Prix de l'Arc de Triomphe 1923 : Franck O'Neill et l'âge d'or des jockeys américains en France

29/09/2023 - Découvertes
Nous fêtons cette année les 100 ans de la victoire de Franck O’Neill dans le Prix de l’Arc de Triomphe. O’Neill avait été le tout premier jockey américain à briller dans l’épreuve, à une époque où de nombreux jockeys avaient traversé l'Atlantique pour tenter leur chance en France. Par John Gilmore et Baptiste Bourgeais. Avec France Galop.

 Franck O'Neill vainqueur de l'Arc 1923 en selle sur Parth ©Collection APRH

 
Cela fait 100 ans cette année que le légendaire jockey américain Frank O'Neill a remporté le Prix de l'Arc de Triomphe, en selle sur Parth pour l'homme d'affaires américain Abraham Macomber et entraîné par J H Crawford à Newmarket. Cette époque du début du XXe siècle a ceci de particulier que nombre de jockeys avaient traversé l’Atlantique pour venir tenter leur chance en France. John Gilmore a ouvert ses livres d’archives pour vous en apprendre plus sur cette période unique de l’histoire des courses françaises, où les plus fines cravaches américaines croisaient le fer avec nos meilleurs jockeys hexagonaux, avant et après la Première Guerre Mondiale.
 



 
 
Début du XXe siècle : exode massif des vedettes américaines
 
En 1908 aux Etats-Unis la loi anti-pari Hart-Agnew interdit totalement les jeux de hasard sur les courses de chevaux, avec pour conséquence inévitable une baisse des prix et une réduction des courses. L’année suivante, plusieurs jockeys américains de premier plan, dont Guy Garner, Matt McGee, et Franck O’Neill arrivent en France. Il s'agit en fait de la deuxième vague de jockeys américains en France puisque Jay Ranch, John Reiff, Milton Henry et Winfield O'Connor arrivent au début du XXe siècle, alors que les conditions aux USA concernant les restrictions sur les jeux de hasard commençaient déjà à affecter le sport dans certains États. Tous ont poursuivi une brillante carrière en France. D'autres comme Skeets Martin, Danny Maher et Lester Reiff sont allés en Angleterre. L'exode avait également inclus également les grands propriétaires/éleveurs américains Cohn, Ogden Wilner et Vanderbilt.
 
 
  Les jockeys américains et leur monte aérodynamique ne tardent pas à s'illsutrer en France ©Collection APRH
 
 
Rapidement, les jockeys américains dominent la course à la Cravache d’Or, avec Reiff en tête de liste en 1902 avec 116 gagnants et Henry deuxième avec 90. L'année suivante, Ransch était en tête du classement avec 90 gagnants et O'Connor troisième avec 60. Leur style de course accroupi, par opposition à la position verticale européenne, leur donnait un meilleur équilibre, en particulier pour les départs rapides, couplés à leur capacité à rythmer une course. A cette époque, un seul jockey était capable de rivaliser avec les Américains, il s’agit de George Stern.
 
 
   Le franco-britannique George Stern a rapidement compris l'interet de la monte "à l'américaine" ©Collection APRH
 
 
Stern n'a pas tardé à réaliser les avantages du style accroupi du jockey américain par rapport à la position verticale européenne et a ajusté sa technique en conséquence. Il était connu pour son sang-froid, son jugement sur le rythme d'une course et sa capacité à prendre des décisions rapides. Son talent lui permet de rivaliser avec l'intense concurrence américaine. Il remporta la Cravache d’Or en 1901/1902 et chaque année de 1904 à 1908. Ceci à une époque où les jockeys américains avaient la main mise sur la course la plus prestigieuse de l’époque, le Prix Du Jockey Club. Au cours de la première décennie du 20e siècle les « yankees » John Reiff (Retz 1902), Charles Thorpe (Ex Voto 1903), Nash Turner (Finisseur 1905), Milton Henry (Mordant 1907), Milton Henry (Sea Sick 1908) et Frank O'Neill (Negofol 1909) ont soulevé le trophée du Derby français.
 
