Qatar Prix de l'Arc de Triomphe : pour gagner, faut-il acheter ou élever ? (2/2)

27/09/2016 - Grand Destin
En l’absence inattendue de La Cressonnière, le favori est un anglais Postponed (Dubawi). Il avait été acheté yearling 360.000 Guinées à Newmarket par John Warren et Charles Gordon-Watson. Notre tour de cour à la recherche des gagnants de l’Arc achetés et non élevés se poursuit par les éditions à partir de 1924. Une étude signée Xavier BOUGON.

Massine, monté par A. Sharpe remporte le Prix de l'Arc de Triomphe 1924

 

Un jumelé de yearlings retirés pour le même entrainement

Teresina, Papyrus et Parth sont toujours à l’entrainement mais leurs entourages ont préféré s’affronter le 2 octobre dans les Jockey Club Stakes. Ils termineront dans cet ordre à Newmarket. En y ajoutant l’absence des gagnants des Derbies français et anglais, Pot au Feu (acheté yearling par S.A. Aga Khan) et Sansovino (à Lord Derby), la 5ème édition (1924) du Prix l’Arc de Triomphe ne réunira que neuf partants ; un tel peloton maigrichon ne sera pas revu, en dehors de la période de guerre, avant....2006 (l’année de Rail Link et Deep Impact).

 

Les deux favoris sont deux pensionnaires de l’éminent Elijah Cunnington (l’oncle de John) :

- Massine, le second de l’an passé, est le grand favori à 11/10. Il appartient toujours à Henry Ternynck, le gendre d’Elijah (il avait épousé sa fille, Peggy, plus jeune de 28 ans). Comme nous l’avons évoqué dans le précédent chapitre, Massine, né au Haras de Saint-Martin du Chêne, avait été retiré de la vente de yearling en août 1921, son éleveur en voulait plus que la dernière enchère.

- Isola Bella (Mésilim), la récente gagnante du Prix Vermeille après une seconde place dans le Prix de Diane d’Uganda.

Les deux camarades d’écurie tiennent leur rang et terminent aux deux premières places. Ce jumelé d’entrainement dans le Prix de l’Arc de Triomphe reste encore, à ce jour, unique.

 

Isola Bella s'est placée deuxième dans le Prix de l'Arc de Triomphe 1924

 

Isola Bella est, depuis la toute récente création de l’Arc de Triomphe, la première pouliche à l’arrivée à défendre les couleurs de son éleveur en l’occurrence une casaque centenaire, celle d’Alexandre Aumont, le petit-fils du fondateur du Haras de Victot. Il avait bien tenté de la vendre à Deauville, parmi un lot d’une vingtaine de yearlings (dont la moitié est issue de l’étalon-maison, Mésilim, le propre frère, par Sans Souci, de La Farina), mais elle est retirée à hauteur de 24.000 F. Notons que Le Capucin (Nimbus), vainqueur du Prix du Jockey Club l’année précédente, termine au pied du podium et qu’il avait également été vendu yearling par  Alexandre Aumont.

 

Le roturier, vendu yearling, devance l’aristocrate

Georges Delaplace élève près de Cambremer sur les terres de la commune de Léaupartie dont il est le premier magistrat. Il met, en 1923, sur le marché des yearlings, un fils de Bruleur (né à Saint Pair du Mont), déjà nommé Priori. Le comte Gérard de Chavagnac (petit-fils du comte de Berteux et de Jeanne Foy) va s’en porter acquéreur pour 41.000 F. pour ensuite le confier à Percy Carter. Récent vainqueur du Prix Royal-Oak (réservé à l’époque aux 3 ans et couru en septembre), il est tout naturellement dirigé vers le Prix de l’Arc de Triomphe. A 40/1, il termine à la hanche du 4 ans du baron Edouard de Rothschild, Cadum (Sans Souci). Vainqueur successivement des Prix des Sablons (Ganay), du Cadran et du Prix du Président de la République (Grand Prix de Saint-Cloud) et troisième de l’édition 1924, Cadum est le chaud favori (11/10). Mais peu avant l’arrivée, Cadum «ferme la porte» à Priori, ce qui occasionne la première rétrogradation de l’histoire de l’épreuve. Celle-ci sera suivie de deux autres décisions de la même trempe.

 

Priori, le premier vainqueur du Prix de l'Arc de Triomphe sur tapis vert en 1925. Il est passé sur le ring yearling, acheté 41.000 F.

