Triple Couronne (suite) : Count Fleet, le dangereux des locations Hertz

07/06/2014 - Grand Destin
Aucun acheteur ne se précipite pour acquérir Count Fleet, ce poulain mis en vente à deux reprises. Considéré comme dangereux, mais compris, sauvé et soigné par son jockey, le légendaire Johnny Longden, il marquera pourtant l’histoire du turf américain qui fera partie du Top 5 des meilleurs chevaux du siècle.

Count Fleet avec son jockey Johnny Longden et sa propriétaire, Mme John D. Hertz, le fondateur des locations de voiture du même nom.

Né le 24 mars 1940 chez les époux Hertz (John D. Hertz et Fannie, née Kesner) à Stoner Creek Stud Farm (Kentucky), Count Fleet est un fils de Reigh Count (vainqueur du Kentucky Derby) et de Quickly (par Haste, un étalon, petit-fils du français Maintenon, né au Haras du Perray, près de Rambouillet).

 
En 1937, John Hertz achète pour $ 2.500 à Joseph Widener, une jument de 7 ans (qui avait couru 85 fois pour 32 victoires ! la majorité sur le sprint) nommée Quickly dans l’intention de la faire saillir par son étalon maison, Reigh Count.
Pour l’anecdote, son premier produit, une pouliche non placée, deviendra l’aïeule d’un français, Vaguely Pleasant.
En 1940, naît son propre frère, Count Fleet, qui s’avère difficile à gérer. Son propriétaire-éleveur ne désire donc pas le garder et le met en vente. Une seule personne croit en ce poulain, le manager du haras, Sam Ramsen qui plaide en sa faveur. Mais son caractère décourage les éventuels acheteurs, ce qui incite John Hertz à le garder comme yearling.
Le poulain est envoyé chez Gregory Duncan (« Don ») Cameron qui le fait débuter à Belmont où il subit la domination du modeste Vacuum Cleaner. Il répète la même performance ensuite à Aqueduct. Peu de temps après à cause de la 2e guerre mondiale, Hertz envisage de diminuer la voilure et de vendre quelques éléments. Count Fleet fait partie du lot.
 
 
 
 
SAUVÉ PAR LE CRACK JOCKEY JOHNNY LONGDEN : " MOI JE N'AI PAS PEUR DU CHEVAL"
 
Le crack jockey Johnny Longden (légende américaine), son partenaire habituel, croise un entraineur qui lui dit son intention d’acheter le poulain. Ni une, ni deux, le jockey, prend sa bicyclette pour appeler, d’une cabine téléphonique le propriétaire, lui exprimant sa haute opinion sur le poulain. Hertz lui fait comprendre qu’il est dangereux et qu’il va finir par causer un accident. « Moi, je n’ai pas peur ». Hertz se ravise et bien lui en a pris.
 
Sa troisième sortie sera donc la bonne et remporte son maiden de 4 longueurs en un temps record (1’06’’ sur 1.100 m.). La carrière de Count Fleet est lancée et va remporter 9 autres courses à 2 ans battant deux records de piste dont ceux des Champagne S. de 6 longueurs et du Pimlico Futurity (devant Occupation, un fils de Bull Dog). Dans les Walden S., il laisse son dauphin à 30 longueurs. Il décroche le titre de meilleur 2 ans promis, un mois avant, à son rival Occupation (qui l’avait battu dans le Belmont Futurity).
 
Note :
 
  • Alors en contrat avec l'entraineur de Count Fleet, Johnny Longden, né en 1907, marquera profondément l'histoire américaine. Alors âgé de 36 ans lors sa cette triple couronne 1943, il n'est ai pas encore à la moitié de sa carrière de jockey...qui se terminera à 59 ans lorsqu'il sera le 1e jockey du monde à dépasser les 6000 victoires. Lui qui, physiquement, possède une ressembance surprenante avec Yves Saint-Martin, devient entraineur. il remportera 400 victoires dont le Kentucky Derby 1969, à 68 ans, avec Majestic Prince. Il est alors que 1e et toujours le seul personnage à avoir remporté ce Derby en tant que jockey puis entraineur. Il meurt dans son lit, le jour de son 93e anniversaire.
 

JOHNNY LONGDEN LE SOIGNE LUI-MEME D'UNE BLESSURE DANS LE TRAIN POUR CHURCHILL DOWNS.

