Le Derby, la spécialité du Magicien de Dormello : Federico Tesio

02/06/2017 - Grand Destin
La totalité des candidats au Derby d’Epsom ou du Prix du Jockey Club possède un pedigree pourvu du sang de Nearco, élevé en Italie par le légendaire Fédérico Tésio, l’homme de Dormello à qui l’on prêtait des dons de magicien. Par Xavier BOUGON.
Le transalpin Federico Tesio s’était fait une spécialité, celle de gagner le Derby. En tant que propriétaire-éleveur, 22 Derbies d’Italie figurent à son formidable palmarès à partir de 1911 et jusqu’au dernier, Botticelli, un succèsqu’il ne verra pas étant décédé quelques semaines plus tôt. Avec un brin de modestie, il affirmait haut et fort pour qu’on ne l’entende pas :

 «L’élevage et sa sélection ne dépend pas d’experts, de techniciens ou de zoologues mais d’un morceau de bois, le winning-post du Derby».

L’un d’eux, Nearco, aura marqué l’élevage mondial de par sa descendance mâle. Vous prenez un étalon anglais, vous le faites mijoter en France et vous obtenez un gagnant de Derby, mariné en Italie. Telle était, en quelque sorte, la citation de Federico Tesio (tirée de la réplique culte du film Le Grand Restaurant).

Nearco s’imposera dans le Derby italien (avec sur le dos le premier jockey de l’écurie, Pietro Gubellini) après avoir fait sien la Poule d’Essai (le Premio Parioli) et et le Gran Critérium. Il inscrira également son nom au palmarès du Gran Premio d’Italia et du Gran Premio di Milano. Il finira sa carrière sur la piste le 26 juin 1938 par un succès dans le Grand Prix de Paris qui avait réuni, pour la première fois, trois gagnants de Derby (Bois Roussel à Epsom et Cillas à Chantilly). Quatre jours plus tard, après son invincibilité en 14 sorties (7 victoires à 2 ans dont 3 en 14 jours, 7 à 3 ans), le champion de Federico Tesio est vendu en Angleterre à un ancien bookmaker, Martin Henry Benson pour la somme record à l’époque de £ 60.000 (27.600.000 Francs). Il débutera sa carrière d’étalon à Beech House Stud à Newmarket (acquis en 1930 par M. Benson) où, d’ailleurs, il est enterré depuis juin 1957.
 
 

Nearco, sortant de son bunker

 
 
 
Le boxe de Nearco enterré dans un bunker
 
 
Federico Tesio y tenait comme à la prunelle de ses yeux mais il avait été obligé de s’en séparer pour le mettre à l’abri de la montée du fascisme de Mussolini. Selon mes sources, son box était à l’abri, enterré dans un bunker.
 
Quatorze ans après ses débuts au haras, l’industriel canadien, Edward-Plunket Taylor, achète Lady Angela (élevée par Martin Benson), pleine de Nearco. Naîtra en 1954, un certain Nearctic.
 
Nearco se révèlera un extraordinaire étalon, père notamment de Nasrullah, de Royal Charger et de Nearctic, lui-même père du non moins célèbre Northern Dancer dont descend la totalité des partants de ce week-end.
Etrangement, Nearco ne donnera pas un seul gagnant de Derby romain ni même cantilien et seulement deux d’Epsom, Dante et Nimbus.
 
Notes :
 
  • Nearco avait vengé son camarade d’élevage, le Derby-winner Donatello (Blenheim), second, l’année précédente, du Grand Prix de Paris à l’issue d’un parcours malheureux devancé par le gagnant du Prix du Jockey Club, Clairvoyant. Le fils de Delleana avait ensuite été vendu à un ami intime du baron Edouard de Rothschild, Edward Esmond, pour 47.500 Livres (soit 16 M. d’euros) qui le syndique ensuite. Il fera la monte à Brickfield Stud à Newmarket.
 
