Gloire à Tonalist et Christophe Clément dans les Belmont Stakes face à California Chrome

09/06/2014 - Evénements
Après 36 ans d'attente, la Triple Couronne reste...un souvenir ! Archi favori, le pourtant champion California Chrome a échoué dans sa tentative lors des Belmont Stakes (Gr.1), samedi 7 juin à New-York, tandis que le peu expérimenté Tonalist a offert un triomphe à l'entraineur français Christophe Clément. Par Lise HALLOPE, envoyée spéciale à New-York.


Plus de 130.000 personnes sur l'hippodrome. A midi, il était déjà difficile de se déplacer. La tentative de triple couronne de California Chrome, après 36 ans d'échecs de tous ses prédécesseurs, avait pris une immense envergure nationale dans tout le pays. Du coup, Belmont Park écrivait d'avance l'une des plus belles pages de l'histoire des courses, en enregistrant une affluence record et une couvertire médiatique jamais vue jusque là avec 3000 journalistes accrédités !

Et pourtant, la malédiction a encore frappé ! Avant coup, les oiseaux de mauvais augure allaient bon train de leur avis d'expert : California Chrome allait être battu car les 2400 m étaient trop long, parce qu'il faisait trop chaud, parce que l'entourage s'était plus occupé des photos que du travail ces derniers temps, etc..." Et en même temps, le local Tonalist, entrainé sur place par le français Christophe Clément, faisait vibrer de plus en plus de lèvre. En effet, le fils de Tapit, récent vainqueur des Peter Pan Stakes, et qui n'avait pas participé au Kentucky Derby faute d'avoir pu s'y qualifier suite à une baisse de forme au début du printemps, a arraché la victoire à la photo face à Commissioner qui avait mené, tandis que California Chrome, venu comme un gagnant dans le dernier tournant, est resté en suspension avant de craquer pour finir et se contenter d'une 4e place.

 

Magnifiquement monté par Joel Rosario, un jockey qui a des bras, Tonalist (n°11) arrache la victoire dans les Belmont Stakes à Comissionner à la corde tandis que le grand favori California Chrome, en casaque violet toque verte, doit se contenter de la 4e place sous la selle d'un Victor Espinoza qui a complètement paniqué dans la phase finale.


 


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ESPINOZA N'A PAS DE BRAS !

 

Pourquoi le champion a-t-il été battu ? Pour plein de raisons sans doute. Il est évidemment très difficile d'enchaîner les exploits à Churchill Downs dans le Kentucky Derby puis à Pimlico dans les Preakness Stakes, avec la pression et les voyages, et d'aligner les Belmont Stakes en seulement 5 semaines sur le parcours redoutable et inhabituel de 2400 m. Au contraire, Tonalist était frais et sur place.

Mais justement, n'est-ce par une question de distance et surtout de gestion de l'effort. Sur une telle distance, même si les jockeys sont assez prudents pour ne pas partir ventre à terre, il est évident qu'il faut porter les chevaux physiquement jusqu'au poteau. Or à cette occasion, une énorme différence est apparue entre Joel Rosario, cavalier de Tonalist, et Victor Espinoza, le partenaire de California Chrome. Avec son difficile 11 dans les stalles, Rosario a fait tout son parcours en 3e épaisseur, à la hanche de la ligne des 2 leaders, tandis qu'Espinoza était protégé à son intérieur, tirant un peu au début, mais du coup il a été contraint d'en faire le tour en 4e épaisseur dans le dernier tournant.

 

Un document tout à fait révélateur : le duel s'est bien engagé entre Tonalist (à droite) et California Chrome (à gauche), mais pendant que le jockey du 1e emmène son partenaire aux bras, celui du 2e ne joue que de la cravache et fait plus déséquilibrer son cheval que de l'aider.

 

Et surtout, Joel Rosario a pris son cheval Tonalist, qui semblait pourtant peiner, aux bras et au physique, dans les 600 derniers mètres. Au courage, Tonalist est resté dans son action du départ à l'arrivée, sans changer de rythme mais sans baisser de pied. Au contraire, Espinoza, venant avec des kilos dans les bras dans le tournant, s'est retrouvé désemparé lorsque le cheval a cessé d'accélérer à l'entrée de la ligne droite. Il s'est mis à cravacher à répétition comme un abruti à gauche puis à droite, sans jamais prendre son cheval aux bras, avant de pratiquement poser les mains dans les 100 derniers mètres comme s'il lui-même était à bout de force. On aurait dit la bataille de Christophe Soumillon, guerrier surentrainé et enragé comme un débutant faiblard et paniqué...A ce niveau, c'est très surprenant.

