Gynécologie : trouver le sain équilibre entre la méthode ancienne et le " tout véto "

12/04/2020 - Santé
Sujet délicat, la gynécologie équine a vu ses méthodes bouleversées ces 20 dernières années, passant d'une pratique à l'ancienne à un probable excès de science qui peut finir par dénaturer l'animal. Comment faire, dans la théorie et la pratique, pour trouver l'équilibre le plus sain pour féconder les juments tout en limitant la chimie et la dépendance aux échographies à répétition, avec les problèmes de confinement de chevaux qui en découlent ?

Echographie de l'appareil reproducteur d'une jument par le… | Flickr
Une échographie.

 

Tout comme l'Homme, le cheval par nature nomade n'est pas fait pour le confinement ! La réduction de l'espace et de la mobilité est pourtant une conséquence plus perfide encore que l'excès de chimie dans une gynécologie équine, qui présente donc une double forme de difficulté. Ainsi, il faut bien prendre garde à ne pas glisser dans le confort apparent que proposent les progrès scientiques en la matière. Car, au contraire de ce qui était annoncé il y a 10 ans, les faits du quotidien sur le terrain font apparaître que les injections d'hormones, pour déclencher les chaleurs ou  l'ovulation, finissent par dérégler certaines juments, sans que ce soit le cas pour toutes. Comme tous les mammifères, les chevaux ne sont pas égaux dans leur physiologie. Donc parfois, les traitements étirent la saison de monte en longueur au lieu de la raccourcir comme prévu.

 


 

LA PROBLEMATIQUE DES ELEVEURS
 

En même temps, la dépendance au suivi gynécologique, tombant dans l'excès du " tout véto", s'il est rassurant pour l'éleveur qui s'en remet ainsi au savoir de l'homme de science, a pour conséquence la multiplication des visites et examens de la part du praticien. Les débats internes sont nombreux, entre les vétérinaires eux-mêmes, leurs  habitudes et les désideratas des éleveurs qui sont leurs clients. Et dans le cas d'un confinement, comme on l'a vu à la mi-mars et comme cela pourra malheureusement se répéter, c'est la panique à bord.

Non seulement la répétition des examens n'arrange pas forcément le praticien. En effet, le règlement au forfait est beaucoup plus répandu qu'à l'intervention. Mais surtout, à défaut d'avoir un personnel pléthorique pour assurer les déplacements, cela contraint les éleveurs à conserver les juments et leur jeune progéniture à proximité immédiate des structures équipées, souvent dans des petits paddocks rapidement dénués d'herbe. Tout pendant ce temps là, mères et petits ne se déplacent pas et ne profitent pas de la fameuse pousse d'herbe du printemps.

 


La méthode "tout véto" implique souvent que les juments, et donc leurs jeunes foals, ne profitent pas vraiment de la bonne herbe de printemps.

 

LE CERCLE VICIEUX À EVITER
 

Physiquement, à cause de la concentration d'animaux, les foals se retrouvent plus que jamais exposés aux dangers du parasitisme et des bactéries néfastes comme la Rhodococose (maladie comparable à la tuberculose pour les chevaux) qui sévit cruellement depuis près de 10 ans. Psychologie, et même si les chevaux ne parlent pas, on a du mal à penser que des juments ne vivraient pas mieux leurs cycles printaniers au calme dans les vertes prairies plutôt qu'autour d'écuries transformées entre février et juin en cliniques de campagne agitées en permanence, à se faire faire des coloscopies tous les 2 jours et parfois des piqures par dessus le marché. Côté poulain, prévu pour devenir un phénomène de vitesse, c'est une mauvaise habitude que de commencer sa vie par tourner en espace restreint pendant ses 3 premiers mois de vie sinon plus. Evidemment, c'est plus facile à dire qu'à appliquer dans la pratique pour le commun des éleveurs, à moins d'avoir des équipes et des camions et/ou un vaste domaine d'un seul tenant. 

 

 


Vétérinaire à la clinique de Meslay-du-Maine, Jean-Christophe Bayle réalise l'échographie d'une jeune poulinière maiden. Il nous explique la taille du follicule qui est nécessaire pour envoyer la jument à sa 1e saillie.

