Cyrille Linette déclenche l'heureuse révolution des courses

24/09/2018 - Actualités
Quel changement ! ll y a encore peu, on se faisait interdire de plateau sur Equidia ou dégager des discussions institutionnelles en tenant les propos que Cyril Linette propose aujourd'hui, en toute sérénité devant une assistance à qui on a martelé les discours totalement inverses pendant une quinzaine d'années. Stupéfiant de clairvoyance, face à l'aveuglement du monde des courses qui l'a mené au bord du précipice aujourd'hui, il a prononcé un discours choc au Congrès de la Fédération Nationale, samedi 22 septembre à Longchamp. Le discours, qui est un programme en soi, est publié in extenso ci-dessous. Clair, court et précis, il n'a besoin de commentaire ni d'éclaircissement.

 
Cyril Linette (photo APRH)
 

« Bonjour à tous,

Très heureux de vous retrouver ce matin 5 mois pile après m’être attelé à un sujet que je trouve plus passionnant chaque jour : l’avenir du PMU, du pari hippique et donc, des courses hippiques et de notre filière toute entière, puisque reconnaissons-le une fois pour toutes : sans courses, plus de paris bien sûr ; et sans paris, plus de courses.

 
Avant de partager avec vous mes constats et les axes de relance que nous commençons à imaginer, un mot sur les résultats du PMU ces derniers mois, pour conforter malheureusement ce que vous lisez un peu partout.
 
L’été a été très difficile, avec une baisse de 100M€ des enjeux hippiques sur juillet-août par rapport à 2017. Les raisons :
-la coupe du monde de foot, qui a accaparé l’attention de nos parieurs
- un été particulièrement caniculaire
-  et plus grave peut-être, un déficit de points de vente ouverts, notamment en août, car devant cette attrition, il est possible qu’une partie de notre réseau de distribution finisse par se décourager, ce qui est évidemment préoccupant. J’ai passé 3 ans à l’Equipe, exploré les difficultés de la presse et sait comment il est difficile de maintenir la motivation d’un réseau de points de vente quand la clientèle se fait plus rare.
 
Le décrochage de cet été est donc réel et le mois de septembre est à peine meilleur mais si on prend un peu de recul, c’est entre 250 et 300 millions d’enjeux que nous perdrons sur l’année 2018 dans son ensemble car dès le mois de janvier le PMU a pris du retard sur son plan de marche estimé.
Et surtout, dans une perspective plus large et en regardant la réalité bien en face, c’est en six ans près de 1,8 milliard d’enjeux que le PMU a perdu, et plus d’un million de clients réguliers.
Le phénomène remonte donc à plusieurs années et ce ne sont pas les activités internationales, en développement mais avec des marges beaucoup plus faibles, ou les paris sportifs, sur un marché en forte croissance mais avec des marges nulles qui pourront le compenser.
J’ai donc déclenché en urgence, dès le mois de juin, un plan d’économies de 30M€ afin que le résultat net du PMU, dont je mesure pleinement à quel point il est fondamental pour vous tous, soit le moins dégradé possible par rapport à 2017. Mais la baisse sera sensible.
 
Alors comment en est-on arrivé là ?
D’abord, il ne faut pas regretter ni critiquer le passé. La stratégie de profusion de l’offre et de densification a longtemps généré une croissance exponentielle. Le tort, mais c’est toujours facile à dire après, est peut-être de ne pas avoir géré les effets de bords de cette stratégie :
  • le « courses à courses » dans les points de vente, qui a éloigné une partie de notre clientèle, la moins addictive pourrait-on dire.
  • le changement de générations dans les points de vente, dont les patrons étaient autrefois nos vrais prescripteurs.
  • la turfisation de notre proposition marketing, avec une gamme toujours plus absconse pour le plus grand nombre.
  • la multiplication du nombre de jeux et l’émiettement des masses, atténuant l’espérance de gains, moteur du jeu d’argent.
Ces effets de bord ont explosé à partir de 2011/12. Et on s’est alors rendu compte qu’en peu d’années, notre taux de pénétration était passé de 14 à 8%.
 
