Nouveau roman en série de Guillaume Macaire : chapitre 7

21/04/2021 - Actualités
 Au fil des chapitres, Guillaume Macaire, l'entraineur romancier, fait mordre les lecteurs à l'hameçon de son intrigue familiale entre 2 jockeys de Chantilly, un père qui vieillit mal et un fils découvert en Espagne qui montre beauccoup de talent. Dans le chapitre 7, la jeune vedette en herbe fait un voyage qui va changer sa vie.

 

Résumé du 1er roman : l'un des top jockeys de plat en France, Jean-Barnabé Ermeline se préparait à disputer avec une 1ère chance le Prix de l'Arc de Triomphe en selle sur son champion Enigmatique. Mais à la suite d'aventures rocambolesques, il se retrouve à l'hôpital avec une balle dans la cuisse. Télécharger " A Cheval, à pied ou en voiture. "

 
Résumé des 6 premiers chapitres :

Ancien jockey proche de l'élite, Jean-Barnabé Ermeline a subi un grand coup d'arrêt en ayant été pris dans une sombre histoire, puis a terminé sa carrière sans éclat. Resté à Chantilly, le voilà redevenu simple lad, et cavalier d'entrainement vieillissant, tandis qu'un fils découvert sur le tard est arrivé d'Espagne plein de talent et d'ambitions pour briller au plus haut niveau sous l'habit e lumière. Un matin, lors d'un galop, "JB" subit une chute sur le gazon.

 
 

 

 

Chapitre 7 : la vie (des courses) continue

 
A l’hôpital, son réveil fut difficile. Il ne se rappelait de rien. Le corps médical fut bien incapable de lui donner des détails sinon lui dire qu'il était tombé de cheval...Où ? Quand ? Comment ? La première journée lui parut interminable, il voulait quitter cet endroit qui lui rappelait de bien mauvais souvenirs, mais tous les membres de la faculté présents dans les murs s'y opposèrent, de façon musclée au besoin.
 
Prendre patience restait la seule solution...Il espérait qu'on vint lui rendre visite pour avoir au moins quelques informations sur les circonstances de sa chute, mais il dût attendre trois jours avant de voir un après-midi le minois de son fils dans l'encadrement de la porte. Cela lui rendit le sourire. Avant même que Juan Bautista entre dans la chambre, son père le pressait déjà pour savoir le pourquoi du comment.
 
En fait, et c'était vraiment mieux ainsi, Juan Bautista n'avait rien vu car il était en avant des deux protagonistes.
 
« Je n'ai rien vu, rien entendu mais je t'assure que tu nous as fait très peur. »
 
« Mais tout de même, insista Jean-Barnabé, je n'ai pas sauté en marche ! »
 
« Non, mais d'après les autres gus, ton poulain a fait un écart quand l’autre est venu à ta hauteur, ton poulain a glissé et tu t'es retrouvé le nez dans l'herbe, voilà tout. »
 
« Un écart ? Mais ce poulain n'a jamais bougé une oreille, on dirait un vieux, c'est d'ailleurs bien pour ça que le patron le met à ma liste ! »
 
« Tu sais, ça arrive. L'essentiel c'est que tu t’en sois sorti...»
 
Ils parlèrent de choses et d'autres et Juan Bautista promit à son père de venir le revoir le surlendemain car ses obligations ne lui permettaient pas mieux.
 
« Les médecins ne vont pas te laisser sortir avant quelques jours d'après ce qu'ils m'ont dit, trois jours de coma, ils ne prennent pas ça à la légère... Tiens, je t'ai amené un peu de lecture, Paris Turf bien sûr mais aussi un magazine qui devrait te distraire... A bientôt, ou plutôt à après-demain, et bon courage... »
 
Après demain arriva lentement et la visite de son fils pas du tout... Un coup de téléphone passé de sa voiture pour se faire excuser son absence fut le seul contact que JB eut avec ce garçon auquel il s'attachait de plus en plus, alors qu'à contrario, le jeune jockey, lui, cherchait de toute évidence à s'émanciper. Même si il pouvait comprendre que son fils avait mieux à faire que de venir le voir, car après tout, comme lui quelques années auparavant, il était en quête de réussite professionnelle, il était néanmoins bien triste de sentir que l'isolement risquait vite de devenir le plus déplorable de son quotidien.
 
