L'élevage en Corée du Sud : 2000 poulinières sur une petite île volcanique !

23/12/2016 - Découvertes
 A la fin de l'année 2013, la Korean Racing Authority fait un chèque de 3 millions de dollars à Coolmore American pour acquérir le champion de 2 ans Hansen, vainqueur de la Breeders'Cup Juvenile, au terme de sa 1e année de monte. Il a rejoint la vedette Menifee dans le Haras National de la Corée du Sud, sur la petite ile volcanique de Jeju qui abrite plus de 2000 poulinières pur-sang !

 

 Du point de vue des nations traditionnelles du sport des rois, les exportations d'étalons dans les pays dits "exotiques" sont assimilés à de bons débarras. Mais s'il reste pour l'instant enfermé dans la plus totale des méconnaissance de la part de l'Europe, l'élevage en Corée du Sud qui est né il y a seulement 25 ans, n'hésite pas à mettre en jeu les moyens considérables dont il dispose pour assumer ses hautes ambitions.

Pour l'instant, il y a du pique et du carreau dans les chevaux nés et élevés en Corée du Sud, mais dans ce pays, quand la décision est prise d'atteindre un but, les choses vont incroyablement vite ! Les Jeux Olympiques de 1988 à Séoul ont eu de grandes conséquences pour les courses locales. Ainsi, le grand stade équestre construit au sud de la ville, avec station de métro donnant directement sur l'entrée, là où Jappeloup de Luze a remporté la médaille d'or avec Pierre Durand, a été transformé dès l'année suivante en hippodrome, aujourd'hui le principal du pays. C'est là où se dispute le Grand Prix du mois de décembre devant 45.000 personnes ainsi que la toute nouvelle course internationale, la Korea Cup offrant 500.000 dollars au vainqueur en septembre. Dans la foulée, la gouvernement décide de restructurer globalement la filière course. De passé dictatorial, à l'époque de Park Chung Hee entre 1962 et 1979, le pouvoir de la Corée du Sud est devenu démocratique mais reste très autoritaire... Alors que toutes les courses du pays, introduites en Corée du Sud par les Japonais qui avaient envahi le territoire, étaient fournies par des partants importés de l'étranger, il s'agit alors de se lancer dans l'élevage de chevaux de courses de race pur-sang. Sauf que personne n'y connait rien au sujet sur place !

 


Vainqueur de la Breeders'Cup Juvenile en 2011 à Churchill Downs, invaincu à 2 ans et encore lauréat de Gr.2 sur 1700 m à 3 ans, le très populaire blanc Hansen a été acquis par la Corée du Sud pour faire la monte à Let's Run Park sur l'ile de Jéju, pour la somme de 3 millions de dollars au terme de se 1e saison de monte à Ashford Stud dans la Kentucky.

 

Le gouvernement décide que l'élevage ser fera sur la petite ile de Jeju, assez loin au large de la côte sud. Pourquoi se compliquer ainsi la vie à transporter les chevaux et multiplier les frais ? Parce que cette île possède un longue histoire avec les chevaux, y abritant depuis 500 ans la fameuse race des poneys de Jeju, qui servaient à la guerre et dont le site de production était protégé naturellement par la mer. Et aussi parce qu'il faut trouver de l'animation pour ce lieu isolé en panne d'activité et qui reste à la traine du développement économique du pays. L'endroit est réputé pour sa nature préservée et la beauté de ses paysages. Alors même si le sol ne semble guère approprié pour l'élevage de pur-sang, une telle activité agricole colle parfaitement au décor. D'autant plus qu'il apporte le crédit de l'emploi donc de l'utilité publique pour un système de course à la réputation sulfureuse, à cause du jeu, dans un pays très puritain

Bras armé de l'état pour la partie hippique, la Korean Racing Authority se lance en 1991 dans une vaste opération de construction sur un domaine de 200 hectares Il faut tout faire à partir de zéro pour aider les gens du coin, notamment les agriculteurs, à la lancer dans l'activité certes amusante mais très risquée de l'élevage du pur-sang. Alors en plus des nombreuses incitations financières, la KRA monte une hôpital équin, une vaste cour d'étalons, et un gigantesque centre de débourrage et de pré-entrainement de 500 boxes, avec pistes en sable, pistes couvertes, piscines et même un ring de ventes sur place ! 

 

 
Lets'Run Park comporte un centre de débourrage et de pré-entrainement avec piste couverte, piscine, ring de vente et 500 boxes !
 


Il n'y a pas de chasse en Corée du Sud. Les chevreuils ne sont pas inquiets.
 


Menifee, la star des étalons en Corée du Sud.


Quasiment toutes les juments de Corée du Sud sont inscrites au tirage au sort des saillies de Menifee.

