Enable : l'histoire du prince Abdullah et du mystérieux docteur allemand

08/10/2018 - Grand Destin
Déjà la seule pouliche à avoir fait le triptyque Oaks anglaises, Oaks irlandaises et King George VI d'Ascot à 3 ans, Enable fait le doublé comblant son propriétaire éleveur Khaled Abdullah. Le prince saoudien n'aurait pourtant jamais acheté son obscure 4e mère si elle ne faisait partie d'un lot à 30 millions de dollars acquis à un mystérieux docteur allemand. Xavier Bougon raconte.



Les quatre lauréates de l’Arc anglais à 3 ans avaient gagné les Oaks

Avant même d'avoir accompli le doublé d'Arc de Triomphe, en terrain très souple puis rapide, Enable était devenue, dans le terrain lourd du 29 juillet 2017 à Ascot, la toute 1e lauréate d'un triplé jusque là impossible à réaliser : Oaks / Irish Oaks / King George la même année. Par ailleurs, elle n'est que la 4e pouliche de 3 ans à remporter l’Arc anglais, celui disputé à Ascot. Notons qu'avant elle, la française Pawneese avait réussi un exploit comparable en 1976, faisant sienne les Oaks d’Epsom le 4 juin et le Prix de Diane le 13 juin, à chaque fois montée par Yves Saint-Martin portant les couleurs de Daniel Wildenstein pour l’entrainement d’Angel Penna, avant de s'imposer à Ascot.
 
Deux autres pouliches qui ont battu les mâles et les aînés dans les King George n’avaient fait "qu’un simple doublé" : la crack française Dahlia (Vaguely Noble), la pensionnaire de Nelson-Bunker Hunt et de Maurice Zilber avait enlevé les Irish Oaks 1973 et Taghrooda (Sea The Stars), propriété d’Hamdan Al Maktoum chez John Gosden, les Oaks d’Epsom 2014.
 
 

Revoir les 2 victoires de Dahlia dans les King George 1973 et 1974. Elle reste d'ailleurs le seul cheval de l'histoire à avoir réussi un tel doublé.
 
 
A noter que seules 4 femelles d'âge se sont aussi inscrites au palmarès des King George : Aunt Edith (Primera) en 1966 à 4 ans, Park Top en 1969 à 5 ans, à nouveau Dahlia en 1974 à 4 ans, Time Charter (Saritamer) en 1983 à 4 ans enfin Danedream (Lomitas) en 2012 à 4 ans, quelques mois après son succès dans le Prix de l’Arc de Triomphe.
 
Une famille américaine exportée en Irlande
 
Enable est issue de la même famille maternelle que celle de Flintshire, Spanish Moon et autres champions à la casaque verte et rose. L’histoire débute par la naissance en 1970 de Fleet Noble, propriété de Robert A. Franklyn. Ce dernier, californien d’Hollywood où il est chirurgien plastique a fait l'actualité en Europe à l'époque en tant qu'acheteur de son père, le fameux Vaguely Noble.
 
 

Enable lors de sa victoire dans les King George, Gr.1 disputé sous une pluie battante, avec Frankie Dettori.
 
 
 
La pouliche, Fleet Noble, va débarquer en Europe chez Roger Poincelet qui la fera débuter victorieusement en avril de ses 3 ans pour le compte du propriétaire américain (casaque viel-or à brandebourgs, toque viel-or). Ce 25 avril à Maisons-Laffitte, elle l’emporte d’une courte encolure face à 10 autres débutantes, pilotée par son apprenti Claude Merger. Ni une ni deux, dès sa seconde sortie, elle affronte les plus aguerries dans le Prix de Royaumont dans lequel elle ne fait qu’illusion. Elle se classe ensuite sixième du Prix d’Astarté après une victoire fin juillet dans un handicap sur 1.800 m. disputé à Evry.
 
Elle rejoindra le haras l’année suivante suite à sa vente en décembre 1973 au Docteur Herbert Schnapka. Pour son nouveau propriétaire elle ira, pour ses premiers amours, à la rencontre d’Habitat (Sir Gaylord). Mettons tout de suite les choses à plat, Fleet Noble n’aura pas une production des plus sensationnelles, aucun black-type à l’horizon, mais seul l’avenir de Fleet Girl (1975), son premier produit nous intéresse.
 
 
Un allemand élevant en Irlande et aux USA
 
Schnapka, de nationalité allemande, s’intéresse à la chose hippique depuis 1927, l’année de ses 16 ans. A l’époque de l’achat de Fleet Noble, il acquiert un haras en Irlande, Ferrans Stud, situé à Kilcock dans le Comté de Meath.
Deux ans plus tard, il achètera à Nelson Bunker. Hunt, un certain Exceller (encore un fils de Vaguely Noble) en fin de carrière.
 
Son appétit n’est pas rassasié, il continue ses achats en s’offrant l’illustre haras du Kentucky fondé en 1747, Belair Farm (vendu par la famille Combs en proie à des difficultés financières et autres).
 
Herbert Schnapka (décédé en 2003) comptera jusqu’à 150 chevaux répartis entre l’Irlande et les USA.
 
 
 

Le Prince Khaled Abdullah, en 2012, avec Frankel et Sir Henry Cecil.
 
 
Deux victoires en 24 heures pour la même jument
 
Fleet Girl est stationnée à l’entrainement chez Paddy Norris en Irlande. Elle fait des débuts modestes à 3 ans, saison ponctuée par deux victoires estival en l’espace de vingt-quatre heures, le 15 et le 16 août 1978 à Waterford et Tramore l’une sur 1.800 m., l’autre sur 2.400 m. Pas de quoi pavoiser tout de même.
 
