Prix du Jockey-Club: le chef a-t-il toujours raison ?

07/06/2010 - Actualités
Pour sa cinquième édition sur 2100 mètres, le Prix du Jockey-Club a sacré un fils du premier vainqueur de ce "faux derby" comme l’avaient nommé ses détracteurs de la première heure. C'est une victoire personnelle pour Edouard de Rothschild, qui sort du long tunnel de la calomnie.

 

L’effet d’une bombe. Une véritable déflagration dans le monde traditionnel, voire traditionnaliste, des courses.  C’était en 2004. Le prochain Prix du Jockey-Club se courra sur 2100 mètres ! Edouard de Rothschild fait un tabac. S’il avait voulu marquer sa présidence d’une pierre blanche, il n’aurait pu trouver meilleur dolmen. Soutenu chez France Galop par le gardien du temple familial Louis Romanet, la nouvelle a du mal à passer. D’autant que l’arrête n’est pas seule, elle s’accompagne de la colonne vertébrale toute entière de ce qui fait la sélection des meilleurs trois ans français depuis des décennies. Les Prix Hocquart et Noailles notamment sont aussi reliftés. Le Prix Lupin est sacrifié sur la place publique de la réforme. Le tollé est général. Le clan des défenseurs paraît bien maigre face à une armada de détracteurs plus remontés les uns que les autres ! Le tandem directeur de France Galop tient bon, fait dans la pédagogie post-opératoire, inspirée par le grand Muet de Chantilly, André Fabre, qui sera pourtant le 1e grand perdant avec Hurricane Run, dauphin de Shamardal en 2005 alors qu'il aurait gagné sur 2400 m.

 

Lope de Vega triomphe dans le Prix du Jockey-Club avec Maxime Guyon



Car plus que l’effet "on se souviendra de moi", Edouard de Rothschild réagit à la vision suivante : l’avenir appartient aux chevaux de distance intermédiaire, le marché des étalons le prouve, le Prix du Jockey-Club sera le carrefour où se retrouveront les meilleurs milers et les futurs 2400 mètres, les frileux d’Epsom traverseront la Manche et tous seront attirés par une allocation très, très élevée, la plus élevée pour les 3 ans d’Europe. Pour les adeptes de la distance classique, le derby irlandais reste une option et pour les plus hostiles au voyage, le Grand Prix de Paris se court sur 2400 mètres le 14 Juillet dans un Longchamp euphorique (ah qu’il est bon de rêver parfois…).

 

André Fabre tire les fruits d'une politique qu'il a lui-même inspiré au Président Edouard de Rothschild



Bref, derrière le cataclysme que représente un tel changement dans un monde où il faut quatre conseils d’administration pour admettre la remise à neuf du vestiaire des jockeys (oui on exagère mais c’est bon aussi parfois…), tout ça se tient mon bon Monsieur. Pas assez tout de même pour la très grande majorité des détracteurs qui n’obtiennent qu’un compromis : "rendez-vous dans cinq ans et nous ferons le point".


Tout comme dans le manuel


Et en ce dimanche 6 juin 2010 (encore un dimanche où on ne s’est pas ennuyé), en guise de débriefing, LA phrase : "Voir aujourd’hui gagner un fils du premier vainqueur de Jockey-Club sur 2100 mètres , lauréat auparavant de la Poule d’ Essai des Poulains et avec de surcroît le numéro 20 dans les stalles, ne peut susciter d’autre commentaire". Clouer le bec de ses opposants, voir le bout de l’interminable tunnel de la calomnie, avoir tout simplement raison. Le chef jubile. Edouard de Rothschild vient de commenter le succès de Lope de Vega dans le Prix du Jockey-Club 2010. Lope de Vega entrainé par André Fabre.

 

Shamardal après son succès dans la Poule d'Essai des Poulains

 

Cinq ans après son père Shamardal (lauréat pour Godolphin d’un petit nez devant le vainqueur moral Hurricane Run, propriété lui de Dietrich Von Boetticher, le propriétaire de Lope De Vega et lui aussi entraîné par André Fabre), Lope de Vega suit les traces de papa, titulaire également en son temps du doublé Poule d’Essai – Jockey-Club. Un doublé improbable dans le schéma précédent de la sélection des 3 ans et devenu le must du poulain frenchy.

 

Shamardal lors de sa victoire dans le Prix du Jockey-Club 2005, le 1e disputé sur 2100 m


 

Le 1e exemple depuis...Pharis !