A partir de là, les réponses du PMU ont été d’occuper le terrain des jeux d’argent à tout prix, de tenter de ré-élargir sa base au détriment de sa clientèle traditionnelle, de mener une politique de communication censée rajeunir mais noyant ce qui fait l’ADN des paris et des courses hippiques.
Soumises à des objectifs toujours plus court-termistes, les initiatives du PMU lui ont objectivement permis de freiner la décroissance qui s’opérait.
Mais aujourd’hui voilà où l’on en est :
Une clientèle de plus en plus essorée et « typée » sociologiquement qui de surcroît aime de moins en moins nos jeux.
Un réseau de points de vente parfois au bord du découragement.
Des chevaux qui courent partout, toute la journée, comme un manège épuisant.
Une image certes sympathique mais vieillotte, pour ne pas dire ringarde.
Une activité courses hippiques / paris hippiques invisible aux yeux de la majorité de nos concitoyens, en dépit des efforts et des succès que vous remportez vous-mêmes en région.
 
Il faut sortir du court terme.
Il faut créer un choc.
Il faut à la fois innover et en même revenir profondément à l’ADN du pari hippique.
 
Le PMU retient de moins en moins ses clients les plus fidèles, convertit peu ses prospects, ceux que vous voyez dans vos hippodromes, et ne recrute plus dans le grand public alors même qu’une nouvelle génération se met à parier via les paris sportifs
 
La rétention, la conversion, la conquête seront les trois grands axes du plan de relance que nous allons construire avec une nouvelle équipe qui est tout juste en train de rejoindre le PMU. Une équipe chargée de réveiller cette belle endormie, peuplée de gens passionnés, d’experts qui je pense ne demandent qu’à repartir au combat mais sont en attente d’une vision.
Rétention, conversion, conquête. Voilà les trois mots clés.
 
La rétention, ou comment s’occuper des 10% de sa clientèle qui fait 90% du chiffre d’affaires. C’est cesser de lui proposer exactement le contraire de ce qu’elle demande pour ressembler à tout prix aux autres jeux d’argent. La rétention, c’est écouter ce qui disent nos clients, nos commerciaux, nos points de vente et revenir à la base, à l’ADN du pari hippique qui fait qu’on joue à nos jeux souvent de père en fils, parfois depuis des dizaines d’années.
 
Alors, je ne peux pas entrer dans les détails car les propositions concrètes doivent être validées par notre conseil d’administration mais celles-ci concernent tout ce qui permet de reconstituer des masses d’enjeux, de retrouver une vraie espérance de gains et le plaisir de jouer à un jeu de sagacité. Plusieurs décisions vont être prises en ce sens,  entre les sociétés mères et nous, autour du calendrier, de la gamme, du Quinté avec l’objectif d’être prêt en janvier. Ayons de l’empathie pour nos turfistes. Sans eux, je me permets de le rappeler, on ne serait pas ici ce matin. Et sans rétention, sans fidélisation, il n’y ni conversion ni conquête, il n’y a plus rien. Ce chantier est la priorité absolue.
 
Deuxième axe : la conversion ou comment transformer nos prospects, nos visiteurs d’hippodromes en parieurs, comment inciter les gens qui entrent dans un point de vente à préférer nos jeux, comment faire la différence sur internet. Cet axe, repose sur la simplification de notre univers aux yeux du client, j’y reviendrai.
 
Enfin troisième axe, la conquête ou comment redonner des signes aux 90% de la population qui depuis des années n’entend plus parler de nous. Sans forcément y voir des enjeux business immédiat : rependre la communication publicitaire, redevenir visible dans les médias, créer des événements et pourquoi pas demain de nouveaux jeux. Cela suppose d’être ouvert aux innovations.
 
Rétention, conversion, conquête. Empathie, simplification, innovation. Très vite, vous comprenez bien que les initiatives à prendre pour adresser concrètement ces trois objectifs dépassent de beaucoup le périmètre du simple opérateur de paris.
 
Le projet d’entité opérationnelle unique, de séparation des fonctions régaliennes et commerciales, date d’avant mon arrivée. Je ne vais pas en commenter la genèse ni même les discussions actuelles.
En revanche, je soutiens clairement l’idée d’un regroupement d’un maximum de métiers sous une même égide opérationnelle.
 
Contrairement aux sports classiques, qui ont conquis les foules bien avant de proposer des paris, les courses hippiques et les paris sont intimement mêlés depuis toujours. Les paris sont consubstantiels à l’intérêt pour les courses.
Bien que les activités soient totalement imbriquées, les différentes sociétés qui composent l’institution ont vécu des vies parallèles : les organisateurs de course n’ont pas toujours voulu reconnaître leur dépendance aux paris; l’opérateur, par sa politique de profusion, a fini par mettre les courses très en-dessous des paris, perdant de vue leur valeur sportive et de spectacle. Cela a continué à fonctionner tant que la concurrence n’existait pas, ou peu.
 
