Qui était vraiment Claudie Poirier, grande dame d'action et de volonté ?

16/02/2024 - Grand Destin
Claudie Poirier, fondatrice et animatrice passionnée de l'Ecurie des Mottes depuis un demi-siècle, Claudie Poirier a trouvé la mort brutalement dans un accident le lundi 12 février, en travaillant dans sa maison. Toujours en pleine forme à 75 ans, elle poursuivait une vie d'action permanente avec une volonté et une énergie inaltérable. 9 ans après la perte également accidentelle de son fils aîné Yann, elle laisse endeuillée son époux Joël Poirier, autre figure du monde des courses, et son fils cadet Arnaud , le fondateur de France Sire, une entreprise dans laquelle elle était aussi très impliquée au quotidien. Son neveu Willy Flambard livre ci-dessous le récit d'une vie dirigée par un seul mot d'ordre : Droit devant.


 

 Elle était née en 1948 dans le Maine-et-Loire, à Rochefort-sur-Loire, à 2 pas de l'hippodrome où elle posa tant de fois plus tard sur les photos des vainqueurs. Mais Claudie Poirier n'est pas du tout issue d'une famille des courses. Elle qui n'a jamais connu son père, elle répond d’abord aux injonctions familiales d’une mère diplômée, sage femme, au parcours marqué par une autre époque et les ravages de la deuxième Guerre mondiale. Veuve de guerre à 30 ans, cette dernière élèvera six enfants avec, comme objectif, le devoir de faire de sa vie une aventure réussie. L’un sera lieutenant sur le paquebot France, une autre passionaria des luttes syndicales au sein de la fonction publique, ce qui n'empêchera pas celle qu'on surnommait "Mimi" de fréquenter assidûment les bars à champagne des hippodromes. Claudie Poirier endossera le rôle de l’entrepreneuse, de celle qui lance des projets, les porte et les réussit. Avant cela, elle passe un bac littéraire et commence en tant qu’institutrice remplaçante. Il lui en restera un goût du savoir et de la culture générale, de la transmission, de la curiosité permanente. Elle quittera vite cette fonction, aimant pourtant les enfants, mais beaucoup moins les parents d'élèves !. Déjà son tout premier salaire avait servi à payer la pension de son premier cheval de courses, un certain Lézard Vert.

 


L'une de ses dernières photos, prise par sa petite-fille de 8 ans Alice le 23 novembre 2023, dans la maison de son fils Arnaud
 

Car très vite, le cheval va entrer dans sa vie. D’abord sous le trait du loisir. Notamment sur les bords du Lac de Maine, en bordure d’Angers. Et par la rencontre d’un homme dingue, lui aussi des « canassons » et de l'esprit d'aventure que cet univers représente. Joël Poirier est alors restaurateur à Angers. De dix ans son aîné. Et il voit passer dans son resto ouvrier, non loin de l’université catholique, des jeunes qui parlent cheval et courses, comme Ghislain Drion, le futur directeur des Aga Khan Studs, à l'époque fauché et qu'il nourrit gratuitement pendant plus d'un an pourvu qu'il lui raconte des histoires de chevaux. Il est fasciné. Baroudeur, homme d’action, il apprend vite à monter à cheval avec un autre fidèle client, un jockey de légende nommé Maurice François. C’est à cheval qu’il croise un jour « une belle blonde ». Coup de foudre. Mais Claudie Poirier met à l’épreuve le soupirant. Et pour cause, l’homme est son contraire, mais il deviendra son double pour la vie. Joël Poirier divorce pour se marier avec sa blonde. C’était il y a 55 ans. Ils ne sont jamais quittés, elle comme conceptrice des projets, organisatrice, gestionnaire, lui comme réalisateur du quotidien.

 


Au téléphone avec son mari Joël après la victoire de Farlow des Mottes dans le Prix Murat, entrainé par François Nicolle. Elle partage ici cette victoire au côté de sa soeur aînée Mimi (à droite), autre figure incontournable des hippodromes.

