Nouveau roman en série de Guillaume Macaire, chapitres 2 et 3

01/04/2021 - Actualités
Guillaume Macaire nous livre 2 courts chapitres de son roman " Les hommes dans l'action, les femmes dans la continuité", publié par épisode sur France Sire. 15 ans ont passé et Jean-Barnabé Ermeline met un terme à sa carrière de jockey tandis que sa mère vieillit, arnaquée par un vétérinaires pour chiens de mémères... Soudain son ex-compagne, la sulfureuse Noélia, lui rend une visite courte mais révélatrice...



 

Résumé du 1er roman : l'un des top jockeys de plat en France, Jean-Barnabé Ermeline se préparait à disputer avec une 1ère chance le Prix de l'Arc de Triomphe en selle sur son champion Enigmatique. Mais à la suite d'aventures rocambolesques, il se retrouve à l'hôpital avec une balle dans la cuisse. Télécharger " A Cheval, à pied ou en voiture. "

Résumé du chaître 1 : Jean-Barnabé peut enfin sortir de l'hôpital. Pendant sa convalescence, sa tête bouillone de questions. Va-t-il pouvoir reprendre normalement le cours de sa vie, et son métier. Et comment gérer sa compagne qui l'a conduit indirectement à son propre malheur. ?

 

 

CHAPITRE 2 : L'OEUVRE DU TEMPS

 
Voilà maintenant plus d'une quinzaine d'années que Jean-Barnabé Ermeline faisait le jockey et que tout devenait plus compliqué. Était-ce l'âge qui se faisait sentir ? la lassitude ? ou le simple fait qu'il ait le sentiment de n'avoir pas réussi totalement sa vie… puisqu'il avait vécu pleinement sa vie professionnelle, mais en oubliant peut-être un peu sa vie privée.
 
Il savait pourtant que ce n’étaient pas les occasions qui lui avaient manqué de prendre épouse et de fonder un foyer. Mais la Noélia avait marqué d'un sceau indélébile son passage. Il n'était pas rare qu'à l'occasion il pense à elle et à ce fils qu'il aurait pu espérer un soir d’automne, deux décennies en arrière, sur le trottoir du bistrot de la gare de Chantilly.
 
L'an 2000 avait fait basculer le monde des courses dans une nouvelle ère et Jean-Barnabé, la quarantaine pourtant vive et réactive, était de moins en moins sollicité si ce n’était pour monter dans des campagnes de plus en plus reculées et des chevaux de moins en moins intéressants.
 
Il décida qu'à la fin de l'année, le temps était venu pour lui de raccrocher ses bottes et de laisser place à la jeunesse sans savoir vraiment ce qu'il pourrait bien faire ensuite, bien que les options ne manquaient pas. C'était une décision qu'il lui fallait prendre. Il ne voulait pas descendre de plus en plus dans la hiérarchie et préférait quitter le métier dignement.
 
Brian Devonlodge ayant fait valoir ses droits à la retraite en fin d'année, JB se  serait mal vu aller pleurer du travail dans une autre écurie, lui qui toute sa vie durant n'avait connu qu'une seule maison. Tom Arcastle, Tommy pour les intimes, s'était installé à son compte après de nombreuses années comme bras droit chez Devonlodge. Ce dernier lui avait donné un vrai coup de main en le recommandant à des clients sérieux dont les chevaux n'avaient même pas à changer d'établissement.
 
Quand Tommy eut vent de la décision de JB de quitter son métier de jockey, il lui proposa d'être son homme de confiance et JB n'avait pas mieux à faire que d’accepter. Ils décidèrent d'un commun accord qu’il entrerait à son service le 1er février en qualité de premier garçon. Avant cela, JB, qui n'avait jamais pris de vraies vacances, décida que les mois de décembre et janvier en tiendraient lieu. Il comptait passer du temps avec sa mère qui avait vendu son commerce. « Vendu » étant un bien grand mot car tenir une mercerie à présent était totalement dépassé. Faute de clientèle, elle ne vendit que le pas de porte et l'arrière-boutique qui lui appartenaient, et garda l'appartement du dessus où elle se sentait bien.
 