 
Il fait une rentrée victorieuse qu’il confirme dans le Wood Memorial, malgré une atteinte au postérieur gauche. La blessure est assez sérieuse pour compromette sa participation au Kentucky Derby. Son entraineur l’expédie à Churchill Downs par chemin de fer avec son jockey Johnny Longden (photo ci-contre) dans la stalle qui lui administre de la glace tout au long du voyage sur la jambe blessée.
 
Cela ne l’empêche pas, le 1e mai, de s’imposer dans la « Run for the Roses » dominant, de 3 longueurs, Blue Swords (élevé par Samuel Riddle) et de 9 longueurs, Slide Rule (élevé par Arthur Hancock).
 
Huit jours plus tard, les Preakness S. ne sont qu’une formalité dominant son même dauphin, Blue Swords, de 8 longueurs. Mais que dire de sa victoire dans les Belmont S., le 5 juin, où il ridiculise ses adversaires laissant son second à 25 longueurs (un record jusqu’à l’arrivée de Secretariat). Son second, Fairy Manhurst est un fils de Man O’War, élevé par William DuPont. Entre temps, il avait inscrit à son palmarès, les Withers S. devançant de 6 longueurs, Slide Rule (portant les couleurs de William Edward Boeing, le fondateur de la compagnie du même nom, qui avait acheté Aldarra Farm, près de Seattle).
 
IL GAGNE LES BELMONT STAKES PAR 25 LONGUEURS !
 
L’entourage de Count Fleet, décèle un boulet endommagé et plutôt que de risquer une aggravation, il préfère arrêter sa carrière sur cette série de 6 victoires à 3 ans sur 6 sorties. On lui décerne le titre de meilleur 3 ans (of course !) et le titre de meilleur cheval de l’année.
 
Il rentre donc au haras, auréolé de 16 victoires. Il va connaître une aussi belle réussite dans son nouveau métier. Il est sacré étalon tête de liste aux USA en 1951, second en 1952. Il obtient également le titre de père de mères en 1963, second en 1960, 1961 et en 1967, troisième en 1962 et 1965.
Il va donner naissance à 38 stakes-winners dont Count Turf (Kentucky Derby), Counterpoint (Belmont S., 2e Preakness S.), One Count (Belmont S., Jockey Club Gold Cup pour Walter Jeffords, le neveu de Sam Riddle), tous élus champions de l’année. Toujours pour W. Jeffords, une élue championne à 3 ans, Kiss Me Kate (Acorn S., 2e C.C.A. Oaks), sœur de Blue Denim et de Snow Goose.
 
 
Count Fleet, étalon à Stoner Creek Farm dans le Kentucky.
 
 
Excellent père de mères, il est le grand-père du champion Kelso, de Lucky Debonair (Kentucky Derby), de Tompion (étalon ensuite en France), de la championne canadienne, Ice Water, de Lamb Chop (C.C.A. Oaks)et d’un certain Prince John (élevé par Fannie Hertz). Deux autres de ses filles, Sequence et Virginia Water deviendront les grand-mères, l’une de Mr Prospector, l’autre de Mill Reef.
 
Décédé à 33 ans, en décembre 1973, à Stoner Creek, il sera classé 5e, sur la liste des meilleurs chevaux américains du 20e siècle, derrière Man O’War, Secretariat, Citation et Kelso (son petit-fils). Un nom de prix lui a été attribué depuis 1975, se courant tout d’abord à Belmont puis à Aqueduct.
 
 

JOHN-DANIEL HERTZ : EN VOITURE SIMONE

 
John Daniel Hertz (1879-1961) est connu pour être le fondateur de la société de location de voitures du même nom. Il est né à Ruttka (dans l’empire austro-hongrois, aujourd’hui la Slovaquie) et a émigré à Chicago quand il avait 5 ans. Jeune, il exerce la boxe en amateur sous le pseudonyme de « Dan Donnelly ».
 
Son premier « job » a été de vendre des journaux et par la suite il devient journaliste au Chicago Morning News. Le journal fusionne avec Chicago Record et perd son emploi. En 1904, bien qu’il ne conduit pas, il trouve un emploi, grâce à un ami, dans la vente de voitures. Il lui vient l’idée de créer une compagnie de taxi à bas prix. En 1907, il possède un parc automobile de 7 voitures d’occasion. Il fonde en 1915 la Yellow Cab Company à Chicago qui offre les services d’un taxi à moindre frais. Cette couleur jaune distinctive devient populaire dans sa ville et est rapidement franchisée à travers les USA. Suite à la création d’autres sociétés, il achète en 1924, au fondateur Walter L. Jacobs, une entreprise de location de voitures qu’il renommera Hertz Drive Ur Self Corporation, qui est présente, aujourd’hui, dans 145 pays.
 
