La chronique Facebook : " Papa, viens voir l'Arc "

01/10/2013 - Actualités
Elle qui signe sous le nom de plume "And They'Re Off" sur Facebook, Allison Nicolleau prouit de très beaux textes tous très originaux. Elle vit et voit les courses autrement.

Pardon Papa, je m'y suis mal pris. Tu te souviens mardi, dans la voiture, quand je t'ai vanté les partants de l'Arc ? Je ne t'ai pas senti très réceptif. La preuve même, je ne t'ai pas convaincu de nous y rejoindre dimanche. Et pourtant, c'est bien toi qui m'a amené à mes deux premiers Arc ! Souviens-toi. Une après-midi à l'hippodrome de Cholet, nous étions les derniers à attendre JMB à la sortie des vestiaires, mêlant le stress et la joie à l'impatience du moment. Heureuse, je posais avec cet infatigable maître du trotteur pour immortaliser cette brève et timide rencontre en un précieux cliché numérique. Instant de rêve ! Et puis tu m'as avoué qu'il n'y avait pas eu de photo. Tragique fin de batterie. Alors, inconsolable durant des jours, j'ai reçu une lettre de ta part :


Une carte d'invitation bleue signée de ta plume, et deux entrées au Prix de l'Arc de Triomphe Lucien Barrière 2006.
Tu m'as donc offert mon premier jour de rêve.


J'y ai vu Rail Link, l'efficace trois ans d'André Fabre, pulvériser les rêves variés de chacun pour assouvir ses propres désirs de bonheur. Il laissait derrière lui l'incroyable Pride, véritable Catwoman du galop, jolie baie au corps sculpté à l'effigie d'Aphrodite, douce mais déterminée. Hurricane Run, ma première idole, à la conquête d'un légendaire doublé. Bien qu'échouant à sa tâche laborieuse, il avait le mérite de s'y être frotté, lui. Et il en avait assurément les capacités, ce que l'on ne pourrait affirmer chaque année. Ces accessits étaient des défaites, mais surtout des moments de joie. Pour Deep Impact, terminant alors 3e, c'était différent. Magnifique étalon japonais, il avait amené dans ses valises tout un peuple vibrant avec lui, et pour sa quête de l'immortalité. L'épreuve semblait surmontable, des millions de japonais lui accordaient leur confiance. L'arrivée au poteau fut un moment tragique.


Mais dans les courses, on rebondit !


Papa, ce Deep Impact que tu as vu pleurer à la hanche de Rail Link il y a sept ans, il est de retour cette année ! Et son peuple aussi !
Voilà donc notre premier partant. Kizuna, un joli garçon à la robe sombre. Seulement trois ans mais déjà bien loin de sa terre natale, pour quelques semaines seulement, pour deux tours de piste officiels qui pourraient lui apporter la gloire. Au Japon, Kizuna est le meilleur de sa génération. Il a remporté le derby japonais, le Tokyo Yushun, dans un style formidable. Une vingtaine de jeunes pur-sangs lancés dans la bataille dès l'entrée du dernier tournant, et cinq-cents mètres de lutte où tous livreront jusqu'à leur dernière goutte de sueur. Tandis qu'une poignée se disputaient encore la victoire avec rage, le mirage du poteau devenant alors une réalité envisageable, Kizuna était encore loin de leur faire peur. Mais de ses foulées sûres, cadencées et volontaires, le poulain, fils de Deep Impact, remonta ses concurrents un à un, en digne héritier de son père. L'impossible course contre le temps devenant alors qu'une simple démonstration de son talent.


J'entends déjà tes doutes, Papa : " Les courses japonaises diffèrent des nôtres. La concurrence aussi. Comment comparer l'animal à ses contemporains européens ? "


Mais c'est qu'il l'a fait, Papa ! Et pas qu'un peu !


Dans le le Qatar Prix Niel, Kizuna a, dans un canter, essuyé son nez sur la ligne finale de Longchamp. Bien en dessous de la forme de sa vie, il a pourtant remporté la course face à quelques champions d'Europe, se montrant à l'aise sur le mythique tracé de la grande course. Dans des foulées longues et détendues, tel le fantôme d'un Sagamix dans la grande course. Et si cette année l'Arc devenait le théâtre d'une vengeance pacifique ? Pas de sang, ni de peur. Juste l'éventualité de milliers de japonais explosant leur joie dans les tribunes, les faisant trembler à leur en rappeler leurs douces et jeunes années.

Pas convaincu ? Je continue.


A un souffle de ce cher Kizuna, Ruler Of The World effectuait une magnifique remontée. Frère de Duke Of Marmalade, célébrissime athlète aux cinq groupes I consécutifs, il a remporté au début des beaux jours de l'été le Derby d'Epsom, course dont la notoriété et le prestige n'ont rien à envier à notre cher Prix de l'Arc de Triomphe. Chaque année, le derby nous catapulte un champion. Et si finalement Ruler Of The World en était un ?
Je dis bien : finalement. Oui, car exceptionnellement, le poulain aux affreuses peaux-de-moutons marrons, est totalement passé à la trappe, sans susciter le moindre émoi ou quelconques signes admiratifs.


C'est qu'on vit une année bien particulière, Papa !


Figure-toi que la course fut la scène du suicide de l'annoncé crack Dawn Approach. Sachant que ce gros bébé alezan ne tiendrait pas la distance classique, l'entraîneur légendaire Aidan O'Brien a engagé dans la course une poignée de ses talentueux soldats, dont la mission était de le faire souffrir. Postés stratégiquement, les mousquetaires menaient la course selon l'attitude du champion qui vécu les pires instants de sa vie. Énervé par le faux-train, tirant sur les rênes comme pour s'en extirper enfin, il avait tenté la fuite dans un sursaut désespéré. Mais il fut contré, encore et encore. Ruler Of The World, qui avait eu la chance de ne jouer qu'un rôle secondaire dans cette tragique pièce de Shakespeare, remportait la course dans un coup de rein passé sous silence, et Dawn Approach tirait la langue, loin, très loin de sa place habituelle.