 

Lui restaurateur et elle institutrice, ils entreprennent une vie de saltimbanques en tant que camelots sur les marchés. Innovateurs, ils inventent le métier de soldeur en revendant à bas prix des lots achetés en vrac dans les surplus d'usine. Ils sont regardés comme des hurluberlus mais les affaires fonctionnent en l'absence des grandes surfaces. Et aussitôt la création du tout premier Euromarché à Angers (à l'emplacement de l'actuel Centre des Congrès), Claudie lance sa 1ère bijouterie en s'installant en face des caisses. Evidemment, tout le monde les prend pour des fous, tellement incongru de proposer des bijoux, symboles de luxe et de richesse, à une clientèle jugée modeste. On connaît la suite.


 

 

Parallèlement, Claudie et Joël Poirier vivent de plus en plus pour les courses. Ils achètent des premiers chevaux qui gagnent comme Joyeux Maine. À Soucelles, dans les années 1970, ils acquièrent et louent des terres. Le couple se lance dans l’élevage. Vertavienne sera leur première jument. Difficile et même dangereuse, son box est interdit aux étrangers. Elle donnera l’emblématique Légo des Mottes, un bon cheval de cross des années 1980. Sa descendance comprend les excellents Disco des Mottes et Echo des Mottes, deux vainqueurs importants à Auteuil. Vite aussi arrive Anaretta détentrice d’un record sur 1.500 mètres à Longchamp qui tient toujours. Et pour cause le parcours n’existe plus… Elle a été achetée à Angers sans réfléchir. Après avoir pris un ou deux verres de trop, ils décident d'acheter le gagnant du réclamer, quel qu'il soit, dans la course suivante.

 


Sur les marchés


A la bijouterie

 

C'était elle, l’exact contraire de Vertavienne. Peureuse et craintive, elle donne des chevaux de vitesse. Le Cam, leur tout premier gagnant en tant qu'éleveur, en débutant à 2 ans, Puma des Mottes, un guerrier des handicaps, la première pépite, Kaldetta, 2e des Rêves d'Or à Vichy, et Tarzan des Mottes. Ce gagnant de Listed à 2 ans à Longchamp sera vendu et exporté aux Etats-Unis en 1988. Une consécration absolue. Quelques années plus tard, Satan des Mottes remporte le Prix Cambacérès (Gr.1) à Auteuil. Elie Lellouche est leur entraineur à Paris. Les Poirier ont même été les tout premiers clients à confier un cheval à l'ancien jockey de handicaps. Plus de 40 ans plus tard, l'entrainenur qui a tout gagné dans le monde selle son dernier partant, Made to Lead, qui s'impose en débutant le 14 décembre 2017 à Deauville. Cette pouliche avait été achetée par Claudie Poirier yearling à la vente Osarus du Lion d'Angers.

 

 
Au côté de son défunt fils Yann Poirier, avec son mari Joël et son 2e fils Arnaud après le succès en débutant de Ronaldo des Mottes au Sables d'Olonne, entrainé par Cyriaque Diard et monté par Laurent Huart.

 

Claudie et Joël organisent leur vie autour et pour leurs chevaux. On discute courses, croisements, étalons, résultats à table, du matin au soir. C’est dans cette ambiance que grandiront Yann, né en 1970, et Arnaud, cinq ans plus tard. Les deux passent leur bac, avec la marge des gens doués qui travaillent peu. Les deux montent parfaitement, passant leurs vacances chez les entraîneurs de la famille, notamment Henri Bidon, Etienne Leenders. Champion de billard et de babyfoot, ce qui lui prend bien sûr trop de temps pour se consacrer aux études, Yann partira à 19 ans en Irlande pour découvrir l’élevage à grande échelle et le débourrage. Sa mère l’encourage. Le projet l’inquiète mais l’intéresse.

 

 

Le jeune homme arrive avec l’anglais balbutiant. En un an, il est bilingue. Il fera ses classes chez l’Aga Khan, côtoyant les stars d’alors, Sharmeen, la mère de Shergar, Darara, Behera. Il décroche avec brio le diplôme de l’Irish National Stud, une référence internationale dans l’univers du pur sang, Il connaîtra le Curragh comme sa poche, montant à l’entraînement chez Jim Bolger et d’autres. Il intègre une nouvelle structure pour le débourrage, dans le flambant neuf Kildangan Stud de Cheik Mohammed Al Maktoum. À 22 ans, Yann revient en France avec un projet fou : faire du débourrage à grande échelle pour les entraîneurs. Le concept n’existe pas alors en France. Claudie Poirier évalue, souspèse et le conforte dans son choix. Avec Joël, ils l’aideront à s’installer

 


En 2022, sous l'entrainement de Julien Jouin, Janou remporte en débutant au Lion d'Angers le Prix Yann Poirier, qui rend hommage au fils de Claudie Poirier, un grand homme des courses disparu tragiquement le 9 février 2015.

