Jésus-Christ Rouget : 69 ans, 7.000 victoires, le coursier de l'éternel

06/08/2022 - Grand Destin
Ancien coureur de demi-fond, Jean-Claude Rouget a remporté à 69 ans la 7.000e victoire de sa formidable carrière d'entraîneur, entamée à 25 ans à Pau. Et ce grâce au débutant de 2 ans de l'Aga Khan Rajapour, un fils de son ancien pensionnaire Almanzor, dans le très convoité Prix de Crèvecoeur. Surnommé "le grand" parce qu'il est grand, d'apparence faussement froide masquant une grande sensibilité, ce passionné d'histoire reste un personnage totalement atypique.


Depuis 50 ans, Jean-Claude Rouget, l'ancien champion de Bretagne sur 1.500 m, déploie ses grandes foulées en laissant des adversaires manifestement asphyxiés ...

 

Que de symboles. Très ému, jamais blasé, Jean-Claude Rouget décroche en ce jour de gloire du 6 août 2022, 13 jours avant son 69e anniversaire, la 7.000e victoire de sa carrière d'entraîneur avec Rajapour, sous la casaque de Son Altesse l'Aga Khan. Ce dernier a été la 2e grande casaque classique à lui confier un effectif, après le libanais Issam Farès qui lui avait fait confiance dès 1985. Dans les 15 dernières années, Rouget a obtenu de nombreux succès avec les Aga Khan, certains au plus niveau comme Behkabad dans le Grand Prix de Paris (Gr.1) en 2010, ou Ervedya dans les Coronation Stakes (Gr.1) et le Prix du Moulin de Longchamp (Gr.1) en 2015. Mais cette année, l'association Aga Khan/Rouget a franchi un nouveau palier avec le champion Vadeni, lauréat du Prix du Jockey Club (Gr.1), puis des Eclipse Stakes (Gr.1) à Sandown Park en Angleterre.

 


Rajapour, vainqueur du Prix de Crèvecoeur sous la selle de Christophe Soumillon (photos APRH)

 

Et voilà que le même duo remporte le Prix de Crèvecoeur, une course pour mâles & hongres débutants très convoitée, avec Rajapour. L'Aga Khan avait déjà brillé dans cette course avec Astarabad ou plus près de nous Vedevani - qui n'ont couru qu'une fois ou deux à 2 ans -, mais il est vrai que cet élevage n'est pas spécialisé dans les 2 ans d'été (Siyouni fut une exception confirmant la règle). Notons tout de même que la mère Raydara avait gagné un Gr.2 au mois d'août de ses 2 ans au Curragh, chez Michael Halford.

 


Jean-Claude Rouget : la classe !

 

Cette 7.000e victoire, dans une épreuve réservée aux entraîneurs du cercle ultra-classique dont il a longtemps été rejeté, a une saveur d'autant plus particulière qu'elle survient avec un fils de son ancien pensionnaire, Almanzor, le champion d'Europe 2016. Présenté comme un outsider et confié à Jean-Bernard Eyquem, le vieux complice "de province" de Jean-Claude Rouget, Almanzor avait remporté le Prix du Jockey Club puis, repris par Christophe Soumillon, enchaîné par les Irish Champion Stakes de Leopardstown et les Champion Stakes d'Ascot.

 

Trois générations de Rouget dans les courses

 

Son grand-père, Raymond Rouget, fut directeur du Haras de Manneville en Normandie. Son père, Claude Rouget, dirigea quant à lui l'élevage du fameux Jean Stern avant d'entamer sur le tard, à 39 ans, une grande carrière d'entraîneur dans l'Ouest. Jean-Claude Rouget a l'élevage et l'histoire dans le sang ainsi que le sport, car il a pratiqué à haut niveau la course de demi-fond dans sa jeunesse. Mais à 25 ans, il se lance dans le grand bain ... à Pau. Cette idée paraît saugrenue pour ce grand garçon distingué, pour lequel toutes les portes s'ouvraient à Chantilly. Mais celui qui porte les initiales de Jésus-Christ marche sur l'eau dès ses premiers pas. Et depuis 44 ans, il galope toujours plus vite chaque année.

 


Jean-Claude Rouget à l'époque de ses débuts, accompagné ici par Pierre Sobry avec un cheval monté par Christian Quinette.