 

LA CONSECRATION DU FRANCAIS CHRISTOPHE CLEMENT

 

En tout cas, l'issue extraordinaire de cette course a permis à Chrisophe Clément, installé depuis le début de sa carrière aux Etats-Unis et doté d'un palmarès déjà très bien fourni notamment avec les ex-français exportés Outre-Atlantique, de remporter pour la 1e fois une étape de la triple couronne américaine, donc la course la plus prestigieuse de sa carrière. " C'est surtout la victoire de toute une équipe, avec notamment mon 1e garçon français, Christophe Orrieul, qui a été apprenti avec Olivier Peslier et qui m'accompagne depuis 20 ans." Non seulement la victoire est prestigieuse, mais surtout remporter une épreuve de la triple couronne permet à Christophe Clément d'enfin entrer dans le cercle des grands entraineurs classiques, ce pour quoi il n'était pas encore reconnu malgré tous ses précédents succès de Gr.1. Finalement, cela ressemble un peu à l'Angleterre ou vous ne vaites pas partie de l'élite tant que vous n'avez pas gagné un "classic" (Guinees, Oaks, Derby). Et cela est d'autant plus important pour un expatrié, a fortiori français, dans le nouveau monde où les "frenchie" ne sont pas toujours très appréciés.

 

L'AMERIQUE DES MAUVAIS PERDANTS

 

Les Etats-Unis forment un pays fantastique en de nombreux points, notamment celui de raconter des histoires et de nourrir le rêve de la réussite. Mais il y a un revers de la médaille. Contrairement à la France, malade d'aimer les loosers et de toujours aimer vicieusement l'échec des champions par jalousie mal placée, la nation américaine ne se remet pas de la claque terrible qu'elle a pris avec la défaite de la star California Chrome. De fait, Tonalist qui a osé gagner à la place du nouveau héros, a été sifflé à la remise des prix, avec même des noms d'oiseaux comme "batard" qui ont volé dans la foule. Pire encore, le jusque là sympathique et populaire propriétaire de California Chrome, Steve Coburn, archétype du bon vieux cow-boy à chapeau, a dévoilé son vrai visage de blaireau mauvais perdant après la course. Ainsi, en conférence de presse d'après défaite, et encore plus le lendemain dans les journeaux, il déblatère sur l'injustice dont il serait victime. Ainsi, il traite Tonalist de "lâche" en arguant qu'il est tout à fait anormal qu'un concurrent qui n'a pas participé aux 2 premières éditions de la triple couronne ait le droit de prendre part à la 3e étape, les Belmont, et donc que Tonalist aurait été largement favorisé par rapport au brave "Chromie". C'est du grand n'importe quoi. La Triple couronne est un titre honorique et en rien une compétition officielle régulée. Les 3 épreuves qui la composent depuis plus d'un siècle ont leur propre règlement immuable et ce n'est pas un mauvais coucheurs en santiag qui peut prétendre à le changer pour son propre intérêt circonstanciel !

 

 

STEVE COBURN : UN BLAIREAU EN CHAPEAU

 

Il n'empêche que Tonalist et son entourage sont vilipendés par le peuple, argué par le Steve Coburn en question (voir la photo ci-contre) comme ceux qui auraient détruit l'histoire. C'est le monde à l'envers mais cela rappelle tout à fait l'histoire de Blame qui avait devancé d'une tête l'héroïne Zenyatta dans la Breeders'Cup Classic 2010 (voir le reportage TV) alors que la chérie de tout un peuple devait quitter la scène en restant invaincue pour sa 20e tentative. L'hippodrome de Churchill Downs avait alors été plongée dans une sombre consternation. 3 jours après la course, nous avions rencontré Blame et et un assistant entraineur désespéré dans son écurie de Keeneland, complètement délaissé par la presse, mais recevant des flots de messages incendiaires et même des menaces de mort qui faisait dire au malheureux responsable de l'écurie qu'il espérait que le cheval parte au plus vite au haras de Claiborne Farm pour y devenir étalon et ainsi de débarasser de cette situation calamiteuse. (voir le reportage vidéo)

California Chrome et son entourage ont été complètement déconcentrés de la course par les sollicitations médiatiques et par la certitude que l'histoire était déjà écrite. Entre le rond et le départ, California Chrome a paradé pendant 20 minutes devant la foule et les caméras, sous une chaleur torride. Ensuite, le jockey a eu un trou dans le cerveau lorsque le cheval s'ets retrouvé sans le "gaz" escompté, au contraire de celui de Tonalist qui a changé de méthode quand son cheval a atteint ses limites et décidé de porter son partenaire au poteau "à l'ancienne", du genre Pat Eddery...En fait, c'est l'histoire de la folie des grandeurs qui s'est écroulé face à la raison concrète.

