Le Haras du Mandinet : c'est l'histoire d'un mec riche complètement fou d'une théière de 120 litres

15/06/2016 - Grand Destin
 Le support d’évènement du jeudi 16 juin 2016 à Saint-Cloud porte le nom d’un haras situé à Noisiel en Seine et Marne célèbre pour avoir été la propriété d’Albert Menier, membre d’une famille qui a régné sur le chocolat européen et même mondial. Mais le type en question est parti dans des délires mégalomanes que Xavier BOUGON se fait un délice de vous conter.

 
 
Au 15e siècle, le manoir du fief du Mandinet, entouré de fossés, appartenait à la famille de l’écrivain Paul Scarron. Jean Scarron, seigneur du Mandinet. Au cours du temps, il subit des transformations. Au début du 19e siècle, le château est habité par le général d’Empire, Pierre-Michel Nempde-Dupoyet, qui avait participé à de nombreuses campagnes napoléoniennes. Puis, au cours de la première moitié du siècle, le domaine passe dans les mains du banquier et député du Gard, Ernest André, issu de la haute bourgeoisie nîmoise. De l’union avec Louise Cottier, fille du régent de la banque de France, naîtra en 1833 un fils, Edouard, orphelin de sa mère à deux ans.
De la noblesse d'empire à l'empire industriel 
 
Noisiel fut jusqu’au milieu du 19e siècle, un pays de bocages et de vignes, habité par une centaine d’âmes paysannes. La révolution industrielle changea tout ! L’usine bouleversa leur mode de vie. En 1825, débuta l’histoire des Menier à Noisiel avec ce qui deviendra la célèbre chocolaterie (il faut rappeler qu’à cette époque le chocolat est un produit de luxe). Son fondateur Jean Antoine Brutus Menier (1795-1853), parti de rien, a su créer une entreprise florissante, que son fils, Emile-Justin, transformera en un véritable empire industriel. Pour l’anecdote, Emile acheta 7. 000 hectares de terres au Nicaragua pour y planter des cacaoyers. Voilà le début de Noisiel......
 
Avec ses frères aînés, Henri et Gaston, Albert signe le 12 mars 1881 un acte établissant leur cogérance dans la société commerciale créée en 1879 avec leur père (1826 - février 1881), ce qui leur permit d’œuvrer pour agrandir encore cet empire industriel du chocolat. Au total, cinq générations se succèdent à la tête de la chocolaterie jusqu’en 1959.
 
Notes sur la famille André
 
  • Ernest André achète en 1856, aux héritiers de la comtesse Dupont l’Etang (veuve du Général, ministre de la guerre de Louis XVIII), l’hôtel particulier de Beauvau, rue du Faubourg Saint-Honoré, qu’il fait restaurer, y compris la pose des grilles d’entrée. Il agrandit également la propriété en achetant un terrain adjacent. Mais, dès 1859, avant même l’achèvement des travaux, il revend le domaine (7.000 m2) à l’Etat. Il deviendra deux ans plus tard, le siège du ministère de l’Intérieur. Pour l’anecdote, cette même année, il devient directeur de la Caisse d’Epargne (créée en 1818). 
  • Edouard, son fils, est formé à l’école des Officiers de Saint-Cyr. Il intégrera le régiment d’élite de l’Empereur Napoléon III. A 30 ans, il démissionne de l’armée et succède à son défunt père comme député du Gard. Il siègera à l’Assemblée jusqu’en 1870. Après la chute du Second Empire, il s’engage dans la Garde Nationale en 1871. Il négocie, avec les Rothschild, la contribution que la France doit verser à l’Allemagne après la capitulation et réunit en peu de temps la somme nécessaire. En 1875, il est élu comme premier magistrat de la ville de Lognes. Toujours propriétaire du domaine du Mandinet avec son épouse, Nélie Jacquemart, il se passionne, par ailleurs, pour les beaux-arts. Il collectionne les tableaux, les meubles et objets d’art qu'ils accumulent dans leur hotel particulier à Paris d'où l'actuel Musée Jacquemart-André dans le 8ème arrondissement. Plus préoccupé par cette nouvelle activité, il vend le domaine du Mandinet à la famille Menier.
 