 

En 1993, est lancée à Soucelles, non loin de la maison familiale, la construction du Haras du Chêne, précurseur du débourrage en France. Le succès est au rendez-vous. Claudie Poirier prend en charge la gestion et l’administration. Pendant les travaux de construction, Yann a lancé son activité sur l'ancienne piste de Michel Hardy, ami de toujours, qui avait même entrainé pour Claudie dans sa jeunesse. L'incontournable maman accueille pendant un an chez elle un jeune irlandais nommé Brendan Walsh venu travailler au côté de Yann, avant de devenir aujourd'hui un grand entraineur classique aux Etats-Unis. Peu après, elle logera pendant plusieurs mois le grand et si doué Nicolas Bompas, installé depuis en Australie. Claudie considérait les 2 garçons comme ses fils.

 


Dans les bureaux de France Sire, un ancien café épicerie qui a conservé son bar ! on reconnaît au fond, le grand Guénaël Reniier, le responsable d'élevage.

 

De son côté, Arnaud Poirier s’est lancé dans le journalisme dès son bac en poche. De correspondant local pour Paris-Turf, il grimpe vite et haut, avec toujours l'écrit et la TV en parallèle. Il fait ses débuts à France 2 (A Cheval) et France 3 (Faut Pas Rêver) dès 20 ans. Il passe par la case parisienne de l’hebdomadaire Weed-End, puis en 2001, intègre Equidia et y devient l’un des premiers chefs d’édition des directs. Le jeune homme a voyagé partout dans le monde pour les courses, notamment de nombreuses fois pour retrouver son frère en Irlande, s’est construit une rare culture hippique et maîtrise tous les rouages de la communication. En 2008, il lance France Sire avec les encouragements de sa mère, qui s'était énervée du fait de ne pas pouvoir trouver sur un internet pourtant encore primitif les informations sur l'étalon Antarctique auquel elle voulait envoyer une jument à la saillie. Le constat de l’époque est simple et génial : il faut créer un lieu unique avec toutes les informations d’élevage, notamment sur les étalons. France Sire est un succès et est devenu plus de quinze plus tard, l’incontournable média sur les courses de galop. Audace, projet, envie.

 


A Rochefort/Loire, son village de naissance, après la victoire de Heaven Tune, sous la casaque familiale, entrainée
par Joël Boisnard. Avec Joël Poirier, Lise Hallopé, Arnaud Poirier, ainsi que (à droite), Michel et Marie-Hélène Veron, les amis de toujours.

 

Et derrière tous ces succès, Claudie Poirier était la vigie intraitable. Tous les jours, elle allait au Haras du Chêne jusqu’au décès de Yann, survenu accidentellement en février 2015, jouant la parfaite intendante. Tous les jours, jusqu’au lundi fatal, elle pénétrait dans les bureaux de France Sire, avec une précision métronomique,« à 11h52, une heure intelligente » relate avec humour son fils Arnaud. Elle était là encore l’intendante de l’ombre, indispensable. Appréciant la compagnie des jeunes pleins d'enthousiasme autant qu'elle détestait celle des vieux qui se plaignent toujours de quelque chose, Claudie Poirier, jamais malade et toujours en verve, passait une bonne partie de sa vie avec l'équipe de France Sire, souvent autour d'un verre avec Lise Hallopé et tous ses chers ouailles.

 

 

Et depuis la vente en 2001 de ses bijouteries, elle était aussi le bras droit de son mari à l’élevage. Combien de kilomètres a-t-elle faits, seule, avec son camion pour emmener une jument à la saillie ? Avec une vingtaine de poulinières depuis trente ans, l’élevage des Mottes n’a jamais connu de temps morts. La signature des Mottes a été généralisée au début des années 1980. Farlow des Mottes, Pamella des Mottes, Honda des Mottes, Falbala des Mottes, Adriana des Mottes et Ocastle des Mottes l’ont portée dans la sphère des Groupes et Listeds ces dernières années. Des chevaux élevés en association, comme Trifolium et Kara Diamond, ont aussi rayonné à haut niveau, la seconde pas plus tard que l’an dernier.