  • Le père de Nearco, Pharos (2e du Derby d’Epsom) était la propriété de son éleveur Lord Derby, 17ème du nom, qui l’installera en 1926 dans l’un de ses haras de Newmarket, Woodland Stud (division de l’ancien Sefton Stud). Puis, en 1928, il prendra la direction de la France (où Lord Derby est ambassadeur). C’est au Haras d’Ouilly (propriété du Duc Decazes associé à François Dupré qui deviendra l’unique propriétaire deux ans après) que Pharos était stationné lorsqu’il fût présenté à Nogara, la future mère de Nearco. L’année suivante, Pharos sera présenté à Carissima, la future mère de Pharis (Prix du Jockey Club, Grand Prix de Paris avant d’être réquisitionné par l’occupant), propriété de Marcel Boussac. Mort en avril 1937, Pharos ne verra pas les exploits de ses fils. Quant à Nearco, il est mort en juin 1957.

 

 

 
 
Il y a 120 ans, naissait le célèbre élevage Tesio à Dormello
 
Décédé peu de temps avant les débuts de Ribot, Federico Tesio avait fondé en 1898, l’année même de son mariage avec Donna Lydia Flori (fille d’Alessandro Flori, marquis de Serramezzana), un élevage qui restera gravé à jamais dans les mémoires. Situé près du Lac Majeur à Dormelletto dans la province de Nogara, les nouveaux époux le nommeront Dormello. Lydia et Federico avaient en commun la passion du pur-sang. C’est déjà un ciment très fort pour la pérennité d’un mariage d’amour.
En ce week-end de Derby, revenons sur les gagnants de cette course mythique transalpine ayant porté les couleurs Tesio puis celles de l’association Tesio-Incisa à partir de 1932.
 
-En 1911, Guido Reni (Melanion) est le premier gagnant de Derby pour l’élevage Tesio suite à l’achat en décembre 1904 en Angleterre de sa mère, Jenny Hampton (Royal Hampton) pour 210 Livres. Près de 40 ans plus tard, Pharis intègrera la même famille maternelle. Pour l’anecdote, Federico Tesio est officieusement l’entraineur mais officiellement, c’est son assistant, ami et ancien compagnon d’études, Luigi Regoli, qui figure au palmarès. Luigi n’est autre que le père du crack-jockey Federico Regoli.


 
 
En 1912, Rembrandt (William The Bird) est issu de son élevage après avoir acheté sa mère Miss Repton (Amphion) en Angleterre.
 
-En 1914, Fausta (Spearmint, vainqueur du Derby d’Epsom et du Grand Prix de Paris 1906 pour Eustace Loder) enlève le Derby et les Oaks. Elle se classe également seconde des Premio Parioli et Regina Elena. Deux ans plus tôt, Tesio avait acheté un lot comprenant Fausta encore yearling et sa mère Madrée (Flying Fox). Cette dernière, d’origine française, avait été élevée par Chéri-Raymond Halbronn (propriétaire des établissements de vente de chevaux de l’époque) qui l’avait vendu à l’italien, Conte Felice Scheibler (fondateur en 1882 de la Société des Courses de Milan)pour qui elle va enlever la Poule d’Essai des Pouliches 1907. Elle fait sien également le Premio Regina Elena pour la Scuderia Sir Rholand, nouvelle entité de notre italien de Rho, près de Milan.
 
-En 1915, c’est la victoire de Van Dyck, fils de Signorino (3e Derby d’Epsom), le frère de la championne Signorinetta (Derby d’Epsom et Oaks pour Edoardo Ginistrelli, un italo-anglais). La mère de Van Dycj, Veronesa (Melanion) avait gagné le Premio Regina Elena 1908 pour Tesio, son premier classique. Veronesa est la fille de Velika, une des premières juments achetées en France par Tesio.
 
