Haras de Saint Pair : Vadamos, 50 ans après Phaëton, un siècle après Ksar

16/09/2016 - Grand Destin
Vadamos a offert au Haras de Saint Pair d'Andreas Putsch son 1e Gr.1, le Prix du Moulin de Longchamp en tant qu’éleveur. Le Haras n’avait pas enregistré un tel résultat depuis 1967 avec Phaëton dans le Grand Prix de Paris pour Mme Jean Stern, ancienne propriétaire d'un site historique rendu célèbre par un certain Evremond de Saint-Alary et son mythique Ksar. Une nouvelle enquête signée Xavier BOUGON.


Vadamos s'impose dans le Prix du Moulin de Longchamp, monté par Vincent Cheminaud (photos APRH)

Le dernier gagnant de Gr.1 élevé par le Haras de Saint Pair du Mont remontait à 1967, année de la victoire dans le Grand Prix de Paris d’un fils de Sicambre et de Pasquinade, nommé Phaëton, entrainé par Maxime Bonaventure. Les deux parents ont un point commun, celui d’avoir la même aïeule, une certaine Saperlipopette, née en 1909. Cette dernière a été la jument base de l’élevage de Jean Stern, propriétaire de l’ancien haras d’Evremond de Saint-Alary depuis 1960. Mais revenons à la genèse du haras.

 
Notes
 
Le Haras a été rebaptisé Saint Pair par le nouveau propriétaire des lieux depuis janvier 2007, un jeune quinquagénaire allemand, Peter-Andreas Putsch. C’est à lui que l’on doit la naissance de Vadamos, premier vainqueur de groupe 1 pour la nouvelle entité. Le fils de Monsun avait déjà pointé le bout de son nez puisqu’il était déjà vainqueur de groupes 2, les Oettingen Rennen et le Prix du Muguet et qu’il avait terminé à une demi-longueur du gagnant dans le récent Prix Jacques Le Marois.
 
 

Andreas Putsch vient acquérir son champion qui vient de lui offrir son 1e Gr.1.
 
 
Un haras, datant de 1883, naisseur d’Omnium II, de Brûleur
 
Eleveur de renom, Léonce Delâtre est installé depuis plusieurs années au Haras de la Celle Saint-Cloud, près de Bougival. C’est sur ces terres qu’était née, en 1876, l’une des gloires de la maison, Nubienne, une pouliche achetée yearling par Edmond Blanc. Elle enlèvera, entre autres, le Prix de Diane et le Grand Prix de Paris.
Puis Léonce fonde en 1883 un haras en Normandie qu’il nommera du nom du village voisin, Saint Pair du Mont (Calvados). C’est sur le domaine que naîtra, neuf ans plus tard, le célèbre Omnium II.
Léonce y vécut pendant une dizaine d’années jusqu’à son décès en 1892, l’année de la naissance de son protégé. Ses héritiers dispersèrent, en octobre de la même année, la soixantaine de chevaux : vingt-sept lots le 15 octobre et trente et un le 29, deux vacations organisées par le Tattersall français.
 
Notes :
 
  • Léonce Delâtre fut l’un des premiers commissaires de la Société Sportive d’Encouragement. Il officiait, entre autres, à Maisons-Laffitte qui lui a attribué un nom de prix en sa mémoire, un semi-classique pour 3 ans sur la distance de 2.000 mètres. A son palmarès de propriétaire, figurent, entre autres, les Prix de Diane (Tyrolienne), Morny (Eole II), Lupin et Grosser Preis von Baden (Cerdagne), La Forêt (Mathilde, future mère de Moia), Cadran (Clocher), tous entrainés par Henry Jennings, installé à l’époque à La Croix Saint-Ouen. 
  • Deux avant la fondation du Haras de Saint-Pair du Mont, Léonce Delâtre avait créé un établissement consacré à l’entrainement sur le site de Chantilly, chemin des Aigles, nommé «Mill Cottage». Après son décès en 1892, Mill Cottage est vendu à l’angevin de la rue des Lices, Maurice Caillault (1894) dont les pensionnaires sont entrainés par Richard Carter Junior, surnommé Dick. Puis vient la 1ère guerre mondiale qui met fin à l’entrainement à Mill Cottage. Mais la famille Webb, William-Joseph, son épouse, née Emily Cunnington et ses deux garçons continuent à y vivre. Les lieux sont réquisitionnés pour l’évacuation des blessés. Frank Carter s’y installera en 1923, puis son cousin germain, Percy Carter (fils de Dick) jusqu’en 1964. Puis viendra la famille Head, William et son fils Peter. Les lieux seront ensuite loués à maintes reprises (dont Christian Doumen pour une partie de la cour) avant que Patrick Barbe n’en prenne possession (1983).
 