 

Boxeur dans sa jeunesse, John Daniel Hertz fera fortune tout d'abord dans la compagnie des taxis jaunes aux Etats-Unis, pour avec l'agence de location de voiture qui porte son nom.
 
 
Petit à petit, il se sépare de quelques parts de ses nombreuses sociétés et en 1929, il vend le restant de ses actions dans la Yellow Cab Company après le « bombardement » de ses écuries dans lesquels 11 chevaux y laissent la vie.
En 1933, il achète à Robert Lehman une participation minoritaire dans la Lehman Brothers Bank à New York. Il y restera actionnaire jusqu’à son décès en 1961.
 
Il épouse en 1903, Francis (Fannie) Kesner, une femme de Chicago qui lui donnera 3 enfants. Ils possédaient un haras dans l’Illinois, Trout Valley et un second en Californie, Amarillo Ranch à Woodland Hills. Stoner Creek Stud Farm, dans le Kentucky, est plus important. C’est là qu’ils font de l’élevage et un centre d’entrainement. John Hertz décède en octobre 1961 à 82 ans et sa femme, deux ans plus tard en Floride, également à 82 ans.
 
 
 
Notes :
 
  • Stoner Creek Farm (fondé sur une propriété datant de 1818) sera vendu à la famille Woodworth. Le domaine actuel, Hunterton Farm à Stoner Creek, est construit sur l’ex haras du couple Hertz et celui historique de Woodlawn Farm. Il héberge un élevage de trotteurs.
 
  • Dans les années 20, à Trout Valley (la vallée des truites), il avait fait construire un manoir, des barns, des terrains de polo le long de la rivière Fox, un domaine qu’il appellera Leona Farms, du nom de l’une de ses filles. Il y invitera des personnalités riches et célèbres dont Walt Disney, Eleanor Roosevelt, Myrna Loy, une actrice qui épousera, pour peu de temps, John Hertz Jr, le fils de la famille. Pour l’anecdote, elle se remarie à Gene Markey (divorcé, il épousera ensuite Lucille Wright, de Calumet Farm). John Hertz revend le domaine en 1943 à Otto Schnering.
    L’entraineur Don Cameron, natif de Californie, avait servi l’US Army dans l’aviation pendant la 1e guerre mondiale. Vingt ans plus tard, tout en travaillant pour l’importante écurie de Vera S. Bragg et Shirley Riley, il fait la connaissance de John Hertz. En 1939, il fait appel à Johnny Longden pour piloter les chevaux des deux propriétaires. Puis viendra l’année 1942, l’année du 2 ans, Count Fleet.

 

Reigh Count, un champion international devenu grand étalon, pourtant méconnu en France.

 
REIGH COUNT REMPORTE LE KENTUCKY DERBY PUIS VIENT BRILLER EN ANGLETERRE
 
Né en 1925, Reigh Count, le père ce Count Fleet, portait déjà les couleurs de Mme Fannie Hertz qui l’avait acheté, à l’été de ses 2 ans, à son éleveur basé à Court Manor Stud en Virginie, Willis Sharpe Kilmer. Vainqueur du Kentucky Derby (monté par Charles « Chick » Lang) et de la Jockey Club Gold Cup à 3 ans, il avait, ensuite, traversé l’Atlantique pour s’imposer à 4 ans dans la Coronation Cup (entrainé par Bert S. Michell, il fait partie des premiers chevaux américains vainqueurs en Angleterre) et finir second de l’Ascot Gold Cup (devant le français Palais Royal). Il sera titré meilleur poulain de 2 ans et de 3 ans, et meilleur cheval de l’année à 3 ans aux USA. En fin d’année de 4 ans, Hertz reçoit une offre d’$ 1 M. à laquelle il ne donne pas suite.
 
Reigh Count (voir ci-contre) est un fils du français, Sunreigh, élevé par Marcel Boussac et acheté yearling par W.S. Kilmer en 1920. Sunreigh est le propre frère de Sun Briar (né en 1915) qui après une belle carrière sur la piste engendrera, en 1925, le champion américain, Sun Beau.
 