 

 

Pour inciter le peuple à produire des poulains, le KRA montre l'exemple en fournissant des étalons aux éleveurs en herbe. Au début, toutes les saillies sont gratuites ! Aujourd'hui, elles sont proposées à des tarifs assez en dessous du marché.  25 ans après le lancement, la KRA estime que les éleveurs sont suffisamment structurés et financièrement à l'aise pour acheter et exploiter leurs propres étalons dans des structures privées. Aujourd'hui, la cour des étalons de Let's Run Park ne compte plus que 10 étalons, mais parmi eux le grand leader des courses coréennes : Menifee. Actuellement âgé de 20 ans, il domine depuis de longues années les classements nationaux. Logiquement, Menifee est très demandé, d'autant plus que les éleveurs coréens privilégient largement les étalons confirmés et n'aiment pas trop prendre des risques avec de jeunes chevaux. Le "benchmarking", appelé avec un certain mépris la "copie" chez nous les fameux créateurs, fait partie de la culture de cette région du monde. Apple a crée le smartphone, mais Samsung en est le plus grand vendeur....
 
Donc, Menifee, père du champion de l'année 2016 Triple Nine, grand favori mais finalement 2e du Grand Prix de Séoul à la mi-décembre, fonctionne selon un système très particulier. A son âge, 20 ans, sa liste est limitée à 80 juments. Applicant toujours sa politique d'aide et d'incitation, le KRA propose 85% de saillies gratuites à Menifee, et 15% de saillies payants, à seulement 7500 dollars. Evidemment, presque toutes les 2300 juments du pays sont inscrites à Menifee ! Alors, les heureuses gagnantes sont tirées au sort une sélection des meilleures poulinières, réalisé au préalable. Ce système sert aussi à pousser les éleveurs à acquérir à l'étranger des juments de bon niveau avec des références proches de black-type.
 
 

 




 
 
En effet, selon l'état de la situation économique générale, entre 200 et 300 juments sont importées tous les ans par les éleveurs locaux, pour la plupart du l'île de Jéju. Elles proviennent majoritairement des Etats-Unis, tout comme les étalons et les yearlings ou deux ans qui y sont acquis, nécessairement inédits. Cela peut paraître assez étonnant quand on connait l'omnipotence de l'élevage australien sur les courses asiatiques en général. Mais les Etats-Unis ont pris 99% du marché pour 3 raisons : les différences climatiques assez extrêmes entre les étés étouffants de chaleur et d'humidité et les hivers polaires ressemblent beaucoup plus au Kentucky qu'à la Hunter Valley, les courses qui se disputent à 100% sur le sable en Corée (toujours pour les mêmes raisons climatiques) les rapprochent des références du dirt américain, et enfin les agences de ventes américains ont déroulé depuis de longues années le tapis rouge aux investisseurs de Séoul, allant jusqu'à éditer des séries spéciales des catalogues de vente en langue coréenne !
 
Si les achats de chevaux d'élevage n'ont jamais été règlementés, l'Etat qui organise tout en corée avait fixé des limites d'achats à 20.000 $ par poulain et 50.000 $ par pouliche, cela afin de "protéger" les 1e élèves du pays et leur offrir une chance de ne pas être écrasés par les US bred. Mais à partir de l'année 2017, cette loi va sauter, considérant que les locaux ont suffisamment progressé pour être compétitifs, et qu'il faut à nouveau "challenger" les éleveurs coréens pour les pousser à améliorer leur jumenterie. Selon les autorités locales, les éleveurs doivent progresser également dans la compréhension des besoins d'un animal de compétition, différents de ceux d'un animal tout court. Des efforts restent donc à faire sur la qualité de la nourriture et sur l'intensité du travail précoce qui doit être prodigués à ces futurs athlètes.
 

Hawk WIng a été vendu par Coolmore à Let's Run Park. Mais il n'obtient pas plus de succès en Asie qu'en Irlande.
 
 
 
Aujourd'hui encore, sur place, les "US" restent meilleurs en général que les "KOR", alors que ceux-ci bénéficient d'une programme qui leur est réservé à 70%. Mais une fois de plus, alors que l'élevage coréen espérait remporter pour la 1e fois le Grand Prix de Séoul, l'Arc de Triomphe local crée il y a 35 ans, grâce à ses 2 champions Triple Nine et Power Blade, c'est un outsider américain nommé Clean Up Joy qui a décroché la palme. Les vedettes locales possèdent un rating international correspondant à des chevaux de Listed en France ou en Angleterre. Mais s'ils restent entier pendant leur carrière de courses, ils n'ont guère d'avenir au haras car les juments leur préfèreront toujours les étalons importés. Il faut dire que la KRA et désormais des associations d'éleveurs, lassés de quelques expériences malheureuses en Irlande (ils ont pris de belles pilules avec les mauvais One Cool Cat ou Hawk Wing refourgués par Coolmore) sont capables de mettre le paquet pour acheter ce qu'ils veulent dans le nouveau-monde. Après l'achat d'Hansen, le vainqueur de la Breeders'Cup Juvenile par Tapit, pour quelques 3 millions de dollars alors qu'il venait de terminer sa 1e saison de monte avec 150 juments saillies à Ashford Stud en 2013, les coréens se sont offerts dernièrement quelques chevaux de très haut niveau :
 
 

Colonel John avec son père Tiznow lorsqu'il était ax Etats-Unis.
 