 

Tras Los Montes (Alcantara II) défend les couleurs de F. Pellissier-Tanon qui l’avait réclamée à son propriétaire-éleveur, Jean Stern, lors d’une victoire en juillet de ses 2 ans à Chantilly pour 37.899 F. Seconde ensuite du Critérium de Saint-Cloud, elle collectionne les accessits à trois ans avant de se classer troisième de l’Arc à 66/1, avec pour entraineur l’ancien jockey, Jean-Baptiste Bourdalé, installé à Maisons-Laffitte.

 

Via Saint-Pair du Mont, premier grand succès de l’élevage Stern

Evremond de Saint-Alary a élevé en son haras de Saint-Pair du Mont, une petite fille de la championne Semendria, elle se nomme La Bidouze (fille de son étalon, Chouberski). Il l’a vendra, yearling, pour 5.800 F. à Jean Stern lequel, éleveur sans sol, fera naître au Haras de la Chaussée (annexe du Haras du Mesnil) un fils de Rabelais, nommé Biribi. Vendu yearling à l’argentin Simon Guthmann pour 80.000 F., Biribi est en pension chez son compatriote, Juan Torterolo qui va enlever le Prix de l’Arc de Triomphe 1926, monté par son frère Domingo.

 

Biribi, gagnant du Prix de l'Arc de Triomphe 1926 a été acheté yearling 80.000 F.

 

Le premier dauphin est une dauphine de 3 ans, gagnante des Prix de Diane et Vermeille, Dorina (La Farina), propriété d’Edward Esmond, héritier de l’élevage de son beau-père, Emile Deutsch de la Meurthe deux ans plus tôt.

Biribi est le premier grand succès pour l’élevage Stern après Scaramouche, vainqueur à 2 ans du Prix de la Forêt et placé de la Poule d’Essai des Poulains.

 

Une victoire argentine pour une enchère record

 

Mon Talisman a été acheté yearling 570.000 F. Un record à l'époque! Il est le vainqueur du Prix de l'Arc de Triomphe 1927

 

Mon Talisman est le premier et dernier produit de sa mère, Ruthene, achetée pleine de Craig an Eran aux ventes de décembre 1923 à Newmarket par l’argentin Guillermo Ham pour 2.600 Guinées. Ruthene meurt trois mois après la naissance du foal au Haras de Saint-Jacques (situé à Bessancourt, entre Ecouen et Luzarches, en lisière de la forêt de Montmorency) que l’argentin avait créé en 1919 dès son arrivée en France. Le yearling est mis en vente à Deauville et c’est son compatriote, Edouard Martinez de Hoz , président du Jockey Club argentin, qui remporte les enchères à hauteur de 570.000 F., un nouveau record après celui de Mont d’Or. Après Ksar, Mon Talisman est le premier vainqueur «à faire» le doublé à 3 ans, Prix du Jockey Club-Arc de Triomphe (1927). Il faut dire que, outre Ramus (resté au poteau), les cinq précédents vainqueurs à Chantilly au printemps n’étaient pas présents à Longchamp à l’automne.

Son second, Nino, est un élève du Haras de Jardy de Mme Edmond Blanc qu’elle avait vendu yearling pour 92.000 F. à Monsieur P. Moulines. Nino était accompagné de deux camarades de cour (celle de William Hall, l’entraineur particulier), Felton (acheté à Evremond de Saint-Alary, cédé à Gustave Wattinne) et Fiterari (acheté yearling 100.000 F. à l’amiable au baron Maurice de Rothschild) qui termineront troisième et quatrième.

 

Encore l’élevage de Saint Pair du Mont

Kantar (Alcantara II) est invaincu en quatre sorties à 2 ans avec comme point d’orgue, le Prix Morny puis le Grand Critérium. Il se classera second du Prix du Jockey Club puis enlève le Prix Henry Delamarre (un groupe 2 qui ne fait plus partie du programme depuis 1974), une semaine avant son succès dans le Prix de l’Arc de Triomphe. Kantar provenait d’un lot de yearlings que l’américain Ogden Mills avait acheté à Evremond de Saint-Alary pour 2.200.000 F., tout en sachant que l’allocation attribuée au gagnant de l’Arc se monte à 551.000 F. Ogden s’associe à Lord Derby qui vont également acheter, à Elijah Cunnington, Cri de Guerre qui servira de «pacemaker» à l’entrainement. Ce dernier gagnera le Grand Prix de Paris avant de servir de leader à Kantar dans l’Arc.