 

 

UNE METHODE ANTI-DOGME
 

Après des mois de questionnement auprès d'éleveurs, petits et grands et de toutes régions, des vétérinaires et des étalonniers, voici un bilan des pratiques possibles et efficaces afin de sortir d'un cercle vicieux que l'ami Rabelais avait déjà prévu il y a 500 ans : " Science sans conscience n'est que ruine de l'âme." A noter que ce ne sont ni des conseils ni des avis révolutionnaires, mais juste un recueil cohérent de pratiques de bon sens qui bien sûr comportent moults exceptions et ne fonctionneront jamais à 100%...
 

CE N'ETAIT PAS QUE MIEUX AVANT


La pratique de la gynécologie purement à l'ancienne a ses limites, ne serait-ce qu'en terme de chiffres. Le retour strict de son application impliquerait que les étalons redeviendraient liste pleine à 40 juments, que les juments en question ne produisent qu'exceptionnellement plus de 6 ou 7 poulains dans leur carrière, et qu'elles ne saillissent le plus souvent que dans les cantons voisins. Impensable !. Comme toujours, le fameux " C'était mieux avant " ne vaut rien. Mais à l'heure des pollutions, du dérèglement climatique et des virus, il est sans doute temps de passer à l'époque " post moderne", tout en évitant soigneusement les idéologues, les dogmatiques et les donneurs de leçons. Bref, de faire simple en essayant déjà de copier la nature, ce que le génial et humble Gaudi fit pour l'architecture à Barcelone.

 

 


A chacun sa méthode pour faire souffler ses juments.

 

SOUFFLEUR : LE MOINS BEAU METIER DU MONDE

Symbole de l'élevage à l'ancienne, l'utilisation du souffleur a été largement mis de côté au profit de l'amélioration de la science gynécologique. En effet, avoir un souffleur implique des contraintes. Cela nécessite non seulement de trouver l'animal adéquat, souvent un mâle double poney avec du sang arabe particulièrement agile et malin, mais aussi de l'entretenir à l'année sans trop savoir quoi en faire à l'arrière saison, et d'avoir des structures qui permettent de souffler ses juments en sécurité. La pratique engendre quelques coups de pieds intempestifs...Pour faire au plus simple, il faut pouvoir faire passer le souffleur le long des prés où stationnent les juments à saillir. Celles concernées se déplaceront toutes seules du milieu du champ vers l'objet du désir. Quant à celles qui restent obstinément à distance, mieux vaut ne pas insister...

Sans apporter de garantie absolue, car il a été constaté sur le terrain qu'un nombre non négligeable de juments se font "mal voir"au souffleur, celui-ci  reste le meilleur testeur et même provoquateur de chaleurs. Des expériences de remises de juments très compliquées en contact du souffleur prouvent que des poulinières retrouvent leur comportement ancestral et retombent en chaleur naturellement. Le souffleur aide donc la jument à se cycler toute seule. Sur certaines juments jeunes, caractérielles ou réfractaires, le souffleur insistant finit par leur faire "ouvrir les chakras" (NDLR: que les feministes ne s'offusquent pas...). Dans certains cas, l'examen vétérinaire pourrait indiquer que le jument est objectivement prête à être saillie à un moment précis alors qu'en réalité, elle ne l'est pas encore et seul le souffleur peut donner cette indication. Enfin, le souffleur peut éviter une échographie deux semaines après la saillie pour savoir si elle est pleine ou pas. Car si elle montre à nouveau des signes de chaleur, c'est qu'elle n'est pas pleine, et dans le cas contraire, c'est qu'elle est pleine et nul besoin de se précipiter vers l'échographe. Là encore, le souffleur aide l'éleveur à se reconnecter avec la réalité en se sortant de la prison dorée du "tout véto".

 


la chaleur de lait ne doit être exploitée que si certaines conditions sont réunies.

 

LA CHALEUR DE LAIT :

Voilà un sujet qui fâche ! L'utilisation de la chaleur de lait, réputée moins fertile et plus propice à la perte d'embryron, fait débat depuis des décennies. Il y a des contres, nombreux chez les étalonniers notamment qui font face à  un "doublement" très problématiques pour un étalon liste pleine, ou à des refus de saillie de la part de certains étalons rebutés par certaines odeurs caractéristiques de la période post poulinage. Il y a des pour, comme Patrick Davezac, le roi de l'Anglo-Arabie au Haras du Pécos, qui continue d'obtenir d'excellents résultats tous les ans avec cette pratique initiée par... son grand-père !

