L'étonnante histoire de l'Aga Khan dans le Juddmonte Grand Prix de Paris

12/07/2019 - Grand Destin
  Déjà le plus titré des propriétaires éleveurs dans l'histoire de cette épreuve, le prince Karim Aga khan va tenter de remporter son 8ème Juddmonte Grand Prix de Paris avec Kasaman. Depuis 24 ans, tous ses lauréats sont devenus étalons aux destins particulièrement inattendus. Lire cette étonnante histoire en partenariat avec France Galop.

 

 

1960 : CHARLOTTESVILLE (Prince Chevalier) - A. Head / G. Moore.

Avant qu'il ne se fasse dépasser par le Prix de l'Arc de Triomphe, le Grand Prix de Paris fut pendant longtemps la course la plus prestigieuse de toute l'année en France. Le grand Gladiateur l'a d'ailleurs emporté en 1965, 2 ans après sa création, dans la foulée de son envolée dans le Derby d'Epsom qui lui a valu son surnom de vengeur de Waterloo et sa statue sur l'hippodrome de Longchamp. 

 

 

 

Devant une foule extraordinaire de 100.000 personnes, dont le Général de Gaulle, l'Aga Khan remporte son 1er Grand Prix de Paris à 20 ans dans des circonstances funestes, avec le géant Charlottesville. Ce dernier est né au printemps 1957 pour le compte de l'Aga Khan III, le grand-père du Prince Karim. Mais celui-ci meurt à 80 ans en juillet de la même année. Il avait, juste avant son trépas, légué son titre d'imam des 10 millions s'ismaeliens nizarites à son petit-fils de 20 ans, le prince Karim, "zappant" alors le Prince Aly, qui récupère tout de même le très vaste héritage hippique. Mais le prince Aly est victime d'un accident de la route fatal le 12 mai 1957.

 

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Charlottesville sous la casaque d'Aly Khan

 

 Le mois suivant, le jeune Prince Karim enlève donc son 1er Grand Prix de Paris avec Charlottesville, un cheval élevé par son grand-père et ayant appartenu à son père, tout deux morts dans l'intervalle. Entrainé par Alec Head, alors âgé de 36 ans ,et monté par l'australien George Moore, le père de John et Gary, Charlotesville venait de remporter le Prix Lupin et le Prix du Jockey-Club. Seulement 6ème de l'Arc de Triomphe derrière l'énorme outsider Puissant Chef, il a été envoyé en Irlande, à Ballymany Stud, pour devenir un très grand étalon encore présent dans de nombreux pedigrees malgré sa mort précoce à seulement 15 ans. il avait quand même eu le temps d'être meilleur étalon d'Irlande, d'Angleterre et de France. En tant que père de mère, il revendique Top Ville, entre autres.

 


Le gris Sumayr, parti étalon en Australie puis en Nouvelle-Zélande.

 

1985 : SUMAYR (Ela-Mana-Mou) - A. de Royer-Dupré / Y. Saint-Martin
 
Au milieu des années 80, les courses de longues distances sont complètement passées mode et le Grand Prix de Paris, sur 3000 mètres depuis sa création, a perdu tout son prestige, devenant une voie de garage pour classiques ratés. Deux ans avant la 1ère réforme de la course, Alain de Royer-Dupré, qui vient de devenir depuis 3 saisons le 1er entraineur de l'écurie de l'Aga Khan, elle-même relancée par le Prince à la fin des années 70 avec les achats massifs des élevages Dupré et Boussac, présente Sumayr. Monté par Yves Saint-Martin, jockey de légende qui allait prendre sa retraite 2 ans plus tard, le fils d'Ela-Mana-Mou s'impose logiquement devant Exactly Rigt et Montecinto, car il était un vrai bon cheval, capable d'aller gagner ensuite le Preis Von Europa en allemagne, puis conclure 4ème du fameux Arc de Triomphe 1985, derrière Rainbow Quest et Sagace (1e rétrogradé), et entre Kozana et Fitnah. Devenu étalon, Sumayr n'avait pas de place d'étalon en Europe, où personne à part les Haras Nationaux ne voulait de stayer. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il a été exporté dans la patrie de pure vitesse, en Australie, avant de finir sa carrière chez les classiques de la Nouvelle-Zélande.
 
