L'épopée Lestorte - Chapitre 4/4 : La souche "T" et les japonais

04/10/2016 - Anglo Actualités générales
Pendant 3 décennies, le Japon a massivement acquis les meilleurs éléments anglo-arabes d'Emile Lestorte en puisant dans la souche des "T", une origine fantastique qui a pourtant disparu, ou presque...

La genèse d’une bonne partie des meilleures souches du stud-book Anglo-Arabe Français trouve son origine dans une période qui va de l’entre deux guerres jusqu’à la fin des années 50. Le Sud Ouest rassemblait alors une population équine d’une rare qualité.

Outre les ancêtres de ceux qui deviendront les meilleurs Arabes de course au monde on y trouvait aussi des purs de grande classe. Ainsi les Meridien, Pinceau, Cor de Chasse, Atys, Dadji, Micipsa, Samaritain et autres Montfleur voyaient leur production s’imposer de Pau à Auteuil et d’Enghien à Longchamp.

Du croisement de ces très bons purs avec ce que l’Arabe a pu donner de meilleur sont nés la fine fleur des familles Anglo-Arabes. En faisant saillir des mères que l’on qualifierait aujourd’hui de « black type » par des étalons Arabes de premier plan (Abel, Denouste, Kriss II…) les éleveurs de l’époque dont donné le jour à des juments de le trempe de Quenotte (Cethim, Pancho II, Mangarose, Manganour, Roseau de Tanues…),  La Brise (Le Gregol, Ragtime Pontadour, Pepsyrock…) ou Trevise.
 
 
Toscafleur fut une championne en course avant de devenir une poulinière marquante.
 
 
Le papier en or de Trevise : du Grand Prix de Saint-Cloud au Kentucky Derby !
 
C’est Trevise, née en 1934 dans l’élevage de la famille Lestorte, de l’Arabe mondialement connu (et omniprésent) Denouste et de la pure Taiga, qui sera la fondatrice de la désormais célèbre souche « T ».
 
Sa mère Taiga (Verdun et Amazone III par Ladas) était particulièrement bien née. Son frère utérin Bahadur avait gagné le Grand Prix de Deauville, Grand Prix de Saint Cloud et le Prix Edmond Blanc… Sa nièce Forteresse fut exportée aux Etats Unis où elle donnera naissance à Broker’s Tip, vainqueur du Kentucky Derby. Outre atlantique Forteresse a fondé une famille qui fut par le passé florissante et dont le plus célèbre représentant n’est autre que le chef de race international Roberto (Derby d’Epsom puis père de Dynaformer et Kris S)…
 
 
Traviata III fut l'un des porte drapeaux de l'élevage d'Emile Lestorte.
 
 
Une championne devenue mère d'une gagnante du Prix Héros XII !
 
Trevise (50%) gagnera l’Omnium contre les males avant d’aller s’imposer contre les Purs ! Au haras elle se révélera encore meilleure en produisant pas moins de six grands gagnants.
 
  • Véritable  célébrité en son temps, Taiga (25% par Pinceau, homonyme de sa grand mère) ira battre les pur-sangs dans le Grand Prix de Pau et Prix Heros XII à Auteuil après s’être imposée dans le Grand Prix des Anglo-Arabes. Elle était entrainée par Henri Goaille.
     
  • Son propre frère Tetouan fut un bon étalon après avoir réussit le triplé Omnium, Grand National et Prix de l’Elevage...
     
  • Leur propre sœur Traviata III par Pinceau s’était imposée dans le Grand National des Anglo-Arabes avant d’enchainer 18 victoires en obstacle dont plusieurs à Auteuil contre les AQPS.
     
  • Tanagra IV (par l’étalon de vitesse Tango) sera une grand gagnante en Cross Country contre les meilleurs AQPS de sa génération, Tosca III (par Thor) gagnera à Auteuil tandis que Thaya (par Micipsa) gagnera contre les Purs en Obstacle.
     
  • Ces impressionnantes performances se suffisaient à elles mêmes pour légitimer l’impressionnante aura dont bénéficiait l’élevage Lestorte dans le Sud Ouest hippique de l’époque. La suite ne fit qu’amplifier le phénomène car les filles de Trevise confirmeront au haras la qualité que leur papier pouvait laisser espérer.

 

Trévise à l'âge de 2 ans chez Emile Lestorte.

 

Toscane IV : le frémissement du généalogiste pour des animaux d'1,50 m
 
Il serait aussi que fastidieux que difficile d’énumérer tout les gagnants, exportés et étalons qui furent issus de l’origine Lestorte. A ce titre l’arbre généalogique joint à cet article, faute d’être exhaustif, permet de survoler la souche dans ses grandes lignes.
 