La chaleur de lait, si elle ne présente pas de garantie, offre un triple avantage:

 1 - Exploiter intelligemment le temps que le foal doit passer à consolider ses articulations dans ses 1e jours au boxe ou au petit paddock avec sa mère,

2 - Réduire possiblement le délai entre le poulinage et la nouvelle fécondation, donc éloigner au plus vite le foal et sa mère des écuries où tout le monde passe,

3 - Epargner à la mère, en cas de réussite, des futurs traitements chimiques pour la remplir avant qu'il ne soit trop tard.

Mais le fait est que l'exploitation d'une chaleur de lait doit se traiter au cas par cas, avec une assistance particulièrement pointue du vétérinaire. En effet, pour réussir, il faut impérativement que la jument présente un appareil génital propre et un utérus assez bien remis en place, ce qui n'est pas du tout une évidence quelques jours après un poulinage. Donc pour commencer, il faut que le poulinage se soit bien passé, puis que la jument ait pu marcher suffisamment pour se nettoyer naturellement dans les jours suivants, et donc que le poulain soit assez stable pour la suivre, qu'elle soit aidée dans l'effort de contraction de l'utérus par l'injonction quotidienne d'ocytocine (produit qui ne présente aucun risque de rejet). On peut aussi ajouter un lavement, mais une récente étude australienne a démontré qu'un lavement utérin à 3 jours n'apportait pas de bénéfice.

 


Cette jument a été testée pleine sur chaleur de lait, seulement 28 jours après la naissance de son foal.
 

 

Une fois ces conditions réunies, il faut que l'éleveur garde patience quand la jument présente les premiers signes de chaleur. Car si relle survient 5 jours seulement après le poulinage, la jument ne devra jamais être saillie avant 8 jours post naissance et parfois jusqu'à 13 jours après. Il faut donc viser juste et propre, et n'aller à la rencontre de l'étalon qu'après l'aval ferme de son vétérinaire.

Attention toutefois, la chaleur de lait augmente le risque de résorption embryronnaire, c'est à dire la "casse" constatée lors de la confirmation 2 semaines après la 1e échographie quand la jument est testée pleine. Cela provient du fait que l'environnement utérin peut conserver quelques fonds de germe ou saletés diverses qui viennent attaquer l'embryon. Une fois de plus, la chaleur de lait doit être utilisée avec parcimonie au cas par cas, au risque de perdre du temps à tout recommencer à zéro, plutôt qu'en gagner.

 

 
Vétérinaire à la clinique de Meslay-du-Maine, Jean-Christophe Bayle réalise l'échographie de Corymbe des Mottes, testée pleine de Sinndar de 30 jours et nous montre le coeur qui bat.


 

L'EXAMEN DU COL

Le "tout véto" se traduit parfois par l'excès d'examens de col obligeant le praticien à passer par le vagin, qui comporte une 1e partie sceptique puis une 2e patrtie stérile. Très rigoureux pour éviter l'infection, le protocole n'est pas facile à respecter strictement sur le terrain. Le risque ainsi est d'amener des germes en zone stérile. C'est  ce que  fait la verge à la pénétration, sauf qu'à ce moment l'appareil génital est parfaitement prêt pour cela. L'intérêt de cet examen du col est qu'il permet de déceler les juments qui sont en chaleur mais dont le follicule n'est pas prêt à craquer. C'est un type de tri qui peut être fait par un souffleur. Pour résumer, il est préférable que l'examen du col reste seulement un examen complémentaire aux images échographiques s'il y a une mauvaise concordance entre follicule et oedème utérin, ou si justement il y a une mauvaise concordance avec comportement au souffleur.

 

L'ECHOGRAPHIE à 15 JOURS :

Si on souhaite limiter le nombre d'interventions du vétérinaire sur une jument à saillir, il est possible d'éviter la 1e échographie devenue habituelle, celle dite des 15 jours, qui correspond au délai d'intercycle. En effet, une jument qui se révèlerait bonne à saillir à seulement 15 jours de la fin de la chaleur précédente serait saillie inutilement car la chaleur dans ce cas est très mauvaise. L'échographie a pour but de voir venir le cycle (si la jument n'est pas encore pleine) et aussi d'avoir plus de facilité d'accès aux jumeaux, qui se "promènent" dans l'utérus entre le 15e et le 18e jour. Au contraire, des vétos préfèrent attendre le 18e jour pour écraser l'un des deux jumeaux, car ils sont plus gros.

