Guillaume Macaire: "Rachael Blackmore, de la fiction cinématographique à la réalité de la piste"

11/04/2021 - Actualités
Guillaume Macaire, qui collabore dorénavant avec notre rédaction, a tenu à rendre hommage à Rachael Blackmore, devenue depuis hier la première femme-jockey à avoir remporté le mythique Grand National de Liverpool. Un exploit qui ne s’inscrivait jusque-là que dans la fiction et le film « National Velvet » des années 1940, mais qui est aujourd’hui devenu bel et bien réel.

L'irlandaise Rachael Blackmore, première femme jockey à avoir inscrit son nom au mythique Grand National de Liverpool (© Great British Racing)

 

 

Guillaume Macaire : " Le succès de Rachael Blackmore dans le Grand National de Liverpool, épreuve mythique par-dessus tout, marque la consécration des femmes de la plus éclatante des façons dans ce sport ô combien exigeant qu’est l’équitation de course. Repoussant au plus loin la hardiesse, le goût du risque, le mépris du danger et l’ardeur à la lutte qu’exigent le steeple-chasing, elle a permis à l’Histoire de rejoindre la fiction. En effet, comment ne pas faire le rapprochement avec le rôle incarné par Elizabeth Taylor dans "National Velvet", réalisé en 1944 par Clarence Brown ?

 

Avant la victoire de Rachael Blackmore hier dans le Grand National de Liverpool, seule Elizabeth "Liz" Taylor eût réussi à réaliser cet exploit...dans le film "National Velvet" de Clarence Brown, sorti en 1944 !  (© Wikipedia)

 

Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, ce film raconte l’histoire, purement fictionnelle, de la jeune Velvet Brown, incarnée par Elizabeth "Liz" Taylor, qui, aidée par Mi Taylor (interprété quant à lui par Mickey Rooney, ndlr), s’est fait passer pour un garçon et est parvenue à remporter le Grand National de Liverpool avec un cheval gagné dans une foire. À l’époque, les femmes n’étaient effectivement pas autorisées à monter en course. On retrouve d’ailleurs cet "esprit Liz Taylor" dans la culture du "Point-to-Point" en Angleterre. Il s’est déjà vu, dans un "Point-to-Point" réservé aux "Ladies" de voir monter ensemble la mère, la fille et la grand-mère ! Pour la petite histoire, le regretté Claude Cohen, pour qui j’ai eu l’occasion de remporter de belles épreuves, m’a d’ailleurs confié un jour que ce film fût pour lui le point de départ de son aventure de propriétaire.

Ce film a évidemment encore renforcé la popularité de ce Grand National, s’il en avait besoin. Mais l’improbabilité de ce scénario était total. Mis à part le côté romanesque, indispensable à l’œuvre cinématographique, le rêve est aujourd’hui devenu réalité grâce à Rachael Blackmore. Elle avait déjà défrayé la chronique durant le festival de Cheltenham en laissant une signature très appuyée dans le Roll of Honour 2021. Si j’ai voulu "marquer le coup", c’est parce que j’avais été sensibilisé, il y a déjà un temps certain, par la cause féminine dans les courses, et celles d’obstacles, puisque c’est ma patrie. Pour être tout à fait franc, s’il n’y avait eu que moi, je n’aurai jamais œuvré pour aider le beau sexe à faire sa place "over the jumps". Mais ma qualité d’entraîneur m’a mis devant une réalité de plus en plus pressante.

 

Rachael Blackmore, une femme-jockey qui ne cesse de défrayer la chronique à l'heure actuelle (© Racing Post)

 

En effet, chiffres à l’appui, il était inquiétant de constater que les statistiques de l’AFASEC faisaient état d’un pourcentage galopant de jeunes filles en apprentissage dans les écuries de galop en France, ainsi qu’au trot. Inquiétant, parce que ma première réaction était : avec plus de 75% de filles inscrites sur les listings de l’AFASEC, avec quel personnel devra-t-on travailler nos chevaux le matin, à l’entraînement ? La parité, dont on nous a sans cesse rebattu les oreilles, était devenue la norme, certes. Mais qui dit parité, dit "caractère d’un nombre pair" mathématiquement parlant. Or, le côté égalitaire était largement dépassé. Les faits montraient que, dans de nombreux cas, les jeunes filles sortant de l’apprentissage - à part les très rares qui eurent la chance de porter la casaque - ne se satisfaisaient qu’un temps très limité de l’emploi de cavalier d’entraînement. Soit elles convolaient - officieusement en général, mais le résultat est le même - soit elles changeaient d’orientation. De fait, leur formation, qui avait quand même eu un coût pour l’Institution, n’avait servi à rien.

 

Nombreuses sont les femmes à venir peupler les écuries de course aujourd’hui, trot et galop confondus

 

J’ai alors pensé qu’un système de décharges, comme pour les juments depuis toujours, leur donnerait davantage d’opportunités de faire carrière. Si quelques représentantes de la gent féminine pouvaient briller sur le "turf", elles susciteraient des vocations en montrant l’exemple à suivre. On pouvait ainsi espérer que, jusqu’à la trentaine, elles pourraient ainsi "se faire plaisir" en montant en course, dès lors qu’une certaine compétence, agrémentée d’une décharge de 2 kilos incitative pour les entourages de chevaux un peu trop "plombés", leur conféraient suffisamment de crédit pour défendre les chances d’un pur-sang, à l’instar du sexe dit fort. L’horloge biologique serait un peu retardée pour certaines, et elles attendraient quelques années avant de repeupler la France pour, en revanche, féminiser davantage les pelotons.

J’ai eu l’occasion d’en parler à Édouard de Rothschild. Il me répondit que l’idée lui plaisait et que, d’ailleurs il venait de permettre à Amélie Foulon de remporter le Grand Prix de Vichy, en selle sur Elliptique, sous sa casaque. Je plaidais la cause en arguant que ce genre de réforme ne coûtait quasiment rien à mettre en place, si ce n’est une modification du Code des Courses et des conditions générales. Et cela a fonctionné. La "rébellion" des "mâles" dans les pelotons de plat a amené France Galop à une petite révision des décharges. Preuve que les "machos" ont eu peur de se faire "bouffer la laine sur le dos" ! Aujourd’hui, et depuis que cette décharge est effective, je l’ai utilisée régulièrement et je n’ai pas eu à m’en plaindre. La collaboration avec l’expérimentée Nathalie Desoutter me convient très bien !

 

Nathalie Desoutter, l'une des meilleures femmes-jockeys dans les pelotons d'obstacle, régulièrement associés aux protégés de Guillaume Macaire et de son nouvel associé, Hector de Lageneste (© Facebook Sellerie PRO Course)

 

Je pense sincèrement aujourd’hui que le quota de 50/50 dans une écurie d’entraînement est un bon équilibre. Les femmes, moins fortes physiquement, ne chercheront pas à apposer une force souvent négative avec les chevaux susceptibles. Les hommes, eux, seront indispensables quand une certaine coercition est nécessaire. Il faut souhaiter que l’exemple de Rachael Blackmore suscite encore de véritables vocations dans les rangs des femmes. Dans un monde où elles sont ministres, chefs étoilées, chirurgiennes ou navigatrices, jockey est aussi devenu un métier pour elles. Gagner le Grand National de Liverpool aussi ! "

 

 

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