La jument miracle Allegretta, partout et tout le temps !

Allegretta, le destin extraordinaire de la mère de l'élevage européen

On parle souvent de l'omniprésence d'Urban Sea dans les pedigrees modernes, mais on en oublie parfois sa mère Allegretta. C'est le débat de l'oeuf ou de la poule ceci dit, puisque chacune est la fille de sa mère, et ainsi de suite. Mais Allegretta, c'est la base de plusieurs grandes lignées européennes, dont celle d'Urban Sea, notamment via son fils Galileo. Ainsi, on retrouve Allegretta dans le pedigree de Sunway, vainqueur hier du Critérium International à Saint-Cloud, puisqu'il est un petit fils de Galileo via son génie de père Galiway. Cependant, dans le Critérium de Saint-Cloud, on ne voit pas le nom d' Urban Sea dans le pedigree du vainqueur Los Angeles. Pourtant, il descend bien d'Allegretta, qui est sa 4e mère. On ne va pas détailler chaque génération, cela prendrait des heures. Cependant, on peut s'intéresser au profil d'Allegretta, une jument au destin particulier. 

Allegretta, c'est bien sur Urban Sea...mais pas que !

Allegretta mettait déjà à l'époque les souches allemandes à la mode à travers le monde. Cette alezane manquant un peu d'élégance dans son physique était en effet une élève du Gestüt Schlenderhan, et remontait à l'une de leurs plus fameuses juments à cette époque, Asterblute. Née en 1946 dans une Allemagne sortant meurtrie et divisée de la Seconde Guerre Mondiale, Asterblute allait réaliser l'exploit de gagner les Guinées allemandes, puis le Derby face aux mâles, et le Preis Der Diana ! Une sorte de triple couronne allemande sortie de nulle part pour cette jument dont la lignée ne fut pourtant pas reconnue hors de ses frontières jusqu'aux années 1970 ! 

Asterblute, une jument conçue en toute fin de 2nde Guerre Mondiale avant de devenir une championne en piste pour Schlenderhan

En effet, Asterblute fut conçue en 1945, soit la dernière année de la guerre, née des oeuvres de Pharis II, étalon qui avait été "acheté" par les nazis en France, en gros pour une bouchée de pain, et sans l'accord du vendeur, en l'occurence Marcel Boussac ! Pharis était un cheval assez exceptionnel, qui avait gagné le Prix Noailles directement en débutant, avant d'enchaîner avec le Jockey Club et le Grand Prix de Paris en 1939. Rentré étalon en 1940, il n'eut le temps de saillir qu'une poignée de juments avant d'être raflé par les allemands, et utilisé chez eux pendant le temps de la guerre. De cette première année tronquée en France, il avait donné 13 foals, pour 10 vainqueurs, dont 4 au niveau Gr.1 ! Sans le conflit, Pharis aurait sans doute eu un destin d'étalon superstar, mais l'histoire en a voulu autrement. A cause de cela, Marcel Boussac refusa pendant longtemps de signer les déclarations de naissance de ses produits conçus en Allemagne, jusque dans les années 70, où quelques produits de cette époque furent enfin déclarés. 

Pharis II et Marcel Boussac après le Jockey Club 1939

Asterblute fut donc enfin de retour dans le giron européen, et est la 5e mère d' Allegretta, née en 1978 pour le compte du Gestüt Schlenderhan. Elle fut comme un symbole le premier produit de sa lignée à naître en dehors des frontières allemandes, en l'occurence à Angleterre. Allegretta était par Lombard, un gagnant de St Leger allemand né dans la pourpre, mais qui fut assez décevant au haras. Le croisement avec la mère d'Allegretta fut toutefois une réussite, donnant deux lauréats de stakes, mais aussi Alya, 2e mère d'un certain Adlerflug.... Quant à Allegretta, elle fit plutôt une bonne carrière chez Sir Michael Stoute, avec 2 victoires à 2 ans et une place sur le podium d'une préparatoire aux Oaks (Gr.3) à 3 ans. Présentée sur le ring de Tattersalls en fin d'année, elle fut vendue aux Etats-Unis. Nous sommes alors en 1981. 

Allegretta en piste sous les couleurs Schlenderhan...point large, mais vaillante !

Pourtant, Allegretta n'a pas eu son premier produit avant 1985 ! En effet, elle est restée vide la première année, et a été remise en piste, courant des sprints pour lesquels elle n'était clairement pas faite. Encore vide l'année suivante en 1983, elle est enfin pleine en 1984 de l'étalon Irish Castle. Ses propriétaires de Big E Farm en avait toutefois marre de faire des frais, et l'ont passée en ventes en fin d'année à Keeneland. C'est là qu'un certain Robert Nataf l'achète pour 55 000 $ pour le compte de M3 Elevage (ou Marystead Farm selon les produits) : Michel Henoschberg, Marc de Chambure, et Maurice Lagasse. Si elle avait été pleine du premier coup, l'Europe n'aurait sans doute jamais connu la descendance d'Allegretta... ou n'en aurait pas autant profité ! 