 
     A gauche William Prat montant à la française, à droite G-J Thompson et W. Lane montant à l'américaine ©Collection APRH
 
 
1914-1918 : les européens au front, les américains dans les pelotons
 
La rivalité entre les jockeys locaux en France et les Américains fut à son paroxysme en 1914 lorsque deux chevaux de première classe, La Farina, monté par Frank O'Neill, propriété d'Edouard de Rothschild, et Sardanapale de Maurice de Rothschild, monté par Stern, ont croisé le fer lors du Grand Prix de Paris à Longchamp sur 3 000 mètres, devant un public nombreux et informé le 28 juin. Plus tôt dans l'année, La Farina avait battu Sardanapale dans le Prix Daru et le Prix Lupin, mais Sardanapale remporta facilement la course suivante, le Jockey Club, par deux longueurs. Le match revanche s'est avéré être une course tactique avec O'neill effectuant un galop puissant pour assurer un véritable test d'endurance avec Stern en retrait du rythme. A l'entrée de la ligne droite, La Farina était toujours en tête et beaucoup de spectateurs pensaient que Stern avait accéléré trop tard. Mais Stern, toujours l'homme des grandes occasions, montra son sang-froid et commença progressivement à rattraper son retard, les deux chevaux s'éloignant du reste du peloton. Dans une lutte titanesque, Stern l’emporta d’une courte tête, la foule donnant aux jockeys et aux chevaux une standing ovation.
 
 
George Stern en selle sur Sardanapale tenu par son propriétaire Maurice de Rothschild ©Collection APRH
 
 
Plus tard dans la journée, les acclamations se transformèrent en silence lorsqu’il fut annoncé que l’archiduc Ferdinand d’Autriche et son épouse avaient été assassinés à Sarajevo. L'ambassadeur d'Autriche-Hongrie qui assistait à la réunion est reparti immédiatement après l'annonce qui conduisit au déclenchement de la Première Guerre mondiale. De nombreux chevaux de course furent réquisitionnés pour l'armée, même si certains furent sauvés par leurs propriétaires qui les envoyèrent en Angleterre. Pendant la guerre, Chantilly perdit les deux tiers de ses chevaux de course à l'entraînement, passant d'environ 1 600 à un peu plus de 500 en 1918. Aucune course n’eut lieu en 1915 et ce fut une période difficile pour les entraîneurs avec des lads dans les chantiers et des jockeys qui s'engageaient à se battre pour leur pays, et la difficulté de trouver de la nourriture pour chevaux.
 
 
   En 1915, les vaches ont remplacées les chevaux sur l'hippodrome de Longchamp ©Collection APRH
 
 
Avec de nombreux jockeys français et anglais partis au front, trouver des jockeys à monter était un problème. Plusieurs jockeys américains basés en France profitèrent de la situation, notamment Frank O'Neill, leur pays n'entrant en guerre contre l'Allemagne qu'en 1917. George Stern, qui possédait la double nationalité britannique et française, décida de s'enrôler dans l'armée britannique, mais fut refusé car trop petit de taille, mesurant seulement 1m52. Stern décida de monter en Espagne pendant la guerre et y transféra 250 chevaux de course français. En Espagne, il rencontra l'armateur américain Jefferson-Davis Cohen, devenu après la guerre l'un des principaux armateurs en France, et propriétaire à succès.
 
 
Tandis que les jockeys français sont au front, Franck O'Neill remporte le Prix de Diane 1917 ©Collection APRH
 
 
Après-guerre : fin de la loi anti-pari aux USA, fin de l’exode des jockeys
 
Créé en 1920, le Prix de l’Arc de Triomphe a été nommé en l'honneur des troupes victorieuses qui ont défilé triomphalement sous l'Arc de Triomphe en juillet 1919, après la fin de la Première Guerre mondiale l'année précédente. Elle est depuis devenue la principale course internationale sur la distance classique de 2 400 mètres à Longchamp, en Octobre. La toute première édition fut remportée par le jockey australien Franck Bullock en selle sur Comrade. L’année suivante George Stern remporte le graal avec Ksar pour la casaque d’Edmond Blanc. En 1923, l’américain Franck O’Neill ajoute son nom au palmarès de l’épreuve reine des pur sang, associé à l’anglais Parth. Aux Etats-Unis, la loi anti-pari sur les courses prend fin en 1913, dès lors le nombre de jockeys américains quittant leur pays pour l’Europe chute alors drastiquement. Il faudra attendre près de 70 ans et Cash Asmussen, pour revoir un jockey américain remporter le Prix de l’Arc de Triomphe !
 
 
Après avoir raccroché les bottes, Franck O'Neill ouvrira un bar à Paris, avant de terminer sa vie aux USA où il sera intronisé au "Hall of Fame" des courses ©Collection APRH
 

 

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