Mais l'Amérique est ainsi et c'est ce qui fait sa force parfois avec excès. Et puis les courses par nature se nourrissent de rêves délirants entretenus par les fous furieux que nous sommes tous. Sinon ça fait longtemps qu'elles n'existeraient plus.

 

 

Tonalist, bien entendu marqué après son succès sous la selle de Joel Rosario, est un grand poulain d'1,70 m environ.

 

QUI EST TONALIST, EN FAIT ?

 

Jusqu'à présent, Tonalist, grand cheval d'environ 1,70 m, n'avait couru que 4 fois. Débutant seulement en novembre de ses 2 ans à Acqueduct près de New-York par une 4e place sans envergure particulière, il a passé l'hiver en Floride ouù Christophe Clément déménage tous les ans pendant cette saison. il remporte son maiden mi-juillet puis est 2e dans une "allowance", dont le vainqueur Constitution gagnera ensuite le Florida Derby. Très estimé, il est programmé dans un Gr.1 au printemps, les Wood Memorial Stakes, mais il travaille mal avant la course, se retrouve malade et doit être soigné. A défaut de performance de groupe, il n'est pas qualifié pour le Kentucky Derby. Il prend donc un chemin de traverse et se promène pour sa semi-rentrée dans les Peter Pan Stakes (Gr.2) devant un certain Comissioner, qui a d'ailleurs manqué de peu de prendre sa revanche dans les Belmont Stakes. A noter que le dernier auteur du doublé Peter Pan / Belmont est AP Indy en1992. On connait en France, un gagnant des Peter Pan Stakes : Sunday Break, étalon au Haras de Grandcamp qui lui avait conclu 3e ensuite des Belmont Stakes de Sarava en 2002.

 

Le gris Tapit, cheval à la carrière de course perturbée, est devenu un grand améliorateur au haras.

 

Bien né, Tonalist est issu de Tapit, lui-même fils de Pulpit comme Lucky Pulpit, le père de California Chrome. Ce Tapit, qui avait lui gagné les Wood Memorial Stakes avant de décevoir dans le Kentucky Derby, a eu une carrière de course et contrariée par une infection pulmonaire qui l'avait contrait à faire forfait à la dernière seconde dans les Belmont Stakes. Mais il est devenu un étalon améliorateur auteur de plusieurs lauréats d'épreuves de la Breeders'Cup (Stardom Bound, Tapitsfly, Hansen, Tapizar), d'une gagnante des Kentucky Oaks, Untapable. Proposé à  $ 150.000 la saillie à Gainesway Farm, ce cheval gris a même été sacré meilleur étalon des Etats-Unis en 2013, alors qu'il venait d'avoir un fils d'une certaine Zenyatta.

 

PLEASANT COLONY, LA FAMILLE MELLON ET UNE NOUVELLE HISTOIRE EN VIRGINE

 

La mère Settling Mist, née de la souche de Summer Squall, AP Indy, Duke of Marmalade et Lemon Drop Kid, et propre soeur de la mère du triple gagnant de Gr.1 Riskaverse, est une fille de Pleasant Colony. Lui-même avait raté de peu la triple couronne en 1981, terminant 3e des Belmont Stakes après avoir remporté le Kentucky Derby et les Preakness Stakes. Ce cheval au physique sculpural portait alors les couleurs de Thomas Mellon Evans, qui n'est autre que le père de Richard Evans, le propriétaire de Tonalist dont il est d'ailleurs le portrait craché ! Thomas Mellon Evans est un lointain cousin de Paul Mellon, qui fut un temps l'un des hommes les plus riches des Etats-Unis, et bien connu dans les courses notamment comme étant le propriétaire du crack invaincu Mill Reef.

 

Père de mère de Tonalist, Pleasant Colony (à gauche) a manqué de peu la Triple Couronne 1981, sous les couleurs de Thomas Mellon Evans, le père de Richard Evans qui est aujourd'hui propriétaire du vainqueur des Belmont Stakes 2014 (à droite).

 

Orphelin très jeune, Thomas Mellon Evans avait construit de ses mains une immense fortune dans l'industrie et les marchés financiers, ainsi qu'une vaste écurie de course depuis sa base en Virginie (comme son cousin) à Buckland Farm. Héritier, son fils Richard, sensible au fait qu'il soit petit-fils de Pleasant Colony a acquis Tonalist à l'amiable après que celui-ci ait été retiré des ventes de yearlings de Saratoga en 2012 pour $ 195.000. Il était présenté par Wayne Sweezey (Timber Town Farm) dans le Kentucky, qui a élevé le poulain pour le compte de Rene et Loren Woolcote, qui avait acheté la mère pour $ 800.000 en 2007 et l'avait basé jusque peu après la naissance du foal futur champion dans leur haras de Woodslane Farm en Virginie...à Middleburgh donc dans le même village où habite Magdalen Bryant !

  


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