 

Kantar est le deuxième britannique a gagné le Prix de l'Arc de Triomphe (1928). Le cheval avait été acheté yearling par Ogden Mills parmi un lot de poulains. Plus tard, le propriétaire amércain s'est associé à Lord Derby, d'où la casaque noire et blanche

 

Kantar va devancer Rialto (Rabelais) que Jean Stern avait acheté, yearling, à l’amiable à son éleveur Jean Couturié. Par la suite, Jean Stern l’utilisera à profusion pour sa jumenterie. A la troisième place, Finglas (Bruleur) porte les couleurs de son éleveur, Evremond de Saint-Alary. L’année 1929, c’est aussi la première apparition de Motrico qui termine au pied du podium. Présenté par le Haras de Ménil-Vicomte (Jean Lieux), il avait été acheté, yearling, 32.000 F. à son éleveur, Maurice Labrouche, par l’un des quatre frères de Rivaud, Max. Le fils de Radamès sera le second vainqueur à remporter deux fois la grande épreuve automnale de Longchamp. Il est hébergé à Maisons-Laffitte dans la cour du très adroit, Maurice d’Okhuysen.

 

Motrico, premier double lauréat du Prix de l'Arc de Triomphe (1930-1932) avait été acheté yearling pour 32.000 F.

 

Quant à Kantar, il terminera second de l’édition suivante sous les couleurs de la fille d’Ogden Mills (décédé en janvier 1929), Lady Granard (Béatrice qui avait épousé Bernard Forbes, 8ème Lord Granard), toujours associé à Lord Derby (17ème du nom). A la fin de l’année, il entre au haras où il fait la monte au prix de 40.000 F. (la saillie la plus chère de l’époque en France). Il est stationné, dans un premier temps, au Haras de Béneauville, près de Bavent (Calvados) chez le comte R. d’Hauteville avant d’être exporté aux USA quelques années plus tard. Rappelons que Kantar a pour mère Karabé, la demi-sœur de King’s Cross, second de la première édition du Prix de l’Arc de Triomphe.

 

En résumé, aucun vainqueur des neuf premières éditions n’a porté les couleurs de leurs éleveurs, tous vendeurs de leurs progénitures.

 

Ortello, fille d’une française vendue yearling

Comme La Cressonnière, le vainqueur de 1929, l’italien Ortello, doit sa naissance à une mère française, Hollebeck (Gorgos) achetée yearling par un magnat italien du textile, le Signor Giuseppe de Montel à son éleveur, Gaston Dreyfus, propriétaire du Haras du Perray sur la commune des Bréviaires, près de Rambouillet.

Hollebeck gagne plusieurs courses en Italie puis entre au haras. En 1924, elle va à la rencontre de Teddy, propriété de Jefferson-Davis Cohn, mais elle reste vide. Grand seigneur l’américain lui propose de revenir l’année suivante et lui offre la saillie (à l’époque la formule, no foal, no fee ne devait pas exister). Naîtra un certain Ortello, entrainé par un franco-italo anglais de 73 ans, Willy Carter (né en 1856 à Turin où exerçait son père, Elijah, entraineur du roi Victor Emmanuel) installé chez son patron à Milan, Giuseppe de Montel. Ortello est vainqueur du Derby italien et du Gran Premio di Milano avant le Prix de l’Arc de Triomphe.

Ortello est donc le premier vainqueur à porter les couleurs de son éleveur.

 

Ortello a été couronné 6 fois champion étalon en Italie

 

L’année 1930, un jumelé d’achat

Nous avons évoqué les victoires de Motrico et son achat par Max de Rivaud. A 5 ans, lors de son premier succès, il devance le 4 ans, Hotweed (Bruleur), vainqueur l’année précédente du Prix du Jockey Club et du Grand Prix de Paris. Hotweed avait été acheté à l’amiable par Edward Esmond, après avoir été retiré à hauteur de la «modique» somme de 395.000 F. par le Lieutenant-Colonel Charles-Wilfred Birkin, éleveur sans sol au Haras de Mortefontaine (près de Survilliers, propriété d’Edward Esmond). Le Haras avait fait naître sa propre sœur Brulette (gagnante des Oaks pour son éleveur) qui deviendra l’aïeule de deux vainqueurs de l’Arc, Vaguely Noble (en 1968) et All Along (en 1983).

 

Le grand chelem pour Pearl Cap, la fille d’une jument payée 1.000 Guinées

Pearl Cap (Le Capucin) doit la vie à sa mère Pearl Maiden (1918 Phaleron) que son éleveur, Edward Esmond (second de l’Arc en 1930) avait acheté à Newmarket lors des ventes de décembre 1925 pour la modique somme de 1000 Guinées. Elle deviendra la perle du Haras de Mortefontaine (Oise) avec les naissances de Pearl Cap, de Pearlweed (Prix du Jockey Club 1935), de Pearl Diver (Derby d’Epsom 1947). Pour sa part, Pearl Cap restera dans l’histoire, non seulement parce qu’elle est la première femelle gagnante de l’Arc mais aussi parce qu’elle est la première pouliche gagnante de la quadruple couronne (Poule – Diane – Vermeille – Arc). Elle sera suivie de Nikellora en 1945 et de Zarkava en 2008.

