L'obstacle dominé par les "FR" : une révolution est-elle nécessaire outre-Manche ?

07/02/2023 - Actualités
Dans le "Good Morning Bloodstock" du Racing Post écrit par Martin Stevens ce 7 février, ce dernier s'interroge sur les succès des "FR" en obstacle, qui ont remporté à ce jour 25 des 35 Grs.1 de la saison d'obstacle anglo-irlandaise ! Un score impressionnant qui alerte les éleveurs locaux et toute l'industrie sur son système, et qui met un grand coup de pied dans la fourmillière ! Mais après tout, ne serait-ce pas qu'une simple question d'éducation ? 

Les "FR" raflent tout à l'obstacle Outre-Manche...il est temps de tirer la sonette d'alarme !

 

Excellent rédacteur du Racing Post, Martin Stevens publie régulièrement une rubrique intitulée "Good Morning Bloodstock", qui s'intéresse à des sujets d'actualité dans les courses d'un point de vue élevage. Ce 7 février, Stevens a axé sa chronique sur l'immense réussite des chevaux nés et élevés en France sur les obstacles anglo-irlandais, et sur les questions qu'elle soulève concernant l'élevage anglais et irlandais, très largement dominé par nos "FR" cette saison. Le week-end qui vient de se conclure à Leopardstown n'est pas venu améliorer le tableau, puisque les 8 Grs.1 disputés sur les 2 jours ont été enlevés par des "FR".

 

Martin Stevens, un confrère qui n'hésite pas à donner son opinion avec justesse 

 

Les chiffres soulevés par Martin Stevens sont les suivants : depuis le début de la saison d'obstacle anglo-irlandaise, 25 des 35 Grs.1 qui se sont courus ont été enlevés par des chevaux français. Quelques uns ont frappé à plusieurs reprises, comme Galopin des Champs (2x), State Man (3x), Mighty Potter (2x), Gerri Colombe (2x). Sur les autres Grs.1, 6 ont été l'apanage de chevaux élevés en Irlande, et 4 par des chevaux "GB", qui sont un peu les mauvais élèves, même si parmi eux se trouve le phénoménal Constitution Hill.

 

State Man, le meilleur "élève" des FR avec 3 Gr.1 cet hiver !

 

Si on s'intéresse aux étalons représentés, deux sires ressortent beaucoup. Le premier, Blue Brésil, est le père de 3 gagnants de Gr.1 cette saison, dont 2 "FR" : Blue Lord et Good Land. Il est aussi le père de Constitution Hill. Le second, Saint des Saints, s'est illustré directement au plus haut niveau grâce à Gaillard du Mesnil, Gentleman de Mée, et Protektorat, mais aussi en tant que père de mères avec Envoi Allen, El Fabiolo, Jonbon, et Saint Roi. On peut considérer aujourd'hui que Blue Bresil est un étalon "anglo-irlandais", même si une bonne partie de ses succès sont liés à sa production française pour l'instant. Du côté de l'Angleterre, le manque d'étalons pour l'obstacle a longtemps été souligné, et la seule grande star du genre à avoir été stationné en Perfide Albion, Kayf Tara, a frappé à 2 reprises dans les Grs.1 grâce à Edwardstone et Thyme Hill. C'est aussi le cas de l'irlandais Walk In The Park, dont 2 produits ont gagné des Grs.1 : Jonbon et Facile Vega. Ces deux là ont une mère "FR". Par exemple, Facile Vega est un fils de la championne AQPS Quevega... dénichée en France puis devenue poulinière en Irlande ! 

 

Blue Bresil, un étalon remarquable révélé par le système français

 

Exclusivement reconnue en France à travers son stud-book et un programme spécialisé, la race AQPS participe très largement aux succès des "FR" outre-Manche. La liste est impressionnante avec Envoi Allen, Hermès Allen, Gentleman de Mee, Editeur du Gite, Epatante, Good Land, Il Etait Temps et Gaillard du Mesnil. Notons que Il Etait Temps, Gaillard du Mesnil et Epatante ont fait leurs armes en France dans le circuit des courses plates réservées aux AQPS avant de se révéler sur les obstacles à l'étranger. Voilà qui nous amène au point suivant. Sur la multitude de "FR" lauréats de Gr.1, seulement 2 n'avaient pas couru en obstacle à la fin de leur année de 4 ans, que ce soit de manière officielle ou en P2P. El Fabiolo, Gala Marceau, Gentleman de Mée, Protektorat, Saint Roi, State Man et Teahupoo avaient effectué leurs débuts en obstacle à 3 ans, tandis que Galopin des Champs et Editeur du Gite avait gagné sur les obstacles à 4 ans. A contrario, 6 des 20 lauréats de Gr.1 "FR" n'ont jamais couru sur notre sol, étant vendu très jeune, mais ont couru dans des Point to Point à 4 ans : Envoi Allen, Gerri Colombe, Bravemansgame, Hermès Allen, Jonbon et Tahmuras. Les cas à part sont des chevaux comme Blue Lord, qui a débuté dans les bumpers à 4 ans en France, et Good Land et Mighty Potter, exportés foals en Irlande, et qui ont couru en course officielle sans passer par le circuit du Point to Point. 