 

2 CV et 2 chevaux pour débuter à 25 ans

 

Les piliers du Sud-Ouest tels Jean Biraben et Mathieu Daguzan-Garros, se rappellent avec émotion du grand sifflet à la voix de baryton, surmonté d'une vaste chevelure bouclée, débarquant dans le centre d'entraînement de Sers au volant d'une modeste 2 CV et amenant avec lui 2 pensionnaires éclopés. Mais l'avantage avec les génies, c'est qu'ils rendent les miracles permanents. Car dès sa première année, il remporte 14 victoire : 6 en plat, 8 en obstacle. Son 1er partant est un coup de maître : Bonne Alliance, pouliche de 4 ans, gagne à Pau le 8 février 1978 dans une course de haies à réclamer. Le 18 mai suivant, l’écurie ouvre son palmarès en plat à Eauze avec Fleur du Soleil, une pouliche de 2 ans par l’étalon en vogue du Sud-Ouest Montfleur, montée par Laurent Pinaud et appartenant à Mme Gérard Laboureau. C’est tout naturellement en obstacle, lors de son succès dans le Grand Prix de Pau 1982, que Jean-Claude Rouget selle son premier gagnant dit classique, Jaccoud (propriété de Pierre Sicot). Il rééditera dans ce même Grand Steeple en 1984 avec Lucas (Claude Gour), et en 1987 avec Jemirkhan (Jean-Pierre Rios). Aujourd'hui oubliée, cette passe de 3 Grands Prix de Pau en 6 ans avec 3 chevaux différents reste un exploit.

 


L'inoubliable Millkom offre à Jean-Claude Rouget ses 2 premières victoires de Gr.1 en 1994.

 

Les premiers flirts classiques il y a 35 ans.

 

En 1988, à Bordeaux et à Toulouse, l’écurie fait mouche en remportant les deux Derbys du Sud-Ouest pour Claude Gour, avec Lucky Ship et Century Port. En 1989, il selle son premier partant (Cut My Heart) en plat dans un Groupe parisien, le Prix Robert Papin (Gr.2), dominé par les pouliches Ozone Friendly, Zinarelle et Mill Lady. C’est le 19 octobre 1991 qu’il obtient son premier succès dans un Groupe en plat, le Prix André Baboin (Gr.3) (Grand Prix des Provinces) au Bouscat avec Flanaghan Cocktail, monté par Philippe Dumortier et portant les couleurs de Jean-Michel Lorca, l’un de ses premiers propriétaires. En 1991, avec 180 victoires, Jean-Claude Rouget dépasse le record détenu par François Mathet depuis 1972, qui était de 173. Il atteint en 1994 le record fabuleux de 242 victoires, dont ses 2 premiers Grs.1 avec Millkom (Cyrano de Bergerac) à Longchamp le 29 mai dans le Prix Jean Prat, couru sur 1.850 m, puis un mois plus tard dans le Grand Prix de Paris sur 2.000 m, tous les deux montés par le jeune Jean-René Dubosc. Le représentant de Jean-Claude Gour avait réussi l’exploit de triompher dix fois consécutivement, avant son échec dans le Prix de l’Arc de Triomphe de Carnegie. En 2010, Jean-Claude franchit le cap des 5.000 victoires.


Jean-Claude Rouget et Jean-Bernard Eyquem, après le Prix du Jockey Club 2016.
 

Les hauts, le bas, les hauts


En 2016, Jean-Claude Rouget réalise une année incroyable avec 173 victoires rien qu'en France et un nombre incalculable de Groupes et Listeds avec des champions comme Almanzor, La Cressonnière, Zelzal, Qemah, Taaref, Jemayel, Mekthaal, Al Wathna, Ervedya, Sotteville, etc ... Il fait notamment le doublé des classiques de Chantilly (Jockey-Club/Diane), qui lui avaient si longtemps échappé.

L'année suivante est pourtant noire, car une épidémie touche son écurie paloise. Mais le grand est combatif et philosophe. Il remonte la pente et devient encore plus fort. Il construit même une 2e écurie de 80 boxes à Deauville. Longtemps considéré comme le meilleur entraîneur ... de province, et incapable d'être un vrai "classique", Jean-Claude s'est transformé en machine à gagner toutes les courses, des petites aux plus grandes, y compris l'Arc de Triomphe avec Sottsass en 2020 ! Et il accumule les succès dans les Jockey Club et les Diane, après lesquels il a couru si longtemps jusqu'à la libération grâce à Le Havre et Stacelita, en 2009.

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