JB se demandait comment elle allait vivre maintenant, aussi bien spirituellement que financièrement. Elle avait toujours vécu seule, sa seule compagnie était un petit chien de race indéfinie... Il répondait au nom de Youp, semblait heureux et vif malgré un embonpoint qui révélait la gentillesse de sa maîtresse - il faudrait écrire faiblesse - à résister aux yeux quémandeurs de l'animal.
 
Jean-Barnabé était venu à Rouen à la mi-décembre pour passer quelques jours avec elle. Elle avait insisté pour qu'il vienne fêter Noël, mais JB avait trouvé prétexte à éviter ce genre de situation. Déjà il détestait Noël et toutes ces fêtes, passages obligés dont il ne retenait que la convention, dates où il fallait faire semblant d'être heureux sur commande et parce que « c'est comme ça ».
 
Il fut infiniment attristé de voir sa mère sombrer dans le naufrage que peut être la vieillesse avant l'heure. Elle n'avait que 65 ans, mais elle portait pourtant déjà sur elle tous les signes avant-coureurs de la déchéance due à l'âge. Son commerce de mercerie avait probablement accéléré le processus. Passer le plus clair de son temps dans une boutique affreusement sombre, entourée de boutons et de passementeries composait déjà un quotidien horriblement ténébreux.
 
Et le lendemain, alors qu'ils parlaient de Youp, JB se rendit compte qu'ils n'avaient plus grand chose à se dire... Pire, il comprit que sa mère avait déjà un pied dans la tombe et qu'elle avait perdu le sens commun quand elle lui raconta combien elle était heureuse d'avoir sauvé la vie de son Youp adoré le mois précédent. « Enfin, ce n'est pas moi qu'il l'ai sauvé, c'est le vétérinaire du bout de la rue » rajouta t’elle. Elle expliqua à son fils que comme cela faisait plusieurs jours que son Youp semblait apathique, elle l’avait conduit chez ce fameux vétérinaire dont on taira le nom par charité - Alors qu'il faudrait pourtant peut-être mieux dénoncer ses pratiques à l'ordre des vétérinaires puisqu’il n'en était pas à son coup d'essai - ...
 
En effet, JB fit son enquête et beaucoup de témoignages allaient dans le même sens. Avec sa clientèle de veuves ou de femmes seules et âgées, il avait trouvé un bon filon et il en avait « essoré » un certain nombre si l'on se référait au livre d'or où toutes y étaient allées de leur couplet pour porter aux nues ce vétérinaire qui avait sauvé la vie de leur compagnon adoré. Son stratagème faisait mouche à tout coup ! Il voyait arriver d'une démarche plus ou moins assurée ces vieilles femmes, beaucoup plus proches du tombeau que du berceau, flanquées de leur compagnon à quatre pattes.
 
Si la maîtresse était souvent tassée, décharnée et fripée comme une vieille pomme, le canidé lui en général affichait des rondeurs et une opulence trahissant la ration riche et abondante et les canapés moelleux ! « Docteur, je ne sais pas ce qu'il a, il mange moins bien ces derniers temps, je suis inquiète. Il n'a pas l'air bien du tout, j'ai peur que ce soit grave, vous savez je n'ai plus que lui... »
 
Elle avait prononcé le mot clé la vieille ! « Je vais l’ausculter », disait solennellement le véto en le mettant sur la table où attendaient stéthoscope, gastroscope, canules ou seringues si possible de grand format et bien en vue finissant d'impressionner davantage. Il observait un silence monacal, faisait mine de chercher, l'air pensif en regardant le plafond et la main sous le menton, puis se précipitait vers la bibliothèque pour en extraire un précis de médecine vétérinaire qu'il feuilletait avec détermination.
 
Désemparée, la pauvre vieille questionnait avec crainte et déférence le vétérinaire totalement absorbé par sa lecture.
 
« C'est grave docteur ? » Il ne répondait pas, laissant s'installer dans l'esprit de la mamie les idées les plus noires possibles.
 
« Dites-moi quelque chose, docteur ».
 
« Asseyez-vous madame car la nouvelle que j'ai à vous annoncer est éprouvante. J'ai bien peur que votre chien ne soit perdu... je suis désolé ».
 