 
 
COLONEL JOHN : Fils de Tiznow, il a remporté le Santa Anita Derby (Gr.1) et les Travers Stakes (Gr.1) à 3 ans, finissant sa carrière avec 1,7 M$ de gains. Entré à WInstar Farm en 2010, stationnant à 7500 $ la saillie, il a été acquis en septembre 2016 alors qu'il occupait la 33e place nationale des étalons dans tous les Etats-Unis avec sa production au classement 2016 !

BOB AND JOHN : Fils de Seeking the Gold avec une mère par Deputy Minister, il a remporté à 3 ans les Wood Memorial Stakes (Gr.1) et terminé sa carrière avec 1 M$. Il a débuté étalon à Pin Oak Stud a a intégré la cour de St Isidore Stud, le plus grand haras privé de Corée, en 2016.
 
MUSKET MAN : Fils du rare Yonaguska (Cherokee Run) avec une mère par Fortunate Prospect, il a remporté l'Illinois Derby (Gr.2) et conclut 3e du Kentucky Derby (Gr.1). Il a commencé sa carrière d'étalon en 2011 à Vinery en Floride. Il a été exporté fin 2016.
 
 

Take Charge Indy, un très gros morceau acheté par la Corée du Sud pour une somme non dévoilée...
 
 
 
OLD FASHIONED : Fils d'Unbridled's Song avec une mère par Medowlake, gagnant à 2 ans de Gr.2 à Acqueduct, puis 2e blessé à un genou dans l'Arkansas Derby (Gr.2), il est entré à Taylor Made en 2010. Il a été acquis par les coréens en février 2016, alors qu'il avait fait la monte à 6500 $ en 2015, juste après que son fils Cheongo, né à New-York et acheté yearling pour 25.000 dollars, fut le 1e partant entrainé en Corée sur l'hippodrome de Meydan à Dubaï.
 
TAKE CHARGE INDY : Fils d'AP Indy avec une mère apr Dehere, qui a donné par ailleurs Will Take Charge, et proche cousin de Take Charge Brandi, il a remporté le Florida Derby (Gr.1) avant de rentrer au haras en 2014 à WInstar Farm. Il a été vendu fin 2016 pour stationner à Let's Run Park alors que ses listes étaient pleines et que ses 1e yearlings s'étaient vendus jusqu'à 180.000 $ sur les rings. La somme n'a pas été révélée, mais le vendeur, Elliot Walden a déclaré que l'offre était si conséquente qu'elle ne pouvait pas être refusée...
 
 



 
 
 
Il s'agit de remplacer les 2 vieux rivaux, Menifee le "public", père de Triple Nine, et Ecton Park le "privé", père de Power Blade qui a gagné pour la 1e fois la triple couronne coréenne en 2016, et avant lui de Mister Park, une autre star locale. Fils de Forty Niner avec une mère par Danzig, Ecton Park a été l'un des meilleurs de sa génération aux Etats-Unis, vanqueur du Super Derby (Gr.1), des Jim Dandy Stakes (Gr.2) pour plus d'1,5 millions de dollars. Né en 1996, Ecton Park a été exporté à 13 ans en 2009.

Ecton Park fait la monte dans le plus grand élevage privé du pays, toujours sur l'île de Jéju : St Isidore Stud. Ce haras a été fondé dans les années 60 par un prêtre irlandais qui est venu s'installer ici pour produire du lait avec des vaches. Comme tout bon irlandais, il a les chevaux dans le sang et a été le premier à se lancer dans l'élevage du pur-sang au début des années 90.
Comme tous les autres haras, St Isidore participent aux ventes publiques qui sont organisées sur le ring...de Let's Run Park car la KRA avait d'emblée pensé à tout en construisant toutes les structures pour la vie d'une filière de A à Z. Ces ventes qui s'adressent essentiellement à des yearlings et des 2 ans, avec 3 sessions en mars, juin et septembre, font tout de même passer entre 300 et 400 chevaux pour chaque génération, soit environ 30% des poulains et pouliches nés sur le sol Jéju.
 
Tout comme les hommes et les femmes de la KRA, nous attendons avec la plus grande impatience le 1e porte drapeau de l'élevage coréen qui sera capable de gagner une grande épreuve internationale. Né sur une petite ile volcanique d'un pays méconnu de l'Extrême-Orient, ce pionnier sera le support de bien belles histoires à raconter à nos petits-enfants !
 

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