L'histoire de DNA Pedigree: Epinard, l'aventurier de Civrac

08/04/2020 - Grand Destin
Après l'histoire du champion d'obstacles Red Rum la semaine dernière, Thierry Grandsir (DNA Pedigree) vous conte aujourd'hui celle d'Épinard, un champion des courses en plat élevé par Pierre Wertheimer et dont les exploits en piste, aussi bien en France qu'à l'étranger, ont valu à ce dernier de faire la connaissance d'une certaine Coco Chanel, le symbole de l'élégance à la française.

 

Epinard (1920-1942), par Badajoz et Epine Blanche (Rock Sand)
 
 
Toute femme et tout homme épousant le métier d’éleveur partage le même rêve, élever un Champion, et ce si possible dès le premier foal. Utopique ? Certes non. Pierre Wertheimer, qui nomma son premier poulain Epinard, est la preuve incarnée de cet espoir ultime.
 
 
L’histoire commence au printemps 1920 à Civrac, charmante commune du Médoc, avec la naissance d’un foal alezan par le solide mais tardif Badajoz (dix-sept victoires dont le Grosser Preis von Baden) et la jument Epine Blanche, une fille du Champion et Chef de Race Rock Sand considérée jusque là comme totalement stérile. De fait, elle n’aura jamais d’autre produit vivant que celui qui deviendra, entre les boxeurs Georges Carpentier et Marcel Cerdan, le héros de l’esprit populaire d’antan…
 
Particulièrement précoce et doté d’une vitesse prodigieuse, Epinard était entraîné par le « sorcier de Maisons-Laffitte », Eugène Leigh, un américain exilé en France pour avoir tout joué et … tout perdu sur l’un de ses chevaux. Direction Deauville le 11 août 1922, pour débuter dans l’important Prix Yacowlef et y appliquer ce qui sera sa tactique favorite durant toute sa carrière de sprinter : partir devant, prendre le large en dix foulées, et finir la tête au poitrail devant des adversaires à l’agonie…
 
Epinard l’emporta par cinq longueurs ce jour là, devant un public illustre : le roi d’Esapgne Alphonse XIII, le maharadja de Karpurthala, Mistinguett, André Citroën, et même un parieur anonyme, Ernest Hemingway, qui confessera plus tard : « Epinard a gagné dans une brise, et j’ai pu subvenir à mes besoins pendant six ou huit mois grâce à mes gains ! ». Pour qui sonne le glas ? Pas pour lui ce jour-là…
 
Epinard remporta encore quatre victoires impressionnantes durant sa saison de juvenile dont le Grand Critérium et le Prix de la Forêt (aujourd’hui Gr.1), obtenant le titre de Champion des 2 ans, puis cinq succès l’année suivante dont le Prix d’Ispahan (Gr.1 - 3 longueurs devant Zariba) et le Prix du Gros-Chêne (Gr.3). L’absence d’engagement classique, un oubli de son jeune propriétaire, l’orienta sur un programme atypique pour celui que la foule avait surnommé « le cheval volant » : les gros handicaps anglais, aussi richement dotés que populaires.
 
 
 
 
Ecrasé d’argent par les mises de son propriétaire, l’aventurier de Civrac Epinard se promène dans la Steward’s Cup à Goodwood. Une performance qui lui vaudra de porter le plus gros poids jamais attribué à un 3 ans dans le Cambridgeshire Handicap, d’où une courte défaite derrière Verdict (encolure) mais devant l’excellent Pharos. Pierre Wertheimer est présenté au roi George V…
 
Au printemps suivant, un match est organisé à Saint-Cloud entre Epinard et le Champion Sir Gallahad III, ce dernier l’emportant d’une courte encolure avec dix livres d’avantage, en établissant le nouveau chrono record des 1300 m devant une foule des grands jours. Entre temps, Pierre Wertheimer avait fait la connaissance de Coco Chanel, une authentique fan de son champion. Elle venait de créer son parfum numéro 5, et cherchait un partenaire pour le commercialiser.
 
 
 
Epinard, lors de son débarquement à New York en 1924
 
 
L’association entre Pierre Wertheimer et Coco Chanel n’est pas étrangère au défi américain qui sera proposé au cheval en 1924 : le 4 ans Epinard sera l’ambassadeur de la marque. Il embarque à Cherbourg sur le Berengaria, navire spécialement aménagé pour lui, en compagnie de son lad Dick Williams et de son chien mascotte Peter. On n’oubliera pas de charger les quarante barriques d’eau d’Evian, sa consommation personnelle…
 
Eprouvé par quinze jours d’une mer démontée, Epinard découvre le dirt américain à l’occasion de trois gros handicaps dans lesquels il se classe chaque fois deuxième, battu de peu (sur 1000, 1600 et 2000 m). On organise alors une quatrième manche, la course de trop, mais Epinard rentrera en France avec le titre de US Champion Older Male Horse !
 
Epinard entama sa carrière d’étalon la saison suivante en Normandie, à Saint-Léonard-des-Parcs, en alternance avec plusieurs saisons de monte aux USA. Capturé par les nazis en 1941, Epinard est retrouvé à Chartres attelé à une charrette… Info non confirmée, bien que diffusée sur Radio Vichy en décembre de l’année suivante à l’annonce du décès de Epinard à Saint-Léonard, à l’âge de 22 ans.
 
Epinard laissa derrière lui une lignée mâle qui perdurera un demi-siècle, grâce à des étalons du calibre de Rodosto notamment. La casaque Wertheimer a connu tous les succès depuis, en particulier avec la championne Goldikova qui vengea son vieux compagnon de couleurs en remportant trois éditions successives du Breeders’ Cup Mile (Gr.1). Une Goldikova dont l’un des ancêtres se nomme … Epinard !
 
 
 
 

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