Les courses secrètes de THAILANDE: l'enquête à Bangkok

10/04/2015 - Découvertes
De tous les pays où France Sire TV vous a emmené à la découverte des courses, la Thaïlande est en même temps le plus connu et le plus secret. Dans l'ignorance totale de la part du reste du monde, ce paradis sur terre asiatique nourrit pourtant un système de courses vaste et complet, depuis l'élevage jusqu'au poteau d'arrivée sur 6 hippodromes dont 2, grandioses, dans le centre ville de Bangkok. Voici comment votre duo Lise Hallopé et Arnaud Poirier en sont arrivés là, en partant complètement à l'aveugle !

 

"Rappelle moi comment on dit bonjour en Thaï"...Quand on arrive devant la porte du Royal Turf Club de Bangkok, personne ne sait qu'on arrive. Sans demander une haie d'honneur, sur un hippodrome, il est bon de prévenir quand on débarque avec micros et caméras. Là, ce n'est pas qu'on a voulu se la jouer agent secret, mais comme le veut l'expression, " on déboule...à l'arrache ". Notre indicateur nous avait prévenu, " les courses thaï ne sont pas faciles à pénétrer ". En effet, la dictature militaire et moraliste empreinte de Bouddhisme considère les courses comme une hérésie, un vice qui corrompt les âmes. Alors les 2 hippodromes, le Royal Turf Club et le Royal Sports Club, ce dernier étant une institution vénérable et ultra chic sur un terrain donné par le roi il y a un siècle en plein centre ville, entretiennent une culture du secret, de gré ou de force parce que de toute façon, tout jeu extérieur à l'enceinte ou diffusion TV d'images de courses et strictement interdite...Dans le ventre que quelle bête s'engouffre-t-on ?
 

 

Le contexte de travail : votre équipe de choc préférée et son indic', Claude Maynard.

 

On a donc un indicateur, rencontré 2 mois plus tôt autour d'un café à Pau, un bordelais retraité de la banque qui passe ses hivers à Phu Khet, qui s'appelle Claude Maynard et auquel ressemble diablement le bien connu gentleman Ludovic Maynard, ce qui est normal puisque c'est son fils. Lui qui est secrétaire de l'Association des Permis d'Entrainer, il connait l'existence des courses en Thaïlande mais a le plus grand mal à s'y faire connaître. En fait, si tout le monde, y compris dans le milieu des courses, connaît quelqu'un qui est allé en vacances dans ce pays, absolument personne n'a idée qu'il peut y avoir des pur-sangs et un système de compétition ancien et très bien organisé, bien que restant dans le plus grand secret. Impossible en effet de trouver un contact au Turf Club. Seul une dame de l'autre hippodrome, le Royal Sports, qui pratique l'anglais (chose finalement rare dans ce milieu) vous indique au téléphone après de multiples essais qu'il s'y déroule un grand prix le dimanche suivant. Alors on saute dans l'avion...allez hop on y va en route pour l'aventure...Où on va ? Qu'est-ce qu'on va voir ? Qui on va voir ? Aucune idée ! C'est ça qui est bon.

 

En fait, cela ressemble...à des courses asiatiques mais avec des pur-sangs américains. Mais comparaison n'est pas raison et les courses ne ressemblent qu'à des courses Thaï, avec un authentique savoir-faire certain dont on se demande d'où il vient, vu que tout est archi fermé ici, dans ce pays dont les habitants rappellent fièrement que malgré la proximité avec la Chine, malgré les soubressauts mondiaux du 19e et du 20e siècle, malgré une influence anglaise notable dans les moeurs et le savoir-vivre, malgré la guerre du Viet-Nam et la présence américaine ayant fait de la Thaïlande sa base, malgré la pagaille politique actuelle qui a conduit à une dictature militaire adoubée par un régime monarchique dont le vieux roi de 87 ans, placardé à chaque coin de rue est peut-être mort depuis des mois sans que cela n'ait été révélé, jamais, grand dieux jamais le Royaume de Thaïlande n'a été colonisé par une puissance extérieure. A part la crise du pédotourisme allemand qui a fait mauvais genre il y a une 15aine d'années, une fois passé le traumatisme du tsunami finalement vite oublié, la mer est bleue et chaude, le pays est riche, les hopitaux sont des 5 étoiles, les gens mangent bien, il n'y a que peu de chômage. Bref, ça va quoi.
 

