Quand l'Irlande se marre sur la morte butte

13/06/2018 - Grand Destin
Heureusement que les irlandais sont venus à Auteuil pour la dernière grande réunion du printemps sur la Butte Mortemart, pour faire un peu de nombre. Avec le " Fr" Bapaume et Baie des Iles, Willie Mullins et Ross O'Sullivan ont gagné les Prix La Barka et des Drags, grâce au même jockey suspendu Paul Townend. Baie des Iles brise un écrart de 48 ans venge Troytown 98 ans après sa mort tragique dans ce même Prix des Drags !


Bapaume monté par Paul Townend, félicité par Pierre Boulard, le conseiller de Willie Mullins en France, à son retour vainqueur du Prix La Barka (Gr.2). photos APRH

 

Une étrange décision venue d'en haut de France Galop a présidé au déplacement de la dernière grande réunion d'Auteuil, celle du Prix des Drags enrichie cette année du Prix La Barka, à un samedi soir, car il fallait laisser la place à ParisLongchamp pour que le nouvel hippodrome ait au moins un rendez-vous dominical en juin, et même si la réunion en question n'avait aucune envergure particulière.

Résultat, déjà qu'il n'y a plus grand monde aux courses et surtout à Paris même à Auteuil, ce fut le coup de grâce. Des champions s'exprimaient dans la plus totale indifférence des 2 pelés et des 3 tondus qui ne parvenaient même pas à remplir le rond de présentation. Un total mirifique de 898.000 € d'allocation a été distribué dans une atmosphère de désolation. Et pourtant, si on réunissait la valeur de tous ces chevaux présents, de si grande qualité, il y en avait pour plusieurs dizaines de millions d'euros. Le paradoxe est d'autant plus criant avec le vide sidéral dans les tribunes d'un hippodrome qui jouit pourtant d'une situation stratégique exceptionnelle, avec des vues imprenables sur la Tour Eiffel, une facilité d'accès, des structures, des espaces verts, des parkings, une proximité avec la ville lumière dont n'importe quel organisateur d'événement dans le monde rêverait. C'est un peu comme si on organisait des compétitions avec les meillleurs joueurs du pays, quel que soit le sport, à Central Park à New-York, et que personne ne viendrait les voir.

 

 
Baie des Iles, entouré par Paul Townend, son entraineur Ross O'Sullivan avec sa femme Katie Walsh, femme jockey gagnante du Prix La Barka 2015 avec Thousand Stars.

 

 Face à cela, les irlandais ont comme les anglais l'habitude de courir devant des tribunes bien garnies. Cela ne tient pas uniquement grâce à la miraculeuse culture locale, mais aussi grâce au travail des organisateurs qui ont su sortir de l'ornière après avoir subi une menace très grave de désafection dans les années 80, chose qui n'a pas ou si peu été faite en France où on a continué de penser qu'il suffisait de décrocher des arbres l'argent des turfistes pour alimenter des propriétaires qui ne s'intéressaient qu'à des rapports financiers. Quelques assoiffés inconditionnels espéraient, vu la date et l'horaire, une nouvelle garden party, enfin au moins une buvette ouverte avec un peu de musique, de la bière des cahuettes et des serveurs qui ne sortent pas de la famille Adams. Nein, no, niet, nada, un non négatif.

 


Bapaume

 

Les irlandais ne nous comprennent pas. Il ne comprennent pas le paradoxe entre le désert des tribunes, la mort des propriétaires en France, et la richesse des allocations due à notre fameux système de redistribution d'un PMU, tellement généreux qu'il a endormi des acteurs l'ayant laissé partir en roue libre dans les 15 dernières années. Tandis que les courses françaises, faute de revenir aux fondamentaux, s'apprêtent à se fracasser contre le mur, les irlandais se précipitent dans notre belle capitale pour s'y remplir les poches avant le crash. Car pour ça, ils comprennent tout et on les comprend bien !

Bref, si cela a fait grincer des dents en ce samedi waterlooesque à Auteuil, les Irlandais ont décroché les deux plus grosses timbales, le Prix La Barka (Gr.2) sur les haies offrant 78.750 € au vainqueur, puis dans la foulée le Prix des Drags (Gr.2) encore plus riche avec 99.000 € pour le lauréat ! 

