Soumillon et Mandali : 1e. Les autres : nulle part !

"Je leur ai mis 100 m, il a gagné de la ligne droite, etc." Chaque recoin d'hippodrome a été repeint d'expressions enthousiastes mais rarement vérifiées scientifiquement dans les faits réels...Samedi à Auteuil, pendant la Grande Course de Haies, un des 9 Gr.1 du programme d'obstacle français, il fallait le voir pour le croire: un cheval monté par un jockey de plat qui prend plus de 2 haies d'avance ! A la fin du 1e tour, lorsque Mandali est sortie de l'interminable tournant de Passy, ses rivaux n'y étaient pas encore rentrés.

Bientôt le franchissement de la dernière haie. Mandali a 1 obstacle d'avance...

A mi-ligne d'en face, Christophe Soumillon se permet de réajuster ses "liggins", au dessus de ses bottes, il caresse son partenaire, comme depuis le départ, qui saute pourtant comme un cochon en venant au pied à chaque obstacle. C'est à se demander comment Soumillon, totalement seul au monde sur un hippodrome qu'il n'avait découvert qu'une seule fois quelques jours plus tôt, ne s'est pas dit que la course avait été arrêtée et que lui seul n'était pas au courant !

Cette épreuve avait en fait...un seul partant. L'arrivée officielle pourrait être décrite exactement comme l'un des victoires du 1e crack des courses de pur-sang à la fin du 18e siècle, Eclipse. Ce cheval alezan avait remporté l'une de ses 18 victoires de tellement loin que le juge de l'époque avait écrit officiellement: "Eclipse 1e, les autres nulle part !"

Mandali n'est pas un très fin sauteur, mais il est associé à un très grand cavalier.

Bref, c'était de l'absolu jamais vu, la course gagné la plus facilement de l'histoire, car Mandali n'a jamais été vite pendant le parcours. Ce sont les autres qui n'avançaient pas. En début de course, ils dépassaient à peine le trot. Pendant la course et au retour aux balances, face aux hourras offerts à Christophe Soumillon, un type vraiment à part mais toujours très populaire, les jockeys d'obstacle se sont faits siffler et traiter de voleurs. Seuls Jacques Ricou et Christophe Pieux, deux top jockeys qui ont regardé la course depuis les tribunes, étaient littéralement morts de rire, sans doute ravis d'avoir échappé à la curée. C'est une faute générale finalement. Car quand tout le monde a les ordres d'aller derrière, à commencer par la favori Questarabad, on finit pas aller à reculons. Alors quand un génie comme Soumillon débarque, il fait un coup de génie. Et quand on a gagné le Prix du Cadran sur 4000 m à Longchamp, on sait à quelle vitesse on va, même sur 5100 m à Auteuil.

Quand Mandali franchira le poteau d'arrivée, son dauphin Questarabad n'aura pas passé la dernière haie.

Avant même de prendre 2 haies d'avance, le pari tenté par Christophe Soumillon, crack jockey de plat, de faire une sortie exceptionnelle à Auteuil, n'avait jamais été couronnée d'une telle réussite dans les temps modernes. Car il est impossible de faire mieux que de s'imposer, et surtout dans un Gr.1. En remontant l'histoire, on trouve un certain nombre de jockeys, vainqueurs de Gr.1 en plat, qui figurent au palmarès de la Grande Course de Haies d'Auteuil: Georges Parfrement, Charles-Henri Semblat, François Hervé, Roger Poincelet, Claude Maire, Jean-Claude Desaint, François Bonni et Dominique Vincent. Mais comme ce dernier, la plupart de ceux-ci s'étaient alors reconvertis à Auteuil. Donc Soumillon rejoint en fait Poincelet et Desaint dans leur genre.

Soumillon riait, Bartabas, propriétaire du cheval (Ecurie Zingaro) n'en revenait pas, Gallorini jubilait. Partenaire de Questarabad, Schmidlin pleurait. Réellement, il pleurait en ramenant son cheval, soutenu par le garçon de voyage. On sait pourtant qu'il n'y a rien de tel qu'un cheval pour passer pour un con, mais ce coup là subi par le pauvre Schmidlin, dont le seul mais très grand tort a été de ne pas prendre l'initiative de recoller à Mandali juste après le franchissement de la 1e haie, dépasse les sommets. Qu'a-t-il bien pu se passer au retour aux vestiaires, habituellement triomphale et convivial pour le jockey vainqueur ? Un observateur suggérait: "A la douche, ils lui ont sans doute coupé l'eau chaude..."

"Allez Soumillon !"

Comme le monde des courses a le sens de la formule, la fin de l'après-midi fut un florilège réjouissant. Yann Porzier avec une bande d'amis jockeys: " Vous devriez tous faire la queue à l'entrée du vestiaire pour rendre votre licence !" Et Alain Claude, 1e garçon de François Cottin, soutenant Reflexion dans la ligne droite après que son jockey Phil Carberry ait mené la course avec plusieurs longueurs d'avance: "Allez Soumillon, allez Christophe !"

Christophe Soumillon découvrait les obstacles mais connaissait fort bien son partenaire. En effet, élève de Zahra Aga Khan, Mandali est frère de Mandesha, multiple gagnante de Gr.1 avec Soumillon lorsque celui-ci était 1e jockey de la casaque princière. Soumillon avait même gagné en débutant à Longchamp dans une course B avec Mandali en avril 2007. Depuis, il y a eu beaucoup de changements...Fils de Sinndar, Mandali a été acquis pour 62.000 € par Jean-Paul Gallorini et Bartabas aux ventes de Saint-Cloud en novembre 2008, et Soumillon a été éjecté de sa place chez les verts. Il est quand même assez cocasse qu'il finisse par apporter un nouveau succès de Gr.1 en tant qu'éleveur à l'Aga Khan, mais sur les haies d'Auteuil.