Elle rejoindra quand même Ferrans Stud et donnera naissance à 3 vainqueurs pour son propriétaire-éleveur sous différentes entités, tantôt Schnapka, tantôt Stall Weissenhof ou Gestüt Nehmden, tantôt Ferrans Stud.
 
L’une de ses élèves, Fleety Brave (1981 Bold Lad) donnera naissance à un black-type allemand, Fleet For Europe (1989 Lagunas) et une autre, Eskaroon (1982 Artaius) donnera, après avoir été vendue, Nenna (f. 1992 Dancing Dissident), gagnante de Listed en Italie et troisième du Premio Lydia Tesio (Gr.2). Mais ces deux black-type, c’était après…..la vente de Fleet Girl. Et cela ne présage en rien de lendemains qui chantent?
 
 

Khaled Abdullah avec George Blackwell dans les années 70, à l'époqe de ses grandes vagues d'achat.
 
 
 
Mais comment l’aïeule d’Enable est arrivée dans le giron Abdullah ?
 
 
Assez peu de temps après son achat dans le Kentucky, Herbert Schnapka revend Belair Farm. Il fait même le tout en octobre 1982 au Prince Khalid Abdullah pour $ 30 Millions. La transaction comprenait le haras américain, le haras irlandais, 38 poulinières, 21 foals et une part de trois étalons renommés, Blushing Groom, Lyphard et Riverman.
 
C'est le moment où tout change dans la vie de Fleet Girl qui faisait partie de la transaction et qui devient une matrone extraordinaire. Dépourvue du sang de Northern Dancer, elle ira à la saillie d’Ile de Bourbon (Nijinsky). Naitra dès la première année, Bourbon Girl, 2e des Oaks anglaises et irlandaises, 3e des Yorkshire Oaks. De la descendance direct de Fleet Girl pour le prince saoudien, sortiront : Apogée, Dance Routine, Flintshire, Apsis, Space Quest, Kocab, Daring Miss, Spanish Moon, Spanish Sun sans parler d’une certaine Concentric (2004 Sadler’s Wells), la mère d’Enable (Nathaniel).
 
Notes
 
Les achats ont été l’œuvre d’un des conseilleurs du Prince de 1977 à 1982, Humphrey Cottrill assisté de James Delahooke (jusqu’en 1986). Ferrans Stud servira par la suite au débourrage des élèves du Prince.
 
 
 
 


Comme son père Nathaniel
 
 
Enable imite son père Nathaniel, lui aussi vainqueur des King George à 3 ans, puis des Eclipse Stakes à 4 ans, et qui démarre très fort avec sa 1e génération de 3 ans. Ce fils de Galileo avec une mère par Silver Hawk, prouve encore une fois la capacité de Galileo de transmettre son talent de reproducteur à ses produits étalons, et couvre de gloire Newsells Park Stud. Ce haras de Newmarket, appartenant au milliardaire allemand Andreas Jacobs (Gestut Farhof) qui l'a hérité de son père Klaus Jacobs, s'était associé sur le cheval à Lady Rothschild 4 jours avant les Eclipse.
 
Extrêmement dur à la lutte, Nathaniel avait remporté cette édition bizarre et sinistre des King George 2011, ou Rewilding s'est tué à mi-ligne droite et Workforce a fini le long de la lice extérieure. Défendant son titre à 4 ans, il ne s'est incliné que dans la dernière foulée face à une extraordinaire Danedream.
 
Nathaniel a terminé sa carrière dans l'incroyable course d'adieux triomphale de Frankel, les Champion Stakes 2012 à Ascot, à la 3e place derrière le crack invaincu et notre Cirrus des Aigles national. Réputé pas assez précoce, ou trop "classique", Nathaniel n'a pas débuté dans une fanfare si bruyante à l'époque, et sa saillie est aujourd'hui proposé au tarif de £ 17.500, prix catalogue...S'il n'a pas gagné à 2 ans, il est bon de rappeler que Nathaniel fut assez vite sur jambe pour conclure 2e pour ses débuts en aout à Newmarket, battu seulement d'une demi-longueur par...Frankel !
 
 
 

Concentric, la mère de Enable, lors de sa victoire en débutant dans le Prix de Chaillot à Longchamp.
 
 
NOTES : 
 
  • Les stratèges de Juddmonte doivent se creuser la tête pour croiser une fille directe de Sadlers'Wells, ce qui est le cas de Concentric. Il ne peuvent pas échapper au sang du chef de race. Avec Nathaniel, l'inbreed sur Sadler's Wells est de 3x2, ce qui est tout de même proche de rendre fou, ou génial. Galileo, grand-père du vainqueur des King George, est aussi le père direct de ses 3 plus proches poursuivants : Ulysses, Idaho et Highland Reel !
 
  • Entrainée par André Fabre, Concentric fit des débuts si explosifs en avril de ses 3 ans dans le Prix de Chaillot que Laurent Bruneteau, présentateur du direct d'Equidia ce jour là, en fit sa favorite du Prix de Diane. Elle n'a pas couru le classique cantilien et ne fut finalement pas la championne attendue mais a tout de même gagné à l'automne le Prix Charles Laffitte (Listed) et a conclu 2e du Prix de Flore (Gr.3). Enable est son 5e produit, avec 2 chevaux restés inédits, un petit vainqueur à Pornichet et une black type nommé Contribution. Nathaniel représente sa 1e rencontre avec un cheval de type classique, ses amants précédents, Oasis Dream, Dansili, Champs Elysées, étant plus taillés pour la vitesse.

     
  • Parmi les 38 poulinières, outre Fleet Girl, figuraient notamment Flare Pass, à l'origine de Proflare, et Sunny Bay, une autre jument qui a fait flores chez Abdullah avec Sunshack, Raintrap, Polish Summer, etc...

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