 

Toutes les distances de tous les hippodromes sont identiques : 1200 m. Sauf pour quelques grands prix, dont le Derby sur 1600 m, considéré ici comme un véritable marathon. L'ambiance côté écurie à étage, un dense capharnaüm parfaitement organisé que seule l'Asie sait produire, reste très bon enfant, vraiment familiale. Côté tribunes, des flambeurs, comme partout dans le monde, qui peuvent aller au guichet du PMU local mais aussi tendre la main pleine de billets aux bookmakers, rigoureusement interdits et donc très bien installés avec leurs représentants et leurs téléphones portables qui sonnent sans cesse. Tout va très vite, aucun papier n'est fait mais personne ne risque le litige, car la police veille et ejecterait manu militari les bookmakers soupçonnés. La même Police qui surveille à ce que les bookmakers (toujours interdits offiiciellement !) reversent bien aux organisateurs un pourcentage équivalent à ceux du PMU ! Il paraît que tout le monde respecte scrupuleusement les règles, car il parait aussi que les autorités (dont il paraît toujours qu'elles sont corrompues...) ne sont quand même pas tendres.

 

En même temps, la plus haute société bangkokoise se retrouve dans les espaces très réservés du Royal Sports Club, un havre de paix en plein milieu d'une capitale ultra urbanisée, où les très riches peuvent aller à la piscine, faire un peu tous les sports nobles possibles (sauf le rugby car les joueurs potentiels sont enflés comme des arbalettes), faire du golf et bien sûr, le dimanche, assister aux courses.

Du monde, des cris, des pur-sangs, des jockeys, une piste plate corde à gauche...bref, du classique. Ou presque, car il se passe ici quelque chose de totalement unique au monde. Première surprise, les chevaux se croisent en sortie de piste : ceux qui reviennent de la course et ceux qui partent pour la suivante, déjà sellés et même montés. Ainsi, seuls quelques rares jockeys parmi les plus demandés peuvent monter 2 courses de suite. Mais une fois entrés devant les stalles, les chevaux patientent, sous une chaleur étouffante, jusqu'à 20 ou 25 minutes ! Les jockeys et le starter discutent de la pluie et du beau temps jusqu'au "dring" d'un vieux téléphone des années 80. En fait, les organisateurs attendent que les jeux soient suffisants pour donner le départ !

 

Le nerf de la guerre se trouvent particulièrement tendu actuellement. Les finances souffrent beaucoup. Quand il y avait à chaque dimanche environ 20.000 personnes dans les tribunes il y a encore une quinzaine d'années, seuls 6 à 7000 personnes s'y déplacent encore. Les enjeux annuels des 2 hippodromes principaux, donc autorisés uniquement sur les sites, sont ainsi tombés à 120 millions d'euros. Le nombre de courses a été diminué presque de moitié. L'allocation au gagnant d'un prix de série a chuté à 3000 €. Cela reste important, une fois mis en rapport avec le cout de la vie locale, inférieure d'au moins 50% avec le niveau de la France, et considérant qu'en Angleterre on court souvent pour bien moins que cette somme...

Mais d'où viennent les chevaux ? Contrairement à presque tous les voisins de l'Asie du Sud-Est, dont les célèbres Hong Kong, Singapour et Macao qui se fournissent beaucoup en Australie / Nouvelle-Zélande, les pur-sang locaux sont tous nés et élevés sur place, car les courses y sont totalement fermées. Sur place...mais où ? Il reste en effet difficile d'imaginer élever des chevaux de courses dans un tel environnement et par le climat tropical qui règne dans le pays. Les régions montagneuses du nord, un peu moins torride, abritent la 10aine de haras principaux qui font naitre au total les 250 poulains inscrits tous les ans à un stud-book reconnu par les autorités internationales.

