L'histoire de DNA : Kaldoun, la saga des lièvres gris

07/01/2020 - Chef de race
 En cette semaine de Salon des Etalons du Lion, Thierry Grandsir choisit de conter l'histoire du plus grand améliorateur de plat ayant débuté en Anjou, dans le plus total anonymat, avant de s'installer en grande pompe à Etreham. Ex futur champion ayant fini lièvre, le gris Kaldoun fait partie d'une série étonnamment longue.

KALDOUN (1975-2000), par Caro et Katana (Le Haar)


A l'automne 1980, un certain François de Linarès, aussi talentueux avec les chevaux que désastreux avec les finances, annonce fièrement qu'il vient de trouver le futur étalon qui fera sa fortune : Kaldoun. Il a acquis, sans finance cet ex futur favori de la Poule d'Essai, qui y a fini comme leader après avoir été battu par son propre leader, tout en poursuivant une bonne carrière jusqu'à 5 ans. Désargenté, François de Linarès cherche et trouve des porteurs de parts pour Kaldoun d'où sa carrière d'étalon en Anjou, au Haras de l'Aulnière entre Durtal et Baugé, là où entraîne aujourd'hui Donatien de Beauregard. Malgré la faiblesse du niveau de ses prétendantes, des petites juments de plat dans l'Ouest, il sort d'emblée de très bons 2 ans et ne cessera de monter les marches ensuite, jusqu'à faire l'objet d'une nouvelle syndication, cette fois d'une toute autre envergure, afin qu'il s'installe au Haras d'Etreham.

 

 

 

La glorieuse incertitude du turf confère souvent un large sourire aux turfistes amateurs de grosses cotes, contrairement aux professionnels dont le cheval avait été promu favori. Pour éviter de tels désagréments, de nombreux entraîneurs font appel à un leader pour mener leur champion à la victoire. Le lièvre est supposé emmener la course sur le bon pied, et s’effacer pour laisser filer son camarade d’écurie au poteau. 

 


Kaldoun.(photo APRH)
 

 

Cette tactique porte généralement ses fruits mais, allez savoir pourquoi, quelques piquantes surprises ont émaillé l’Histoire des courses lorsqu’un cheval gris était impliqué dans le processus… Une malédiction?
 
  • Prix de Fontainebleau (Gr.3), printemps 2010 : le gris Rajsaman est dévoué à la cause du Champion Siyouni mais, crime de lèse-majesté sous couleurs Aga Khan, Rajsaman remporte la course en laissant son compagnon une demi-longueur derrière lui.
     
  • Grand Critérium (Gr.1), octobre 1979 : sous couleurs Fustok, le bai In Fijar se voit adjoindre un leader, le gris Dragon. Profitant d’un terrain très lourd et de la vista de son jockey (qui était en fait son lad, Alain Goldsztejn, au départ de sa première course PMU de l’année), Dragon survole la course en laissant son compagnon d’écurie dans le lointain…
     
  • Prix du Jockey Club (Gr.1), juin 1961 : l’écurie Stern a deux champions au départ, le bai Free Man et le gris Sicambre, grand favori de l’épreuve. Mais Free Man fait un canter dans la ligne droite, et il faudra toute l’ardeur de son jockey pour le ralentir et permettre à Sicambre de prendre l’avantage aux abords du poteau…
     
  • Prix de Fontainebleau (Gr.3), avril 1978 :le gris Kaldoun est le favori de l’écurie Aga Khan, en programmé pour la Poule d'Essai. On lui adjoint un leader, le gris Nishapour, qui prendra le large et ne sera finalement battu que de peu par le gris Kenmare, le gris Kaldoun terminant avant-dernier de la course.
     


Kaldoun (photo APRH)

 

 

Bis repetita dans la Poule d’Essai des Poulains (Gr.1) trois semaines plus tard, mais ce sera cette fois au tour du gris Kaldoun de servir de lièvre au gris Nishapour ! Changement de tactique judicieux : Nishapour l’emporte d’une classe. Il produira notamment le gris Mouktar, vainqueur du Prix du Jockey Club (Gr.1) l’année où son compagnon d’écurie Sumayr, gris de son état, terminera quatrième du Prix de l’Arc de Triomphe (Gr.1) à la hanche de … son leader Kozana ! Mais à la finale, Nishapour sera un échec considérable au haras, finissant sa carrière dans un petit haras d'obstacle en Irlande, tandis que Kaldoun aura atteint les sommets en partant de très bas.

Kaldoun était un fils du gris Caro dépendant de l’entraînement François Mathet, comme d’ailleurs le gris Crystal Palace. Pour l’anecdote, le Maître avait reçu les effectifs de l’Ecurie Rothschild deux ans plus tôt : alors qu’il supervisait l’embarquement de ses nouveaux pensionnaires, il s’était étonné de voir qu’un poulain gris était resté au box. On lui répliqua que le yearling, totalement ingérable, ne serait pas conservé. Ce à quoi il rétorqua : « Celui-là, je le veux absolument ! ». Et c’est ainsi qu’il offrit son premier Prix du Jockey Club (Gr.1) à la casaque Rothschild, Crystal Palace devançant son leader Concertino, troisième de l’épreuve !

 


Célèbre continuateur de Kaldoun, son fils Smadoun ici avec Antoine de Talhouet-Roy au Haras des Sablonnets.
 

  
Un cheval modeste ne peut envisager de jouer les lièvres. L’exercice nécessite beaucoup plus de qualités qu’il n’y paraît, et ce n’est pas un hasard si quelques anciens leaders sont ensuite devenus de très bons reproducteurs. Rajsaman a produit Brametot, vainqueur d’un Prix du Jockey Club (Gr.1) qui avait été avant lui l’apanage de Vision d’Etat et de Saonois, deux descendants directs de Kaldoun en lignée mâle !
 
Hautement améliorateur, prolifique et régulier, Kaldoun n’a jamais disposé d’une jumenterie très huppée mais il a volontiers transmis à ses foals beaucoup de fougue et d’influx (il était inbred en 4x4 sur Relic), de la solidité et de la classe. Père de cinq vainqueurs au plus haut niveau, il décrocha un titre d’étalon tête de liste des pères de gagnants avant que 25 de ses fils ne pérennisent son sang au haras. On citera parmi eux le Breton Kaldounévées, présent dans le pedigree de cinq gagnants de Gr.1 en plat et une en obstacles ; le Sarthois Smadoun, à l’origine de trois vainqueurs au plus haut niveau en plat et cinq en obstacles ; et le mésestimé angevin April Night, père de mère de cinq sauteurs classiques, rien de moins. La syndication de Kaldoun a fait plus d’un éleveur heureux dans le grand Ouest et sera imité plus tard par le gris Verglas, autre descendant direct du gris Grey Sovereign !
 
Les pouliches ayant été sacrifiées à la cause de leurs compagnes d’écurie ont-elles aussi, très souvent, tracé au plus haut niveau au haras. Souvenons-nous de Whakilyric, qui avait assuré le train pour Miesque avant d’engendrer les gagnants de Gr.1 Johann Quatz et Hernando. Et Miesque a pour mère Pasadoble, qui avait servi de lièvre à River Lady !
 
 

 

Voir aussi...