Le château de Chenonceau, une île, un haras pour la fratrie
 
  • Henri (né en 1853) achète en 1895, pour 125.000 $, l’île d’Anticosti, la plus grande île du golfe du Saint-Laurent au Québec. D’une superficie de 8.500 km2, il en avait fait une réserve de pêche (saumon) et de chasse (le cerf de Virginie) personnelle et avait fait construire une rade, appelée Port Menier pour pouvoir y mouiller. L’île fut revendue en 1926 par son frère Gaston, son héritier (Henri n’ayant pas de descendance), puis rachetée en 1974 par le Québec. 
  • Les activités manufacturières de Gaston (né en 1855), le conduisirent à des responsabilités au sein de l’Union des Chocolatiers et Confiseurs de France, dont il fut le président à partir de 1882. Décédé en novembre 1934, il avait occupé de multiples fonctions électives : maire de Lognes (1884-1891), de Bussy-Saint-Martin (1891-1913), de Noisiel (1913- 1934), conseiller général du canton de Lagny (1891-1934), député de l’arrondissement de Meaux (1898-1909), sénateur de Seine-et-Marne (1909-1934).

    En 1913, pour 1 361 660 francs, il avait acheté à Mme Jules Pelouze, femme du chimiste membre de l’Académie des sciences, le château de Chenonceau, qu’elle avait considérablement restauré, et qui appartient toujours à la famille. De son mariage avec Julie Rodier, Gaston eut deux fils, Georges (1880-1933) et Jacques (1892-1953). 
  • Le cadet, Albert, (né en 1858) s’occupa très peu de l’entreprise familiale. Il consacra surtout son temps aux voyages, à l’automobile et aux chevaux de course. Comme nous le verrons par la suite, rien n’est trop beau. Marié en 1891 à Mathilde-Madeleine Rose Letellier, il décédera, sans postérité le 30 juillet 1899. Sa veuve se remarie, l’année suivante, avec le baron Maurice Arnold de Forest, le père de la future baronne Mabel de Forest, elle-même mère d'Yves Borotra (relire l'article).
Notes
 
La sécheresse sévit au mois d’août 1887 à Deauville. Ce n’est pas seulement au sport hippique que la disette d’eau fait tort, c’est également au sport nautique. Le 17 août, deux grands yachts sont restés en croisière forcée sur la rade, faute de marée suffisante pour entrer dans le port ; l’un d’eux, Némésis à Albert Menier, a fini, en faisant un profond sillon dans le chenal, par arriver jusqu’au bassin à flot, au milieu duquel il s’est ensablé d’ailleurs. Il y avait course ce jour-là sur l’hippodrome de la Touques.
 
 

Nemesis, le yacht privé d'Albert Menier
 
 
 
Le Haras du Mandinet pour Albert Menier
 
Le haras était alors situé près de Noisiel et de Lognes en Seine et Marne. Sur le domaine du Mandinet, le propriétaire de l’époque, Edouard André va débuter un semblant d’élevage dans les communs du château avec quelques pensionnaires. Très vite, Edouard abandonne, plus préoccupé par d’autres activités. Il loue les terres à un passionné, Maurice Ephrussi. A la mort d’Edouard André, Albert Menier se rend acquéreur du Haras du Mandinet après avoir été locataire du Haras de Dormans. Mais la mégalomanie d’Albert ne va pas s’arrêter là !
 
Notes :
 
  • Après avoir loué le Haras du Mandinet, Maurice Ephrussi va louer, en Normandie, le Haras du Gazon (qu’il achètera par la suite pour le revendre à l’américain Herman Duryea).Le cadet des Ephrussi, marié à Béatrice de Rothschild, sœur d’Edouard, va fonder, en 1903, sur la commune voisine, un haras qui deviendra célèbre, Fresnay le Buffard. Une décennie plus tard, il crée le Haras de Reux. 
  • Le haras du Mandinet sera, par la suite, consacré à l’élevage de porcins dont l’activité cessa en 1972, quatre ans après que les descendants de la famille Menier ne cède les lieux.
 
