Les débuts du Prix de Diane, devant 2 pelés et 3 tondus d'époque

17/06/2016 - Grand Destin
C’est à partir de 1834 que Charles Laffitte prend en charge la nomination des épreuves du programme français. Après avoir évoqué le Prix du Jockey Club, voici venu le temps du Prix de Diane et de sa création en 1843 sur la distance de 2.100 mètres, soit 300 mètres plus courte que son équivalent anglais, les "Oaks" d'Epsom. Par Xavier BOUGON.

Les courses à Chantilly, un spectacle

 

Diane, la chaste, déesse de la chasse 

Le Derby des Pouliches de 3 ans a été nommé Diane en l’honneur de la déesse de la chasse. Aux Grandes Ecuries de Chantilly, Diane et Actéon encadrent le chant de Neptune. Selon la légende, Actéon, (fils d'Aristée et d'Autonéo), est un jeune prince qui, par une chaude journée, surprend, un jour de chasse, la fille de Zeus et de Léto (sœur jumelle d’Apollon), Diane (déesse de la chasse et de la nature sauvage) et ses huit nymphes se baignant nues au bord d'un ruisseau. Furieuse, Diane chasse Actéon et pour se venger le transforme en cerf afin qu'il soit dévoré par sa propre meute de cinquante chiens. Les dieux ne rigolaient pas dans ce temps là.

 
L’auberge des Oaks

Son nom provient de l’enseigne d'une modeste auberge du XVIIIème siècle qui était abritée par des chênes séculaires. Le général Burgoyne fit l'acquisition de cette taverne et la transforma en rendez-vous de chasse. Un brillant sportsman, Lord Derby, acheta, à son tour, la "propriété" des Oaks, l'agrandit, l'embellit, l'entoura de parcs splendides et en fit une demeure seigneuriale.

En 1779, il épousait Lady Elizabeth Hamilton, jeune et infatigable amazone, qui souhaita créer une épreuve pour pouliches de 3 ans, qui prendra le nom du château, Oaks. La première édition est remportée par une pouliche appartenant à Lord Derby. Les Oaks eurent un tel succès, qu'à son tour Lord Derby voulut créer la même épreuve pour poulains dès l'année suivante. Elle prit le nom de Derby.

 

Une première édition du Prix de Diane devant deux pelés et trois tondus

De nos jours, le Prix de Diane est un évènement sportif. Il n’en était pas ainsi lors de son inauguration le jeudi 18 mai 1843 (l’avant-veille du Prix du Jockey Club). Sans le duc d'Orléans, le public est indifférent, à tel point que l’on reconnu à peine trois Dames (dont Mmes de Vatry et de Thorigny) dans les tribunes, une douzaine de sportsmen au pesage et une seule «lionne» dans sa calèche sur la pelouse (Mlle Ozy). En fait, le décès accidentel du duc d’Orléans (fils du roi Louis-Philippe) en juillet 1842 avait entraîné l’absence de la cour qui avait instauré la coutume de s’installer à Chantilly durant le meeting des courses qui se déroulaient, en quelque sorte, sous les fenêtres du château. 

Le premier Prix de Diane échappa à la favorite, Mamz’elle Amanda, qui eut l’excuse d’une tentative de dérobade, à quelques mètres du poteau, provoquée par la rupture d’une des étrivières. Profitant de cet incident, la gagnante, Nativa (Royal Oak et Naïad), montée par Tom Jennings, le frère de son entraineur Henry, portait les couleurs du prince Marc de Beauvau (cerise toque cerise). Tout réussi à ce nouveau venu : cinq victoires en huit éditions dont celle de la propre sœur de Nativa, Dorade, gagnante de l’édition 1846. Naïad provient de l’écurie de Lord Seymour qui venait de renoncer définitivement au turf l’année précédente.

En 1844, Lanterne, propriété du prince de Beauvau, l’emporte après avoir, quelques jours plus tôt, fait sien le Prix du Jockey Club.

C’est grâce à la qualité des participantes que le Prix de Diane va progressivement acquérir son titre de «Derby des pouliches». Avant le début du XXème siècle, on retrouve au palmarès quelques noms restés célèbres : Hervine (fille de Poetess), Jouvence (frère de Saint Germain) et La Toucques (également gagnantes du Prix du Jockey Club), les deux sœurs, Bounty et Dame d’Honneur, Finlande, Fille de l’Air (également gagnante des Oaks comme sa fille Reine), Nubienne, Wandora (mère de Vinicius et Val d’Or)....

Les Deliane, Surprise, Brie (sœur cadette de Kilt, vainqueur du Prix du Jockey Club) et Kasbah ont chacune donné ensuite des gagnantes du Diane, La Jonchère (sœur cadette d’Enguerrande, gagnante des Oaks et de la Poule d’Essai), Sornette, Brisk et la célèbre Kizil Kourgan (mère ensuite de Ksar).

