Nouveau roman en série de Guillaume Macaire : chapitres 5 et 6

14/04/2021 - Actualités
Les aventures de Jean-Barnabé Ermeline, désormais ex-jockey de plat resté à Chantilly, se poursuive avec l'arrivée d'un fils inconnu mais providentiel arrivé soudainement d'Espagne. Le crack entraineur Guillaume Macaire, de sa plume d'écrivain, vous invite à lire les 2 chapîtres de son dernier roman.

 

 

Résumé du 1er roman : l'un des top jockeys de plat en France, Jean-Barnabé Ermeline se préparait à disputer avec une 1ère chance le Prix de l'Arc de Triomphe en selle sur son champion Enigmatique. Mais à la suite d'aventures rocambolesques, il se retrouve à l'hôpital avec une balle dans la cuisse. Télécharger " A Cheval, à pied ou en voiture. "

 
Résumé des 4 premiers chapitres : Jean-Barnabé peut enfin sortir de l'hôpital. Pendant sa convalescence, sa tête bouillonne de questions. Va-t-il pouvoir reprendre normalement le cours de sa vie, et son métier. Et comment gérer sa compagne qui l'a conduit indirectement à son propre malheur ? 15 ans plus tard, il met un terme à sa carrière de jockey et devient 1e garçon pour le successeur de son patron historique.Sa mère, sa seule famille, vieillit inexorablement car victime d'une pitoyable arnaque d'un véto pour chienchien à sa mémère. Soudain, une lettre arrive d'Espagne. Pendant ce temps là, l'écurie de Jean-Barnabé navigue un peu comme un bateau ivre.

 
 

 

 

CHAPITRE 5 : Courrier ibérique

Une fois assis confortablement chez lui, il tira la lettre de sa poche et la retourna en tous sens pour y trouver en vain un indice sur l’expéditeur. Étaient inscrits son nom, le nom de l'établissement "cour Le Sancy" (du nom du célèbre cheval gris du baron de Schicler), le numéro et le nom de la rue, puis en dessous Chantilly France, précisément ce qui était depuis toujours son adresse professionnelle et qu'il allait lui falloir quitter à présent.
 
Il ne reconnut pas l'écriture de Noélia qui lui était familière et qu'il n'avait pas oubliée. Il déplia soigneusement la feuille et en haut il lut :
 
Juan Bautista Martinez. Finca los estimados. Motilladelpalancar.
 
La lettre était écrite à la plume et d'une belle écriture,mais dans un français presque phonétique. Elle commençait par 
« Monsieur », mais qu'aurait-il pu utiliser d'autre que ça? s'interrogea JB… et l’auteur continuait en écrivant que suite à la mort de sa mère, il avait reçu d'un notaire habilité à cet effet plusieurs feuillets manuscrits où celle-ci racontait ce qu'avait été sa vie en France et en particulier le bout de route qu'elle avait fait avec celui qui était son père. Il disait aussi que Noélia lui avait raconté dans ses écrits la visite de l'année précédente quand elle était venue pour le mariage de la fille de son amie et qu'elle avait revu Jean Barnabé à cette occasion. Le garçon continuait en disant qu'il avait postulé dans une écurie cantilienne où il devait arriver prochainement.
 
Quitter l'Espagne lui semblait une chose logique puisqu'il n'y avait pas de vraie famille, sinon des membres très éloignés et très vieux. Il terminait en disant qu'il se présenterait à lui à son arrivée dans l'Oise dans une quinzaine, si toutefois Jean Barnabé le souhaitait…
 
Un long frisson parcourut l'échine de Jean-Barnabé, un frisson de gêne et de joie mêlés. Il revint sur les premières lignes annonçant la mort de Noélia...Ainsi, elle n'était plus de ce monde ! Et ce fils qu'elle lui avait, en paroles, jeté à la figure ce fameux soir devant le bistrot de la gare, lui revenait désormais bien vivant ! Il ne précisait pas de quoi elle était décédée, arguant qu'il n'avait pas l'habitude d'écrire en français - cela se voyait - mais qu'il lui expliquerait plus tard.
 
En quelques heures, la vie de Jean-Barnabé venait de basculer, mais peut-être aussi de s'ouvrir sur un horizon qui lui manquait de plus en plus souvent, lui qui se persuadait du contraire et refusait de s’avouer qu'il avait aveuglément consacré ses jours aux chevaux et aux courses.
 
Le « petit » écrivait aussi qu'il avait déjà fait un début de carrière en Espagne et avait été recommandé à l’entraîneur cantilien qui devait l'embaucher par un aristocrate espagnol. Ce grand d'Espagne avait quelques chevaux à l’entraînement à Madrid et à San Sebastian et aussi occasionnellement chez cet entraîneur d’origine ibérique installé à Chantilly, celui dont Juan Bautista avait porté les couleurs avec succès de l'autre côté de la Bidassoa.
 