T'en veux encore ? Voici Novellist.


Âgé de quatre ans, Novellist fut second de son derby l'année passée, se rattrapant dans l'équivalent italien. La robe charbonneuse, il est beau et musculeux. Sa tête est compacte, aux traits signés de son père Monsun. Cette année, il a fait le show. Il nous a subtilisé le Grand Prix de Saint-Cloud puis a pulvérisé les anglais dans leurs célèbres King George VI And Queen Elizabeth Stakes. Il revient doucement à son plus haut niveau, se préparant à l'Arc dans le Grosser Preis Von Baden qu'il a aisément remporté.


Sa particularité à lui, c'est d'être allemand. Et c'est bien connu, ce ne sont pas au quotidien les plus effrayants. Oui, mais Danedream, alors ? Elle était bien allemande, et pourtant elle nous a massacré le haut gratin dans une envolée record dans l'édition 2011 de l'Arc. Et à l'été 2012, elle aussi devançait les anglais chez eux. Novellist est un poulain à prendre au sérieux. Il en a dans le ventre. Ne démentiront pas les quelques longueurs séparant cet allemand déchaîné et tenace à Trading Leather, futur vainqueur du derby irlandais.

Pire ou génialement mieux !


Puisqu'on semble abonné aux derbies cette année, je vais en ajouter un. Le derby français. Le controversé Prix du Jockey-Club. Depuis qu'il s'est abandonné aux intermédiaires 2100 m, il ne brille plus du même éclat. Et a brisé sa propre légende. On ne sait plus quoi faire de nos champions. Tous s'y tente, peu importe leur supposé tenue. Les milers rallongés y goûtent avec délice, et disparaissent loin, très loin des 2400 m du mythique Prix de l'Arc de Triomphe. Cette année, c'est même pire ! Ou génialement mieux. Intello nous le dira.


Car le poulain Wertheimer a remporté le prix du Jockey-Club avec brio. Mais aussitôt, il nous a fait douter de notre championnat. Avait-il la distance classique dans les jambes ? Malheureusement, rien de probant. Et André Fabre, seul élément rassurant dans l'affaire, prit un malin plaisir à entretenir le mystère, ajustant son poulain et exploitant ses talents à travers les ombres matinales. Alors Intello a plongé vers le Mile et s'est tenté dans le génial Prix Jacques le Marois. Et il a terminé troisième. Loin des cracks de la distance. Champion déchu ou course révélatrice ? Et si son épanouissement passait finalement par les longues galopades ? Son avantage à lui, c'est d'être le reflet du savoir-faire français. De la casaque Wertheimer aujourd'hui plus que jamais admirée, de la poigne du fabuleux entraîneur André Fabre, dont l'étincelle ne permet pas le doute.

Accompagnant tous ces champions, et grossissant le peloton de multiples talents, les dévoués Wild Coco, Very Nice Name, Trading Leather, The Fugue, Ocovango, Méandre notamment seront probablement partants. Certains rêvent de leur premier Gr.1, d'autres de confirmer leurs instants suprêmes, la gloire ou même une renaissance.
La pression repose sur Flintshire, assurance sur la distance. Il perd toute crédibilité s'il n'est pas mis en lumière sous un soleil de Juillet. Et ne sera peut-être qu'un doux souvenir déchu. Al Kazeem est fatigué. Mais il a effectué un magnifique début d'année. Il ne faut jamais sous estimer un anglais mûr et déterminé. Car mieux que les autres ils savent se relever.

Alors Papa, tu réserves ton Week-end ? Toujours pas ?


Pas grave, j'ai pas fini. Ce devait être une surprise mais tu ne me laisse pas le choix. Tant pis pour toi !

Je ne voulais pas te parler de Trêve.
Je ne voulais pas te parler d'Orfèvre.
Car ils sont une évidence. Des cracks. Au dessus du talent partagé de leurs concurrents.
La première nommée à remporter le Prix de Diane et le Prix Vermeille. Elle est invaincue. Son envolée dans le championnat des chapeaux restera à jamais dans la légende. Pour son record pulvérisé de deux secondes. Pour son efficace coup de rein dans le Vermeille. Elle semble capable de tout. Même de rejoindre au poteau la déjà légende japonaise Orfèvre qui se serait adroitement échappé de la mêlée.


Car Orfèvre sera là. Chaque centimètres de ses tissus seront rassemblés dans le seul but de ramener le saint Graal au pays. Grand monstre alezan à la tête de Ptérodactyle, Orfèvre c'est quelque chose. Son accélération n'a pas de pareil actuellement. Mais il est fou. Indomptable révolté ou peureux facilement impressionné, peu importe. Il vit les courses comme des épreuves parfois tragiques, et s'abandonne à l’insensé. Sur le sang à son paroxysme. Il s'est écrasé contre la lice à cinq mètres du titre légendaire il y a de ça un an. Et si Trêve se faisait Solémia ?

Il est là tout l'intérêt de cet Arc 2013. Quoi qu'il arrive, un champion posera son sabot en une trace indélébile. Et il complétera sa légende. Balayant pour une année encore les rêves de tous les autres.

Alors Papa ?


Parfois je désespère de ne jamais transmettre ma passion. Mais au moins, tu ne pourras pas dire que tu n'étais pas au courant. Je ne te convaincs peut-être pas, mais je suis satisfaite, j'ai essayé !

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