 

 

Toutes les souches sont à 100% américaines. Le système est simple : considérant que les sols ne sont pas aptes à améliorer la qualité des animaux, les propriétaires-éleveurs, un club de quelques riches qui entretiennent tout le système, achètent aux Etats-Unis des juments de secondes zones pleines d'étalons sortis du ventre mou du Kentucky. Les produits importés in utéro seront en général les meilleurs de la génération en Thaïlande. Ensuite, les juments continuent de produire sur place, croisées avec des étalons locaux, qui eux aussi proviennent d'Amérique, mais où ils n'avaient pas ou plus leur place dans l'élite. Nous avons visité, dès le lendemain de notre 1e jour au courses, à Pakchong, un des grands haras du pays, Swang Chaï Farm, appartenant à un drôle de type nommé Vu Thi Pong, qui est un grand fan des paons. Il y en a des centaines qui nous cassent les oreilles sur les 180 hectares du domaine, très vallonné mais aussi totalement désseché. Les chevaux mangent du pingolla, sorte de foin local très pauvre surtout en calcium et en proteïne. Alors ils sont complémentés avec de la luzerne importée des Etats-Unis. Pour l'état des chevaux, ce n'est pas la joie. Pas étonnant qu'ils soient réputés tardifs malgré leurs origines ultra précoces. Mais on a aussi compris que Swang Chai fait plus dans la quantité que la qualité...

 

Au niveau des étalons, ici on est fier de British Blue, un alezan brûlé très bien né, fils de Storm Cat et de la multiple gagnante de Gr.1 Memories of Silver. Il a été acquis M$ 2,4 à Keeneland par Cheikh Mohammed yearling en 2001 mais n'a gagné qu'un gros handicap, puis a commencé sa carrière en Floride avant d'arriver en Thaïlande. Il a 15 ans mais est en pleine santé, ce qui n'est pas le cas des 2 croulants Scatmandu (21 ans, par Storm Cat, gagnant de Gr.3) et Alke (15 ans, par Grand Slam, lui aussi gagnant de Gr.3 mais étalon décevant). Chose étonnante, contrairement aux retraités qui se la coulent douce sur les plages de Thaïlande, les chevaux ont tendance à très mal vieillir à partir du cap de 15 ans dans ce pays, en raison du climat. Cela tient peut-être au fait que les étalons saillissent toute l'année la 50aine de juments du haras, car il n'y a pas de saison de monte. Si une jument tombe en chaleur, elle est saillie. D'où le fait que sur les programmes, l'âge des chevaux est précisée avec le nombre d'années mais aussi de mois (par exemple 3 ans 7 mois).
 

British Blue, un fils de Storm Cat acheté M$ 2,4 yearling à Keeneland, aujourd'hui étalon en Thaïlande à Swang Chaï Farm.
 

Un fils de British Blue né depuis quelques jours.

Une fille d'Alke, étaon américain par Gone West, 2e du Golden Shaheen 

 

On s'est fait emmener à Swang Chai Farm par un type complètement atypique, Sunate Burakasi Korn, surnommé Tao, 45 ans, riche, causant, joueur de batterie dans un groupe de rock. Habillé en jean fashion, basket de jeune et en T Shirt orange, il détonne complèment au milieu de la bourgoisie hippique Thaï très guindée et très discrète. Au début, c'est le seul qui a  bien voulu parler avec nous, et il nous a embarqué dès le soir dans son centre d'entrainement, un paradis terrestre qu'il a construit à côté de sa maison et de sa piscine. Vous qui avez tous vu et revu Emmanuelle au cinéma puis sur M6, on dirait que ce chef d'oeuvre a été tourné ici.

Tao, à la maison, avec polo orange de son écurie.