« Docteur, je n'ai plus que lui, faites quelque chose, je vous en supplie. »
 
« Vous savez chère madame, le genre d'opération qu'il faudrait pratiquer pour sauver la vie de ce pauvre chien est d'abord extrêmement coûteuse, mais surtout elle connaît beaucoup d'échecs, disons 50/50. Votre chien n'est plus tout jeune et le jeu en vaut-il la chandelle? Cela me gêne de tenter une opération si coûteuse et que votre petit chien puisse ne pas se réveiller. Je vous le répète, le succès n’est pas garanti. »
 
« Tentez docteur, tentez, je n'ai plus que lui vous savez. Regardez comme il nous regarde, on dirait qu'il comprend. »
 
Invariablement, il répondait : « Écoutez madame, puisque vous insistez, je peux vous faire un prix, si vous me payez en espèces et une fois encore, sans garantie aucune... »
 
Le vétérinaire en blouse blanche, stéto autour du cou, se penchait à l'oreille de la vieille femme et lui annonçait un prix qui ferait fuir séance tenante toute personne sensée. Mais il y a longtemps qu'il a compris comme Blaise Pascal que le cœur a ses raisons que la raison ignore.
 
« Oh merci docteur, merci, comme vous voudrez mais de grâce tentez de sauver cet amour. »
 
« Bien madame, c'est vous qui décidez, je vais tenter d'extraire la tumeur demain sous anesthésie générale. Je dois le mettre à la diète dès ce soir. »
 
« Je reviens quand? » demandait la vieille toute rabougrie et totalement désemparée...
 
« Pas avant trois ou quatre jours, c'est souvent le troisième jour le plus critique vous savez. Téléphonez dans trois jours. »
 
Et la vieille s'en allait, la mort dans l'âme, les yeux embués de larmes. Le chien a pris place dans une cage, une gamelle d'eau comme seul traitement. Ce genre de cabot il les connaît ce véto là !
 
« Trois jours de diète, demain anesthésie, un coup de tondeuse sur l'abdomen, une petite ouverture au scalpel, un peu de couture et le tour est joué! Il mange beaucoup trop et trop riche, son foie est gros comme une outre, trois, quatre jours à l'eau ça va lui faire du bien » disait-il à voix haute pour que son assistante l'entende.
 
A part cet embonpoint caractéristique que présentent tous les petits chiens à sa mémère, l'animal est en parfaite santé. La vieille femme n'a pas dormi depuis trois nuits quand elle rappelle le cabinet vétérinaire.
 
Le numéro est bien rodé et l'assistante répond que le docteur est en train d'opérer, « rappelez dans deux heures ». - Il ne faut pas la ménager pour qu'elle crache au bassinet la vioque - . Il est bien probable qu'elle ait attendu deux heures prostrée devant le téléphone pour recomposer le numéro de toutes les angoisses. Le praticien lui répond avec une voix composée et lente pour lui faire craindre le pire: « Bonjour madame, je crois que votre chien est sauvé... »
 
« Oh docteur, oh docteur, vous n'imaginez pas mon bonheur! Je peux venir le chercher ? »
 
« Pas encore, je le garde en observation encore un jour ou deux en cas de complications ».
 
« Deux jours de cage de plus à regarder sa gamelle d'eau lui feront du bien à ce cabot! Cela sera toujours deux journées de pension de plus à facturer »...susurra t’il entre ses dents.
 
Deux jours après, elle repart du cabinet, délestée d'une belle liasse de billets grand format, son chien au bout de sa laisse, le cœur sautant de joie. Le bon docteur lui a avant son départ fait signer le livre d'or où elle a inscrit ces quelques mots d'une écriture hésitante : « Vous m'avez redonné le goût de vivre, docteur. »
 
Sur son perron, il la regarde partir en pensant avec une ignoble satisfaction : « Finalement, elle n'a jamais été aussi heureuse qu'après mon intervention factice... Je suis un bienfaiteur ! »
 
JB questionna sa mère sur ce que ce véto d'opérette lui avait soutiré, mais jamais elle ne voulut lui répondre malgré son insistance. Il comprit alors avec tristesse que Vonette, sa maman qui était sa seule famille, vivait maintenant dans un monde à elle, que lui vivait dans un autre monde, et que ces deux mondes là n'avaient plus que d'infimes chances de se rencontrer.
 
