L'histoire de DNA : Allez France et le mouton Bastian

22/08/2019 - Grand Destin
 L'une des plus grandes juments de l'histoire des courses dans le monde, Allez France a marqué les mémoires par ses envolées sous la selle d'Yves Saint-Martin mais aussi son tempérement de feu, qui ne pouvait être canalisé que par un compagnon atypique, le mouton Bastian...Thierry Grandsir nous conte ce destin.

 ALLEZ FRANCE(1970 - 1989), par SEA-BIRD et PRICELESS GEM, avec Bastian le mouton. © APRH

 
En 1971, une pouliche yearling par le Champion français Sea-Bird et la Top 2 ans américaine Priceless Gem était inscrite dans un catalogue de vente aux USA. Son pedigree attira l’attention de Daniel Wildenstein qui, dans l’impossibilité de se rendre sur place, transmis les consignes suivantes à son courtier : « Si la pouliche est baie et ressemble à sa mère, vous l’achetez. Mais si elle ressemble à son père, vous l’oubliez ! ».
 
Clairement signée par sa génitrice dans son modèle, la future Allez France fit l’objet d’une enchère gagnante à $200,000 en faveur de Daniel Wildenstein, qui l’importa en France pour la placer chez son premier entraîneur, Albert Klimsha. Fils de ce dernier, Albert Klimsha Jr nous confia lors d’un dîner l’anecdote suivante : « Allez France était toujours très tendue, anxieuse, et marchait dans son box jusqu’à tremper sa chemise. Comme je l’avais en charge, j’ai décidé de lui adjoindre un compagnon et choisi pour elle un lapin. Malheureusement, la pauvre bête ne survécut pas à sa première nuit dans le box, et les tentatives suivantes ne furent pas plus couronnées de succès. De là m’est venue l’idée de lui adjoindre un animal plus imposant : un mouton... »
 
 
 
 
 
L’effet fut immédiat. Allez France s’éprit de son nouveau compagnon, le mouton Bastian, qui passa ainsi sa vie entière à ses côtés. Au box, dans le camion la menant aux courses, mais malheureusement pas dans ses déplacements à l’étranger, bloqué aux frontières pour raisons sanitaires. Allez France courut trois fois hors de l’héxagone sans jamais vaincre, devancée par des chevaux n’ayant manifestement pas sa qualité…
 
Dominatrice à domicile, Allez France remporta le Critérium des Pouliches (Gr.1) à 2 ans avant une saison classique où elle aligna les succès dans la Poule d’Essai des Pouliches (Gr.1), le Prix de Diane (Gr.1) devant la Championne Dahlia et le Prix Vermeille (Gr.1), ne trouvant devant elle que le 4 ans Rheingold à l’arrivée du Prix de l’Arc de Triomphe (Gr.1).
 
Transférée l’année suivante dans les box de Angel Penna et toujours accompagnée de Bastian le mouton, Allez France remporta encore le Prix Ganay (Gr.1), le Prix d’Ispahan (Gr.1) et enfin un Prix de l’Arc de Triomphe (Gr.1) qui restera dans la Légende. Yves Saint-Martin, son fidèle partenaire, arriva en effet à Longchamp sur des béquilles et sous infiltration, victime quelques jours plus tôt d’une fracture du grand trochanter (os de la hanche) lors une chute au rond avant un réclamer !
 
Lauréate du Prix Ganay (Gr.1) à 5 ans et titulaire de $1,386,146 de gains (un record pour l’époque), Allez France entra au haras pour donner le jour à la lauréate du Prix de Sandringham (Gr.3) Action Française (Nureyev), mais seuls 14 gagnants de Stakes ornent sa descendance directe, plus souvent dotée de l’anxiété de son ancêtre que de sa classe. Il eut peut-être été nécessaire de monter un élevage ovin en parallèle…
 
 
 DUNGANNON(m. b. 1780), par ECLIPSE et ASPASIA (HEROD)
 
 
Allez France ne fut pas la première à avoir été accompagnée d’un mouton. Né en 1780 par le légendaire Eclipse et une fille de Herod, le poulain Dungannon s’était lui aussi pris d’affection pour un mouton, qui l’accompagna pendant des années. Il remporta 27 victoires en 30 sorties en Angleterre et se plaça deuxième du Derby (Gr.1) avant une carrière d’étalon des plus convenables (père de mère de trois vainqueurs classiques).
 
Dungannon et Allez France ont fait des émules, et il nous arrive parfois de croiser un ovin ou un caprin entre les jambes d’un cheval sur un de nos hippodromes. Un tranquilisant naturel et efficace...
 
Quoi qu’il en soit, la grande popularité de Allez France était liée à son nom, que la légende stipule avoir été choisi pour que les anglais scandent « Allez France » dans les tribunes de leurs hippodromes (ce que Daniel Wildenstein a d’ailleurs toujours démenti), mais aussi à sa casaque, à sa classe pure, et au génie de son jockey Yves Saint-Martin, indissociable de sa gloire et qui parlait d’elle en ces termes : « Monter Allez France engendre des sensations uniques : lorsqu’elle accélère, elle s’abaisse d’une bonne trentaine de centimètres pour voler au ras du gazon à une vitesse prodigieuse ! ».
 
Allez France était facilement reconnaissable dans un peloton, car elle arborait toujours sur le nez une … peau de mouton !!!
 
 

Un anonyme à Compiègne, avec sa chèvre. (photo APRH)
 

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