 
 
-En 1917, Gianpietrina (Signorino) enlève non seulement le Derby mais aussi les Oaks et le Premio Regina Elena. Elle est la sœur de Giovanna Dupre (Durbar), gagnante des Oaks italiennes. Elles ont pour mère Giottina, une fille de Galeazzo (Galopin), propriété du baron Leopold de Rothshchild et étalon en France puis en Angleterre. Giottina est la fille de Jenny Hampton déjà vue lors de la première victoire en 1911. Giottina donnera un autre Derby-winner, Ghiberti, vainqueur en 1920.
 
-En 1919, c’est la victoire de Meissonier (Signorino), un fils de Fausta, gagnante du Derby 1914. Cette dernière donnera deux autres vainqueurs du Derby, deux propres frères, le célèbre Michelangelo (vainqueur en 1921) et Melozzo da Forli (en 1922). Lors des succès, les trois frères étaient montés par Federico Regoli.
 
 
-En 1923, victoire de Cima da Conegliano, toujours un fils de Signorino et d’une jument anglaise, exportée en Italie en 1909, Chin (Laveno), propriété d’Eustace Loder. Cette dernière avait pour mère Chinook, gagnante des Nassau St. pour l’américain Pierre Lorillard.
Voir où était stationné Signorino
 
 

Federico Tesio manque sur la photo après la 2e victoire de son chef d'oeuvre, l'invaincu Ribot dans l'Arc de Triomphe. Il est mort l'année de la naissance du poulain.
 
 
-En 1926, Apelle est un fils de Sardanapale et d’Angelina (St Frusquin). A 2 ans, il avait gagné le Critérium de Maisons-Laffitte et à 4 ans, la Coronation Cup. St Frusquin (St Simon) avait gagné les Guinées anglaises 1896 pour Léopold de Rothschild et s’était classé second de Persimmon dans le Derby. Elevée par Lord Falmouth, Angelina avait rejoint l’Italie en 1921.
 
-En 1932, l’année de l’association avec le Marquis Incisa delle Rocchetta, Tesio gagne le Derby avec une pouliche, Jacopo del Sellaio (Coronach). Elle fait le grand chelem en enlevant également les Oaks et les deux Poules et même le Gran Critérium à 2 ans. Sa mère, Vice Versa (Cylgad), avait été achetée en décembre de ses 3 ans pour 3.000 Guinées. Taslett, sa grand-mère, avait terminé seconde des 1000 Guinées.
 
-En 1935, Ugolino da Siena est le fils d’un gagnant d’Arc et de Derby italien, Ortello (Teddy). Ce dernier avait gagné à Longchamp pour les couleurs de l’italien Giuseppe de Montel et sous l’entrainement du franco-italien, Willy Carter, installé à Milan. Tesio avait acheté sa mère, Duet (Great Sport), suitée d’un premier produit, une pouliche par Papyrus.
 
 
 

Donatello
 
 
-En 1937, c’est au tour de Donatello (Blenheim) de donner une énième victoire à son entourage. Il est le frère de Dossa Dossi, gagnante des Oaks 1933. Leur mère n’est autre que Delleana (Clarissimus), gagnante des Premio Parioli et Regina Elena. Leur grand-mère, Duccia di Buoninsegna, avait également gagné les 1000 Guinées italiennes.
 
-En 1938, c’est l’année de Nearco, fils de Nogara. Elle entrera dans le giron de Tesio par sa mère, Catnip, achetée 75 livres en 1913 à Newmarket après une petite victoire à 2 ans. Elle était pleine de Cook A Hoop (Gallinule), propre frère d'un certain Pretty Polly. Son prix est bon marché parce qu’elle est petite et chétive mais Tesio n’hésite pas car elle est fille de Spearmint, déjà père d’une de ses championnes, Fausta, gagnante du Derby en 1914 (voir plus haut). Il envoya Catnip à la saillie de Havresac (Rabelais) qui donnera Nogara.
 
 

Cavaliere d'Arpino
 
 
-En 1940, c’est la victoire de Bellini, un fils d’un étalon de la maison, Cavaliere d’Arpino (Havresac), le frère cadet de Cranach (Cannobie). Tesio avait acheté leur mère, Chuette (Cicero), en 1920 pour 6.000 Guinées, elle avait 4 ans. A l’époque, Tesio avoue n’avoir encore jamais payé une jument si chère. Il dit, à propos de Cavaliere d’Arpino, qu’il n’a jamais élevé, ni entrainé meilleur que lui !
 