 
CHAPITRE 3 : VISITE NOCTURNE
 
Jean-Barnabé passa une partie de son mois de janvier à dévaler les pistes enneigées avec d'autres de ses confrères (il allait bientôt devoir dire ex confrères) dans une station des Alpes où l'un d'eux avait un appartement. Il se délassa vraiment pendant un séjour ensoleillé et bon enfant, et rentra avant la fin janvier à Chantilly puisque « les meilleures choses ont toujours une fin.. ».
 
Il avait décidé de se lever tôt le lendemain car il avait une journée chargée devant lui. Il s’apprêtait à aller se coucher de bonne heure quand on sonna à la porte. Il ouvrit et découvrit avec stupeur Noélia Martinez face à lui, en chair et en os. En chair en effet car la parenthèse d'une petite vingtaine d'années lui avait donné des rondeurs qu'il ne lui connaissait pas... Elle avait une montre au poignet qu'il lui avait offerte autrefois...
 
« Désolée de venir à l'improviste mais j'ai besoin de te parler », dit-elle avec douceur.
 
JB pensa, l'espace d'un instant, que le mieux était de l'éconduire sur le champ mais il se ravisa en sentant plutôt de la part de Noélia des intentions pacifiques.
 
« Je n'en ai pas pour longtemps, rassure toi, je vois que tu allais au lit ».
En fait, de « pas longtemps » leur conversation dura un temps certain. Elle lui expliqua qu'elle était venue à Chantilly pour le mariage de la fille de sa meilleure amie, amie du temps où elle était coiffeuse à Lamorlaye et avec qui elle avait gardé des liens, et qu'elle ne pouvait pas repartir sans le voir et surtout sans lui parler de son fils.
 
Ce fils hypothétique auquel JB avait souvent pensé et qui finalement était bien vivant ! Elle lui raconta leur vie en Espagne où elle élevait des bêtes à cornes, comment elle avait hérité de cette propriété immense (dont elle avait déjà vendu une partie. Elle lui expliqua aussi comment, sans que rien ne lui ai jamais été dévoilé sur son origine paternelle, leur fils avait voulu devenir jockey après avoir passé une après-midi aux courses de Sanlùcar de Barrameda.
 
Elle expliqua à JB qu'il était apprenti dans une écurie à San Sebastian après avoir passé quelques temps à la Zarguala, l'hippodrome de Madrid. Il s'appelait Juan Bautista à cause des initiales, venait d'avoir dix-huit ans et ignorait tout de son géniteur. Noélia avait bien gardé le secret et révéla à Jean Barnabé qu'elle avait laissé chez un notaire une longue explication écrite sur tout ce qu'elle n'avait pas encore voulu lui dire.
 
« S'il m'arrivait malheur, on ne sait jamais !» ajouta t’elle, « le notaire lui remettra ce pli où je lui parle de toi et de moi, ainsi que de ta vie. Je n'ai pas pu m’empêcher de le faire quand il a voulu devenir jockey lui aussi. Il y avait trop de similitudes avec toi qui n'a pas connu ton père non plus, d'après ce que tu m'avais raconté autrefois. Pour l'instant il ne sait rien mais je ne veux pas emporter ce secret dans la tombe ».
 
JB lui demanda d'où lui venaient ses idées de mort et elle répondit en souriant qu'il valait mieux prévoir...
 
« J'aimerais bien, rajouta t’elle, qu'il connaisse son père avant qu'il ne soit trop tard car nous avançons tous en âge tu sais ».
 
« Tu es toujours pleine de charme », la complimenta t’il.  Elle sourit encore et après un silence, JB crût malgré la relative obscurité de la pièce, voir de la buée poindre dans ses yeux de velours. Elle se leva prestement en disant « je m'en vais » et détourna le visage pour que JB ne vit pas deux larmes couler sur ses joues. Une fois franchi le seuil de la porte et dans l'intimité de la pénombre, elle se retourna sans s'arrêter de marcher et lui envoya un baiser en soufflant sur sa main. Il ne savait pas que c'était la dernière fois qu'il la voyait...
 
A suivre...
 
 

 

Voir aussi...