 
 
 
Omnium II portera les couleurs d’Evremond de Saint-Alary
 
Parmi les trente et un sujets mis en vente le 29 octobre figure un foal de l’année, un poulain né des amours d’un fils de Dollar, Upas (vainqueur du Prix du Jockey-Club 1886 pour le comte de Berteux) et de Bluette (Wellingtonia). Le comte Jacques-André de Ganay, gendre du défunt comte Paul Le Marois (neveu de Jacques), achète le foal non nommé, pour 6.000 F. pour sa belle-mère (née Marie-Mathilde Landon de Longueville).
 
Son défunt mari avait été le fondateur du Haras de Pépinvast, dans la Manche, où séjournera le futur Omnium (rebaptisé Omnium II par la suite) avant sa revente au mois d’août de l’année suivante à Deauville. « Maigriot et dégingandé », il sortira du ring (ou prétendu) vendu pour la modique somme de 14.100 F. à Henri Ridgway, agissant pour le jockey Edgard Rolfe, également entraineur des pensionnaires d’Evremond de Saint-Alary (VOIR CI-CONTRE). Ce dernier, âgé seulement de 23 ans, achètera également le domaine de Saint-Pair du Mont, la même année.
 
Note: 
  • La mère d’Omnium II, Bluette, avait été élevée par un baron de Rothschild. Placée à chacune de ses sorties à 3 ans, elle fut achetée, en cours d’année, par le comte Robert de Clermont-Tonnerre qui la fit gagner deux courses pour gentlemen-riders, montée par lui-même.
 
Omnium II, la clef de voûte de son élevage
 
Après avoir remporté notamment le Prix de la Forêt (à 2 ans), le Prix du Jockey Club (comme son père), les Prix Gladiateur (6.200 m.), du Cadran, du Conseil Municipal (2 fois), Lagrange, Boïard, Omnium II entrera au haras de son propriétaire. Il laissera son empreinte non pas par sa production mâle mais par ses filles car il est mort après seulement deux années de monte. Il engendrera deux futures juments de renom, deux alezanes, Kizil Kourgan et Basse Terre, nées la même année.
 
La première, fille de Kasbah (Prix de Diane et seconde de la Poule d’Essai pour Henry Delamarre), remportera la Poule d’Essai, le Prix de Diane et le Grand Prix de Paris, entrainée par George Milton. Partie au haras, elle sombrera progressivement dans l’oubli jusqu’à ce que, près de 20 ans plus tard, un crack voit le jour, un certain Ksar né des amours avec Brûleur. Ksar sera vendu yearling pour un prix record (151.000 F.) à Edmond Blanc. Notons qu’il sera le premier poulain de 3 ans à réussir le doublé Jockey Club-Arc de Triomphe. Au haras, on lui doit notamment le chef de race, Tourbillon et d’innombrables filles de grande classe dont Ukrania.
Kasbah avait également donné naissance à la propre sœur de Kizil Kourgan, Kizil Sou. Cette dernière donnera naissance à Karabe (Chouberski), future mère de Kantar.
 
