Camelot et la grande revanche du classicisme répudié

08/06/2020 - Zoom Etalon
A l'heure où le marché ne jure que par la vitesse et la précocité et où le titre de meilleur père de deux ans est le graal absolu, un étalon fait figure d'ovni, tant sa réussite est exceptionnelle. Nous parlons bien de Camelot, qui est doucement en train de s'affirmer comme l'un des meilleurs fils de Montjeu au haras, porté par l'un des futurs favoris du Derby d'Epsom, English King. 

Le somptueux Camelot est en train de devenir une référence (©Coolmore Stud)

 

Avant de commencer, soyons très clairs : même si je vais m'appuyer sur des statistiques, mon objectivité ne sera pas des plus évidentes quand je parle de Camelot. Heureusement, je suis loin d'être le seul à être un immense fan de l'étalon de Coolmore Stud, qui représente fièrement la filière classique pourtant répudiée sur le marché. Aujourd'hui, on entend cela à tout va, vitesse et précocité, et rentrer un étalon de ce type est devenu la quête du saint Graal pour beaucoup. Si le classique n'est plus la grande mode, Camelot s'affranchit fièrement de cette tendance, et connaît à l'heure actuelle une réussite exceptionnelle. 

Camelot a toujours été considéré par Aidan O'Brien comme l'un des meilleurs chevaux qu'il ait eu sous sa responsabilité. Pur classique, Camelot avait assez de classe pour s'imposer à 2 ans dans le Racing Post Trophy sur le mile, même si ce Gr.1 est plus considéré comme un test de tenue pour la jeune génération. A 3 ans, Camelot remportera les Guinées, puis le Derby en grand champion. Il se lance alors dans un exploit qui n'a plus été accompli depuis Nureyev : remporter la Triple Couronne Britannique en enlevant le St Leger. Il n'en terminera que 2e dans une course très controversée. En effet, le gagnant Encke, un "Godolphin", a fait ensuite partie du scandale de dopage autour de Godolphin et Mahmood Al-Zarooni... Camelot aurait-il gagné ce jour-là, on ne saura jamais, mais cette sombre histoire aura déçu beaucoup de monde.

 

 

 

A son entrée au Haras, Camelot affiche un tarif de 25 000 €, pas énorme pour un triple gagnant de Gr.1 classique, mais il avait connu une saison compliquée à 4 ans. Comme son père Montjeu, Camelot n'a pas suscité un engouement immédiat, la faute à son profil de cheval de distance. En effet, Montjeu n'avait éclos au grand jour que par la réussite de se première génération, qui comprenait Hurricane Run et Motivator. Même si l'on ne peut pas les comparer, Camelot a lui aussi connu un succès immédiat avec ses premiers 3 ans, sortant coup sur coup le gagnant d'Irish Derby Latrobe, mais aussi Athena, gagnante des Belmont Oaks, suivie en fin d'année de la française Wonderment, qui devenait sa première gagnante de Gr.1 à 2 ans et la seule à ce jour. La forme a depuis continué pour Camelot, qui compte aujourd'hui 29 gagnants de Stakes alors que ses premiers produits n'ont que 5 ans. Dans ce laps de temps, il a même réussi à sortir deux chevaux de Gr.1 en obstacle, dont un gagnant à ce niveau, Sir Erec, qui s'annonçait comme un champion avant de s'accidenter mortellement à Cheltenham. 

