L'histoire de DNA : l'arnaque du siècle dans le Derby d'Epsom

22/09/2019 - Grand Destin
 Notre historien des courses Thierry Grandsir nous raconte ci-dessous la machination diabolique orchestrée par un arnaqueur anglais pour remporter le Derby d'Epsom 1844 avec un cheval âgé de 4 ans ! Faites vous plaisir avec un scénario rocambolesque.


RUNNING REIN (1841), ou plus exactement sa doublure MACCABEUS (1840)

 


Course classique par excellence, le Derby d’Epsom est l’épreuve reine du programme des poulains de 3 ans en Angleterre depuis maintenant plus de deux siècles. Mais à tout sport ses tricheurs, et le rêve absolu que constitue une victoire dans cette course motiva, en 1844, une supercherie qui fit date dans les annales du turf. L’idée était simple : courir avec un cheval de 4 ans face à des 3 ans, une fraude qui germa dans le cerveau du londonnien Abraham Levi Goodman, un parieur invétéré non dénué d’imagination à défaut de scrupules.

Deux mois après avoir acquis un yearling aux ventes de Newmarket en septembre 1841, poulain qu’il baptisa Maccabeus, Goodman se rendit acquéreur d’un foal, nommé Running Rein. Tous deux furent envoyés l’année suivante à Langham Place à Londres. Un peu plus tard, accompagné d’un troisième poulain, tout ce petit monde a intégré un groupe de yearlings chez chez William Smith à Epsom.

 

 

Le très expérimenté George Hitchcock, membre du personnel de William Smith, qui procéda à leur débourrage, avait bien remarqué que l’un d’entre eux était beaucoup plus développé que les autres. Cherchant à s’enquérir de son âge réel, reçu en guise de réponse une volée de coups de cravache administrés par Smith pour l’inviter à garder le silence. Le complot était en marche…

Un plan fort subtil : Goodman acheta un poulain en Irlande pour courir en tant que Maccabeus en début d’année de 2 ans (1843), avant qu’il ne soit déclaré mort. A l’automne, ce fut le vrai Maccabeus qui débuta à Newmarket mais sous le nom de Running Rein, remportant une facile victoire (comme peut le faire un 3 ans face à des 2 ans). L’objectif de Goodman était de présenter un poulain qui serait reconnu plus tard comme étant Running Rein dans l’enclosure d’Epsom.

 


Lord George Cavendish Bentinck mena l'enquête et finit par mettre la supercherie au grand jour.

 

Lord George Bentinck, présent ce jour là et ayant eu vent de certaines rumeurs, demanda une enquête pour contrôler la réelle identité du cheval. Mais Goodman avait tout prévu à l’écurie, substituant Maccabeus par le jeune Running Rein dans son box lors de chaque visite de contrôle ! 

Arriva le Derby, le mercredi 22 mai 1844, où Goodman croisa sur l’hippodrome l’éleveur de Maccabeus (qui reconnut son poulain), et Lord George Bentinck dont le partant, nommé Croton Oil, n’était autre que le frère cadet dudit Maccabeus. Tout se déroula cependant comme prévu sur la piste, et le 4 ans Maccabeus, courant sous le nom du 3 ans Running Rein, l’emporta de trois-quarts de longueurs devant Orlando.

S’ensuivit une longue et rocambolesque enquête diligentée avec acharnement par l’accusateur Lord George Bentinck,qui parvint à faire extraire le 3 ans Running Rein de l’écurie pour que Goodman ne puisse le substituer à Maccabeus lors du contrôle d’identification. A ce stade, Goodman n’attendit pas la fin du procès pour s’exiler en France, les poches pleines des fruits de sa supercherie, et Orlando fut finalement déclaré vainqueur du Derby édition 1844.

 


Orlando fut finalement déclaré vainqueur du Derby d'Epsom 1844 après la disqualification du faux Running Rein.

 

Nous avons retrouvé la trace de Maccabeus en Russie, où il officia sans succès en tant que reproducteur, mais le vrai Running Rein disparut dans la nature. De son côté, Orlando traça au haras en érigeant une lignée mâle à l’origine des vainqueurs classiques Youth (Prix du Jockey Club) et Teenoso (Derby), et des étalons influents AckAck et Dr Fager.

Le scandale du Derby 1844 motiva les autorités hippiques à mettre tout en œuvre pour contrer les fraudes qui polluaient alors le turf Britannique, et ce depuis la fin des guerres Napoléoniennes. Une volonté toujours présente, facilitée aujourd’hui par la pose de transpondeurs sur les foals à l’élevage.

Cette mesure, efficace, est malheureusement compliquée par des numéros de microchips composés de 15 chiffres qui ne facilitent pas la tâche des contrôleurs sur les hippodromes. C’est ainsi qu’une pouliche n’ayant jamais vu un obstacle de sa vie disputa une course à Auteuil, pour le plus grand déplaisir de son jockey. Une erreur de plan de route entre deux camions ayant quitté les boxes d’une grande écurie l’avait amenée au mauvais endroit, et l’erreur, involontaire, fut découverte trop tard…

Il peut encore arriver, parfois,qu’un cheval plus âgé que ne l’indiquent ses papiers s’aligne au départ d’une course.Comme les chevaux prennent officiellement un an le premier janvier, les foals nés prématurément aux alentours de Noël sont parfois frauduleusement déclarés natifs du début du mois suivant, faute de quoi aucune carrière de course ne serait envisageable pour eux. C’est ce qui motiva, il n’y a pas si longtemps, la disqualification d’un poulain issu d’un élevage célèbre dans les courses de Groupe qu’il avait remporté ou dans lesquelles il s’était placé à 2 ans, avant que la déclaration de naissance frauduleuse ne soit attestée par les déclarations d’un groom. Le propriétaire remboursa les gains perçus par son cheval, certes avantagé de quelques jours face à ses concurrents, mais non de douze mois comme Running Rein en 1844 !

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