Jean-Claude Rouget : pourquoi il aime tant l'obstacle ?

16/03/2018 - Grand Destin
Il a gagné à Auteuil en tant que propriétaire de l'impressionnant Hot Motive, entraîné par son collègue et ami François Nicolle. Lui qui a repris l'ancienne casaque de Jean Stern, le grand Rouget, surnom de Jean-Claude, l'un des maîtres du plat en Europe, nourrit une passion vivace pour l'obstacle. Mais pourquoi ?

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Jean-Claude Rouget, particulièrement fier de son représentant Hot Motive, entraîné par François Nicolle, qui vient de s'imposer dans le Prix Ventriloque. (PHOTO APRH)

 

La casaque de Jean Stern, c'est celle qui m'a fait aimer les courses", explique Jean-Claude Rouget qui précise : " par contre, si j'ai réussi à avoir le plastron blanc étoiles bleues ciel, j'essaie depuis des années d'avoir la vraie toque noire, qui m'est refusée sous prétexte qu'un lointain héritier pourrait revenir ! Donc j'ai pris une toque en velours, de façon que le bleu foncé paraisse le plus proche du noir."

Au samedi soir du 11 mars 2018 à Auteuil, devant une coupe de champagne partagée avec son entraîneur d'obstacle François Nicolle, sa femme Fabienne, ainsi que Paul Couderc, le Président des Anglo-Arabes, l'oecuménique Jean-Claude Rouget savoure pleinement la victoire de son représentant Hot Motive dans le Prix Ventriloque. " Il m'a fait une très forte impression. Il semble reprendre un départ après la dernière haie. Chez moi, il avait de la qualité mais il était particulièrement difficile. je devais même l'entraîner tout seul. Il a gagné à Auch et nous étions bloqué en 32 de valeur. " Le cheval étant limité de par sa fougue en plat, Jean-Claude Rouget acquiert le cheval à l'amiable à son propriétaire Issam Farès et le confie à son ami François Nicolle. Le fait de sauter l'a manifestement canalisé et il démontre enfin son très gros potentiel après un succès en débutant à Fontainebleau.

 


Jean-Claude Rouget refait briller la casaque de Jean Stern sur les haies d'Auteuil, la seule différence étant la couleur de la toque bleue foncée plutôt que noire. (PHOTO APRH)

 

Depuis quelques années désormais, en compagnie de François Nicolle, Jean-Claude Rouget effectue un retour de plus en plus perceptible sur les obstacles, car c'est bien un retour aux sources pour l'entraîneur d'Almanzor, tête de liste en France depuis des lustres au niveau des victoires en plat. Riche d'une mémoire exceptionnelle, voyant devant lui sans jamais rien oublier du passé, le grand Rouget voit de nombreux souvenirs remonter en conséquence de cette victoire.

" Hot Motive a été élevé au Haras de Manneville par M. Issam Farès, pour qui j'entraîne depuis 1985 ! Or, il faut savoir que mon père est né dans ce haras où mon grand-père, Raymond Rouget, marié à ma grand-mère écossaise, a été Directeur ! "  Le Haras de Manneville, acquis dans les années 80 par l'homme d'affaires libanais Isam Farès, s'étend autour d'un château du 18ème siècle. Le domaine fut acquis en 1926 par Henri Coulon. Plus tard, la construction d'un haras sera confié à Raymond Rouget. Fils de ce dernier, et donc père de Jean-Claude Rouget, Claude Rouget a une formidable carrière d'entraîneur dans l'Ouest. Installé à Senonnes, c'était une grande écurie de tête tant en plat qu'en obstacle. Il est décédé au bord des pistes en 2009, à la tête d'un palmarès de 1900 victoires, alors qu'il était à 80 ans le doyen des entraîneurs. Claude Rouget s'était installé sur le tard, à 39 ans.

 

 

Note : 


Jean-Claude Rouget entraîne pour Issam Farès depuis 33 ans..." M. Farès a été très touché quand je lui ai dit que mon père était né dans son haras. Il est surtout éleveur-vendeur aujourd'hui, mais j'adore continuer de travailler avec cette personne qui a un grand sens du respect et de la reconnaissance mutuelle. Je me rappelle, il n'y a pas très longtemps, avoir vu à Manneville 2 produits de son étalon Kentucky Dynamite dont on pouvait penser qu'ils prendraient une veste aux ventes. Je lui ai proposé de les prendre. C"était Bouboum Kiss et Out of Town ! "Tous deux viennent de conclure 2ème de Listed, respectivement dans les Prix Maurice Caillault et Rose de Mai.