JB répondit à ce courrier sur le champ, trop heureux maintenant d’accueillir cette progéniture qui lui tombait du ciel.
 
 
CHAPITRE 6 : Tristes fins
 
La liquidation de l’écurie Tom Arcastle, car il faut bien appeler les choses par leur nom, fut un moment pénible.
JB se revoyait le jour de son arrivée, quand Tom l'avait accueilli voilà plus de trois décennies. Tom et lui en avaient des souvenirs dans cette cour… Et des souvenirs d'une puissance considérable ! Toute une vie... mais surtout un choix de vie et une raison d’être.
 
Pour les deux, cette vie là s'arrêterait une fois qu'ils auraient passé le portail. Tom qui avait déjà dépassé depuis longtemps l'âge de la retraite n'aurait plus qu'à faire valoir ses droits pour s'éclipser... Pour JB c'était différent. Même s’il n'aurait aucun mal à se replacer, cela ne pouvait plus être que du « réchauffé », sauf si Juan Bautista lui redonnait le goût d'aller de l'avant. Tous ses espoirs étaient maintenant concentrés sur ce jeune homme dont il était le père un peu plus chaque jour qui passait, de telle sorte qu'il se surprit à les décompter avant sa probable arrivée.
 
Enfin Juan Bautista débarqua de sa péninsule. Jeune homme discret, mais avec beaucoup d'entregent, il s'intégra tout de suite à son nouvel environnement. Il parlait le français beaucoup mieux qu'il ne l'écrivait, et avec une pointe d'accent qui lui conférait un charme certain. Il ne vint pas voir « son père » le jour de son arrivée ni même les jours suivants. Il attendit de se sentir bien à l'aise et d'avoir établi quelques contacts pour se lancer...
 
Comme ils avaient en commun les courses sur lesquelles ils pouvaient disserter à satiété, ils ne risquaient pas le mal à l'aise possible d’une première entrevue. Le sujet qui taraudait Jean-Barnabé était d'en savoir plus sur la mort de Noélia. Pourtant il attendit que le jeune homme se libère spontanément de ce poids lourd à porter. Sa mère s'était donnée la mort. Jean Barnabé dût attendre quelques jours avant que son fils ne se laisse aller à tout lui expliquer.
 
Juan Bautista « campait » à l'écurie CaminoViti depuis son arrivée à Chantilly. Ernesto CaminoViti, espagnol lui aussi, y était installé depuis deux décennies, et fort d'une réussite certaine y avait bien volontiers accueilli le jeune homme d'autant que précédemment en Espagne il travaillait à San Sebastian pour le cousin de sa mère lui aussi entraineur. Au bout de quelques jours Juan Bautista prit son courage à deux mains et vint rendre visite à son « père ». Comme Jean-Barnabé savait que son fils partageait une chambre au confort spartiate avec un lad édenté à l'hygiène douteuse, il en profita pour l'installer dans la deuxième chambre de son logement, chiche lui aussi, mais tout de même quelques crans au-dessus. Juan Bautista sauta sur l'occasion pour échapper à une promiscuité qui lui avait très rapidement pesé.
 
Le fait de devoir partager des moments simples, et donc d’une certaine façon de devoir vivre ensemble, permit aux deux hommes un rapprochement plus facile... Au début, avec sagesse, le père n'avait pas voulu provoquer chez son fils un sentiment d'inquisition avec des questions trop péremptoires. Il laissa les choses venir d'elles même et le lendemain soir après un dîner propice aux confidences, Jean Barnabé en douceur s’autorisa la grande question :
 
« La raison de son suicide est-elle connue ? » se risqua-t-il à demander.
« Elle n'a pas laissé d'explication écrite si c'est ce que vous voulez savoir ».
 
Puis, après un silence de réflexion, Juan Bautista ajouta:
 
« C'était fortement prémédité sinon elle n'aurait pas laissé cette espèce de testament chez le notaire où revient souvent: « si il m'arrivait malheur », comme si c'était un malheur programmé ».
 
« C'est logique, commenta Jean-Barnabé, d'ailleurs je me rappelle aussi que lors de sa visite elle avait déjà utilisé cette expression ... »
 
« Mais pourquoi a t’elle fait ça?... On avait tout pour être heureux...Mais ma mère, » ajouta t’il en regardant par terre, « n'a pas supporté sa déchéance. C'était une femme très vénale qui ne vivait que pour le paraître, et quand elle s’est   retrouvée ruinée, elle n’a pas supporté. »
 
« Mais pourtant elle était riche, je ne comprends pas ? » interrogea Jean- Barnabé.
 