 
 
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Valanour
 
  
1995 : VALANOUR (Lomond) - A. de Royer-Dupré / G. Mossé
 
Magnifique cheval bai foncé, Valanour est un pur cheval de distance intermédiaire, pétri de classe, qui ne connait que les succès ou les échecs radicaux. Pas précoce, le fils de Lomond et Vearia a gagné en débutant en avril de ses 3 ans, a enchaîné aussitôt sur le Prix de Guiche (Gr.3) mais échoué dans le Prix Jean Prat (Gr.1). Alain de Royer-Dupré insiste tout de même et efface cette contre-performance par une démonstration de son pensionnaire sur la distance désormais de 2000 m d'un Grand Prix de Paris de haute volée, devant Singspiel, Diamond Mix, Torrentiel et Poliglote. Monté par Gérald Mossé, le mémorable jockey du Prince qui a tout gagné sous la casaque verte dans les années 90, Valanour échoue en septembre dans les Irish Champion Stakes mais remporte un nouveau Gr.1 à 4 ans le Prix Ganay (Gr.1), devant Luso, Swain, Spectrum et Carling.
 
 
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Valanour lors de sa 2e victoire de Gr.1 à 4 ans.

 
En tant qu'étalon, il a démarré sous de bonnes auspices au Haras de Montaigu mais s'est vite révélé être un piètre reproducteur. Il passera une longue fin de carrière à errer à travers la France avant de mourir dans l'oubli à 26 ans en mars 2018 dans sa dernière demeure du Haras de la Folie, chez Christian Canesson dans le Pas-de-Calais. Il été très mauvais au haras, en plat comme en obstacle, à l'image de tous les membres de sa famille qui ont tenté leur chance en tant qu'étalon (Vayrann, Valiyar, Yashgan, Natroun). Et pourtant, il a donné naissance à un formidable améliorateur, Voix du Nord, mort avant lui, mais père de multiple champions. C'est ainsi que Valanour a 3 petits-fils au haras aujourd'hui en lignée mâles : Chanducoq, Choeur du Nord et Robin du Nord.
 
 
 
Christophe Soumillon exulte en selle sur Khalkevi au moment d'une victoire qui semblait ruinée 500 m plus tôt. (photo APRH)
 
 
2002 : KHALKEVI (Kayhasi) - A. de Royer-Dupré / C. Soumillon
 
" Petit mais costaud ! " Le fameux slogan de la publicité pour les bonbons Petit Pimousse de la Pie qui Chante s'adapte parfaitement à Khalkevi. Meilleur fils de Kayasi, déjà un cheval très réduit en taille mais gagnant du Derby d'Epsom et du Derby d'Irlande, Khalkevi est le portrait craché de son père. Après 3 succès consécutifs, dont le Prix Hocquart (Gr.3), il a échoué dans le Prix du Jockey-Club où il s'est tendu et n'a pas respiré et se présente au départ du Grand Prix de Paris en phase de rattrapage. Le cheval est cette fois détendu et tout se passe bien mais il trébuche dans la descente et frôle la chute. Son jockey Christophe Soumillon se raccroche aux branches. Il parvient à se remettre en selle mais a tout perdu, notamment ses chances de s'imposer. Mais le cheval et son jockey détiennent un tel moral de vainqueur qu'ils reviendront de la dernière place dans la ligne droite pour revenir dans les dernières foulées prendre l'avantage d'une tête sur Shaanmer, tandis que Without Connexion sera 3ème devant Rashbag. Cette formidable remontée a marqué toutes les mémoires mais ce sera la dernière sortie de Khalkevi. Peu après, il effectue un galop public à Maisons-Laffitte, corde à gauche, afin de préparer une tentative à Arlington aux Etats-Unis. Mais à mi-tournant, il s'arrête brutalement, victime d'une fracture d'un membre aux conséquences qui auraient été fatales pour n'importe quel cheval...sauf pour Khalkevi. Petit mais costaud, doté dun moral d'acier, il survit et continue de s'alimenter pendant de longs mois de convalescence qui le contraignent à rester immobile voir couché au début !
 