Notes:
 
Il ne payait pas de mine, le pauvre petit poulain alezan qu’Evremond présenta à Deauville en 1919. S’il n’avait eu une origine aussi prestigieuse (deux vainqueurs du Grand Prix de Paris), probablement que l’on aurait pas prêté autant d’attention à ce futur Ksar. Son acheteur, Edmond Blanc, déclara : «il n’est pas beau, mais il est laid à la manière de son grand-père, Omnium II et cette laideur ne me déplait pas ». Le grand propriétaire avait vu juste. Ksar débute victorieusement en octobre 1920 dans le Prix de la Salamandre puis doit se contenter de la seconde place du Prix Saint-Roman. Hélas, Edmond décède en décembre 1920 avant même les exploits de son ultime acquisition, qui fait le doublé d'Arc de Triomphe en 1921 et 1922.

 
 

Ksar, le dernier champion élevé par Evremond de Saint-Alary, ici après sa 2e victoire dans le Prix de l'Arc de Triomphe en 1922, monté par Franck Bullock.
 
 
Brûleur, mieux que son grand-père

La seconde poulinière issue d’Omnium II, Basse Terre, est née suite à l’achat de sa mère, Bijou, (fille de Saint-Gatien, vainqueur du Derby d’Epsom), 3.800 francs en provenance d’Angleterre. Basse Terre a enlevé le Prix Vanteaux puis s’est classée seconde du Prix Vermeille. Au haras, elle donnera naissance à Brûleur (Chouberski).
 
Vainqueur en 1913 du Grand Prix de Paris et du Prix Royal Oak, il devra se contenter de la troisième place du Prix du Jockey Club (de Dagor). Rappelons qu’il est le père de Ksar, de Priori et de Samos, trois gagnants d’Arc, de Ksar, de Pot au Feu, Madrigal, Hotweed (propre frère de Brulette, gagnante des Oaks puis excellente poulinière), quatre gagnants du Prix du Jockey Club en huit ans. Par trois fois, il sera tête de liste des pères de vainqueurs, ce qui fit dire qu’il fut un étalon exceptionnel.
 
Brûleur avait une sœur, de trois ans son ainée, nommée Basse Pointe (par Simonian, étalon au Haras de Victot). Evremond fut assez heureux de la racheter après l’avoir mise en vente avec d’autres chevaux de son écurie. Elle remportera les Prix Vermeille, du Conseil Municipal, Gladiateur et le Grand Prix de Deauville. Elle donnera naissance notamment à un fils de Comrade (l’étalon maison), Bonny Boy, vainqueur notamment de l’important Ebor Handicap à York en 1929. Il deviendra étalon à son tour.
 
Notes
 
  • En 1903, Evremond achète pour 39.000 F. un yearling nommé Chouberski (par Gardefeu, un descendant de Dollar et Campanule, mère également de Codoman), élevé par le comte Foy au Haras de Barbeville. D’un gabarit hors du commun pour un pur-sang, il se révéla d’un entrainement difficile. C’est la raison pour laquelle il ne courut qu’une seule fois pour un succès dans le Prix Reiset. C’est au haras qu’il sera bien utile à l’élevage Saint-Alary comme père notamment de Brûleur, Karabe (mère de Kantar), Kiao Tchau (mère de Kandy, 1000 Guinées, de Kitty Tchin, seconde du Prix de Diane de la grande Fairy Legend).
 
  • Brûleur était un colosse aux épaules saillantes avec une arrière-main puissante. L’œil vif, presque méchant, il était d’un caractère peu sociable ce qui fut embarrassant pour lui trouver un soigneur, personne ne voulant s’en approcher ; heureusement une jeune femme extrêmement belle, dit-on, accepta de l’affronter et en fit ce qu’elle voulut. Il ne débuta qu’à 3 ans dans le Prix Juigné dans lequel il terminera au pied du podium.