« Au début en effet ! Quand j'étais petit, j'ai eu tout ce qu'il y avait de plus beau. Pour elle l’argent était une raison de vivre, mais pour moi pas du tout. Les ennuis ont commencé quand elle a abandonné la gestion de la « finca » à un homme qui dès le début n’a cessé de la gruger. Elle ne regardait pas les comptes, son seul intérêt était de dépenser et de mener la grande vie. Puis son intendant lui a mis le grappin dessus, ils ont vécu ensemble et on s’est mis à brûler la chandelle par les deux bouts. Il y a un an, quand cela a commencé à sentir le roussi, il est parti. Le trou à la banque était énorme et il avait hypothéqué l'intégralité de la propriété ! Elle n'avait plus que des dettes et savait qu'elle allait se retrouver « pordiolera », comment dit-on en français? »
 
«  Clocharde. Mais... et toi ? » se scandalisa Jean-Barnabé.
 
« Moi, je n'habitais plus avec elle depuis longtemps et on se voyait rarement, je n'aimais pas son Ernesto ! » confia t’il à son père.
 
Finalement, pensa Jean-Barnabé, pour Noelia ce fut « chassez le naturel, il revient au galop »... Quelque part il ne l'en blâma pas… d'abord il était déjà vacciné, et de fait ces circonstances dramatiques lui avaient surtout parachuté un fils qu'il n'aurait jamais connu sinon. Il aurait bien eu envie de donner son avis à Juan Bautista mais s'en garda bien pour ne pas lui faire de peine inutile.
 
Jean-Barnabé se fit embaucher comme simple lad dans l'écurie CaminoViti, où était rentré son fils, avec la seule intention de lui apporter son aide. Si au début il lui rendit service en effet, très vite les choses évoluèrent et cette proximité commença à incommoder le petit Juan Bautista.
 
Le gamin prenait son envol dans tous les sens du terme. Apprenti doué, il n'avait pas tardé à se faire apprécier, à monter régulièrement et à gagner non moins régulièrement, à prendre un appartement, à acheter une voiture…Bref, à vivre sa vie et à déployer ses ailes. Beau garçon, il était courtisé et savait en jouer. Il savait combien la gente féminine peut être dangereuse. Dans sa situation, il était bien placé pour le savoir et se disait qu'il fallait à tout prix éviter « qu'elle » ne lui mette le grappin dessus... mais tant qu'il s'agissait « d’elles », le danger était moindre. Le papillonnage aurait moins d’incidences sur sa vie qu'une liaison avec une fille déterminée comme avait du l’être Noélia quelques décennies avant !
 
Sa condition de lad ne dérangeait pas Jean-Barnabé. Il le vivait avec joie pour se rapprocher de son fils et c'était pour lui un but en soi. Cette situation lui faisait oublier la contrariété de devoir s'avouer que l’ascenseur social le ramenait vers le rez de chaussée.
 
Les années avaient passé et la réalité du quotidien était là. Tant que Juan Bautista n'avait pas totalement marqué son territoire, il fut à l'écoute de son père. Ils montaient souvent ensemble les galops importants.L'expérience de l'âge combinée à la fougue et à l'instinct naturel de la jeunesse faisaient un bon cocktail. Le vécu et la sagesse du père plaisaient bien au patron, et la maestria du fils laissait entrevoir les talents de certains poulains qui ne s'étaient pas encore révélés. Au bout de quelques mois et au fur et à mesure que le jeune ibérique prenait de l'assurance, son père en perdait. Il commença à en souffrir et à prendre sur lui pour ne pas le montrer.
 
Ce mal intérieur fut à son maximum un matin où le patron le fit descendre du poulain qu'il galopait tous les matins sur le « gazon », au profit d'un apprenti... Le boss prétexta une histoire de poids, mais la mayonnaise ne prit pas et Jean-Barnabé eut trop peur de comprendre...Etait-il devenu has been lui aussi?
 
Quelques jours après, sur la piste des réservoirs, alors qu'ils s’apprêtaient à partir deux par deux en ligne droite pour un travail de vitesse avec des deux ans, il entendit à la faveur d'un vent portant, un des jeunes lads dire à Juan Bautista :
« Reste avec moi, on dira au boss qu'on s'est trompés, il commence à être gonflant ton vieux ! ».
 
Piqué au vif, son amour propre mis à mal, il se mit à la hauteur de Guss qui l'agressait moralement et lui balança :
« Le vieux comme tu dis, il pourrait encore t'en montrer, espèce de trou du cul. Je gagnais des courses que t'étais même pas né, petit merdeux. »
 
Les poulains s’élancèrent un peu en désordre de sorte que les ordres précis du patron s'en furent totalement bafoués. Juan Bautista se retrouva devant avec quatre ou cinq longueurs d’avance alors qu'il aurait du se trouver botte à botte avec son paternel qui se trouvait lui, derrière, à une longueur et demi devant l'autre lad. Ils n'avaient pas fait quatre cent mètres que l'autre vint à sa hauteur, lui coupa la trajectoire en donnant un habile coup de cravache en direction de la tête du poulain. Se jetant brutalement de côté, ce dernier en perte d’équilibre glissa sur le gazon trempé de rosée. Jean-Barnabé fut violemment  projeté au sol...

Voir aussi...