Histoire de DNA : Vaguely Noble roturier

28/08/2020 - Chef de race
 Thierry Grandsir vous emmène aujourd'hui dans l'histoire de Vaguely Noble, un crack anglais dont le nom se traduit par "vaguement noble". En voici toutes les raisons.
 
VAGUELY NOBLE (1965-1989), par Vienna et Noble Lassie (Nearco)
 
 
Rien de tel qu’un cheval pour vous faire passer pour un imbécile… Tout le monde connait ce célèbre adage, si souvent vérifié, qui invite tout homme de cheval qui se respecte à l’humilité et à la modestie. Et lorsqu’il s’agit de prédire l’avenir sportif ou le potentiel génétique d’un individu, certains chevaux semblent prendre un malin plaisir à vous tromper.
 
 
 
 
Un bel exemple nous est offert par un poulain bai qui naquit au mois de mai 1965 à Cleaboy Stud (Westmeath), le haras du Major Lionel Holliday. Cet éleveur, homme de cheval avisé mais colérique (réputé pour se fâcher régulièrement avec ses entraîneurs), marqua sa déception à la vue du jeune foal, de belle taille mais considéré comme roturier de naissance : il le baptisa Vaguely Noble (= vaguement noble). Il est vrai que son père Vienna, performer adepte de la course en tête, était un cheval assez commun, manquant de classe. Un étalon peu attractif bien que fils du Chef de Race Aureole et propriété de son noble éleveur, Sir Winston Churchill !
 
 
Age Shall Not Weary Them — Summerhill Stud
Sir Winston Churchill avec son élève Vienna, le père de Vaguely Noble.
 
 
La mère du poulain, Noble Lassie, était par Nearco et une petite-fille de la lauréate des Oaks (Gr.1) Brûlette. Elle avait montré assez de qualité pour s’octroyer les Lancashire Oaks (Gr.3), mais ses premiers produits s’étaient montrés jusque là fort décevants. Soit un pedigree vaguement noble pour ce foal inbred sur les Chefs de Race Hyperion et Bahram.
 
 
En fin d’année, suite au décès de son père, Brook Holliday hérita de la propriété de Vaguely Noble, qu’il n’estimait guère lui non plus. Un yearling peu convaincant pour lequel il ne jugea pas utile de souscrire des engagements classiques (sans possibilité de supplémentation à cette époque). Il l’envoya à l’entraînement chez Walter Wharton avec comme objectif de le vendre en fin d’année de deux ans, saison que Vaguely Noble entama à la fin de l’été en se plaçant deux fois deuxième (sur 1200 m et sur 1400 m). S’en suivit une victoire éclatante par 12 longueurs dans les Sandwich Stakes à Ascot,qui motiva son engagement dans l’Observer Gold Cup (Gr.1 – aujourd’hui Racing Post Trophy), couru en novembre sur le mile de Doncaster. Vaguely Noble y confirma sa grande classe en s’imposant par sept longueurs au prix d’une fin de course d’anthologie !
 
 

Vaguely Noble.
 
 
Son entourage se refusa à tout commentaire, hormis : « Il passera en vente le mois prochain, comme prévu ! ».Et c’est ainsi que Vaguely Noble fit l’objet d’un duel historique sur le ring de Newmarket, opposant les courtiers Albert Neuhat (pour Nelson Bunker Hunt) et Albert Yank (pour le Dr Robert Franklyn, chirurgien esthétique à Hollywood) : enchère gagnante pour ce dernierà 136,000 Guinées, nouveau record mondial des ventes toutes catégories confondues… Quelques semaines plus tard, le Dr Franklyn proposa la moitié du cheval à Nelson Bunker Hunt,qui accepta volontiers : le cheval fut confié à Etienne Pollet, vainqueur de l’Arc 3 ans plus tôt avec Sea-Bird. Sans engagement classique, cette course était la seule opportunité permettant de rentabiliser leur investissement.
 
 
 
 VAGUELY NOBLE domine SIR IVOR dans l’Arc de Triomphe (Gr.1) en 1968…
 
 
Vaguely Noble se promena dans le Prix de Guiche (4 l.) et dans le Prix du Lys (8 l.), puis se plaça malheureux troisième dans le Grand Prix de Saint-Cloud (Gr.1) avant de se racheter en remportant le Prix de Chantilly (4 l.). Favori d’un Prix de l’Arc de Triomphe (Gr.1) très relevé en raison de la présence de Sir Ivor, Ribero, Luciano, Samos, Roselière, Luthier et La Lagune, le roturier Vaguely Noble prit le large dans la ligne droite pour disposer de Sir Ivor avec désinvolture, trois longueurs derrière lui… 
 
 

Empery avec Lester Piggott, lauréats du Derby d'Epsom 1976.
 
 
Beaucoup moins noble fut par contre sa lignée mâle : ses 48 fils stationnés dans notre Hémisphère n’ont produit que six gagnants de Gr.1 au total, dont trois pour le seul Gay Mecene. Et comme celui-ci devint ensuite le père de mère de Kendor et de Anabaa, il sera le seul à perpétuer efficacement le sang de son père avec l’inédit Noble Bijou en Nouvelle Zélande. De même, l’inbreeding sur Vaguely Noble s’est avéré catastrophique. Seuls trois gagnants de Groupe portent une duplication en 4x4 ou inférieur de ce Chef de Race « classique / professionnelle » (= vecteur de grand fond), dont un seul au plus haut niveau : le sprinter Reverence, lauréat des Nunthorpe St. (Gr.1) et de la Sprint Cup (Gr.1) !
 
 

DAHLIA (Vaguely Noble), gagnante de 11 Gr.1 et mère de 4 gagnants de Gr.1 !
 
 
 
Syndiqué sur la base de $5,000,000, Vaguely Noble entra au haras à Gainesway Farm (Kentucky), où il confirma la noblesse dont il avait fait preuve sur la piste en concevant 70 gagnants de Stakes sur 726 foals (9,6%) dont 24 gagnants de Gr.1, avec deux titres d’étalon tête de liste des pères de gagnants en GB à la clé. Géniteur des Champions Dahlia, Empery (Derby), Estrapade, Exceller, Jet Ski Lady (Oaks) et Nobiliary, sa noblesse fut tout aussi notable dans la production de ses filles, responsables de 22 vainqueurs au plus haut niveau (dont quatre pour la seule Dahlia), treize d’entre eux émanant de la lignée mâle de Northern Dancer. Rappelons que le père de ce dernier (Nearctic) et Vaguely Noble combinent tous deux en bonne place les sangs de Nearco et de Hyperion dans leur pedigree, ceci expliquant peut-être cela.
Une génétique à dominante roturière qui aura pourtant engendré l’un des plus nobles Champions et l’un des meilleurs étalons de son siècle !
 
 

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