L'histoire de DNA Pedigree : Ruffian, en excès de vitesse

13/05/2021 - Grand Destin
Très féru de vitesse, Thierry Grandsir (DNA Pedigree) a ressorti sa plus belle plume cette semaine pour vous conter l'histoire d'une pouliche américaine qui n'en manquait pas : Ruffian, une demoiselle au caractère bien trempé et ô combien talentueuse en piste, s'étant vue attribuée le titre de "star" après ses incroyables performances à 2 et 3 ans. 

Ruffian (1972-1975), par Reviewer et Shenanigans (Native Dancer)

 

Le National Museum of Racing & Hall of Fame est une institution aux USA. Chaque année depuis 1951, un jury se réunit pour sélectionner les pur-sang, jockeys et entraîneurs qui seront honorés durant l’été à Saratoga en intégrant ce livre d’or, d’ailleurs sans équivalent chez nous. En 1976, une pouliche fut ajouté en haut d’une liste qui venait tout juste de s’enrichir des noms de Northern Dancer et de Secrétariat

 

 

Née le 17 avril 1972 à Claiborne Farm (KY), élevée par Stuart S. Janney Jr et Barbara Phipps-Janney, cette pouliche presque noire au modèle très imposant par sa puissance et sa taille (1,68 m) répondait au doux nom de Ruffian. Son père Reviewer, un fils de Bold Ruler précoce et doué mais très fragile n’avait encore rien produit de notable à l’inverse de sa génitrice Shenandoah, une fille de Native Dancer déjà responsable du bon Icecapade. Un pedigree où figurait l’excellent père de mères Discovery à trois reprises via Bold Ruler, Hasty Road et Native Dancer.

Ruffian fut confiée aux bons soins de Frank Whiteley Jr, un entraîneur qui eut comme pensionnaires des Champions de la trempe de Forego, Damascus ou encore Tom Rolfe et qui avait une méthode très simple : foin + avoine + eau, pas de lasix ni de médication. Dès son arrivée, la « grosse yearling » imposa son tempérament indépendant et supérieur.

Ruffian était une princesse qu’il fallait respecter, certes coopérative et volontaire au travail, mais elle aimait que tout aille vite. Ses canters, ses galops, et même le curage de son box : entrez, nettoyez et sortez, sinon prenez garde à mes pieds…

Constamment en excès de vitesse le matin, Ruffian ne tarda pas à découvrir un hippodrome, en l’occurence la piste de Belmont Park le 22 mai 1974. La jeune 2 ans fit sensation en débutant victorieusement sur 1100 m, de bout en bout, avec 15 longueurs d’avance au poteau et un chrono record à la clé. En excès de vitesse l’après-midi aussi…

Elle reproduira d’elle-même cette tactique à chacune de ses neuf sorties suivantes, pour autant de chronos records et une avance moyenne de 8 longueurs à l’arrivée. Championne de sa génération à 2 ans après ses démonstrations dans les Fashion St. (Gr.3), les Astoria St. (Gr.3), les Sorority St. (Gr.1) et les Spinaway St. (Gr.1), une fêlure au boulet postérieur droit la mit sur la touche jusqu’à la fin de la saison.

 

Ruffian dans ses œuvres, affichait en moyenne 8 longueurs à chaque sortie !

 

Facile gagnante pour sa rentrée à 3 ans sans être véritablement au top, Ruffian confirma sa supériorité dans les Comely St. (Gr.3) avant de s’adjuger la triple couronne des pouliches de New York (= Triple Tiara) : Acorn St. (Gr.1 – 1600 m – 8,5 long.), Mother Goose St. (Gr.1 – 1800 m – 13,5 long.) et Coaching Club American Oaks (Gr.1 – 2400 m – 3 long.), chaque fois de bout en bout et en temps record, évidemment.

Invincible, un style dévastateur, une vitesse prodigieuse sur toutes les distances, Ruffian était devenue la star des medias. Dans un climat social fortement influencé par les mouvements de libération de la femme, elle se devait d’affirmer sa domination sur les mâles. Deux ans plus tôt, la star du tennis Billie Jean King avait bien battu un homme, Bobby Riggs

Dimanche 6 juillet 1975, Belmont Park, la New York Racing Association organise le Great Match : invaincue en 10 sorties, Ruffian affronte le 3 ans Foolish Pleasure, vainqueur du Kentucky Derby (Gr.1) sous la monte de Jacinto Vasquez. Mais Jacinto Vasquez préfèra se mettre en selle sur Ruffian… L’ambiance est digne du Super Bowl ou d’un Championnat du Monde de boxe poids lourds. Avec $350,000 d’allocation, "la bataille des sexes" part sous les ovations des 50.000 spectateurs présents ce jour-là à Belmont, et de plus de 20 millions de téléspectateurs.

 

Ruffian, souvent considérée comme la meilleure pouliche US de l’Histoire !

 

Ruffian a légèrement percuté la stalle de départ mais parvient à se rééquilibrer pour prendre l’avantage côté corde. La pouliche et le poulain sont au botte à botte jusqu’à la ligne d’en face où, soudainement, Ruffian dérobe sur sa droite avant d’être (difficilement) arrêtée par son jockey. Les vétérinaires se précipitent, et évacuent la pouliche en ambulance.

Victime d’une fracture des deux sésamoïdes de l’antérieur droit, Ruffian est aussitôt opérée, certes avec succès mais son réveil se passe mal. Elle panique, devient violente et ne peut se calmer malgré les sédatifs. Elle s’accidente à nouveau, il faut abréger ses souffrances. On se souvient que ses parents Reviewer et Shenanigans ont connu le même sort, n’ayant pu récupérer de leur anesthésie sur la table d’opération.

Les cliniques vétérinaires ont considérablement progressé depuis 1975 aux USA, tel l’usage de corticostéroides ou encore la création d’une baignoire dans laquelle les chevaux, suspendus dans l’eau chaude, peuvent récupérer après une opération chirurgicale. Le 20 mai 2006, le classique Barbaro qui s’était gravement accidenté dans les Preakness Stakes eut la vie sauve grâce à ce système, et donc grâce à Ruffian !

Ruffian n’eut pas la chance de transmettre sa génétique, mais elle restera pour beaucoup la meilleure pouliche américaine de l’Histoire. Elle repose à Belmont Park, le nez tourné vers le poteau d’arrivée. De nombreux livres et un film lui furent consacrés, une course et une rue de Lexington portent son nom, et la chanteuse Joan Baez dédia même une version de stewball en sa mémoire. Adieu Ruffian, tu nous manqueras toujours !

 




 

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