 

 

 Willie Mullins adore la France. Pour défendre son titre dans le Prix La Barka, qu'il a gagné tout d'abord 2 fois avec Thousand Stars, puis avec Un de Sceaux en 2016 et Shaneshill l'an dernier, le grand Willie avait amené pas moins de 5 partants ! Si quatre d'entre eux ont subi des échecs complets, il s'est tout de même imposé sans le moindre suspens avec Bapaume, 5 ans, récent dauphin de De Bon Coeur dans la Grande Course de Haies d'Auteuil. S'il était entrainé en début de carrière par Augustin de Boisbrunet, Bapaume est une pur produit signé "Rohaut". Il provient de la grande souche du regretté Maurice Rohaut-Léger, tandis que son père Turtle Bowl était entrainé par François Rohaut en personne.

 


Willie Mullins

 

Fait extraordinaire, Bapaume était monté par un jockey suspendu ! En effet, si Jacques Ricou (qui avait passé un hiver entier chez Mullins il y a 4 ans) avait monté Bapaume il y a 3 semaines, Paul Townend, habituel 2e jockey chez Mullins, mais passé en 1e position pendant l'accident de Ruby Walsh, avait retrouvé sa place sur la meilleure chance de l'écurie. Pourtant, il est bel et bien suspendu en Irlande. " Mais notre système est très particulier", explique Willie Mullins. " En fait, la suspension est certes étendu aux autres pays, mais les jockeys, chez nous, ne sont suspendu que les jours où il y a des courses d'obstacle dans le pays. Or, ce samedi, il n'y avait pas de courses d'obstacle en Irlande !"

 


Paul Townend

 

Paul Townend est sous le coup d'une lourde suspension suite à l'énorme erreur qu'il a commise dans un Gr.1 à Punchestown fin avril en selle sur Al Boum Photo, qui a fait couler beaucoup d'encre (voir la vidéo). Quel sensation extraordinaire a-t-il donc pu vivre quand non seulement il a gagné le Prix La Barka, mais en plus il a fait le doublé de G.2 en brillant aussitôt dans le Prix des Drags en steeple-chase.

 

 

 

Sans exagérer, Townend pourra arguer qu'il a marqué l'histoire. En effet, si les entraineurs anglais et irlandais ont pris leurs habitudes sur les haies d'Auteuil (ils ont gagné tous les Prix La Barka depuis 2012, avec Pipe et Nicholls en plus des 5 titres de Mullins), c'est exactement l'inverse sur le steeple. Ils ne se risquent que très rarement sur les gros obstacles, et leur tentatives terminent immanquablement en bérézina, le dernier en date étant Djakadam qui a fini à 500 m dans le Grand Steepl-Chase de Paris 2018. De fait, le succès dans le Prix des Drags (Gr.2) de Baie des Iles, une jument française entrainée en Irlande par Ross O'Sullivan, est un choc psychologique. Ross O'Sullivan est le mari de Katie Walsh, femme jockey vedette qui vient de mettre un terme à sa carrière. Il sellait son 1e partant en France, lui qui était venu une seule fois à Auteuil dans sa vie, le jour de sa victoire de sa femme en selle sur Thousand Stars dans le Prix La Barka 2014. Katie Walsh est la soeur cadette de Ruby Walsh, et donc la fille de Ted Walsh, ancien entraineur de légende en Irlande, installé à Kill tout près de la salle de vente de Goffs, où O'Sullivan entraine désormais.

 


Baie des Iles

 

Sans le savoir, avec Baie des Iles, Ross O'Sullivan et Paul Townend ont brisé un écart de 48 ans pour l'Irlande sur le steeple-chase d'Auteuil ! " Mon père, Paddy Mullins, a gagné ce Prix des Drags avec Herrin Gull en 1970 !" rappelait ainsi le grand Willie. " Sur le programme, l'entraineur indiqué était John Ciethanowski, mais c'était un nom d'emprunt pour des raisons adminstratives dont je ne me rappelle plus les détails. Je me souviens seulement que cela évitait que le cheval soit obliger de passer 2 fois par le frontière belge !" Polonais d'origine, grand voyageur, John Ciethanowski fut un personnage haut en couleurs, qui venait de s'installer à Chantilly et travaillait comme assistant de Maurice Zilber, et qui a aussi été le tout 1e entraineur de Cheikh Mohammed Al Maktoum à Newmarket ! Mullins père, pour assurer sa victoire, avait fait appel au crack jockey Stan Mellor, l'un des 1e à passer le cap des 1000 victoires en Angleterre.