Flamboyant, Tao est cavalier de concours hippique. Il y a 2 ans, il s'est pris de passion pour les pur-sang, comme son père l'avait été avant lui, à la tête une grande écurie dans les années 60. Avec sa femme Héléna, une grande suédoise blonde, elle aussi cavalière à qui il a confié l'entrainement, ila acheté 1, puis 2, puis 20 puis 40 chevaux à Swang Chaï, aménagé son propre club avec piste et piscine, puis construit non loin un autre centre d'entrainement privé, qui est un véritable petit hippodrome sorti à partir de rien sur un terrain au pied d'une montagne dénuée de moustiques. L'avantage est qu'il fait ce qu'il veut chez lui sans que personne d'autre ne le sache. Il gère ses chronomètres et ses traitements, car si le système est très bien structuré en divisions de 6 à 1, dans lesquels vous montez ou descendez selon les victoires ou les défaites, les commissaires et les services anti-doping ne semblent pas aussi rigoureux qu'en France.

 

 

Devenu en quelques mois un des poids lourds du circuit, il possède notamment Just For You, une bonne pouliche, 3e du CBM Trophy, un fameux grand prix doté de 150.000 € dont 90.000 € au premier. Sponsorisée et si richement dotée par l'écurie CBM, cette course hors du commun est reservée...aux inédits dont 15 concurrents ont été qualifiés dans des épreuves spéciales, parmi les 40 sujets pré selectionnés. 39 d'entre eux avaient déjà été vendus quand Tao s'est rendu compte qu'il n'avait rien pour courir. Il a alors acheté la dernière disponible, cette Just For You élevée à Swang Chai qui avait importé sa mère, soeur d'une gagnante de 450.000 $, alors qu'elle était pleine du champion sprinter américain Successful Appeal.

 

Just For You ,le lendemain de sa 3e place dans la course la plus riche de l'année en Thaïlande.

 

Cette 3e place l'enchantera, car il savait ne rien pouvoir contre l'écurie CBM elle-même qui présentait 5 concurrents et a formé le jumelé gagnant, s'imposant de bout en bout avec la grande favorite Similar, bien que la plus jeune de la course à 3 ans et un mois. Cette pouliche conçue en Thaïlande, a été élevée par KK Farm, qui a importé des Etats-Unis tant son père Mambo Lad, par Kingmambo, un propre frère de Lemon Drop Kid, que sa mère Mary's Song, petite nièce par Unbridled's Song des champions américains Solar Splendor et Sultry Song. Monté par le jockey vedette Supakom (c'est un surnom car les gens ici ont des noms interminables), déclaré sur le cheval seulement au moment de seller, comme il est d'usage ici. Supakom, comme tous les autres jockeys, s'est signé en arrivant vers son cheval, puis l'a salué avant de monter dessus, puis s'est ressigné en entrant en piste, puis a salué un nouveau dieu en levant sa cravache lorsqu'est passé devant le poteau lors du défilé. Tout le monde fait ça, les gens sont spirituels. Les mauvaises langues disent que le signe de la cravache sert aussi de code pour faire savoir ses intentions dans la course...
 

Supakom, le meilleur jockey du pays, salue sa partenaire Similar en approchant de la favorite de la CBM Cup qu'il s'apprête à seller.

La CBM Cup est sponsorisée par la puissante écurie CBM, qui appartient au très discret grand type en chemise blanche à droite, qui y présente pas moins de 5 concourrents et signera le jumelé gagnant.
 

Similar, la favorite de la CBM Cup, bien que la plus jeune de la course, à 3 ans et 1 mois.

Partie en tête, Similar s'impose de bout en bout devant son compagnon de casaque Quarter Back, un fils du bon étalon américain Yes It's True.

 

CBM appartient à un jeune type, tellement discret qu'il a été aperçu avec son quintet de concurrents dans les écuries. Puis plus rien, même pas là à la remise des prix qu'il aurait du remettre et recevoir en même temps. Mais promis, on s'est fait des contacts et le prochain coup, on vous fera rencontrer ce brave homme qui règne sur les courses Thaï, organisées, traditionnelles, structurées mais pour autant les plus secrètes du monde !
 

Vos journslistes, Arnaud Poirier et Lise Hallopé, emmènent leur équipement le plus léger pour rester le plus discret possible dans leurs investigations au bout du monde, au mépris de tous les dangers.

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