Billet: encore un dimanche pas comme les autres

31/05/2010 - Actualités
Alors que certains s’adonnent aux joies du jardinage, de la sieste, du football, de la digestion après un samedi soir fiévreux ou encore de l’accueil impeccable de sa chère belle-mère, d’autres passent leur dimanche sur les hippodromes de France et parfois même à Paris. Côté émotions en tout genre et sans minimiser les qualités des brillantes activités précitées, la vie hippique n’a pas son pareil.

 

15 jours après la frustration et le goût amer des Poules d’Essai à Longchamp et leur critiquable tracé des 1600 mètres Grande Piste, 8 jours après l’étourdissante Goldikova dans le Prix d’Ispahan, Auteuil nous a offert, avec le Grand Steeple Chase de Paris un spectacle à la fois unique, déstabilisant, affligeant, intrigant et inquiétant.

Unique avec la victoire d’un outsider, d’un négligé comme le disent les compatriotes de Céline Dion. Polar Rochelais n’avait qu’une quatrième ou troisième chance théorique. Une place qu’il avait occupée pour sa 1ère tentative au niveau groupe 1 dès l’âge de quatre ans et qu’il avait confirmée depuis en occupant un rang dans l’élite. Mais jamais encore le protégé de Patrice Quinton n’avait gagné au plus haut niveau des Gr.1 : les vingt longueurs qui le séparent de son dauphin Doumaja prennent d’autant plus de relief. Un succès unique en ce jour de fête des mères pour le dernier produit d’Olympiade de Brion (morte en 2003  23 ans des suites de ce poulinage, et dont les fils et filles ont gagné quarante cinq courses au total pour treize produits).

 

Polar Rochelais en phase d'envol sur la rivière des tribunes



Unique et déstabilisant ce spectacle du Grand Steeple. L’an dernier,  après l’édition 2009, l’amoureux des courses errait au cœur des travées d’Auteuil. A l’instar d’un boxeur sonné, il tentait de se rappeler de son prénom, de trouver une explication à ce qu’il venait de vivre, à comprendre pourquoi il avait tant de mal à aligner deux pas consécutif sans trembler. Disputé sous une canicule de fin mai, le combat avait en effet coûté la vie à deux concurrents, avait provoqué un spectacle presqu’insoutenable de chevaux titubants après la course et rafraîchis par les moyens du bord (limités en l’occurrence et renforcés depuis) et avait vu son couple vainqueur (par KO donc) rentrer désolidarisé : le cheval sans son jockey. L’indestructible Christophe Pieux rentre le pied ensanglanté, la douleur le faisant trop souffrir pour rester en selle. « Historique, plus jamais on ne revivra une édition pareille », disait-on alors. Et bien si, un an après seulement et notre cœur en reprend un coup. Nous voilà déstabilisé en même temps que Christophe Pieux finit à terre alors même que la course n’est partie que depuis…une seconde…déstabilisé par son champion qui fait pile devant un vulgaire élastique ! Vous avez dit déstabilisant ? C’est renversant !


 

L'instant du départ où Christophe Pieux, en tête,  est éjecté de Remember Rose

 


Mais comment la course a-t-elle pu se disputer sans son couple de gladiateurs lauréat en 2009 ? Comment peut-on imaginer que celui qui a bravé la douleur d’un tendon sectionné l’an dernier, qui est titulaire de quinze titres de champion de France des jockeys et qui a su s’adapter, comme la très grande majorité de ses confrères, au nouveau mode de départ dit "en mouvement" instauré il y a plusieurs saisons, ne peut-il pas être plus considéré que cela ? Il chute devant les élastiques, le départ est validé. Pourquoi ? La première réponse est : "l’application de la règle". Comprenez : les élastiques se sont détendus, à partir de ce moment, la course est lancée et tout événement postérieur fait partie intégrante de la course. Et c’est là que cela devient affligeant. La morale bien pensante voudrait nous faire croire que les règles s’appliquent pour tous et à tout instant. Soit. Mais les courses qui veulent être considérées dans le grand cirque tourbillonnant médiatique comme un sport à part entière, doivent appliquer les mêmes codes que les grands sports mondiaux. Les champions (qui sont de surcroit dans notre activité les favoris et donc sujets à des mouvements d’argent importants) doivent être protégés. Pas favorisés mais protégés ! Dans ce cas, la protection aurait dû être matérialisée par une marque de confiance à l’égard du tandem favori et idole des foules (au moins en majorité).