Le regretté Adlerflug, issu d'une propre soeur d'Allegretta

 Tout s'est ensuite enchaîné comme dans le manuel, puisqu' Allegretta est devenue une bonne maman, et surtout avec beaucoup de filles pour continuer l'aventure ! C'est le cas bien entendu d' Urban Sea, gagnante d'Arc avant de faire encore mieux au haras. Il y eu aussi Anzille, à qui l'on doit la branche d'Anzillero, Turbaine, dont descendent les Tertullian, Torquator Tasso et autres Tunnes, ou encore Altruiste, dont la souche prospère toujours chez la famille Rothschild avec Alpine Snow, puis Armande et autres Mr Molière et Terrubi. Mais " l'autre Urban Sea " sortie par Allegretta est Allez Les Trois, sa soeur par Riverman, qui au terme d'une carrière de courses réussie sous les couleurs du haras d'Etreham allait engendrer une autre lignée de choix. Elle est la 3e mère de notre fameux Los Angeles, si impressionnant dans le Critérium de Saint-Cloud. 

Los Angeles, un descendant direct de la grande Allegretta (aprh)

En France, Allez Les Trois a bien sûr produit le gagnant de Jockey Club Anabaa Blue, à l'honneur encore récemment en tant que père de mère d' Ace Impact. Ce dernier présente donc un inbreeding sur Allegretta, puisqu'il est par Cracksman, fils de Frankel, et donc petit-fils de Galileo. Allez Les Trois a également apporté beaucoup de joie à Shadwell avec son premier produit Al Isqh, mère de Tamayuz, et à l'origine de la branche qui comporte Eshaada, Motammaris, Santiago, ou encore Facteur Cheval ! Achetée par Darley, Allez Les Trois eu une dernière femelle en 2008, Violante. Simple gagnante de handicap chez Henri Alex Pantall, elle est à l'origine du gagnant de Groupe Impulsif, et de Frequential, la mère de Los Angeles. 

Allez Les Trois, fille d'Allegretta et soeur de Urban Sea...comme un air de ressemblance non ?!

Allegretta a donc une influence monstrueuse sur l'élevage européen. On la retrouve dans le pedigree de tous les gagnants d'Arc depuis Golden Horn en 2015, et des 6 derniers vainqueurs du Derby d'Epsom. Cette influence devrait s'étendre, car tout ceci n'est finalement pas si vieux, et de jeunes juments de la famille sont encore à pied d'oeuvre, reliées de plus ou moins près à l'alezane miracle. Allegretta a eu moins de chance avec ses rejetons mâles, qui étaient pour la plupart très compliqués et castrés. Seuls deux sont restés entiers : Oslo Connection, mauvais en piste, et un certain King's Best. Cheval de classe mais là encore pas simple : il gagna sa place au haras en pulvérisant Giant's Causeway dans les Guinées sous la selle de Kieren Fallon. Il est devenu un étalon tout à fait correct, notamment père du gagnant d'Arc et de Derby Workforce. Si ses fils n'ont pas réellement percé au haras, il est un père de mères très recherché pour la vitesse et l'influx que ses filles peuvent apporter. Cela fonctionne notamment pour la formule obstacle, la jeune star Karaktar étant issu d'une mère par King's Best, tout comme Doha Dream, qui a sorti un futur bon d'Auteuil avec son premier partant en obstacle, ou encore Headman, récemment arrivé à la Hêtraie et dont les premières productions donnent physiquement envie de les voir avec une selle sur le dos et quelques haies sur le chemin...

King's Best, le seul bon mâle par Allegretta...avait pulvérisé Giant's Causeway dans les Guinées avec un rating de 131 à la clé ! 

Vous l'aurez compris, Allegretta est partout... et tout le temps ! Voilà encore de quoi clouer le bec à ceux qui n'aiment pas les chevaux alezans, puisque la quasi totalité des chevaux qu'ils achètent descendent de cette "jaune" qui a tout transformé en or au haras. C'est même la jument qui réconcilie tout le monde, puisque sans l'import de Pharis en Allemagne, on ne l'aurait peut être jamais connue. Bref, Allegretta est la mère de la plupart de ceux dont on parle à longueur de journée... C'est bon de le savoir et de le rappeler !...