Pyledriver, où quand les "gueux" deviennent les seigneurs

20/08/2020 - Actualités
Il y a 2 ans, Darain et Mogul étaient vendus plus de 3M de Guinées chacun à Tattersalls. Un an avant, personne ne voulait de Pyledriver pour 10 000 Guinées, et pourtant c'est lui qui est aujourd'hui la star après son succès dans les Great Voltigeur Stakes. Ce poulain issu d'une mère achetée à réclamer en France fait vivre un conte de fées à son entourage, les "gueux" devenus seigneurs. 

Pyledriver, en tête dans les Great Voltigeur Stakes (Gr.2), fait tomber les yearlings millionnaires (©TDN)

 

Ce sont des petits propriétaires comme il y en a plein, des gens qui n'ont pas des moyens énormes, mais qui essayent de se faire plaisir avec ce qu'ils ont, en espérant trouver la perle rare. Les anglais Hugo Leach, Guy Leach et Roger Devlin sont en train de réaliser le rêve ultime de tout homme de cheval :  élever pour courir l'Arc, qui plus est sous leurs couleurs ! Hugo et Guy sont frères, et ont connu Robert à leur club de golf. Pour la haute société des courses anglaises, ces 3 gaillards seraient catégorisés comme des gens " ayant des chevaux pour courir le lundi à Chepstow ou le mardi à Wolverhampton", bref des propriétaires avec des coursiers pas très sexys, condamnés à boire leurs bières dans le froid d'un petit hippodrome de province, sans jamais se voir offrir un coup de champagne à Royal Ascot. Bien heureusement, tous ces clichés, malheureusement souvent vrais, se voient balayés par Pyledriver, le cheval (de bataille) de ces 3 compères du golf, qui sont en train de mettre à terre les riches seigneurs des courses anglaises, avec un bourricot dont personne ne voulait étant jeune, et qu'ils ont été obligés de garder sous leurs couleurs ! 

 

 

La mère de Pyledriver, La Pyle, appartient à nos 3 amis, qui l'avaient achetée en France pour faire de l'obstacle, alors qu'elle courait chez Richard Chotard sous la casaque de Guy Petit. Le courtier français nous confie même qu'il "l'avait acheté pour une carrière en obstacle, mais qu'elle n'était pas douée". Appartenant à Gérard-Augustin Normand avant Guy Petit, notre La Pyle était une coursière honnête, manquant vraisemblablement d'un poil de classe, et même si les haies ne lui réussissaient pas, les 3 anglais l'avait achetée pour aller chez David Pipe. Elle y a peu couru, se blessant rapidement, et les Guy, Hugo et Robert se voient conseillés par un ami qui leur dit que la jument est bien née, et qu'ils devraient la garder comme poulinière. Tout se déroule à merveille, puisqu'en l'espace de 2 ans après l'arrêt de sa carrière, La Pyle se retrouve d'un coup soeur d'un gagnant de Gr.1, à savoir Mont Ormel (Grand Prix de Paris). Cette saison 2016, elle est saillie par Harbour Watch, un rapide fils d'Acclamation, qui a n'a fait que 4 saisons de monte pour cause de soucis de fertilité. Evidemment, le croisement cherche à ramener de la vitesse sur la Pyle, mais les dieux de l'élevage en décident autrement et Pyledriver deviendra un vrai cheval de distance classique, voire plus long ! 