Au panthéon de l’Anglo-Arabie il est un nom qui fait frémir tout ce que le Sud-Ouest compte de généalogiste : Toscane IV (Djerba Oua). Rarement une mère aura transmis une telle classe, avec une telle régularité. Ses descendants ont écrits quelques unes des plus belles pages du stud-book. La production de Toscane IV manquait de taille (pas plus d’1m60, certains toisaient 1m50) mais ils avaient l’épaisseur et le « feu » des très bons chevaux.
 
 
Ta Fleur, une femelle d'exception.
 
 
Les « hostilités » débutèrent avec Ta Fleur (Montfleur et Toscane IV) qui fut meilleure trois ans de sa génération avant de gagner à Pau contre des purs en haie. Elle battait à cette occasion de bons gagnants d’Auteuil et Enghien. Fidèle à son ascendance maternelle Ta Fleur était taillée comme un petit male, épaisse, très bien faite avec une cage thoracique énorme. Son entraineur s’en souvient comme d’une « véritable machine à galoper ».
 
Son fils Tasos (Dionysos II) fut du même calibre et l’administration ne put s’aligner face à une délégation Japonaise qui l’emmena au pays du soleil levant.
 
 
Tasos fut un champion emmené par les japonais au pays du Soleil-Levant.
 
 
Acquise sous la mère par Amaury de Cazanove, Toscafleur (Montfleur et Toscane IV) fit preuve d’une classe assez fantastique. « Elle ne touchait pas terre » et fut la meilleure trois ans de sa génération chez les Anglos tout en se classant seconde du Jacques de Vienne. Chez son propriétaire elle produira une série de bons gagnants comme Toscafet, Corefleur, Florezien (Grand Prix des Anglo-Arabes)… mais c’est en obstacle que sa descendance s’est le mieux exprimée. Citons Corafleur (Gagnante à Auteuil contre les AQPS), Sarako (Gagnant du grand cross de Craon, 294.330 euros de gains), Uobama d’Ayza (second du Grand Prix des Pyrénées Atlantiques), Bol de Cafe (Gagnant à Pau contre les AQPS), Jubile du Faget par Kadounor (Placée à Auteuil), Montareno (98.355 euros en Cross Country)…
 
 
Sarako avant sa victoire dans le Grand Cross de Craon.
 
 
La sœur utérine de Toscafleur, TIPHAINE (Stymphale) sera elle aussi à l’origine de bons gagnants en obstacle via sa fille Titane II elle-même mère de Gypso ( 94.479 euros de gains, 3 victoires à Auteuil, Gagnant du Morgeix) et Saint Mayrand (Gagnant contre les AQPS à Pau).
 
Quand les meilleurs anglos partaient au Japon
 
Après avoir donné les bonnes Ta Fleur et Toscafleur le croisement de Montfleur sur Toscane IV produira les non moins remarquables Toskaï et Tom Bilibi.
 
Soulignons au passage la grande qualité de Montfleur (Gagnant à 2 ans, puis vainqueur du Prix du Lupin et second du Grand Prix de Paris), qui restera comme l’un des meilleurs purs sangs stationnés dans le Sud Ouest. Un père de chevaux d’obstacle très efficaces, durs et robustes, qui a bien croisé avec la jumenterie Anglo-Arabe et tout particulièrement avec la souche Lestorte.
 
 
Montfleur, une vedette de Longchamp qui a été très influent dans l'élevage du Sud-Ouest.
 
 
Toskaï toisait un petit 1m52 mais son punch et son incroyable moteur lui permirent d’être l’un des meilleurs de sa génération à trois ans. Quasiment « intouchable » en piste, il fut néanmoins jugé trop petit pour être achetable par l’administration. Exporté au Japon il y sera tête de liste des pères de gagnants.
 
Tom Bilibi ne toisait qu’1m60 mais fut pourtant l’un des plus grands produits de Toscane IV. Invaincu avant le Ministère, un problème au genou le fit arriver second de cette course qui servait de support aux achats de l’administration. N’étant pas invaincu l’offre publique fut somme toute relativement modeste. Surtout en comparaison de celle des Japonais (10 fois supérieure) qui l’importèrent pour leur élevage.
 
 
La délégation japonaise venue acheter Tasos, ici avec Mme Emile Lestorte.
 
 
Si les courses pour Anglo-Arabes ont aujourd’hui disparu au Japon, il y eut pendant plusieurs décennies un programme considérable dans ce pays. Pour alimenter en reproducteurs un élevage qui devait fournir un nombre de courses et des allocations bien supérieurs à celui de l’hexagone, les Japonais achetèrent en France la crème du stud-book des années 70 aux années 90. Le prix des meilleurs Anglos connus une inflation comparable à celle provoquée par l’arrivée des cheiks chez les Pur-sangs Arabes quelques années plus tard.
 