 


Claude Rouget

 

Son père fut directeur des haras de Jean Stern 

En effet, auparavant, Claude Rouget fut en poste au Haras de Cheffreville, comme jeune directeur de l'élevage de Jean Stern de 1952 à 1967. Grande figure des courses pendant 6 décennies, puisqu'il a obtenu ses couleurs en 1902, propriétaire éleveur sans sol, aux Haras du Petit Tellier, à la Chaussée avant d'acheter Saint-Pair-du-Mont, Cheffreville et de louer une partie de Victot, Jean Stern a obtenu les plus grands succès tant en plat qu'en obstacle, notamment grâce à Sicambre (Arc de Triomphe) ou autre Cousin Pons, dernier lauréat du Grand Steeple-Chase de Paris à 4 ans en 1961. Jean Stern tenait sa fortune du milieu bancaire. D'ailleurs, sa femme, Claude de Lambert, était une petite-fille Rothschild...A sa mort à 87 ans, Jean Stern avait encore 130 chevaux, dont 5 étalons, 45 poulinières et 30 chevaux à l'entraînement ! Il a un prix à son nom à Auteuil et comme le sort est taquin, le Prix Cousin Pons s'est disputé également ce 11 mars à Auteuil.

 

 

 
Jean Stern, à droite, propriétaire éleveur en haut de l'affiche pendant 6 décennies !

 

 

Jean-Claude Rouget, né en Normandie, a grandi dans l'Ouest

 
Jean-Claude Rouget est né le 19 août 1953 à la clinique des Buissonnets à Lisieux. Il a passé ses premières années de scolarité à Livarot avant donc de poursuivre son adolescence dans l'ouest, proche du Lion d'Angers, d'où une passion restée viscérale pour l'obstacle. Mais dans la pratique, le jeune Jean-Claude brille plutôt sur les stades que sur les pistes de courses. Il excelle tant en athétisme qu'il est sacré champion de Bretagne sur 1500 m à l'âge de 19 ans. D'ailleurs, il n'a aujourd'hui rien oublié de son passé sportif, il avait fait le pari fou qu'il pourrait rejoindre le Haras des Granges près de Toulouse depuis Pau (soit une distance de 131 kilomètres) en vélo et dans une seule journée. Beaucoup moins raisonnable qu'il n'y paraît, le grand Rouget a tenu son pari.
 


 


Jean-Claude Rouget, ici au Stade Charletty, a été champion de Bretagne sur 1500 m à 19 ans.

 

 

Un athlète de haut niveau

Mais d'où lui vient cette passion paloise, puisqu'il aurait très bien pû s'installer sur les terres de sa jeunesse, dans l'Ouest ? "  A priori, il souhaite même s'installer à Chantilly, mais passe un bac technico commercial à Laval et entame une série de stages qui vont changer sa façon de voir les choses, comme il confiait à la revue l'Actualité Hippique en 1987 : "Je suis allé à Chantilly où Olivier Nicol m'a trouvé une place chez Jean-Michel de Choubersky du temps glorieux de Virunga et des fantastiques pouliches des bleues Wildenstein. L’hiver, qui est la saison morte à Paris, je descendais en Béarn avec le personnel et l’effectif de mon père, c’est ainsi que j’ai pu savourer les charmes de la vie paloise, apprécier les équipements du Sud-Ouest. A l’époque, Pierre Sobry, qui fut ensuite assistant chez Olivier Douïeb, et quelques autres composaient l’encadrement d’un effectif de qualité : souvenez-vous de Pencha, Le Casse, Le Maraudeur….

 


Jean-Claude Rouget avec Pierre Sobry autour d'un cheval associé à Christian Quinette.

 

Tout a basculé au contact de Freddy Palmer, lorsque l’écurie, en plein boum, vivait des heures de gloire, avec la présence de grands propriétaires japonais, celle aussi de Iron Duke. Mai j’ai aussi goûté aux traditions anglaises chez Ian Balding, et tout bien réfléchi, au bout de deux années de doute, j’ai décidé que le contexte courses de province était plus dans mon genre. Non seulement, cela me paraissait sympa en comparaison avec le stress de la capitale, mais les structures du Sud-Ouest, les allocations plus importantes que celles de l’Ouest, la cohérence du programme constituaient un outil de travail performant. La décision s’est faite du jour au lendemain, alors là, c’est exact que mon père a incité certains de ses clients à m’envoyer un cheval."
 