 

L'inoubliable Ksar, double lauréat du Prix de l'Arc de Triomphe pour la casaque de Mme Edmond Blanc est le fils de Kizil Kourgan, une lauréate du Prix de Diane

 

Encore la monte européenne pour la première édition du siècle

C’est en 1900 qu’une certaine grise, Semendria, rend hommage à son célèbre père, Le Sancy, mort récemment (à 16 ans) au Haras de Martinvast. Portant les couleurs du baron Arthur de Schickler (propriétaire depuis 1857), elle va réaliser la triple couronne en s’imposant dans la Poule d’Essai, le Prix de Diane et le Prix Vermeille (sachant que le Prix de l’Arc de Triomphe ne date que de 1920). En juin, elle avait ajouté le Grand Prix de Paris à son palmarès.

 

Semendria, la meilleure pouliche de l'année 1900

 

A chacune de ses victoires, elle est associée à un jockey dont le souvenir restera dans les annales de l’ancien turf. En effet, William Pratt est l’un des derniers à monter, jambes tendues, assis (vulgairement, «le cul») dans la selle, rênes longues.

 

Voici le fameux William Pratt alors qu'il pratiquait la monte ancienne longue

 

Il est donc l’ultime réfractaire à la monte moderne introduite en Europe en 1897 par le jockey américain, Tod Sloan. La venue de celui-ci à Longchamp le 9 octobre 1898 avait provoqué rires et railleries du public et critiques de la presse. Juché sur son cheval à la manière d’un singe, penché sur l’encolure, rênes raccourcies, genoux repliés, talons rapprochés des fesses, il avait pourtant gagné une course d’une encolure devant James Dodd, le meilleur jockey du moment. Ce même automne en Angleterre, Sloan remporte quarante-trois courses pour quatre-vingt-huit montes. Alors les jockeys européens n’hésitent plus. Ils raccourcissent leurs étrivières et penchent le corps en avant, chacun adaptant cette monte moderne aux caractéristiques de sa morphologie. Ce qui fit dire que cette monte américaine « fut une aussi grande révolution dans le monde du Turf que la poudre dans l’artillerie ».

 

Notes

Semendria deviendra la grand-mère de La Bidouze (Chouberski) qui mettra au monde un fils de Rabelais, nommé Biribi. Vendu yearling 80.000 F. par Jean Stern à l’argentin Simon Guthmann, il enlèvera le Prix de l’Arc de Triomphe à 3 ans (1926). Il est entrainé par un argentin, Juan Torterolo et monté par son frère Domingo. Pour l’anecdote, la fille de Juan, Diane, épousera le regretté Richard Carver Jr, décédé en décembre dernier. Etalon au Haras de la Pomme, Biribi, réquisitionné par les allemands, ne sera de retour qu’après la guerre. Il décède en avril 1946 après avoir été le père, notamment de Le Pacha (Arc de Triomphe), Birikil, Perruche Bleue (Prix de Diane), Céréaliste...

 

La Camargo, l’objet d’un procès

Comme son aînée Semendria, La Camargo (Childwick) s’adjuge, en 1901, le triptyque Poule d’Essai-Diane-Vermeille (réalisé ensuite par Pearl Cap en 1931) mais pas question de Grand Prix de Paris qu’elle ne dispute pas. Elle porte les couleurs d’Adolphe Abeille (mi-noire mi-orange, toque noire, couleurs reprises par Daniel Gillois après son décès en 1916). Son palmarès est riche de 25 victoires dont 17 à Longchamp. Le Prince Murat «voulait se défaire » de sa mère, Belle et Bonne, poulinière au Haras de Chambly (Oise). Adolphe Abeille l’achète portant dans ses flancs la future La Camargo.». Le Prince rachètera la mère après les exploits de sa fille mais ne donnera rien de notable ensuite. Quant à La Camargo, elle sera achetée par Edmond Blanc qui fera naître, entre autres, Mauri (Ajax), une pouliche incapable de mettre un pied devant l’autre. Elle entrera au haras dès l’âge de 3 ans (1912) et se rachètera de sa piteuse carrière sur la piste en mettant au monde, en 1920, un certain Massine. Ce fils de Consols est acheté à l’amiable après avoir été retiré yearling pour 10.200 F. présenté par le Haras de Saint-Martin du Chêne et élevé par le vicomte du Pontavice de Heussey). Massine va tout simplement remporter, entre autres, le Prix de l’Arc de Triomphe 1924 pour Henry Ternynck. Il reviendra sur les lieux de sa naissance (chez Octave Homberg, un financier qui cessera l’élevage en 1932 et qui aurait terminé ruiné) où il effectuera une carrière d’étalon (aux côtés de Filibert de Savoie) : il sera tête en 1932 et 1936.

