Les jockeys noirs : pionniers oubliés des hippodromes américains

28/06/2025 - Actualités
Longtemps maîtres incontestés des hippodromes américains, les jockeys noirs ont peu à peu été écartés d’un sport qu’ils avaient pourtant façonné. Retour sur l’histoire méconnue de ces cavaliers d’exception, pionniers oubliés des courses hippiques aux États-Unis. Par Baptiste Bourgeais. 

 Willie Simms, un vainqueur de la Triple Couronne américaine


S’ils sont aujourd’hui ultra-minoritaires aux USA – Kendrick Carmouche et DeShawn Parker étant les seuls à avoir fait carrière ces dernières années – les jockeys afro-américains ont autrefois dominé leur sport. À la fin du XIXe siècle, quelques décennies après l’abolition de l’esclavage, l’industrie des courses hippiques est en plein développement. Ainsi, de nombreux enfants d’anciens esclaves américains travaillent dans des écuries de courses. Malgré les tensions raciales, les entraîneurs et propriétaires blancs font confiance à leurs jeunes salariés noirs pour monter et s’occuper de leurs chevaux. Les plus talentueux se voient même autorisés à monter en course.
 
 
 DeShawn Parker compte plus de 5000 succès 
 
 
Au début des années 1880, un jeune pilote noir nommé Isaac Burns Murphy s’impose rapidement comme le meilleur jockey du pays. Maestro en selle, il enchaîne les succès comme des perles. En 1884, il crée la sensation en devenant le tout premier jockey de couleur à triompher dans le Kentucky Derby, épreuve qu’il remportera de nouveau en 1890 et 1891. Avec son ratio hallucinant de 44 % de victoires en carrière (record qui tient toujours), Murphy a pavé la voie pour d’autres jeunes issus de sa communauté. Âgé de seulement 15 ans, Lonnie Clayton lui succède en s’adjugeant le Kentucky Derby 1892, un record de précocité qui n’a toujours pas été égalé.
 
 
 Isaac Burns Murphy
 
 
Toisant seulement 1m43, Willie Simms, un jeune jockey noir natif du Kentucky, va révolutionner durablement les courses américaines, et même mondiales. À cette époque, les jockeys montaient très long. Simms décide quant à lui de raccourcir ses étrivières afin d’adopter une position plus aérodynamique. En 1895, alors qu’il était déjà vainqueur de la Triple Couronne américaine, il s’impose en Angleterre dans le Crawfurd Handicap, un véritable séisme à l’époque. Cette monte, jamais vue, fut baptisée « un singe sur une branche », une analogie bien entendu raciste. Quelques saisons plus tard, un autre jockey américain, blanc cette fois-ci, Tod Sloan, remportera lui aussi plusieurs grandes épreuves anglaises avec cette « nouvelle monte ». Celle-ci s’imposera alors durablement en Europe, et Sloan fut largement crédité de cette révolution qu’il n’avait pourtant pas initiée.
 
 
 Willie Simms et ses étriers plus courts que ses rivaux
 
 
Alors que les jockeys noirs dominent outrageusement leur sport, les tensions raciales ne cessent de s’intensifier au tournant du XXe siècle. Des syndicats de jockeys blancs s’organisent pour faire pression sur les entraîneurs et propriétaires, afin de boycotter leurs collègues noirs. Ils n’hésitent pas à adopter des comportements dangereux à leur encontre durant les courses, allant même jusqu’à les faire tomber. Au fil des années, même si aucune loi n’interdit explicitement aux Noirs de monter en course, le refus de délivrer des licences, les violences physiques et psychologiques font qu’il n’y a plus aucun jockey noir parmi l’élite. Certains, comme Jimmy Winkfield, dernier noir vainqueur du Derby en 1902, choisissent de quitter le pays pour s’installer en Russie. Progressivement, les Noirs se détournent de la filière, et sont notamment remplacés par les jockeys mexicains, portoricains et sud-américains.
 
 

Cliché pris avant l'exclusion progressive des jockeys noirs des pelotons

Voir aussi...