le Derby d’Epsom finissant malheureux 3e de Papyrus (Tracery) et Pharos (Phalaris)l et aissant espérer un avenir meilleur.
 
A son tour, notre indien est en proie à des difficultés financières dues à des spéculations hasardeuses, c’est ainsi que son effectif, stationné en Angleterre, est mis sur le marché durant l’été. L’aventurier businessman philantrope californien Abraham-Kingsley " King" Macomber (PHOTO CI-CONTRE), successeur de son compatriote et défunt, William-Kissam Vanderbilt, achète Parth pour officieusement 16.000 Guinées avec pour but d’enlever le St Leger. Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu puisqu’il doit se contenter du pied du podium occupé par Tranquil (la gagnante des 1000 Guinées pour Lord Derby), Papyrus (le gagnant du Derby, fils de Tracery) et Teresina (Tracery), la future matrone de S.A. Aga Khan.
 
Le jour si attendu de l'Arc de Triomphe, le 7 octobre, est arrivé. A l’appel, manquent Le Capucin, le vainqueur du Prix du Jockey Club et Papyrus qui a préféré aller disputer un « match race » aux USA contre le gagnant du Kentucky Derby, Zev. Au départ, le 1e partant italien, celui de Federico Tesio, Scopas qui venait de l’emporter de 10 longueurs à Maisons-Laffitte dans la Coupe d’Or (future Coupe de Maisons-Laffitte). Egalement la gagnante du Prix de Diane et Vermeille, Quoi, propriété du Directeur du Journal, le Jockey, Amédée Sabathier.
 
En terrain lourd, Parth l’emporte d’une encolure venant tout à la fin prendre l’avantage sur Massine et Filibert de Savoie. Notons que Massine avait été acheté à l’amiable par Henry Ternynck (l’oncle d’Ernest Masurel) après avoir été retiré lors des ventes de yearlings 10.200 F. par son éleveur le vicomte du Pontavice de Heussey. Il trouvera sa récompense l’année suivante en enlevant la 5e édition de l'Arc. Quant à Parth, il restera à l’entrainement à 4 ans puis intégrera le haras de son propriétaire, le Haras du Quesnay, fondé en 1907 par Vanderbilt

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