Albert Menier, le mégalomane, un «Maktoum » d’hier
 
Comme tous les jeunes gens possesseurs d'une grosse fortune (la fortune étant un facteur indispensable pour se lancer sur le turf), Albert Menier eut envie de posséder une écurie de courses. Il débuta sur les champs de courses à l’étranger, craignant de n'être point prophète en son pays, et ce fut en Angleterre, vers 1888, qu'il fit courir pour débuter. La casaque cerclée jaune et verte (manches et toque vertes) sortît pour la première fois avec Ajax qui avait été mis en pension chez l’entraîneur Humphreys. A cette époque, il acheta une jument d’Edmond Blanc, Absolution, pleine de Wellingtonia, qui lui donna son second pensionnaire né au haras de Dormans (situé à Igny le Jard dans la Marne) qu’il venait de se rendre locataire. Ce poulain fut nommé Apollon. Ce dernier ne courut jamais tandis qu'Ajax, après avoir gagné plusieurs épreuves en Angleterre, finissait par être réclamé.
 
A la fin de 1888, Albert achète Claymore (Camballo) et le dirige immédiatement sur le haras de Dormans comme étalon. L'heureux Claymore trouva là une vingtaine de poulinières pour la plupart importées d’outre-manche. Pendant que Claymore passait ainsi d'agréables loisirs, l'année 1891 prenait fin.


Voici venir 1892, l’année où pour des raisons personnelles, Albert Menier fit courir, sous le nom du baron Louis d'Aymery (son secrétaire particulier) et ce, pendant trois années. Les couleurs restèrent celles qu’Albert avait adoptées en Angleterre. C’est aussi l’époque où il se rend acquéreur, pour la somme de deux cent mille francs, de l’étalon Frontin, (vainqueur du Grand Prix de Paris et du Prix du Jockey Club). Ce dernier officiait au Haras de Saint Albans (près de Jouy en Josas) pour le compte du baron de Soubeyran qui abandonne le turf.
 
Mais déjà notre jeune propriétaire combinait de grandes choses, et, devant le développement pris par son écurie, il rêve de créer une série d'établissements modèles. Tout devait bientôt, sous sa vigoureuse impulsion, prendre une face nouvelle : haras, terrains, pistes, obstacles, entraînement, installations, etc.
Suivant cet ordre d'idées, Albert Menier quitta le Haras de Dormans pour loger ses poulinières et étalons au Haras du Mandinet (comme évoqué plus haut). C'est alors qu’il augmenta considérablement l'effectif de son haras : Frontin, Mirabeau, Le Glorieux, Claymore et Transatlantic en furent les étalons.
 
 
 
 
Le Haras de Chamant, un vrai palais royal
 
Pour mieux continuer, Albert Menier, possesseur d'un haras modèle, voulut avoir aussi un centre d'entraînement en rapport avec son établissement d'élevage : il acheta donc à Claude-Joachim Lefèvre le haras et le château de Chamant, près de Senlis, où Lefèvre avait fait déjà de grands frais pour installer de superbes pistes. Albert y apporta de nombreuses améliorations, créant de nouvelles pistes en y installant une distribution abondante d'eau pour les arrosages ; pour ce dernier perfectionnement, il fit construire, sur une tour d'une hauteur de 30 mètres, un réservoir immense en fer, d'une contenance de plus de 300 mètres cubes, alimenté par un puits foré donnant 80.000 litres d'eau à l'heure. Il est donc, dès maintenant, assuré de pouvoir entretenir ses pistes en parfait état, même pendant les plus grandes sécheresses. Ce vaste établissement, qui compte plus de deux cents boxes, déjà complètement occupé. Aussi songe-t-il à y ajouter une construction nouvelle, d'une cinquantaine de boxes, pour y mettre son écurie d’obstacles qu’il venait de créer.
Pour compléter son installation, il fit construire à Chamant même, une piste d’entraînement semblable à celle du champ de courses d'Auteuil et possédant tous les obstacles réglementaires. De cette façon, les chevaux n’étaient pas dépaysés quand ils arrivaient aux courses.
 