Sir Erec avait offert un 1er Gr.1 en obstacle à Camelot (©BBC)

 

Ce n'est pas une surprise si Camelot s'illustre en obstacle quand on connaît l'influence de Montjeu sur la discipline, avec Walk In The Park, Masked Marvel, mais aussi Motivator, qui présente tout comme Camelot un profil pluridisciplinaire, et trouve aujourd'hui une seconde jeunesse avec une jumenterie d'obstacle. Par ailleurs Camelot a été utilisé par certains éleveurs français pour l'obstacle, comme Patrick Boiteau, avec la souche de Karly Flight. Son tarif de 40 000 € le rend évidemment inaccessible pour ce marché au plus grand nombre, mais on constate que de grandes coursières dans la discipline ont été présentées à Camelot, comme la crack Quevega. Le fils de Montjeu avait même été envisagé pour saillir De Bon Coeur. Pour ce qui est de l'étalonnage, les seuls fils de Camelot au Haras en France ont débuté dans le but de saillir des sauteuses, avec Team Flight au Grand Chesnaie, et Alhadab au Haras de Vains. Cependant, même si l'on se doute qu'on verra avec l'âge de plus en plus de Camelot pour l'obstacle, le fils de Montjeu est encore très loin de passer à fond dans ce registre quand on voit sa réussite en plat. 

 

Alhadab, l'un des deux fils de Camelot stationné en France

 

Depuis le début de l'année 2020, Camelot entre dans une toute nouvelle dimension avec un grand nombre de gagnants des deux côtés de la Manche, voire dans l'hémisphère Sud. En effet, Camelot a sorti 3 gagnants de stakes durant le confinement, dont un qui est devenu historique, Russian Camelot. Ce poulain acheté à Tattersalls yearling a ensuite été exporté en Australie, où il est devenu récemment le premier gagnant de Derby élevé en Europe. L'exploit est immense car avec la saison de monte décalée dans l'hémisphère sud, ce 3 ans avait quasiment 6 mois de moins que les autres, mais n'en est pas moins un champion en devenir, avec la Melbourne Cup comme objectif. Ce week-end en Angleterre, le "Fr" English King, élevé à l'écurie des Monceaux, a gagné le Derby trial de Lingfield, une course réputée pour sortir de sérieux prétendants à Epsom. Cet English King, fils de Platonic, la machine à top-price des Monceaux, porte la casaque de Bjorn Nielsen, le propriétaire de Stradivarius. Remarquablement bien né, il a quand même bénéficié d'un coup de boost avec Camelot, car sa mère n'était jusqu'ici pas réputée pour sortir des mâles. 

English King rules supreme at Lingfield – and now Epsom beckons ...

English King, un futur prétendant au Derby d'Epsom par Camelot

 

Les statistiques globales de la production de Camelot sont éloquentes, avec 57% de gagnants/partants en Angleterre, et un taux de réussite de 16% à la gagne en France, où l'on a vu des très bons éléments avec Skyward et récemment World Peace, 3e du Cléopatre en finissant en trombe. Camelot est évidemment très populaire, étant utilisé en France récemment par l'écurie des Monceaux, Hubert Honoré, Hugues Rousseau, mais aussi et surtout par des éleveurs/propriétaires comme S.A. Le Prince Aga Khan, les frères Wertheimer, le Haras de Meautry. Outre-Manche, Coolmore a bien évidemment soutenu son étalon, tout comme des grandes maisons à l'image de  Juddmonte Farms. Le casaque du prince Abdullah vient d'ailleurs de gagner avec une inédite par Camelot entraînée par John Gosden, qui a fait grosse impression à Newmarket. Cette Ricetta est une nièce du champion et étalon star Kingman

 

Camelot est aujourd'hui installé à 40 000 € la saillie, un prix qui ne devrait pas baisser de sitôt tant sa production s'affirme. Qui plus est, le succès de ses premières générations lui aura sûrement permis de recevoir des juments de tout premier plan, ce qui n'annonce que du bon. Il a d'ailleurs sailli 166 juments en 2019. Il apparaît comme un digne successeur de son père Montjeu, et aura vraisemblablement une influence à l'obstacle grandissante au fil des années. Bref, Camelot est bien installé dans le cercle des top-étalons, en étant un pur classique. Il n'est bien sûr pas le classique à percer malgré le marché, mais tout de même, Camelot est à l'heure actuelle, et encore cet avis n'engage que moi, le meilleur continuateur de Montjeu, et un leader en puissance. 

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Camelot va encore faire parler de lui très longtemps

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