 

Khalkevi aimait faire le spectacle aux présentations des Haras Nationaux.
 
 
Comme son rival d'un jour Shaanmer, Khalkevi a commencé sa carrière d'étalon aux Haras Nationaux. Mais contrairement au fils de Darshaan, qui s'est transformé en désastre génétique, khalkevi a transmis ses qualités et est devenu un reproducteur tout à fait remarquable. Aujourd'hui passé dans le privé, au Haras de la Croix Sonnet, âgé de 20 ans, il ne couvre qu'une vingtaine de juments par an au tarif pourtant modeste de 1500 €.  
 
 
 

A nouveau Christophe Soumillon fou de joie en selle sur Montmartre en 2008. (photo APRH)
 
 
2008 : MONTMARTRE (Linamix) - A. de Royer-Dupré / C. Soumillon
 
Voilà un cheval qui a fait couler de l'encre ! Issu d'une souche Lagardère, ce petit neveu du grand Kalaglow par Montjeu est né en 2005 chez l'Aga Khan peu après le rachat de ce dernier de tout l'élevage de l'ancien capitaine d'industrie défunt. Tenu en très haute estime par Alain de Royer-Dupré et Christophe Soumillon, qui en font même l'égal de sa contemporaine, la crack Zarkava, Montmartre efface son échec du Prix du Jockey-Club par une envolée dans le Grand Prix de Paris, dont la distance est désormais fixée à 2400 m. Ce jour-là, il fait très chaud et la piste est tellement rapide que l'entraîneur craint pour les tendons du poulain. En effet, il ne recourra plus. l'année suivante est celle d'un coup de tonnerre médiatique dans le monde de l'élevage. Alors que les convoitises sont nombreuses pour le recrutement du cheval, l'Aga Khan décide de vendre le cheval aux Haras Nationaux, avec une partie syndiquée aux particuliers sur la base de 12.500 € la part. Ces parts se vendent dans la nuit même ! L'annonce est divulguée un soir vers 21H00, et le lendemain à 7H30 tout est vendu. Montmartre arrive en grande pompe au Haras National du Pin, fleuron des futurs ex Haras Nationaux dans l'Orne. Mais le problème est que le cheval souffre d'un manque total de libido...au point qu'il ne peut saillir (et remplir) qu'une seule et unique jument en toute fin de sa 1ère saison de monte. Toutes les méthodes les plus loufoques ont été essayées pour lui donner le goût de la bagatelle. Finalement, il décrouvrira le plaisir du sexe après un automne entier passé en compagnie féminine dans les prés les plus isolés des 1000 hectares du domaine.
 
 

Montmartre et l'Aga Khan entourent Christophe Soumillon et Freddy Di Fede qui montait le leader. (photo APRH)
 
 
Enfin, la 2ème vie de Montmartre commence en 2010. Dès sa 1ère génération, le petit-fils de Linamix se révéle améliorateur dans les 2 disciplines avec de nombreux vainqueurs dont l'excellente Amour A Papa, 2ème du Prix de Diane (Gr.1). Celle-ci est née et est entraînée par Jean-Yves et Carole Artu, couple qui a été la 2ème famille de Christophe Soumillon, le jockey de Montmartre, dont ils sont restés très proches. Les Artu s'impliquent encore plus dans le cheval quand celui-ci passe sur le ring de Deauville en décembre 2014 dans le cadre de la clôture de l'activité d'étalonnage des Haras Nationaux. L'équivalent de la moitié de cet étalon qui a connu un très bon démarrage est vendu pour 180.000 € à un groupement d'éleveurs. Carole Artu devient la responsable de la syndication et Montmartre est envoyé au Haras du Hoguenet chez Anthony Baudouin. Sa libido est surveillée comme le lait sur le feu mais elle est bonne, au point qu'il ait pu honorer jusqu'à 166 juments en 2015 ! Agé aujourd'hui de 14 ans, Montmartre fait partie des étalons qui compte aujourd'hui en Europe, en obstacle avec Labaïk, Petite Parisienne, Bigmartre, Capitaine, Titi de Montmartre, Kalifko, Kalkir, mais aussi en plat avec Bébé d'Amour, Bello Matteo, etc...
 