 

Issu d'une souche de plat, mais performant à haut niveau en obstacle, Saint des Saints est un père de sauteur bien à la française...et pourtant tout lui réussi Outre-Manche !

 

Mais alors, pourquoi ce creux entre la France d'une part  et l'Angleterre et l'Irlande d'autre part ? Le "dressage à la française" est une première indication, car les chevaux exportés sur performances arrivent très en avance sur leurs congénères anglo-irlandais, qui n'ont parfois supposément pas été débourrés à l'âge de 3 ans pour les ventes de stores. Mais ce cas ne s'applique pas à des poulains exportés très tôt à l'étranger sans faire leurs classes chez des entraîneurs français. L'étalonnage obstacle en France a aussi un coup d'avance avec les sauteurs devenus reproducteurs, et à succès, à l'image de Kapgarde, Saint des Saints, du rare mais efficace Brave Mansonnien, ou plus anciennement Robin des Champs. Même des chevaux comme Blue Brésil, Great Pretender et Walk In The Park ont goûté à l'obstacle, même si ce fut sans succès pour ce dernier. On recherche toutefois un "gène sauteur", qui permet parfois à l'animal de se démarquer dans sa discipline. 

 

Si populaire en Irlande, et connaissant une grande réussite, le circuit des Point to Point met le doigt là où il faut : il permet de former les chevaux plus jeune à leur métier de sauteurs, et cela leur donne quoi qu'il arrive un avantage !

 

Cela ne nous empêche pas de fonctionner avec des chevaux de plat pour reproduire à l'obstacle, en attestent les succès de Martaline, Doctor Dino, Muhtathir, Galiway, Masked Marvel... Il y a toutefois ici un gage sur la tenue de l'étalon en question, et un grand apport de la part d'une jumenterie française, PS ou AQPS, qui a l'obstacle vraiment dans les veines ! A quelques exceptions près, on ne peut pas élever un crack d'obstacle par hasard, même s'il existe quelques sauteurs au destin en dehors des sentiers battus, à l'image d'un Kyrov par Dark Angel ! Il y a une tendance en Irlande à reconvertir des étalons de plat "ratés" en obstacle, ou même à utiliser des chevaux sans performances sur la seule fois de leur pedigree. C'est le cas de l'un des étalons les plus actifs en Irlande, Affinisea, qui saillit des montagnes de juments alors qu'il n'a couru que 2 fois, et jamais au niveau black-type ! Mais il est le frère de Soldier Of Fortune par Sea The Stars... et cela suffit à convaincre les éleveurs locaux. En France, l'immense majorité de nos leaders en obstacle ont été des performers avant d'être un pedigree. Un cas rare est celui d'un Saddler Maker, qui avait la génétique de son côté sans les performances, mais a dû galérer des années avant de sortir des cracks pour se mettre à saillir en nombre. 

 

 

Entré étalon sur la seule foi de son pedigree, Affinisea a été l'étalon le plus actif en 2022 Outre-Manche avec 382 juments saillies ! Impossible à imaginer sur notre sol.

 

Du côté de l'Angleterre, il y a tout simplement un manque d'étalons d'obstacle, même si des haras comme Yorton Farm, et maintenant Chapel Stud, s'évertuent à améliorer la génétique des sauteurs sur leurs terres... et parfois en ramenant des étalons de chez nous ! Le top 10 des étalons d'obstacle outre-Manche est toutefois composé d'Irlandais. Le problème est que la plupart sont morts, ou vieux. C'est le cas du leader actuel aux gains, Yeats, qui devance le défunt Fame And Glory, et le vieillissant Getaway. Ce top 10 est d'ailleurs occupé par des sires ayant réussi à très haut niveau en piste. Encore une fois, on fait rarement d'un mauvais cheval de course un étalon exceptionnel, et l'histoire l'a prouvé à maintes et maintes reprises, même s'il y a toujours une belle histoire par-ci, par-là. En terme de pourcentage de vainqueurs/partants et de black-type par vainqueurs, les étalons français arrivent en force dans les classements, avec Kapgarde, Saddler Maker, Doctor Dino, Authorized ou encore No Risk At All qui sont en bon rang à cet égard. 

