Le cocktail Liverpool

08/04/2013 - Actualités
De toutes les boissons ingurgitées ce samedi à Liverpool, la plus enivrante fut sans conteste celle composée par l’équipe gagnante du Grand National 2013. Une sorte de cocktail de vies atypiques et passionnées comme en raffole le public.

La recette magique

Pour l’avoir constaté sur place (et oui France Sire a des envoyés spéciaux partout sur le planète courses), le nombre d’hectolitres déversés dans les verres de tous genres, allant du gobelet en plastic à la coupe en verre et en passant par la bouteille directement, atteint à Aintree des niveaux de champion du monde, voire de la galaxie toute entière. Pourtant, les anglais ont goûté au meilleur cocktail qui soit, celui qui leur a permis d’aimer encore plus leur Grand National. Le vainqueur, bien qu’il n’ait contenté financièrement que très peu d’entre eux à la côte de 66/1, présente en effet un profil dans lequel chaque supporteur de la course peut se retrouver : un jeune pilote ancien paumé, un couple d’entraîneurs amoureux malgré les années qui passent, un ancien crack du jumping à la langue bien pendue et des propriétaires grands fans de Liverpool pour son ambiance, son Grand National et pour le bon temps passé entre potes. Une sorte de conte de fées mais avec des ingrédients labellisés Liverpool, un peu moins fleur bleue quoi…

 

 

 

Ryan Mania : il avait tout arrêté à…22 ans

Et dire que le phénoménal Tony Mc Coy a dû attendre sa 15e participation pour remporter le Grand National. Lui l’emporte dès sa 1er tentative ! Ryan Mania, le jockey de Auroras Encore, est passé en l’espace de 9 minutes et 12 secondes du statut de parfait inconnu à celui de star, au moins pour quelque temps. A cheval depuis son plus jeune âge, ce petit-fils d’immigré polonais du Nord de l’Angleterre entre par la porte des point-to-point qu’il fréquente assidument dès l’âge de 12 ans. Parti de l’école à 16 ans, le jeune gars se cherche un avenir dans le milieu hippique. Mais le sort n’arrange pas ses affaires déjà moyennement engagées quand son patron Howard Johnson perd sa licence d’entraîneur pour mauvais traitement des chevaux (il coupait les tendons). Un peu paumé, Ryan débarque chez les Smith qui le prennent sous leur coupe. Mais l’hiver 2011 a raison de sa passion. Les annulations à répétition pour cause de mauvais temps, sans monte et dépourvu de la flamme devant alimenter le feu sacré, Ryan jette l’éponge. Stop le métier de jockey ! Il prend sa retraite sans aucune victoire de prestige à son palmarès, sans passé, sans avenir. La loose la plus totale.

 

Ryan Mania et Auroras

 

Il se lie alors à un équipage de chasse à courre (même si celle-ci est toujours officiellement interdite), et se terre dans un rôle on ne peut plus ingrat. Mais au moins, il monte à cheval et a l’impression de servir à quelque chose. Mais l’odeur des chiens (une meute de chiens à courre, ça pue terriblement), le manque de l’adrénaline de la compétition et l’impression d’en avoir déjà fini alors qu’il n’a que 22 ans, sont lourds à supporter. Il retoque à la porte des Smith qui le réintègre et lui confie Auroras Encore pour le Grand National.

Du coup, quand il se retrouve en tête après le dernier fence alors qu’il n’avait l’ambition que de « finir le parcours », Ryan Mania n’en croit pas ses oreilles : « J’ai entendu le commentateur dire qu’il y avait un cheval en liberté derrière moi mais je n’ai préféré pas m’en occuper et continuer jusqu’au bout. C’est inimaginable ! ». En effet !

 

 

 

Les Smith roucoulent

Ils se regardent comme deux jeunes amants. Elle est la première à rire à ses facéties et ses traits d’humour. Il n’a cesse de saluer son travail quotidien avec les chevaux. Les époux Smith sont comme deux tourtereaux que rien ne semble pouvoir atteindre, eux au milieu et le monde tournant autour sans jamais perturber le leur. Sue, 65 ans, et Harvey, 74 ans, ont les yeux qui brillent. Ils goûtent à nouveau à l’extase du grand succès. Une victoire que commenta devant les journalistes Sue avant que son cher époux n’arrive dans la salle de presse. Discret dans un premier temps, arrivant pendant que Sue s’exprimait, l’apparition de l’ancien champion de jumping fut beaucoup plus théâtrale quand il jugea le moment approprié. C’est-à-dire quand ce fut au tour de son jockey de s’exprimer : Smith décide alors de lancer à travers la salle son couvre-chef (une casquette typique du Yorkshire) pour atteindre avec une précision digne de Robin des Bois le micro de Ryan Mania. Ce dernier le prend comme une offrande, une marque d’estime et met aussitôt la gapette sur la tête, sous les rires appuyés d’une assistance sous le charme.

