L'épopée Wildenstein semble prendre fin. La fin d'un siècle de passion (Episode 1)

09/08/2016 - Grand Destin
L’annonce de la liquidation des effectifs de Wildenstein Stables Ltd (Guy et son fils David) fait l’effet d’une bombe, une bombe qui végétait depuis le décès de Daniel, le père, il y a déjà quinze ans. C’est aussi l’histoire de l’épopée de l’arrière grand-père, un homme sans le sou et sans aucune culture artistique, qui entre par le plus grand des hasards dans le monde de l’art. EPISODE 1. Par Xavier BOUGON.

Daniel, Guy et Alec Wildenstein à Paris en 1999 © Helmut Newton

 

La fin d’une passion

 

Il n’est pas dans nos attributions de commenter les différents ou bras de fer politico-financier mais force est de constater que depuis la disparition de la casaque bleue, toque bleu-clair portée par les élèves de « Monsieur Daniel », plus rien ne parait être comme avant.

La fin de l’histoire commence le 23 octobre 2001, quand décède, après dix jours de coma, Daniel Wildenstein, le plus célèbre collectionneur et marchand d’art du XXe siècle mais aussi l’un des plus grands propriétaires français de chevaux de courses.

Héritier d'une dynastie internationale de marchands d'art, «Monsieur Daniel» affiche un palmarès équestre presque aussi impressionnant que sa collection de tableaux. Dans ses affaires comme dans les chevaux, il joue la carte de la sélection.

«Papa, tu as trop de chevaux», avait-il un jour osé déclarer à son père. Les siens portent parfois le nom de grands maîtres de la peinture. Mais ils ne font pas pour autant des carrières éblouissantes, comme en témoigne le parcours plutôt décevant aux yeux des pros d'un Claude Monet (Affirmed) ou d'un Leonardo da Vinci (Brigadier Gerard) ! Il a eu plus de réussite avec Allez France (Sea Bird), célébrissime gagnante de l'Arc de Triomphe. Cocardier, Daniel Wildenstein est aussi un provocateur. Ainsi a-t-il baptisé deux de ses chevaux Goodbye Charlie (petit-fils de Princequillo), pour saluer le départ du Général de Gaulle ou Allez France pour inciter les anglais à encourager la France !

 

La célébrissime Allez France avec Yves Saint-Martin et Daniel Wildenstein à sa tête

 

Fils unique mais ainé d’une fratrie de sept frères et sœurs

Dans la famille, on est marchand de chevaux de poste et de bestiaux de père en fils. Tel est d'ailleurs le métier du père de Nathan qui à son tour l'aurait sans doute exercé lui-même s'il n'y avait eu la guerre de 1870. Mais au lendemain de l’invasion prussienne et du Traité de Versailles (janvier 1871), Nathan, fils de rabbin, ne veut pas se soumettre à la domination allemande. Il quitte son Alsace natale contre l’avis de sa famille (son père Lazare et sa mère, Elisabeth, dit Babette née Lévy). Une tradition séculaire alsacienne voulait qu’à l’époque, un alsacien, catholique, protestant ou juif, ne devait pas quitter l’Alsace sauf si toute sa famille partait avec lui. Celui qui transgressait cette règle était banni. Ce qui explique que son père le maudit lorsqu’il quitta Fegersheim et ne parla plus jamais de lui. La famille est donc divisée en deux après le départ de l’ainé de sept frères et sœurs. Nathan ne retournera jamais dans sa région natale. Nathan assura même à sa future femme et à ses enfants qu’il était fils unique.

 

Vendeur de tissus mais aussi de tableaux à l’occasion

En provenance donc de Fegersheim où il est né en 1851 et où sa famille est installée depuis 1709, Nathan émigre à Vitry-le-François. Puis il trouve un emploi de vendeur de tissus chez un cousin tailleur. Un métier pour lequel il manifeste d'étonnantes dispositions.