Pour durer, il est urgent d’intégrer un élément essentiel : c’est le client qui décide. Ce client, il faut le faire jouer, c’est notre modèle de financement quasi-exclusif. Or, pour celui-ci, de manière évidente, courses hippiques, hippodromes et paris hippiques composent le même ensemble.
Qu’il soit prioritairement attiré par le gain, le jeu, le sport ou le spectacle, il peut être touché par des points de contacts particulièrement nombreux (240 hippodromes, 13000 points de vente, une dizaine d’applications numériques) mais qui émettent des signaux trop dispersés pour être efficaces : les hippodromes accueillent le public sous des marques différentes et ne placent pas toujours les paris au centre de l’expérience ; les points de vente ne mettent pas en scène le monde des courses ; la médiatisation (Equidia et la presse hippique) ne s’adresse qu’à des hyper spécialistes ; enfin l’offre de courses (inlassable répétition tous les quarts d’heure) est épuisante et illisible.
 
Il est impératif de coordonner le tout pour reconstruire un univers ludique et convergent.
C’est cela que j’appelle la verticale hippique : une proposition claire, convergente, pour nos clients.
 
Cette proposition, chacun s’y attelle depuis des années mais cela va trop lentement. Pourquoi, parce qu’on a 3 châteaux et des soldats dans la plaine à qui on demande de s’entendre.
Ils s’entendent, mais sur le plus petit dénominateur commun : calendrier, marketing commun des courses, Equidia, datas etc.
 
Cette réponse n’est pas à la hauteur des enjeux.
 
Pour moi, dans la plaine, il y a le point d’intersection clé entre le contenu et le business, entre le sport, la sélection et les enjeux, entre les socioprofessionnels et les parieurs. Ce point d’intersection est clé puisque si l’on pousse trop fort d’un côté, on détruit la valeur.
Un calendrier de courses qui n’intégrerait pas les horaires d’ouverture des points de vente ou la capacité des grands hippodromes à générer plus d’enjeux mettrait notre financement en grand danger.
A l’inverse, un programme de courses qui ne respecterait pas les logiques d’entraînement ou de sélection au profit des seuls enjeux mettrait l’avenir de la filière en péril.
Aujourd’hui ces sujets sont discutés dans la plaine et arbitrés dans les châteaux. Je pense qu’une unité opérationnelle professionnelle et unique, regroupant les différentes compétences, à qui on fixe des objectifs d’équilibre bien précis et qui rend des comptes, serait bien plus à même d’arbitrer et d’avancer au quotidien. Elle serait capable de faire grossir le gâteau. Charge aux sociétés mères d’en repartir les parts.
 
Les ligues professionnelles de foot ou de rugby n’ont pas fait autre chose : elles ont développé un produit cohérent, efficace pour ses clients (pour elles : des diffuseurs) en prenant des décisions. Elles diffusent le PSG le dimanche soir. Elles ont fait grossir le gâteau. Mais les fédérations continuent d’avoir le final cut sur le calendrier, les contraintes médicales. Et les clubs eux –mêmes, représentés en CA, s’entendent sur la répartition des revenus. Le client a droit à un produit, clair et optimisé, le reste se règle en cuisine.
 
Voilà pourquoi, au-delà des synergies évidentes en terme de coûts, je défends cette idée de société opérationnelle. Une fusion qui n’aurait pour objectif que de faire des économies serait fastidieuse et aurait peu de chances de réussir. Une fusion avec une vision, qui viserait à mieux converger pour convertir ses clients, c’est complètement différent.
Et nous pourrions alors, beaucoup plus efficacement qu’aujourd’hui :
 
- Capitaliser sur le sport : la politique du « toujours plus » a tassé l’intérêt pour les courses, en diluant toute notion de qualité (il suffit de regarder les courses s‘enchainer sur Equidia ou les pages hippiques dans les journaux pour le comprendre) et transformant les courses hippiques en un support de jeu de hasard. Le sport est un atout qui doit être valorisé. A condition d’éviter les usines à gaz type Epic ou championnat quelconque, mais simplement de raconter la compétition telle qu’elle est sur place, dans notre communication et dans nos médias.
 