 

Avec un recrutement actif d'étalons pour l'obstacle, dont un certain Blue Brésil à l'époque, mais aussi la création de la Yorton Sale, David Futter a essayé de bousculer les codes dans son pays...et ça fonctionne !

 

En fait, un point crucial soulevé par Martin Stevens dans son Good Morning Bloodstock est la propension qu'ont les éleveurs anglo-irlandais à soutenir sans faille des étalons qui ne remplissent pas tous les critères pour être bons ! L'exemple d'un cheval comme Affinisea est frappant. Il a sailli 382 juments en 2022, chose qui n'arriverait jamais en France, et encore moins avec un cheval de ce profil (pas de performances). Attention, cela ne veut pas dire qu' Affinisea sera quoi qu'il arrive un mauvais étalon ! Mais il a statistiquement beaucoup moins de chances d'y parvenir qu'un confrère qui aurait les performances en plus du pedigree. On pourrait en débattre des heures, et dire qu'un cheval non prouvé en piste pourrait se révéler excellent au haras s'il avait du soutien dès le départ. Vaste question. Toujours est-il qu'inonder le marché d'étalons qui saillissent plus de 200 juments en Irlande ne sert pas (et c'est un point de vue personnel) leur carrière, et n'améliore pas la race vraisemblablement. 

Les anglais et irlandais ne veulent pas non plus faire débuter des chevaux aux performances en obstacle au haras. Cela aura sans doute tendance à changer dans les années à venir avec quelques audacieux qui se disent que ça pourrait aussi marcher chez eux. D'un point de vue extérieur, l'Irlande a beaucoup créé des "sauteurs par procuration", et devrait peut-être se concentrer sur la création de "standards de l'obstacle". Car la domination écrasante des "FR", si elle nous rend fiers et nous promet encore de nombreux acheteurs étrangers pour nos foals dans les années à venir, est inquiétante pour l'industrie anglo-irlandaise. Qui dit déroute anglaise et irlandaise en piste implique une possible déroute aux ventes pour les étalons qui n'auront pas pu s'illustrer sur les hippodromes.

 

Malgré leur succès commercial, les ventes de stores pourraient devenir l'illustration d'un élevage irlandais qui peine à dominer le système français en obstacle

 

Il leur faut réussir à créer un "label obstacle" à l'anglaise et à l'irlandaise, et tenter de briser les codes, comme un David Futter l'a fait en commençant à vendre des stores de 2 ans à sa Yorton Sale ! D'ailleurs, qu'ils soient "FR", "GB", "IRE" ou quoi que ce soit d'autres, cela ne les a pas empêchés de performer à 3 ans sur le circuit français. Un exemple parfait est Galop Marin, produit de l'élevage irlandais mais formé en France, qui a gagné à 3 ans à Auteuil puis effectué une longue carrière au sommet. Sans tendre vers l'extrême précocité du programme en obstacle, qui a aussi son lot de problèmes avec des carrières compromises à cause d'un manque de temps donné aux 3 ans en France au printemps, il faut que nos amis au delà de la Manche se penchent sur une refonte de leur programme, afin de lancer leurs coursiers dans le grand bain et le processus un peu plus tôt. Cela ne les empêcherait pas après tout de les attendre si ils en ont l'envie ! Et d'un autre côté, une ouverture plus large du programme aux "jeunes chevaux" (3 et 4 ans), enclencherait forcément une évolution du marché, avec peut-être une demande plus forte pour du 2 ans. 

 

En bref, les options sont multiples, et si une réponse était la bonne, nos amis anglo-irlandais ne seraient tout de même pas complètement stupides pour ne pas l'appliquer. Il est certain que changer les choses et "attaquer" les traditions est une tâche compliquée, mais il n'y a qu'à l'usage qu'on voit ! La seule chose dont ont peut être sûre, est que la "construction" d'un sauteur est une question d'éducation. Et quand un système dépasse l'autre, il faut réagir pour maintenir voir réinstauré l'équilibre.  

Le festival de Cheltenham, semblant promise à une nouvelle razzia des "FR", devrait une nouvelle fois soulever des questions sur l'élevage anglo-irlandais de sauteurs, qui se doit de réagir pour redevenir vraiment compétitif !

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