Henry Cecil, l'itinéraire d'un homme pas vraiment gâté

 

 

Henry Cecil a fêté son 67è anniversaire le 11 janvier dernier. Né en Ecosse, à Aberdeen (ce qui lui donne un point commun avec Annie Lennox, l’égérie du groupe Eurthymics), le jeune Henry est orphelin de son père, décédé au combat en Afrique du Nord, seulement six semaines après sa naissance. Sa mère se remarie plus tard à un célèbre entraîneur de Newmarket Sir Cecil Boyd-Rochfort, dont Henry devient l’assistant en 1964. Titulaire de sa propre licence d’entraîneur en 1969, Henry Cecil enregistre son premier succès le 17 mai sur un hippodrome du Yorkshire, celui de Ripon, avec un cheval nommé Celestial Cloud (Nuage Céleste en français). Mais de nuage il n’est pas question : avis de grand beau temps même sur la route d’Henry Cecil qui construit une des plus importantes écuries britanniques.

 

Dès sa saison de « rookie », l’écossais s’impose dans les Eclipse Stakes avec Wolver Hollow. En 1976, il s’installe dans un lieu magique, « Warren Place ». La même année il décroche le premier de ses dix titres de champion entraîneur. Quelques mois plus tôt, il avait remporté son premier Classique anglais, les 2000 Guinées de Newmarket avec Bolkonski. Les meilleurs jockeys sont liés à son parcours professionnel : Steve Cauthen, Lester Piggott, Joe Mercer ou encore Pat Eddery. Les champions se succèdent année après année : Oh So Sharp (Oaks d’Epsom et Saint Leger de Doncaster), Reference Point (Derby d’Epsom et Saint Leger) ou Commander in Chief (Derby d’Epsom) pour ne citer qu’eux. « Les bons chevaux font les bons jockeys et les bons entraîneurs » déclare-t-il depuis toujours modestement.

 

Mais, l’homme est aussi celui de tous les records : il selle 180 vainqueurs en 1987 et efface des tablettes un très ancien score, la même année il gagne 24 des 99 groupes inscrits au programme britannique, il est le co-détenteur du record des victoires dans les Oaks avec huit succès (le dernier en date en 2007 avec Light Shift, nous y reviendrons). Populaire de par sa réussite, Henry Cecil l’est aussi de par sa personnalité. Grand homme au physique atypique, au visage d’acteur, aux yeux bleu perçant, la cigarette au bec, Henry aime cultiver les roses dont il possède une collection réputée et soigne son style avec l’alliance de chaussettes colorées et de mocassins sombres. Tout lui sourit, tout lui est permis, c’est la belle vie.

 

 

La vie d'Henry Cecil "Les Chevaux"

 

Un premier nuage noir apparaît malgré tout dans le ciel de l’entraîneur quand en 1999, Sheik Mohammed Al Maktoum décide de lui retirer ses chevaux. Une simple averse dans une atmosphère toujours radieuse, analyse-t-on alors. Vainqueur du Derby 2000 avec Oath, le propriétaire Ahmed Salman déclare alors : « Gagner des Classiques est facile. Vous achetez un cheval et vous l’envoyez chez Henry Cecil ». En 2000, il gagne les Oaks avec Love Divine. Mais plus rien ne sera divin.

 

 

Comme un mauvais présage

L’avis de tempête est  déclaré en 2000. Si l’écurie compte encore 169 chevaux dans ses boxes (le plus petit contingent depuis 1994), elle n’enregistre que 62 victoires dans l’année, le pire score depuis toujours. C’est le début d’une terrible période. Sportivement, les chevaux d’Henry Cecil touchent le fond en 2005 avec seulement 12 succès et une 97e place au classement des entraîneurs. L’effectif est passé de 208 en 1995 à une cinquantaine de chevaux en 2005. Henry Cecil évoque un virus persistant et installé dans les écuries de Warren Place, durant plusieurs saisons. Enfin, comme si ce n’atait pas suffisant, trois propriétaires majeurs décèdent tour à tour : Lord Howard de Walden, Jim Joel et Louis Freedman.