 
-Capitaliser sur le spectacle : autre atout, le spectacle des courses est magnifique et c’est un vrai élément distinctif. Mais il a aussi ses limites. Personne ne monte à cheval ou presque, et l’identification est difficile. Et le « climax » (la course en elle-même) est court et lointain. Il faut dilater ce temps. Sur place, un vrai travail reste à faire pour mieux profiter du spectacle (présentations, ligne d’arrivée mieux signifiée, écrans trop peu nombreux) : l’ensemble doit être théâtralisé. Le spectacle est le même depuis 150 ans. A la télévision, l’accès aux coulisses devrait être systématique. Il faut avoir le courage d’imposer des règles aux acteurs pour sauver leur activité.
 
-Capitaliser sur les nouvelles technologies : il est notable de constater que le tracking, pourtant une réponse à ces courses « frustrantes » car permettant d’augmenter la perception de leur durée en les proposant sous d’autres angles (à la fois sur place et en tant que second écran) n’est toujours pas déployé. D’autres innovations sont possibles. Avec un fort enjeu d’efficacité : une innovation qui prend 10 ans n’en est plus une.
 
-Charter l’expérience des principaux hippodromes : le même spectacle, la même expérience client, le parieur au centre. L’hippodrome est un levier majeur de recrutement. Il doit se transformer en enceinte sportive et de spectacle.
Et pour cela, et je le dis franchement, il faut resserrer, hiérarchiser, créer une forme d’élite :
-c’est à mesurer finement sous l’angle de la qualité des courses proposées.
-cela suppose de revoir le mode de répartition financière.
 
Mais si l’on se place du point de vue des enjeux mais aussi du spectacle, de l’image télé – qui est clé-, de la lisibilité, il est indispensable de concentrer un produit « élite » sur un nombre réduit d’hippodromes afin de construire un vrai produit premium. Encore une fois, le championnat de France de rugby se jouait à 80 clubs il y a 25 ans, je ne crois pas que le rugby ait eu à se plaindre d’avoir décidé de hiérarchiser pour créer une compétition lisible.
Le maillage territorial est important, mais chacun doit jouer son rôle.
Si vous prenez plaisir un dimanche sur un joli hippodrome de province, comment prolonger le plaisir sur la programmation de l’Equidia actuel ?
 
- Fédérer sous une marque et un marketing unique : le PMU est de loin la marque la plus connue, c’est sans doute sur elle qu’il faudrait investir en terme de contact client. La marque PMU est très peu présente dans certains hippodromes et souvent « cachée ». C’est à réfléchir mais au-delà des préférences pour l’une ou l’autre discipline pour certains de nos parieurs, il est fondamental de fédérer l’ensemble sous une marque unique ; c’est le seul moyen de ré-émerger vraiment dans le monde d’aujourd’hui.
 
Je terminerais en vous faisant part de mon expérience à l’Equipe. Quand je suis arrivé, il y avait un peu de désespoir, le journal perdait 10% de ses lecteurs chaque année, et beaucoup de temps et d’argent étaient perdus dans des activités de diversification improbables.
Qu’a-t-on fait ? On a regardé si au-delà de la baisse tendancielle de la presse papier, l’Equipe faisait encore son maximum pour plaire à ses lecteurs.  On a changé le directeur de la rédaction, retravaillé notre ADN, innové en changeant de format. On y a cru, on a amélioré le produit et ça a redécollé parce que, de même que les paris hippiques ne sont pas un jeu d’argent comme les autres, pour moi l’Equipe c’était pas « la presse ».
 
Et puis fort de ce succès, on a développé la télé, le numérique et supprimé les marques filles (Equipe 21, Equife.fr) pour tout appeler « L’Equipe ». C’était des filiales, on en a fait une entreprise (avec au passage des conventions collectives différentes mais on a géré). Les internautes se sont plus sentis sur l’Equipe, les téléspectateurs aussi, les salariés des filiales idem. Ca les a responsabilisés.
Et on a construit un vrai média global, respectant son ADN, innovant, simplifié, convergent et je crois aujourd’hui très efficace.
 
Avec un produit rêvé comme les courses et les paris, fort de ses spécificités qu’il ne faut pas travestir mais sublimer, je suis persuadé que l’on peut faire la même chose, en dix fois mieux !
 
Je vous remercie. »

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