 

La Camargo et son jockey Edouard Watkins reviennent lauréat du Prix Vermeille

 

Notes

La Camargo sera vendue en 1911 pour 31.000 F. à Lady James Douglas. Saillie en 1912 par son étalon Bayardo, elle fut déclarée vide par un vétérinaire de Newmarket, W.F. Smith, spécialiste de la stérilité, qui la soigna en conséquence, puis la fit saillir à nouveau par Roquelaure. Quelques jours plus tard, elle mettait bas un poulain mort-né et décédait elle-même peu après (mai 1913). Un procès aurait été intenté dont je ne connais pas l’issue.

Lady James Douglas, née Martha Lucy Hennessy en 1854 en France, sera la première femme gagnante du Derby d’Epsom. Son élève n’était autre qu’un certain Gainsborough (Bayardo), vainqueur de la triple couronne 1918. Elle figure également au palmarès des Oaks avec Bayuda et comme éleveur de Rose of England, gagnante en 1930. En 1910, déjà veuve par deux fois (de son cousin, Richard et de Lord James), elle fonde, sur les conseils de John Porter, Harwood Stud à Woolton Hill près de Newbury.

 

Lady James Douglas, l'acheteuse de La Camargo

 

 

Kizil Kourgan, future mère de Ksar

En 1902, troisième vedette féminine sur le turf en trois ans. L’alezane, la fameuse Kizil Kourgan, remporte la Poule d’Essai, le Prix de Diane et le Grand Prix de Paris avec sur son dos William Pratt portant les couleurs d’Evremond de Saint-Alary. Des trois vedettes féminines, c’est Kizil Kourgan sera la meilleure maman. Elle donnera naissance à Ksar (Bruleur), double vainqueur du Prix de l’Arc de Triomphe pour Madame veuve Edmond Blanc. Son mari l’avait acheté yearling à son éleveur Evremond de Saint-Alary, pour une somme record, 151.000 F. Il faut dire que ses parents avaient remporté le Grand Prix de Paris, que sa mère y avait donc ajouté la Poule et le Prix de Diane. Sa grand-mère maternelle, Kasbah, avait fait sien le Prix de Diane également et s’était classée seconde de la Poule.

 

Kizil Kourgan, lauréate du Prix de Diane sera plus tard la mère du champion Ksar, deux fois gagnant du Prix de l'Arc de Triomphe

 

Rose de Mai, un quatrième doublé en quatre éditions

C’est à se demander si la Poule d’Essai n’est pas une préparatoire au Prix de Diane, puisque les gagnantes des quatre premières éditions du XXème siècle de la Poule ont inscrit également  leur nom au palmarès du Prix de Diane. Après Semendria, La Camargo et Kizil Kourgan, c’est au tour de Rose de Mai, une fille de Callistrate et d’une mère, May Pole (Silvio), gagnante, 14 ans plus tôt, du Grand Critérium et de la Poule d’Essai pour le baron Georges de Soubeyran. Rose de Mai porte les couleurs du comte de Pierre de Saint-Phalle (citron, toque noire) qui, en février et mars 1894, avait acheté la mère, alors âgée de 8 ans, 40.000 F. lors de la liquidation de la totalité de l’effectif du baron, y compris son haras, le Haras d’Albian (à Jouy en Josas près de Versailles, renommé ensuite Val d’Enfer et Villeras). Le baron de Soubeyran, ancien co-propriétaire et éleveur au Haras de Saint-Georges, est trop âgé pour continuer et abandonne donc le turf.

 

Profane, la première des quatre victoires d’Edmond Blanc et de George Stern

Le 22 mai 1904, l’élève d’Edmond Blanc, Profane, qui venait de se classer seconde de la Poule, l’emporte facilement (3 longueurs) devant 19 adversaires (l’un des pelotons les plus fournis depuis la création). Comme lors de son succès automnal dans le Prix Vermeille, elle est montée par un crack jockey, George Stern, qui est le premier jockey de l’écurie depuis 1901, l’année de sa victoire dans le Prix du Jockey Club. Pour l’anecdote, sa grand-mère est une sœur de Plaisanterie. Edmond Blanc remportera trois autres Prix de Diane, trois victoires consécutives pour trois pouliches issues de son élevage : Medeah, Union et Marsa.

Le jour du Prix de Diane, La Camargo fait sa rentrée dans le Prix d’Hédouville qu’elle survole, devançant le pensionnaire d’Edmond Blanc, Caius. Au retour aux balances, il manque quelques hectogrammes à son jockey texan Nash Turner. La championne est distancée !

 

Voilà le récit de l’épreuve inaugurale puis de quelques-unes des éditions du début du XXème siècle.

 

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