1er partant, 1er gagnant sur les haies de Pau

 Finalement, le jeune Jean-Claude prend sa licence à 25 ans, en 1978, et descend à Pau. La légende veut qu'il n'avait pour toute fortune qu'une Citroën 2CV, et 2 chevaux plus ou moins tordus. Mais dès sa première année, il remporte 14 victoires, 6 en plat, 8 en obstacles. Son 1er partant est un coup de maître ; l’essai est transformé à Pau le 8 février 1978 dans une course de haies à réclamer avec une pouliche de 4 ans, transfuge de l’écurie de son père. Montée par Philippe Boisgontier, cette Bonne Alliance appartient à Mme Georges Wegliszewski, le futur éleveur de Celtic Arms (Prix du Jockey-Club 1994). Le 18 mai suivant, l’écurie ouvre son palmarès en plat à Eauze avec Fleur du Soleil, une pouliche de 2 ans, par l’étalon en vogue du Sud-Ouest, Montfleur, montée par Laurent Pinaud et appartenant à Mme Gérard Laboureau. Dans la foulée, Genèse remporte la 2ème victoire à Grenade sur Garonne dans un handicap. C'est le début d'une série.
 

3 victoires de Grand Prix de Pau en 6 ans

C’est tout naturellement en obstacle, en remportant le Grand Prix de Pau 1982, que Jean-Claude Rouget selle son premier gagnant, dit classique, Jaccoud (à Pierre Sicot). Il rééditera dans ce même Grand Steeple, en 1984 avec Lucas (Claude Gour) et en 1987 avec Jemirkhan (Jean-Pierre Rios). Aujourd'hui oubliée, cette passe de 3 Grand Prix de Pau en 6 ans avec 3 chevaux différents reste un exploit.
 

Avec Millkom, à son retour aux Balances après le Grand Prix de Paris 1994.


 

Les doigts dans la prise classique

En 1988, à Bordeaux et Toulouse, l’écurie fait mouche en remportant les deux Derbies du Sud-Ouest pour Claude Gour avec Lucky Ship et Century Port. En 1989, il selle son premier partant (Cut My Heart) en plat dans un groupe parisien, le Prix Robert Papin (Gr.2) dominé par les pouliches, Ozone Friendly, Zinarelle et Mill Lady. C’est le 19 octobre 1991 qu’il obtient son premier succès dans un Groupe en plat, le Prix André Baboin (Gr.3) (Grand Prix des Provinces) au Bouscat avec Flanaghan Cocktail monté par Philippe Dumortier et portant les couleurs de Jean-Michel Lorca, l’un de ses premiers propriétaires.

 


L'arrivée de Jean-Claude au Haras des Granges, alors qu'il était parti en vélo depuis Pau, distant de 131 kilomètres !
 

Il a fait tomber le record de Mathet

En 1991, avec 180 victoires, Jean-Claude Rouget dépasse le record détenu par François Mathet depuis 1972, qui était de 173, et il atteint, en 1994, le record fabuleux de 242 victoires dont ses 2 premiers Gr.1 avec Millkom (par Cyrano de Bergerac) à Longchamp dans le Prix Jean Prat, couru sur 1.850 m. le 29 mai, puis dans le Grand Prix de Paris, un mois plus tard sur 2.000 m., tous les deux montés par le jeune Jean-René Dubosc. L’élève de Jean-Claude Gour avait réussi l’exploit de triompher dix fois consécutivement avant son échec du Prix de l’Arc de Triomphe de Carnegie.

En 2016, Jean-Claude Rouget réalise une année incroyable avec 173 victoires rien qu'en France et un nombre incalculable de Groupes et Listeds avec des champions comme Almanzor, La Cressonnière, Zelzal, Qemah, Taaref, Jamayel, Mekthaal, Al Wathna, Ervedya, Sotteville, etc...Il fait notamment le doublé des classiques de Chantilly (Jockey-Club / Diane) qui lui avaient si longtemps échappés.


Rouget propriétaire...chez les autres


Tu peux appeler ton fils et lui dire qu'il a enfin gagné une course ! " Le 25 septembre 2005, à Morlaix en Bretagne, une petite pouliche grise nommée Traicy s'impose en débutant sous ses couleurs orange, et sous les yeux de son entraîneur...Claude Rouget. Toujours plein de malices, ce dernier demande à son épouse: " Tu peux appeler ton fils et lui dire qu'il a enfin gagné une course ! " Ses couleurs évolueront en 2008 avec la reprise de la casaque Stern, dont il est si fier aujourd'hui.


 

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