Le Prix du Jockey-Club nouvelle version sacre donc des pur-sang de grande qualité, alliant vitesse et tenue, promis à un grand avenir au haras. CQFD.
Avant Shamardal (vainqueur ensuite des St James Palace Stakes à Ascot avant d’être retiré de la compétition), dans toute l’histoire de la course (quelle que soit sa version), vieille de 170 ans, 23 étalons avaient généré un vainqueur de Jockey-Club, mais seul Pharis (Jockey-Club 1939) avait réalisé l’exploit d’avoir un poulain issu de sa 1ère production vainqueur de la même course ! (Ardan en 1944)

L'autre décision: celle des partants


Plus qu’une démonstration, c’est une victoire personnelle,  assimile alors Edouard de Rothschild. D’autant que 72 heures avant la grande course, il avait demandé que l’on ressorte des tiroirs poussiéreux mais au combien utiles du Code des Courses, l’article qui permettait de changer les conditions. Pas question d’éliminer, c’est une circonstance exceptionnelle, il faut pouvoir courir à vingt-cinq, s’il y a vingt-cinq inscrits. "C’est une question d’éthique sportive" pouvait-on entendre alors au siège de la société mère.
Passer outre la logique jusqu’ici implacable de la médiatisation à travers le jeu et les sacrosaints "paris à la carte".  Là encore, autant dans le fond (la sélection doit-elle se faire dans un cadre illimité de partants, quantité et qualité vont-elles de pair et une course à vingt-cinq partants accouchera-t-elle forcément du meilleur élément ?) que sur la forme (on change les règles du jeu trois jours avant la course), la décision attire les foudres.

 

Dans la dernier tournant, devant le château, Lope de Vega devance un lot de 22 partants



Le PMU mis en garde par France Galop


Considérée comme une mise en garde à l’attention du PMU qui a limité ses tickets de jeu à 20 partants depuis des années et qui s’insurge à juste titre de ne pas profiter de la popularité et du prestige du Jockey-Club pour le quinté+, cette décision à la portée hautement politique est aussi (et surtout) un appel du pied (ou un clin d’oeil, ça dépend comment vous draguez) destiné aux opérateurs prêts à investir le marché français des paris hippiques sur le net à partir de…demain, ce c'est ce mardi 8 juin que l’ARJEL – autorité de régulation des jeux en ligne- délivrera ses premiers agréments. Résultat des courses ? Un quinté+ dans un handicap traditionnel, toujours rénumérateur et un volume d’enjeux gagnants sur le Jockey-Club atteignant un million d’euros d’après nos informations ! C’est trois fois plus que dans un quinté+ habituel. Et toujours selon nos informations, ce niveau de chiffre d’affaires a été atteint grâce aux accrédités, parmi lesquels quelques représentants de bookmakers étrangers venus se "couvrir". Le chemin qui a permis d’atteindre le but est certes discutable, le résultat incontestable.

 

Lope de Vega: mise en application d'une logique implacable...ou énorme coup de chance ?

 


Revenons au sport donc ! Finalement, ils furent 22, dont 1 leader à s’élancer sur…2100 mètres. La course fut limpide. Le vainqueur incontestable. Et même le tirage au sort n’a pas changé ladite vérité sportive. En partant tout en dehors avec la stalle n°20, Lope de Vega s’est offert du relief à son succès et un esprit de triomphe au président de France Galop.
Le chef n’a pas toujours raison, surtout quand il se trompe…ça lui arrive…forcément. Voilà pourquoi toutes les bonnes vieilles entreprises "à la papa" fonctionnent sur la foi de 2 règles. Règle n°1: le patron a toujours raison. Règle n°2: lorsque le patron a tort, se référer à la règle n°1...

Et la chance dans tout ça ?

PS: Il y a aussi un élément à prendre à considération aux courses: la chance ! Sans doute Shamardal est-il tout simplement un étalon exceptionnel de la trempe des chefs de race capables de produire des cracks du sprint au steeple-chase, sans doute Lope de Vege est un vrai pur dans une année sans concurrence, sans dote Maxime Guyon a monté une course diaboliquement simpliste, et que tout cet enchaînement magique est un énorme coup de pot. Après tout, le Prix du Jockey-Club 1984, remporté par Darshaan devant Sadler's Wells et Rainbow Quest tend à prouver que cette épreuve est la plus grande course de sélection de la race au monde, aussi bien que l'édition disputée juste un an plus tard en 1985, et remportée par Mouktar devant Air de Cour et Premier Rôle, semble démontrer qu'elle est la pire...En tout cas, comme on dit que la chance sourit aux audacieux, on peut constater que l'audace a été récompensée en ce jour de Jockey-Club avec une logique théorique qui prend d’emblée forme concrète dans la pratique.

Noël Entironz
 

Voir aussi...