Sundridge, le père de Sunreigh, était un véritable sprinter (3 fois la July Cup, 2 fois les King’s Stand St.). Après avoir débuté au haras en Angleterre, il avait élu domicile au Haras du Bel Ebat (situé à La Celle Saint-Cloud, premier haras d’Edmond Blanc) puis réexporté à Childwick Bury Stud (le haras de Jim Joel et où, un siècle plus tard, les élèves de la Mise de Moratalla prennent pension).
 
La mère de Reigh Count, Contessina (née en 1909, propriété déjà de W.S. Kilmer), est une fille de Count Schomberg, le vainqueur, entre autres, de la Grande Course de Haies d’Auteuil 1896 pour Robert Lebaudy (propriétaire également de Styrax, vainqueur du Gd Steeple-Chase de Paris en 1895). Au haras, Reigh Count ne fera pas partie des étalons majeurs, son propriétaire ayant limité le nombre de juments. Mais, outre Count Fleet, il donnera naissance notamment à Triplicate (sous les couleurs de Fred Astaire, il est vainqueur du Hollywood Gold Cup, San Juan Capistrano H.), à Lady Reigh (CCA Oaks 1934), à Reigh Belle (2e Kentucky Oaks 1948). Reigh Count décède en 1948 à 23 ans.
 
Notes :
 
  • La Virginie donnera quatre vainqueurs du Kentucky Derby à commencer par Reigh Count, puis 45 ans plus tard avec Secretariat, en 1981 avec Pleasant Colony et Sea Hero (pour Paul Mellon) en 1993.
     
  • En France, il a été créé à Evry, le Prix Contessina, une épreuve sur le sprint et pour être franc, je suis incapable de vous dire, s’il s’agissait d’honorer la mère de Reigh Count ou l’aïeule de Poetess, gagnante du Prix du Jockey Club 1841, pour Lord Seymour.
     
  • Il est amusant de noter que Reigh Count, vainqueur du Kentucky Derby en 1928, est le père de Count Fleet (vainqueur lui aussi en 1943) qui lui-même donnera naissance au vainqueur du Derby 1951, Count Turf.
 
QUI EST WILLIS SHARPE KILMER ?
 
Le millionnaire Willis Sharpe Kilmer (né à Brooklyn en 1869, décédé en 1940) est propriétaire d’un haras dans l’Etat de New York, Sun Briar Stud depuis 1918. La même année, il se distingue en étant le propriétaire du vainqueur du Kentucky Derby, Exterminator, qu’il avait acheté yearling. Il étend son élevage en 1925, avec un second haras, qu’il baptisera Court Manor Stud, un joyau de la Shenandoah Valley, à Rockingham County, près de New Market (Virginie) après l’achat du domaine qui date d’au moins 1746.
 
Exterminator va s’imposer à 50 reprises sur 100 sorties. Son propriétaire était persuadé de pouvoir battre Man O’War. Le match-race ne peut avoir lieu, l’entourage de Man O’War prétextant avoir beaucoup plus à perdre qu’Exterminator qui était hongre.
 
Il va élever et conserver la propriété d’un certain Sun Beau (né en 1925, fils de Sun Briar), élu cheval de l’année trois années consécutives (1929 à 1931). Il sera stationné comme étalon à Remlik Farm en Virginie. Sun Beau a détenu le record du monde des gains jusqu’à l’arrivée de Seabiscuit.
 
 
A une époque, Kilmer possédait 400 chevaux, un chemin de fer privé, un grand yacht (qu’il nommera Remlik - voir ci-contre) et cinq haras ou manoir sur la côte Est, de la Floride à New York dont Remlik Farm. Son manoir est victime d’un incendie en 1939 dont les causes sont suspectes.
 
Après son décès (juillet 1940), ses effectifs font l’objet d’une vente de dispersion (102 chevaux) en octobre 1940 par l’intermédiaire de Fasig Tipton. Le domaine a, depuis, changé huit fois de propriétaires.
 
W.S. Kilmer doit sa fortune à la commercialisation d’un médicament breveté par son père, le Swamp Root, qu’il va développer avec son oncle, le Dr Sylvester Andral Kilmer. Il est toujours en vente aujourd’hui.

 

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