 

La Pyle, la mère de Pyledriver, une jument honnête parmi des milliers d'autres...et pourtant (APRH)

 

En décembre 2017, Pyledriver passe foal sur le ring de Tattersalls December, auréolé de beaux updates. C'est la douche froide pour ses propriétaires/éleveurs, qui le ravalent pour 10 000 Gns. Dégoutés par l'expérience, ils décident de ne plus chercher à le vendre et de l'envoyer à l'entraînement. Voilà que ces petits propriétaires, bien loin des grandes sphères des courses, ces "gueux" comme on pourrait gentiment les surnommer, expérimentent ce qui arrive à tout le monde, devoir exploiter son cheval. Dure loi de l'élevage, qui nous laisse croire qu'on a la perle rare avec naiveté, jusqu'au jour où l'on se rend compte que personne n'en veut. Pyledriver se retrouve chez William Muir, un entraîneur qui a 30 ans d'expérience, besogneux mais peu ou pas connu, qui n'a jamais gagné un Gr.1 tout en passant près de ce précieux graal à plusieurs reprises. Cet homonyme d'un célèbre commandeur écossais, et du coup de pas mal de pubs du coin, a une trentaine de chevaux. La liste du matin pourrait grandir, mais Muir n'est pas l'homme à la mode. Tant pis, malgré cela, Pyledriver montre des belles choses, et débute à 2 ans à Salisbury. Amené en camion par son mentor en personne, le poulain gagne à 50/1, et la légende dit que toute l'écurie avait donné un billet de 20 livres à parier sur le cheval...la promesse d'un sacré apéro ! A ce moment déjà, le pari est gagné pour ses 3 propriétaires, qui connaissent enfin les joies attendues avec leur poulain...mais le rêve n'est pas fini. 

 

Pyledriver Rerouted To Voltigeur

William Muir, l'homme de Pyledriver (© TDN) 

 

A 2 ans, Pyledriver se permet même de gagner une listed, mais se montre décevante dans un Gr.2 sur le mile. Malgré cela, William Muir sait qu'il a un diamant brut, et le fait rentrer directement dans un Gr.3 sur 2000m, dont il prend la deuxième place. A Ascot, dans les King Edward VII Stakes, Pyledriver s'élance à 20/1, et explose ses rivaux, offrant dans une année particulière un triomphe à son entourage. Le comble, ses propriétaires qui avaient tant rêvé se voient privés d'assister au spectacle que leur offre leur poulain, la faute au Covid. D'un coup d'un seul, les "gueux" deviennent des seigneurs, et participent au Derby d'Epsom, où Pyledriver se fait, comme l'a dit son entraîneur, "prendre en sandwich" en début de course, lui enlevant toutes ses chances. Mais la belle histoire continue et Pyledriver s'envole au fameux meeting Ebor de York, dans les réputés Great Voltigeur Stakes (Gr.2), qui ont vu passer des cracks, et des grands propriétaires au portefeuille rempli. Bien loin des hautes sphères, Pyledriver, comme un symbole, écrase au passage les 2 yearlings les plus chers de sa génération, Darain et Mogul, achetés pour respectivement 3,5 M et 3,4 M de Guinées. Les nouveaux seigneurs n'en reviennent pas, leur cheval dont personne ne voulait pour le prix d'une voiture vaut désormais tout l'or du monde, et le téléphone sonne de tous les côtés. Après tout, pourquoi s'arrêter là...? Pyledriver va donc rester la propriété des 3 golfeurs, et les lundis et mardis à Chepstow ou Wolverhampton paraissent bien loin. 

 

Le vilain petit canard fait désormais la loi dans la mare, et Pyledriver devrait désormais disputer le Grand Prix de Paris, avant de tenter sa chance dans l'Arc de Triomphe. William Muir se prend à rêver d'un 1er Gr.1, et le mériterait amplement avec ce cheval qui défie les lois de l'élevage et du portefeuille. Comme quoi, l'épaisseur de votre liasse de billets ne vous garantira pas toujours d'avoir un crack. La mère de Pyledriver arrivait à peine à sauter une haie, et voilà que son fils enjambe des montagnes, et montre à tous les passionnés de courses que le rêve est possible, et qu'il est encore plus beau quand tout se passe mal au début. Pyledriver nous prouve que tous les "gueux" des courses que nous sommes peuvent un jour devenir seigneurs, n'en déplaise à la haute ! 

 

Pyledriver, un guerrier que l'on retrouvera probablement au départ de l'Arc 2020 (©Healy Racing Photos)

 

 

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