 

 

Harvey et Sue Smith

 

Il faut dire que Harvey Smith est une vedette au pays de la Reine. Grand compétiteur, il ne lui manque qu’une médaille olympique dans son sport, le bonhomme est aussi fameux pour avoir un jour fait un joli doigt d’honneur aux officiels d’un concours. Le genre de mec qui gagne et qui en a. Bref, une star populaire. Alors sa victoire et celle de sa femme est un peu celle du peuple, des rebelles polis et impolis, des gens de la base ayant, à la force du poignet, atteint leur but, en couple de surcroît, ce qui fait toujours rêver les foules…de divorcés.

 

Des potes de foire unis pour le meilleur

Ils ont en commun la passion des courses et en particulier celles de Liverpool. Ils se rencontrés il y a 20 ans à Aintree justement et ne se sont plus quitté depuis. Jim Beaumont et Douglas Pryde sont deux potes qui ont passé du bon temps sur « leur » hippodrome. Car ici, on pense bien sûr à la compétition et aux chevaux, aux paris, mais aussi à la convivialité du moment faisant oublier la routine du quotidien, le climat anglais et les soucis, le tout autour d’une bonne pinte voire d’une coupe quand les courses ont eu la dignité de se passer exactement comme vous l’aviez imaginé ! Mais, cette fois, c’est mieux que sur le plan. Les deux amis plus un ont en effet acquis Auroras Encore en fin d’année…2012 ! Autour de Noël. L’idée ? Avoir un partant dans le Grand National. Un partant pas un gagnant !

 

Auroras au fond en bleu et jaune

 

Jim Beaumont, 78 ans, se rappelle de sa 1e rencontre avec ce monde des courses. C’était il y a…62 ans, quand le jeune Jimmy était homme à tout faire à l’hôtel Adelphi, celui où toutes les stars jockeys de l’époque avaient leurs habitudes lors du meeting du Grand National. Devenu professionnel de l’hôtellerie et de la restauration, Jimmy a laissé place à Mr Beaumont, si fier d’avoir soulevé le trophée, le seul qui compte à ses yeux. Encore plus qu’il l’a fait avec son pote de foire liverpoolienne, Douglas Pryde, 58 ans, analyste financier, présent à Aintree pour chaque Grand National depuis 1987, sans en manquer aucun. Les deux amis rient à s’époumoner sans discontinuer des minutes durant. L’absence du 3e associé, David Van der Hoeven, les rend hilares : ils pourront ainsi le chambrer des années et des années : le 3e larron est en effet en vacances en famille, en Grèce, loupant ça ! Mais il est fou d’avoir fait un truc pareil ! Tant pis, ils se sentiront obligés de lui raconter l’histoire de la journée autour d’une bonne table. Une fois, puis deux, puis cinq, puis cent s’il le fait !

Il ne restera plus qu’à trinquer.

 

Voir la course complète

 

Détail qui a son importance

 

Il faut enfin souligner le soulagement de tous d’avoir vu le peloton entier finir en un seul morceau. Pas de drame cette année, pas de jockey blessé, pas de cheval sur le carreau. 17 des 40 concurrents ont fini le parcours. 2 sont tombés. 6 ont éjecté leur cavalier dont 2 sur gêne flagrante. 14 arrêtés. 1 a refusé de sauté le dernier obstacle. Un décompte qui rassure et prouve, au moins temporairement, que les modifications apportées ont été couronnées de succès. Il fut d’ailleurs extraordinaire d’entendre la foule, déjà bien alcoolisée mais encore capable de lueur de lucidité, la preuve, hurler de joie quand le commentateur qu’ils étaient encore tous là après 7 obstacles et avant d’aborder Canal Turn ! Mission accomplie.

 

 

DERNIERE MINUTE : Ryan Mania a été victime d'une chute sévère ce dimanche à Hexham et a dû être transporté par hélicoptère à l'hôpital. Conscient et sans avoir jamais cessé de parler d'après le Racingpost, Ryan Mania a tout de même présenté un cas assez sérieux pour qu'il quitte l'hippodrome par les airs. Souhaitons lui de se remettre très vite de cette mésaventure, 24 heures seulement après son triomphe à Aintree.

 

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