 

Sans doute le pire moment vécu par Christophe Pieux aux courses

 


Confiance car oui, il doit bien y avoir eu un problème pour que Remember Rose réagisse assez vivement pour éjecter Pieux. Ce même Remember Rose qui avait conclu tous ses parcours d’obstacles avec son jockey sur le dos (30 courses au total). Un véritable exploit ! Avec une vingtaine de difficultés par course, cela fait 600 obstacles franchis dans sa carrière sans jamais tomber ni faire trébucher son cavalier !
Une marque de confiance que l’on aurait tout aussi bien pu témoigner à l’égard du starter officiel de France Galop qui lui aussi a donné tant et tant de départs sans que l’on ait rien eu à redire. Oui mais là, il s’est trompé.
Il a aura fallu attendre le jour de la troisième tentative de Remember Rose dans le Grand Steeple Chase pour que le champion affiche dans son palmarès sa première faille : la vue d’un élastique officiellement " à soixante-dix centimètres de son nez " ! Ce n’est pas sérieux. Vous avez dit affligeant ?

 

Incroyable Jean-Paul Gallorini, qui réconforte son jockey après l'incroyable mésaventure



Intrigant car il aura fallu attendre cet incident excessivement malheureux pour mettre en lumière un relâchement dans la mise en scène des départs en mouvement. Le toujours très disponible et présent Jean d’Indy a déclaré qu’il fallait " rappeler à l’ordre les jockeys ". Ces derniers ne respecteraient plus la règle selon laquelle il faut arriver en mouvement AU PAS sur la ligne de départ. Soit, mais alors pourquoi attendre le jour du Grand Steeple pour donner la leçon aux mauvais élèves ?  Pourquoi justement ne pas reprendre le départ, non pas car le favori est hors course, mais parce que lui et son voisin Lord Carmont sont arrivés au petit galop derrière les élastiques ? Quitte à appliquer le règlement, autant l’appliquer à tous les étages. De quoi nous laisser perplexe quant à la décision du très respectable M. de Watrigant. Vous avez dit intrigant ?

 

Des supporters de Remember Rose manifestent leur colère, ici Bartabas



Enfin inquiétant. Car à dix jours d’une redoutée ouverture du marché des jeux en ligne, le positionnement des courses hippiques est le suivant : " les courses, un sport comme les autres ".  De nouveaux clients potentiels sont censés porter un regard neuf sur l’hippisme. Aujourd’hui, pour leur faire découvrir les courses d’obstacles, une des trois disciplines de la filière, la plus exigeante, la plus dangereuse, la plus difficile donc pour certains la plus belle, la journée du 30 mai, au cœur d’un catalogue de loisirs potentiels au développement exponentiel, propose un menu de gala : la vitrine, ce qui se fait de mieux.
Résultat des courses : un cheval blessé avant l’épreuve (ce sont les courses mais quand même…), un deuxième devant les tribunes (oui…mais quand même…), le tout sans son favori qui a trébuché au lâcher des élastiques et sans un des concurrents qui a refusé le départ !
En sortant de l’hippodrome, des pancartes multicolores nous donnent la direction de Roland Garros. Ici, si jamais Roger Federer arrive avec une tunique non conforme, on lui demandera de la changer. Et en plus il va gagner…et ceux qui auront miser dessus aussi. Vous avez dit inquiétant ?

Noël Entironz
 
 

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