 

Bekhabad, monté par Gérald Mossé.
 
 
 
2010 : BEKHABAD (Cape Cross) - JC Rouget / G. Mossé
 
Si la grande majorité de l'effectif français de l'Aga Khan est confié à Alain de Royer-Dupré, quelques éléments sont aussi envoyés chez Mikel Delzanges, le mentor aujourd'hui de Kazaman, ainsi qu'à Pau chez Jean-Claude Rouget. Parmi les plus grandes victoires de ce dernier, il y a eu l'infortunée Valyra, morte accidentellement peu après sa victoire dans le Prix de Diane (Gr.1), Ervediya, la 1ère star de Siyouni qui a mis l'étalon sur orbite, et Békhabad, lauréat du Grand Prix de Paris en 2010. En ce 14 juillet 2010, celui qui est alors le 1er jockey de l'Aga Khan, Christophe-Patrice Lemaire, est sur la touche. Soumillon a été remercié l'année précédente (il sera rappelé quelques années plus tard), donc Jean-Claude Rouget fait appel à l'expérimenté Gérald Mossé, qui connait la casaque par coeur pour en avoir été le 1er porteur avant l'ère Soumillon, dans les années 90. Celui qu'on surnomme Mossé la chance, ou l'homme des grandes occasions, va encore prouver son immense talent et décrocher la victoire aux dépens de Planteur, un vrai bon cheval.
 
 
Der Flug, un fils de Behkabad, a remporté une préparatoire au Kentucky Derby disputée au Japon fin mars.
 
 
Fils de Cape Cross, le père de Sea The Stars et Golden Horn, ne parviendra pas lui à gagner l'Arc de Triomphe, mais il s'y comportera très bien, terminant à la 4e place derrière Workforce, le japonais Nakayama Fiesta et son excellente compagne de casaque Sarafina. Tout le monde croyait donc qu'il pourrait gagner la Breeders'Cup Turf, mais il n'en terminera que 3ème. Le petit-fils de Béhéra, elle-même gagnante du Vermeille et 2ème de Tony Bin dans l'Arc de Triomphe, avait beaucoup d'expérience avant d'arriver au Grand Prix de Paris. Invaincu en 3 sorties à 2 ans, vainqueur du Prix des Chênes (Gr.3), il avait gagné le Prix de Guiche (Gr.3) devant No Risk At All avant de conclure 4ème du Jockey-Club de Lope de Vega. 2ème du Grand Prix de Chantilly pour son unique tentative à 4 ans, il a été vendu au Japon pour faire la monte à Yunshun Stallion Station, où il a sorti un très bon cheval cette année, Der Flug.
 
 
 

 

2017 : SHAKEEL (Dalakhani) - A. de Royer-Dupré / C. Soumillon
 
Le dernier gagnant de Grand Prix de Paris pour l'Aga Khan n'a pas marqué les mémoires. Fils du crack Dalakhani, qui n'est pas parvenu à faire aussi bien au haras, Shakeel débute par une modeste 3ème place sur 2000 m à 2 ans en novembre 2016, alors que son père, arrivé pour faire la monte en France au début de l'année, a finalement du prendre une retraite prématurée sans pouvoir assurer sa saison, Shakeel est un très bon cheval mais qui ne soulève pas l'enthousiasme qu'on peut voir chez un grand poulain princier. Cet arrière-petit-fils de Shemaka (Prix de Diane, Gr.1), est battu de peu dans le Prix Hocquart et le Prix du Lys, mais avec une monte diabolique de Soumillon qui a rasé les murs, il ne rate pas sa chance de décrocher le grosse timbale, le Gr.1, dans une édition du Grand Prix de Paris dont le niveau sportif est assez faible en cette édition 2017 disputée à Saint-Cloud pendant les travaux de ParisLongchamp. D'ailleurs, le cheval ne recourra plus et entrera en 2018 comme étalon dans un petit haras méconnu du County Meath en Irlande, Clongiffeen Stud, aux côtés d'ancêtres tels Laverock ou Mamool. Mais il n'y était pas resté pour sa 2ème saison en 2019 et on a perdu sa trace...
 

 

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