 


Avec le gourmand Willy Flambard, son neveu, auteur de ses lignes, pris sur le fait...

 

Les associations auront aussi été au cœur des projets hippique de la famille Poirier. Eleveurs/vendeurs souvent, ils n’hésitent pas à composer des associations autour de leurs représentants. Et là, de belles rencontres avec des hommes et femmes qui auront joué dans leur vie un rôle de premier ordre. De Jean-Pierre Timmers, dit « Le grand », le complice des débuts, à Nelly et Pierre de la Guillonnière, depuis près de 40 ans, associés et comparses dans tous les étalons, en passant par Michel et Marie-Hélène Véron, les copains de toujours, les histoires d’amitiés hippiques sont nombreuses. Même constat avec les entraîneurs. La réussite se construit sous les sceaux de l’amitié et de la confiance. L’ensemble formant un puissant moteur – citons Michel Hardy, Henri Bidon, Elie Lellouche, Philippe Bourgeais, Etienne Leenders, Donatien de Beauregard, Camille et Philippe Peltier, Alain Couétil, Fabrice Foucher, Joël Boisnard, François Nicolle, Gabriel Leenders, Mathieu Brasme, Julien Jouin et bien sûr le génial Cyriaque Diard. Concernant les jockeys, elle en a admiré beaucoup, mais son préféré reste évidemment Alexandre Roussel, un complice, un ami, et le partenaire d'innombrables victoires.

 


Avec la famille et les amis après le succès de Royce des Mottes dans le fameux Prix des Guillédines à Durtal, monté par son jockey préféré de toujours, Alexandre Roussel.

 

Et le cœur nucléaire de cette réussite était Claudie Poirier, et son binôme de fils Arnaud. L’un ne faisait rien sans consulter l’autre. L’échange est permanent. Pour eux deux, le passé importe peu. C’est l’avenir qui compte. Les projets (équins, professionnels, immobiliers), les achats d'étalons pour le Haras du Lion, les envies, les amis mais pas les emmerdes. Rien ne sert de se retourner. Il faut regarder devant. Après avoir augmenté le domaine de 45 nouveaux hectares l'hiver dernier, ils venaient de terminer un nouvel agrandissement dans le batiment principal, le tout sous la direction opérationnelle de "superman" Guenaël Rénier, le responsable d'élevage qui travaille assidûment pour la famille depuis plus de 20 ans, désormais avec sa femme Bérengère.

 


Avec son associée Nelly de la Guillonnière et toute l'équipe du Haras du Lion, la dernière oeuvre de sa vie bien remplie.

 

Droit devant. Claudie Poirier se préparait à cette nouvelle saison, avec ses poulinages et saillies en série, avec la même passion qu’il y a cinquante ans. Elle était aussi totalement investie dans l’aventure du Haras du Lion, un autre fou projet porté par ses fils Yann et Arnaud. Elle en était un cœur battant dans le cadre d’une association entre l’Elevage des Mottes et le Haras de la Rousselière de Nelly et Pierre de la Guillonnière. Claudie parlait de tout cela ces derniers jours avec Arnaud, avec Joël, avec ses amis et associés. Tout en donnant du temps pour sa famille. Belle-mère présente mais pas possessive, elle aidait de tout son possible sa belle-fille Nadia, notamment à tenter de maîtriser le fougueux Arnaud. Elle avait consacré une grande énergie et déployé beaucoup d'amour à ses beaux-enfants Florence et Jean-Marc, puis à ses premières petites-filles Charlotte et Juliette, avant de s'occuper de ses petits-enfants Alice et Romain avec qui elle partageait tant de secrets.                                                                               
Un avenir heureux devait ainsi se poursuivre joliment.  Une maudite et tragique chute en a décidé autrement !...

La cérémonie d'adieu aura lieu ce samedi 17 février à 15 heures au Haras du Lion. 

Dans l'attente de la cérémonie, Claudie repose à la chambre funéraire Beaumont Guez de Saint-Sylvain d'Anjou (49). Avec le code d'entrée 1948.


Claudie Poirier (29/04/1948 - 12/02/2024), décédée accidentellement à l'âge de 75 ans.

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