 

 

 

Vétérinaire à la clinique de Meslay-du-Maine, Jean-Christophe Bayle réalise l'échographie d'une jument suitée, Stanz, et explique l'intérêt ou non d'exploiter la chaleur de lait.

 

LA PROSTAGLANDINE :

La prostaglandine est une hormone qui provoque la mise en chaleur, grâce à l'accélération de l'élimination du corps jaune qui la bloque pendant les 15 jours de l'intercycle ovarien. Ainsi, on pique parfois 4 ou 5 jours après l'ovulation pour assurer le retour rapide de la suivante. Autre méthode, on pique à l'aveugle 18 jours après le poulinage, de façon à ce que la jument revienne en chaleur dans la foulée, sans qu'on ait eu besoin de suivre la jument au souffleur. Quand il est sorti, ce traitement était donc très séduisant dans la théorie et la pratique. Mais au bout d'un moment, des utilisateurs ont constaté des effets inverses à la facilité escomptée : cycles perturbés, mauvaises chaleurs avec des follicules qui se bloquent dans leur évolution empêchant une bonne ovulation. Sans être banni, la prostaglandine devrait donc être utilisée non pas systématiquement mais seulement en dernier recours, par exemple en fin de saison de monte quand l'horloge tourne. Par exemple, au Haras de Grandcamp, Eric Lhermite s'est donné pour règle de ne jamais intervenir chimiquement avant la 3e chaleur post poulinage, laissant la chance aux cycles naturels d'agir en priorité.

 

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LE CHORULON ND :

Stimulateur hormonal, le chorulon est un booster pour pousser l'ovulation quand le follicule a du mal à exploser tout seul. Il provoque un pic d'ovulation dans les 36h après injection, avec une garantie dans les 48H. Il est utilisé juste en amont du saut la veille ou le matin d'une saillie, quand le vétérinaire estime qu'il est préférable d'assurer l'ovulation dans les délais souhaités. Là encore, la perspective est très séduisante à priori, d'autant plus qu'il fut clairement affirmé, dans les milieux autorisés que certaines juments seulement s'immuniseraient en cours de saison contre le Chorulon, et qu'un report sur la saison suivante était impossible. Toutefois, les faits constatés de plus en plus sur le terrain font battre en brêche ces affirmations. Et là encore, afin d'éviter les contre-réactions conséquentes d'un usage trop fréquent, le Chorulon peut n'être utilisé que dans les cas de longs voyages avec des juments pour des saillies à des étalons si pleins qu'ils ne peuvent pas doubler la saillie.

Outre le Chorulon ND, le Suprefact ND et Decapeptyl ND sont utilisés hors cadre légal car non autorisés pour chevaux normalement. La responsabilité du vétérinaire ou du détenteur peut être mise en jeu en cas de problème. Les 2 produits ne sont pas forcément plus puissants, mais utiles sur des juments qui ne répondent justement plus au Chorulon. Le Décapeptyl étant un médicament pour les femmes et non pour les juments, il contraint à faire sortir les animaux du circuit de la consommation.

 


Vétérinaire à la clinique de Meslay-du-Maine, Jean-Christophe Bayle réalise une échographie d'une jument à l'entrainement, Noble Raven, e explique ce cas particulier.

 


ON EST DES ENFANTS DE CHOEUR


L'assistance gynécologique dans le monde du pur-sang, où seule la monte naturelle est autorisée, reste très limitée par rapport aux trotteurs, aux bovins mais surtout aux chevaux arabes et aux chevaux de sports où tout est pratiqué jusqu'aux transferts d'embryons, et même la transplation ovicitaire sur des pouliches âgée de seulement un an, devenant déjà mère grâce à des juments porteuses. Dernière technique en fort développement chez les chevaux de selle: la ponction de follicules qui vont être ensuite fécondés in vitro. L'embryon obtenu est reimplanté dans une porteuse, la "mère" pouvant en parallèle de tout ça continuer par exemple sa vie de compétitrice, en ayant juste subi une aspiration de ses follicules en début de saison.

 

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