Albert embauche à Chamant les frères Bartholomew, Charles, l’ainé et Georges pour le plat et et W. Spencer pour l’obstacle. A Pau, il avait engagé Jacquemin, un ancien écuyer de Saumur, qui fût propriétaire et remporta quelques succès à Auteuil et Longchamp, pour entrainer l’effectif (une vingtaine d’éléments achetés entre autres au baron de Nexon) destiné aux courses du Midi.
 
Dans un premier temps, Georges s’occupe du haras du Mandinet où 60 chevaux sont au pré-entrainement. En 1896, Albert possède au total plus de 400 chevaux dont l’entrainement coûte de cinq à sept francs par jour par tête, non compris les frais d’engagements, les montes des jockeys et autres menues dépenses. Pour sa part, Charles, outre un traitement fixe assez considérable, a un intérêt de dix pour cent sur les prix remportés. La saison 1895 a valu à l’écurie un total de 650 à 700.000 francs de prix, mais il n’empêche qu’Albert doit encore sortir de sa caisse une somme équivalente pour boucler son budget d’élevage.
 
Notes :
 
A Chamant, tout est vaste. La salle à manger, où peuvent tenir à l’aise trois cents convives, est de dimensions colossales. La cuisine, où se préparent les quatre repas quotidiens des quatre-vingt lads, recèle de rôtissoires énormes, des marmites phénoménales, des plats dignes de figurer sur la table de Gargantua. La théière est un monument ; elle est d’une contenance de 120 litres !
 
Il voulait être l’égal des Lagrange ou Lupin
 
«Albert rêvait de marcher sur les traces des Lagrange, Lupin, Schickler ou Aumont. Ce riche industriel ne connaissait rien ou presque aux choses des courses et de l’élevage, mais son argent, pensait-il, devait tenir lieu de toute science. Il s’aperçut par la suite que, sur le turf moins que partout ailleurs, il ne suffit pas pour réussir de vouloir grand, mais qu’encore faut-il savoir que quantité n’est pas qualité. Aucune méthode ne présidait à la direction de cette nombreuse écurie, Monsieur Menier n’exigeant guère des ses entraineurs autre chose que de voir ses couleurs représentées dans toutes le courses. Qu’ils fussent en condition ou non, ses chevaux devaient donc paraître en public, aussi semblaient-ils souvent avoir été engagés et courir au petit bonheur ». Tel était la teneur des propos d’Henry Lee en 1892.
 
Il n’en avait pas moins remporté le Prix Royal-Oak 1895 (Bombon), le Prix de la Salamandre 1896, 1898 et 1899 (Valparaiso, Sesara et Cap Martin), le Prix Morny 1897 (Washington), le Prix de Diane et le Prix d’Ispahan 1898 (Cambridge, également seconde du Prix Vermeille), le Prix des Sablons 1898 (Quilda, également troisième des Prix de Diane et Vermeille), la Poule d’Essai des Pouliches et le Prix Vermeille 1899 (Sesara, qu’il avait acheté yearling pour 28.000 francs à Maurice Ephrussi, éleveur au Haras du Gazon).
 
Avant d’élever pour son propre compte, Albert Menier s’était successivement assuré la production exclusive du Haras de Dangu pendant le temps où son propriétaire, Michel Ephrussi, s’était retiré du turf puis celle du Haras de Victot (famille Aumont).
 
Albert décède d’une fièvre typhoïde le 30 juillet 1899, à l’heure même où l’un de ses pensionnaires, Pégase (un 3 ans de Fitz Hampton), gagnait à Maisons-Laffitte.
 
Sa veuve ne conserva qu’une partie des poulinières et seulement quelques-uns des chevaux à l’entrainement dont Sésara, Bérénice (troisième du Prix Vermeille et de la Poule d’Essai), etc....Le reste, quarante-deux chevaux de 3 ans et au-dessus, trente-deux 2 ans, quarante-deux yearlings, vingt-quatre foals, vingt et une poulinières et cinq étalons, soit au total 166 têtes seront vendus en octobre 1899 en trois vacations.  

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