Un matin, impressionnée sans doute par le talent de commerçant du jeune homme, une cliente de la boutique lui demande un service : négocier pour elle la vente de tableaux dont elle souhaite se débarrasser. Le jeune Nathan accepte le défi. Après avoir passé dix jours au Louvre pour se " faire l'oeil ", il rentre à Vitry-le-François et boucle la vente en une semaine. Montant de sa commission : 1.000 francs. Se prenant au jeu, le jeune homme les réinvestit aussitôt dans l'achat d'un Boucher et d'un pastel de Quentin de La Tour qu'il revend quelques jours plus tard avec un nouveau bénéfice. C’est ainsi que l’histoire a commencé. Nathan Wildenstein (un nom qui aurait été adopté en 1808 d’après un château féodal du Haut Rhin) vient d'entrer, par le plus grand des hasards, dans le monde de l'art. Il n'en sortira plus. Il faut croire qu’il avait emporté pour toute fortune un « œil de maquignon », l’outil qui, depuis des générations, sert à distinguer un bon cheval d’un « bourrin ».

 

Notes :

En 1870, Nathan a essayé d'entrer dans Paris, mais Paris était fermé. C'était le siège. Il s'est alors replié sur Vitry-le-François. Pourquoi là ? Non pas à cause de Vitry. A cause du François. Le Français. Cela allait jusque-là ! Employé d’un tailleur, que pouvait-il faire d'autre ? Dans l'échelle des juifs, cela se situait juste avant vagabond. Il a dû en baver. Il vendait des tissus. C'est le même homme qui vendra un jour au milliardaire américain John D. Rockefeller le Portrait d'Antoine Laurent Lavoisier et sa femme, un des chefs-d'oeuvre de David... « Il a toujours été un vendeur exceptionnel. Il sera bien le seul de la famille. Mon père n'était pas doué; moi non plus; mes enfants pas davantage. Lui, oui. Il avait ça dans le sang. Il savait opérer, détecter les goûts, les envies, les désirs avec une intuition et une prescience infaillibles » dira Daniel, son petit-fils.

 

Georges Wildenstein, fils de Nathan

 

La grand-mère emmenait son petit-fils sur les champs de courses

En mars 1881, Nathan épouse à Paris, Laure Lévy (1856-1937) qui lui donnera 5 enfants dont deux, seulement, survivront. Entre Elisabeth et Georges sont nés trois enfants mort-nés. Le beau-père possède une prospère imprimerie à Vitry. Grâce à la dot de son épouse, Nathan loue son premier local à Paris, cité du Retiro, dans le 8e arrondissement. Il commence modestement puis ouvrira une succursale à New York en 1898.

Vingt-ans après son mariage, en 1905, Nathan habite rue La Boétie un hôtel particulier dessiné par de Wailly, l'architecte de l'Odéon et entièrement meublé XVIIIe siècle. Puis il achète près de Verrières le Buisson (Essonne), le château de Marienthal. Ce sera la maison familiale.

 

Daniel évoque sa grand-mère : « Ma grand-mère était vive et rapide. Toute l'intelligence du monde s'était donné rendez-vous dans les yeux bruns et brillants de cette petite femme, qui aimait autant les arts que les champs de courses. C'est elle qui m'a tout appris. Tout raconté. Dès l'âge de 4 ans, je la suivais sur les hippodromes. Auteuil, Longchamp, Saint-Cloud. Et je jouais. Sur la pointe des pieds, je lançais ma pièce par-dessus le guichet. Derrière moi, ma grand-mère misait sur tous les chevaux. Je gagnais donc dans toutes les courses»

 

Notes :

- Cette Amérique, Nathan n'y mettra jamais les pieds. Il était plus que casanier. Il a certes fait des voyages aux Pays-Bas: pour Rembrandt, pour Rubens et pour la peinture hollandaise en général, c'est quand même l'adresse indiquée... « Mais mon grand-père quittait difficilement son pays, sa République française. Il avait renoncé à sa famille pour la France. Il était tout pour moi. A mes questions, il me répondait inlassablement: Daniel, il n'y a que deux choses qui comptent vraiment. Aimer la France. Et aller au Louvre (extrait d’une entrevue à bâtons rompus entre le journal Les Echos et Daniel Wildenstein, en août 2000).

 

- Elisabeth est née en 1882 à Vitry le François et décédée en 1969. Elle réclamera à son frère Georges la moitié des œuvres d’art de leur père défunt (décédé en 1934). Une procédure durera 18 ans, achevée par une transaction en 1952.

 

Dans le prochain épisode : Georges, les débuts d’une passion, Daniel, les fruits de la passion

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