Bruleur
 
 
Le haras perd son propriétaire
 
Il faudrait un chapitre entier pour évoquer les nombreux vainqueurs élevés au haras entre les deux guerres. Pour la plupart, ils sont issus des étalons de la maison et porteront les couleurs d’Evremond de Saint-Alary (rayée marron et jaune) à l’exception de ceux vendus yearling comme Kantar, vainqueur du Prix de l’Arc de Triomphe 1928 devant Rialto (propriété de Jean Stern) et le spécialiste d’Ascot, Finglas (par Brûleur et Fair Simone qu’Evremond avait acheté en Angleterre)..
 
Pour l’anecdote, Evremond remportera la première édition du Prix de l’Arc de Triomphe, non pas avec un pensionnaire né au haras mais avec Comrade, un poulain entrainé par Peter Purcell Gilpin à Newmarket (Clarehaven Stables), acheté pour moitié en décembre de ses 2 ans. Il officiera comme étalon en Normandie et comme Omnium II, il décédera prématurément.
 
C’est avec un effectif réduit qu’Evremond a accumulé les succès. En effet, il avait pour habitude de vendre la plupart de ses yearlings et de n’effectuer que peu d’achats, outre ceux d’Omnium II, Comrade et Le Ksar (acheté à Léon Volterra puis vainqueur des 2000 Guinées et second de la Poule d’Essai).
 
En décembre 1940, Porphyros, un petit-fils de Basse Pointe, enlève le Prix du Conseil Municipal disputé à Auteuil. Ce sera le dernier grand succès de la casaque, le propriétaire du domaine décèdera en mai 1941 laissant l’élevage à Mlle Marie Frémont-Tousch, son ancienne secrétaire et amie. Le jeudi 3 juillet à Chantilly, lors d’une vente d’une quinzaine de chevaux à l’entrainement ayant appartenu à Evremond de Saint-Alary, Porphyros sera vendu au vicomte Hubert de Chambure pour 355.000 francs. Il remportera à nouveau le Prix du Conseil Municipal sous la coupe de Charles Clout.
 
 
Le Haras de Saint-Pair aujourd'hui.
 
 
Saint Pair du Mont au service de la casaque orange de Marcel Boussac
 
Mlle Frémont-Tousch poursuivit l’œuvre accomplie mais d’une manière différente. Elle exploita pendant quelques années Saint Pair du Mont en coopération avec Marcel Boussac : envoyant ses poulinières aux étalons de celui-ci, elle le laissait libre d’user de son droit d’option sur les produits à naître et ce fut ainsi que l’éleveur de Fresnay le Buffard fut amené à «sortir» des éléments remarquables d’une mine qui n’était pas la sienne, en exploitant l’inbreeding sur Brûleur en le présentant à Tourbillon ou à un de ses fils, Goya
 
Pour la casaque orange, notons les performances de Goyama,vainqueur duPrix de la Forêt, du Grand Prix de Saint-Cloud, du Prix Eugène Adam, second du Prix Morny, 3e du Prix de l’Arc de Triomphe. Il est le fils de Goya et de Devineress (née en 1930 de Finglas, 3ème de l’Arc de Kantar), une jument qui effectuera sa carrière sur la piste en Angleterre où elle a détenu le temps record des 1.000 mètres, un record mondial à l’époque (54’’ 20/100) jusqu’en 1960.
Samya, la mère de Samos (Arc de Triomphe pour E. de Saint-Alary), sera saillie par Tourbillon d’où Timor, vainqueur du PrixHocquart pour Marcel Boussac. La même Samos donnera naissance en 1946 à un fils de Djebel, nommé Marveil (Prix Jean Prat, 3e Prix de la Salamandre et Prix du Cadran).
 
Mlle Marie Frémont-Tousch possède, à la fin des années 40, une vingtaine de poulinières qui côtoient celles de Jean Stern (locataire à partir de 1948) et de l’argentin Roger Guthmann (sa pouliche, Kilette, née en 1947 à Saint-Pair du Mont, a enlevé le Prix Vermeille).
 
 

Phaeton
 
Par la suite, le Haras de Saint-Pair passera dans les mains de Mme Jean Stern qui y élevé Phaëton après-guerre. Mais cela fera l'objet d'un prochain épisode...

Voir aussi...