 

 
Paddy Mullins, le père de WIllie Mullins, était le dernier entraineur irlandais à avoir gagné une grande course sur le steeple-chase d'Auteuil, dans le Prix des Drags 1970 avec Herrin Gull.

 

" C'est vrai qu'on ne gagne pas souvent. Moi-même, je n'ai jamais réussi à gagner en steeple à Auteuil" avoue Willie Mullins. " Mais je rappelle quand même que nous avons gagné le Grand Steeple-Chase de Paris avec Troytown en 1919 ! Le cheval était entrainé à Navan, au nord. Je n'imagine même pas quelle aventure cela pouvait représenter à l'époque ! " Seul cheval, avec Jerry M, à avoir remporté le Grand National de Liverpool (en 1920) et le Grand Steeple-Chase de Paris, Troytown a conclu 3e de Coq Gaulois et Héros XII dans le Grand Steeple 1920 mais s'est tué quatre jours plus tard au saut du brook dans ce même Prix des Drags et a été enterré au cimetière des animaux d'Asnières.

 


Troytown, vainqueur irlandais du Grand Steeple-Chase de Paris 1919.

 

 De façon générale, les victoires étrangères sur le steeple-chase d'Auteuil sont rarrisimes. Le succès de Mandarin, entrainé en Angeterre par Fulke Walwyn, est resté dans toutes les mémoires car son jockey Fred Winter avait cassé sa bride peu après le départ. Mais depuis cet exploit, au niveau des groupes, seuls Ian Williams a gagné le Prix la Haye Jousselin (Gr.1) avec Batman Senora en 2003 et Tom George a remporté le Prix Maurice Gillois (Gr.1) en 2011 avec Halley. Mais ces deux chevaux  'FR" ne courraient pratiquement qu'en France, montés respectivement par Cyrille Gombeau et David Cottin.

Plus exotique, un jument allemande, Toronja (Blauer Reiter) a remporté le Prix Maurice Gillois en 1974, entrainée Outre-Rhin par Heinrich Bollo.

 

 
Baie des Iles devance 2 autres gris Bipolaire et Sainte Turgeon, qui sera rattrapée par Roi Mage. Vauquoise termine remarquable 5e malgré une grosse faute au mauvais moment.

 

Grande jument grise presque blanche, l'AQPS Baie des Iles ne passe inaperçue dans un peloton, ou derrière le peloton puisqu'elle a musardé en dernière position toute la course avant de dépasser tout le monde dans la ligne droite, se permettant de devancer des ténors d'Auteuil, dans cet ordre Bipolaire, Roi Mage et Sainte Turgeon, tandis que So French a semblé avoir perdu confiance en lui. 

Très précoce chez Arnaud Chaillé-Chaillé, Baie des Iles a couru 8 fois à 3 ans, terminant sa saison par une 3e place dans le Prix Congress (Gr.2) derrière Kobrouk et The Saint James, après avoir gagné à Vichy en haies, à Royan en plat, puis deux fois à Auteuil, dans le Prix Pelat en haies et Noiro en steeple !

 


Aymard de Talhouet-Roy, portrait craché de son père Antoine, l'éleveur de Baie des Iles.

 

En 2014, elle mettait un coup de projecteur sur la 1e production de Barastraight, qui reste peu commercial mais qu'il ait également sorti Forthing, lauréat de la Grand Prix de Pau (Gr.3) et de la Grande Course de Haies de Pau (Listed) au tout début de l'année 2017, un printemps au cours duquel il n'a sailli que 14 juments ! Barastraight, fils de Barathea, fait la monte au Haras des Sablonnets, chez Antoine de Talhouet-Roy qui est d'ailleurs éleveur de Baie des Iles. La mère Malownia, lauréate de l'important Prix des Guillédines sous la casaque de Serge Boucheron (l'éleveur de Barastraight), est une fille de Smadoun, patriarche historique des Sablonnets.

 


Jeoffrey Huet, courtier français qui avait acquis Baie des Iles à 3 ans.

 

Juste avant le Congress 2015, le jeune courtier Jeoffrey Huet a négocié son achat, ce qui paraissait atypique pour une femelle ayant déjà beaucoup couru à 3 ans et n'était plus novice dans les 2 disciplines. Mais il avait raison contre toutes les règles classiques.

En Irlande, Baie des Iles a gagné 2 gros handicaps de Punchestown sans pouvoir briller au niveau des groupes. En avril, elle a fait partie des 36 concurrents du Grand National de Liverpool, montée par Katie Walsh, et a terminé le parcours en 12e et dernière position.

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