 

Pearl Cap fut la première pouliche à gagner l'Arc en 1931. La fille de Teddy, soeur de deux gagnants de Derby, portait tout d'abord la casaque familial de son éleveur puis celle de Diane, la fille d'Edward

 

A 2 ans lors de ses succès dans les Prix Morny et Robert Papin, Pearl Cap porte les couleurs d’Edward (blanche, manches bleues, toque jaune, celles de son beau-père décédé). Edward l’offre à sa fille, Diane, durant l’hiver et porte donc à 3 ans ses couleurs (jaune toque jaune), reprises, quelques temps après, par son gendre le baron Geoffroy de Waldner. «Seules ombres au tableau» à 3 ans, une seconde place fin août dans le Grand International d’Ostende (l’une des épreuves les mieux dotées en Europe) enlevé par un certain Prince Rose, lequel termine sur la troisième marche de l’Arc.

 

Acheté yearling, Crapom est le second vainqueur italien

La Razza Bellotta est pour ainsi dire l’unique éleveur-vendeur en Italie à l’époque. L’élevage, situé à Pontenure au sud de Milan, avait été fondé par Edilio Raggio qui avait acheté en 1923 une fille d’Adam (Flying Fox), Pompea (1918), née en Hongrie, élevée par le baron Sigismund Nechtritz. Edilio fait appel à l’étalon de Federico Tesio, Cranach (frère de Cavaliere d’Arpino). Pompea mettra au monde Crapom que Mario Crespi s’empressera d’acheter yearling. Mario Crespi et ses frères (Aldo et Vittorio), qui avait créé la Razza del Soldo, achètent tout ce qui à vendre y compris, 20 ans plus tard, la magnifique propriété Bellotta. Ortello et Crapom sont les deux premiers italiens à s’imposer dans l’Arc. Ils étaient tous les deux associés au même crack jockey Paolo Caprioli. A la rentrée aux balances avec Crapom, il remercie la foule de ses applaudissements sportifs en saluant à la romaine comme tout bon fascite.

 

Crapom, vainqueur du Prix de l'Arc de Triomphe 1933, a été acheté yearling par les frères Crespi : Mario, Aldo et Vittorio

 

De 1934 à 1938, les vainqueurs portent les couleurs de leurs éleveurs. Ces propriétaires se partagent les cinq éditions : Evremond de Saint-Alary (encore lui) avec une pouliche de 3 ans, Samos (une quatrième victoire pour son père Bruleur), le baron Edouard de Rothschild (Brantôme et Eclair au Chocolat) et Marcel Boussac (Corrida, à 4 et 5 ans, la fille de Zariba).

 

Le Pacha, vendu deux fois avant même ses débuts

La seconde guerre mondiale éclate, les éditions 1939 et 1940 sont annulées. La 20ème édition, celle du 3 octobre 1941, a pour cadre l’hippodrome de Longchamp. Le vainqueur est né suite à l’achat à Neuilly Saint-James, en 1935, de sa mère Advertencia (Ksar), pour 125.000 F. en provenance du Haras de Jardy (vendue par les fils d’Edmond Blanc). C’est André Schwob, l’un des frères de James Schwob d’Héricourt, qui a la bonne idée de l’acquérir ; elle deviendra la mère de Le Pacha, fils de Biribi (Arc 1926). André Schwob le vendra yearling à l’amiable à Hippolyte Randon, marchand de cochons mais l’un des propriétaires de chevaux les plus malchanceux de l’époque à en croire la presse spécialisée. Il décède avant même que son achat ne débute. Sa veuve vend, le 3 avril, les 21 chevaux de l’effectif en pension chez Charles Clout. Parmi les lots se trouve bien évidemment Le Pacha qui n’avait pas encore débuté. Il fait l’objet d’un duel d’enchères. L’underbidder, Ferdinand Béghin, cède au profit de John Cunnington qui signera le bon à hauteur de 500.000 F. pour une association composée de lui-même, d’un nouveau venu Philippe Gund et de Louis Martinet.

 

Le Pacha a réalisé le Grand Chelem Prix du Jockey-Club, Grand Prix de Paris, Prix de l'Arc de Triomphe en 1941

 

Il débutera victorieusement quinze jours plus tard directement dans le Prix Greffulhe. Son palmarès à 3 ans est éloquent, un record à ce niveau encore inégalé : 7 victoires pour 7 sorties toutes à Longchamp y compris le Prix du Jockey Club et bien entendu le Grand Prix de Paris.

Voir aussi...