 
Tom Bilibi fut lui aussi exporté au Japon.
 
 
Alors qu’elle avait été toute puissante sur ce marché pendant un siècle, l’administration des Haras ne pouvait plus suivre et l’élevage Français fut privé de ses meilleurs éléments pendant plusieurs décennies. Du fait des performances hors norme de la souche Lestorte en France comme Japon, cette dernière fut tout particulièrement victime de son succès. Les exportations vers la Japon ne portèrent rapidement plus seulement sur les meilleurs galopeurs de cette famille mais aussi sur les chevaux d’élevage. Si bien que l’origine fut en quelque sorte « dépouillée » de ses meilleurs éléments qui ne purent perpétuer la grande qualité de leur souche sur notre territoire. Le cas de Thalian illustre bien cette situation.
 
Thalian, chef de race du stud-book Anglo-Arabe Français
 
Issu des deux souches de la famille Lestorte par son père l’Arabe Djerba Oua (voir chapitre 3) et sa mère Thaya (25% gagnante contre les purs en obstacle), Thalian fut un véritable phénomène en course. Invaincu pour ses sept sorties à trois ans (dont l’Omnium), son fait d’arme fut sans aucun doute sa victoire de 15 longueurs dans le Prix de l’élevage devant Faro qui fut par la suite un très bon gagnant à Auteuil et Pau. Très typé, cet excellent modèle s’imposa ensuite au concours étalon 1963.
 
 
Thalian dans ses vieux jours, à Pompadour.
 
 
Judicieusement affecté à Pompadour il y a produira avec une qualité et régularité quasi métronomique. Sa production gagnera partout, en plat comme en obstacle, du Sud Ouest jusqu’à Auteuil. Il fut pendant cinq ans tête de le liste des pères de gagnants d’AQPS en plat, tête de liste de pères d’Anglo-Arabes, ainsi que l’un des dix meilleurs pères d’AQPS en obstacle. Thalian n’aura pas de fils à sa hauteur au haras (hormis dans une certaine mesure Perdalian), les meilleurs d’entre eux ayant systématiquement été exportés au Japon.
 
Les observateurs les plus attentifs auront noté la victoire de Calos dans le Prix Toscane IV le 18 juillet dernier à Mont de Marsan. Il se trouve que Calos est un arrière arrière petite fils de la fameuse poulinière de l’élevage Lestorte. Catharine a été élevée par Daniel Bellot et l’histoire de sa famille proche à été détaillée dans un article publié précédemment sur ce site : Catharine : un trésor perdu a été retrouvé (paru le 05/04/2012).
 
Une bonne souche AQPS basée sur la famille Lestorte :
 
Doublement issue de la souche Lestorte (ses grands parents Tetouan et Traviata III étaient propres frères et sœurs), Toscanette sera « exportée » en dehors du berceau de race pour reproduire en AQPS. On trouve dans sa descendance une série de très bons AQPS comme Bazoches (bonne gagnante en obstacle), Passadena ( Grand Steeple-Chase de Bordeaux Listed), Elzoba (2e Prix Ferdinand Dufaure à Auteuil Groupe I, 3e Prix Orcada à Auteuil Groupe III et 85 965 euros), Ready To Go (3e du Grand Steeple de Waregem Listed), Montecatini (143.215 euros de gains, gagnant à Auteuil), Vatosca (tête de liste des AQPS à 4 ans en plat et 2 victoires à Auteuil), Pasco d'Airy (2 victoires à Auteuil et 99.850 euros de gains)…
 
 
 
Bazoches sur le cross de Pau (n°7). Elle sera à l'origine d'une belle souche AQPS.
 
 
Cet exemple illustre bien l’impact positif qu’a eu (et qu’il continuera sans doute à avoir) l’Anglo-Arabe sur le Stud-book AQPS dont une naissance sur trois est issue de sang Anglo.
 
L’Anglo-Arabe, comme toute les races de chevaux de sang connait une période difficile depuis quelques années. Dans ces heures incertaines il est parfois salutaire de revenir sur le travail accomplis par nos ainés. Emile Lestorte fut l’un de ceux qui répondirent avec créativité et énergie à la crise qui malmena son époque. Il nous a légué des courants de sang exceptionnels qui ont porté haut les couleurs du Sud Ouest aux quatre coins du monde. Son exigence et sa volonté d’entreprendre font de sa personne un exemple intemporel.
 
Emile Lestorte est mort en 1966. En 2013 un article lui est consacré. Les grands éleveurs ne meurent jamais…
 
Adrien CUGNASSE
 

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