 

«Pas question d’arrêter ! » avait tapé sur le poing de la table Henry Cecil devant un journaliste du Independent en 2005. «C’est ma vie. J’adore entraîner des chevaux, surtout des bons bien sûr. Tout le monde me dit, ‘’Henry, tu vas revenir’’. Mais je ne pas refaire surface sans matériel, sans chevaux. Je ne peux leur faire pousser des ailes ! »

Personnellement, c’est aussi la descente aux enfers. Le frêre jumeau d’Henry, David, décède des suites d’un cancer et après une vie marquée par l’alcoolisme. Plus tard, l’impétueux Kieren Fallon, devenu le jockey de l’écurie, a une relation avec la femme de l’entraîneur. Le divorce s’en suit. Henry Cecil s’en sort grâce à son fils Jake qu’il veut protéger à tout prix. En 2007, Henry Cecil révèle un cancer de l’estomac. Le combat est rude, les séances de chimiothérapie éprouvantes, mais Henry Cecil sort vainqueur de son match le plus difficile.

 

 

Light Shift vainqueur des Oaks d'Epsom en 2007

 

La renaissance

Qui apparait alors dans la vie d’Henry Cecil ? Light Shift, comprenez dans la langue de Molière, « Changement Lumineux ». 2007 devient l’année des lumières, une véritable renaissance. Henry Cecil remporte encore affaibli par la maladie, les Oaks d’Epsom avec Light Shift et devient le co-recordman des victoires dans le Classique pour pouliches. De mémoire de sportsmen, on n’avait jamais vu pareille émotion dans les travées d’Epsom : par un oeil de sec. « Well done Henry » par ci, « Well done Mister Cecil » par là. On se presse pour venir féliciter et prouver son respect au maître de Warren Place.

 

Le retour au premier plan est confirmé par Twice Over justement, « [son] cheval préféré », vainqueur du Prix Eugène Adam en 2008 puis des Champion Stakes en 2009 et donc en 2010. Pour l’accompagner au rang des vainqueurs prestigieux, une jument (bien sûr serait-on tenté d’écrire, tant Henry Cecil a marqué les palmarès des  groupes pour juments) dénommée Midday, lauréate de cinq groupes 1 dont la 1ère Breeders’ Cup pour son entraîneur. Puis arrive au cœur de ce destin vraiment pas comme les autres le crack Frankel, celui qui permet définitivement à Henry Cecil de conjuguer sa carrière au futur.

 

 

Midday facile gagnante du Qatar Prix Vermeille 2010

 

 

Un rapport spécial à la France

Henry Cecil entretient un rapport particulier avec notre pays. Il y a gagna en effet quelques unes des plus belles courses du programme : le Prix du Jockey-Club avec Old Vic en 1989, le Prix de Diane avec Rahfa en 1990, le Prix du Moulin de Longchamp avec All At Sea en 1992, ou encore le Grand Critérium la même année avec Tenby. Mais il faut surtout noter que la France eut une place importante aux moments cruciaux de sa carrière et de sa vie : en 2000, Beat Hollow lui offre  le Grand Prix de Paris juste avant le marasme décrit ci-dessous. En 2002, Burning Sun (« Soleil Brûlant », encore un nom prédestiné…) gagne le Prix Eugène Adam à Maisons-Laffitte au milieu d’un désert de succès.

 

En 2008, Twice Over confirme la tendance au mieux dans ce même Prix Eugène Adam avant que Midday mette sa touche de grandiose à une année 2010 exceptionnelle en gagnant le Qatar Prix Vermeille. Dernier tournant à négocier ? Peut-être encore en France : Henry Cecil n’a jamais gagné l’Arc. Frankel sait ce qu’il lui reste à faire.