Cavaliere d’Arpino deviendra le père de Traghetto, vainqueur du Derby 1945 pour la Scuderia Mantova et le grand-père de Nuccio, vainqueur du Prix de l’Arc de Triomphe 1952.
 
Quand à Bellini, vainqueur à l’automne du St Leger, il a pour mère Bella Minna (Bachelor’s Double), achetée en Angleterre pleine de Singapore. Elle donnera naissance l’année suivante à Bistolfi (frère ainé de Bellini), vainqueur, entre autres, du Prix d’Ispahan pour Tesio. Mais Bella Minna deviendra très vite stérile par la suite. Quant à Bellini, il deviendra, entre autres, le père de Tenerani.
 
-En 1941, c’est au tour de Niccolo dell’Arca (Coronach), le demi-frère de Nearco. Il réalise la triple couronne en enlevant également le Premio Parioli et le St Leger.
 
-En 1944, Torbido porte les couleurs de Lydia Tesio. C’est un autre fils d’Ortello et de Tempesta, elle-même fille d’un étalon de la maison Michelangelo. Tempesta est la petite-fille de Coronation (Isinglass et la légendaire Sceptre), achetée en Angleterre à la fin de son année de 3 ans. Cette Coronation est l’une des juments importantes non seulement en Italie mais aussi en France : outre Torbido, elle est l’aïeule de Tissot (père d'Ortis, un gagnant de Derby) Tisserand (Derby 1988), Tamanar (Prix du Jockey Club 1958) et même Match, Relko (Derby d’Epsom) et Reliance (Prix du Jockey Club). Torbido aura pour fils, Antonio Canale, père de 2 vainqueurs du Derby Italien.
 
 

Tenerani, le père de Ribot.
 
 
-En 1947, Tenerani est un fils de Bellini, autre vainqueur du Derby pour Tesio. Sa mère, Tofanella (Apelle, vainqueur également du Derby) est arrivée foal d’Angleterre avec sa mère, Try Try Again (Cylgad). Tenerani deviendra le père d’un certain Ribot que Tesio a élevé mais qu’il n’a pas vu débuté.
 
-En 1951, Daumier est un pur produit maison puisque son père est Niccolo dell’Arca (vainqueur du Derby) et que sa mère, Donatella (Mahmoud), est une fille de Delleana, mère également de Donatello.
 
-En 1954, Botticelli (Blue Peter) gagnera le Premio Parioli, puis, en l’absence de son propriétaire-éleveur, décédé dans la nuit du 30 avril au 1er mai, le Derby. La mère de Botticelli, Buonamica (Niccolo dell’Arca) est une petite-fille de Buonworry (Great Sport, un fils de Gallinule), achetée en 1927 en Angleterre, pleine de Craig an Eran. Botticelli est le demi-frère de Braque (Antonio Canale), vainqueur du Derby 1957. Botticelli sera le père du vainqueur du Derby 1962, Antelami.
 
En 1955, en l’absence de son éleveur, c’est la première victoire de Ribot (Tenerani) dans le Prix de l’Arc de Triomphe. En décembre 1931, Tesio achète Gay Gamp (Gay Crusader), pleine de Solario pour 610 Guinées. Elle deviendra la mère d’El Greco, entre autres. El Greco sera présentée à Barbara Burrini (Papyrus, vainqueur du Derby d’Epsom 1923) laquelle donnera naissance à Romanella, la future mère de Ribot.
 
La Razza Dormello-Olgiata enregistrera sept autres Derbies dont celui de Garrido, le dernier, (entrainé par François Boutin), un descendant de Giambellina, le dernier succès de Federico Tesio dans le Premio Regina Elena 1954.
 
Il restera l’éleveur reconnu de tous....souvent copié, jamais égalé....

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