Il espérait pourtant qu'une fois quitté cet hôpital, la vie d'avant allait reprendre son cours et que grâce à Juan Bautista, il allait lui redonner du sens et du mouvement. Quand le médecin lui annonça que sa sortie était proche, tout s'éclaira, la joie et l'espoir le gagnèrent pour plusieurs heures. Pour compléter son bonheur, son fils l'appela mais lorsqu’il lui annonça cette bonne nouvelle qui aurait du le réjouir, Juan Bautista en parut presque indifférent, ce qui ne manqua pas de peiner beaucoup Jean-Barnabé, même si il ne laissa rien percevoir.
 
Il dut même lui demander de venir le chercher car ce dernier ne se proposa pas spontanément. Il vint tout de même,mais avec trois heures de retard sur l'horaire convenu. Jean-Barnabé s’abstint pourtant de tout reproche.
 
« Je te dépose chez toi et je file, annonça Juan Bautista à l'auteur de ses jours, j'ai rendez-vous et je suis déjà en retard. »
 
Son père ne répondit rien, d'ailleurs la conversation sur la route qui les conduisait de l’hôpital à la maison fut plus que concise... Juan Bautista déposa son père devant chez lui et démarra immédiatement. Jean-Barnabé resta là, devant la porte, un peu désœuvré mais surtout très mal à l'aise. Il fit tourner la clé dans la serrure et rentra retrouver son sweet home sans aucun plaisir.
 
Pour la première fois de sa vie, réellement, la solitude lui pesait. Jusque là c'était plutôt une bonne compagne, une douce habitude, presque une amie avec qui il s'endormait chaque soir, en accord avec lui-même puisque c'était son choix de vie.
Le lendemain matin, bien que le corps médical ne lui ait pas permis de reprendre le travail pour l'instant, il décida d'aller à l'écurie en promeneur car il avait besoin de voir du monde et de la vie, de sentir l'odeur du crottin, et de se retrouver dans son élément.
 
En fait, sans vouloir se l'avouer, il savait aussi que là-bas, il pourrait retrouver son fils, en plein travail probablement, mais qu'importe ! D’instinct il en ressentit le besoin. Après avoir présenté ses respects au patron et effectué quelques salutations inter lads moins protocolaires, il alla jusqu'au box où Juan Bautista dessellait le pur-sang qu'il venait d'exercer précédemment.Le téléphone portable coincé dans les oreillettes de son casque, il s’affairait autour du cheval qu'il finissait tout en continuant sa conversation téléphonique.
 
Il vit son père dans l'encadrement de la porte et lui fit un clin d’œil en guise de bonjour, absorbé par son échange téléphonique.Jean Barnabé tenta d’entendre de quoi son fils parlait pour qu'il fut autant accaparé, mais celui-ci parlait bas, probablement justement pour ne pas être entendu. Il n'arrivait qu'à capter quelques bribes de conversation, un certain malaise s'installait en lui et pas uniquement parce qu'il se sentait ignoré.De toute évidence, Juan Bautista n'avait aucune envie que son père se mêla de ses affaires. Une étrange sensation le gagna.
 
Au lieu d’être concentré sur sa tâche qui était loin d'être un détail - et puis Jean Barnabé savait justement combien les détails font la différence - Juan Bautista n'était concentré que sur sa conversation, négligeant au bout du compte de finir son cheval correctement...De l'à-peu-près ! Cette façon de faire à son époque, on lui avait toujours appris à la bannir. Il fallait rester concentré jusqu'au bout. Mais du temps de son apprentissage, les portables n'existaient pas. Et tout était vraiment plus simple.
 
« Cela fait plaisir de vous voir à cheval ! »
 
« Bien assis? »
 
Ces politesses inter lads à son adresse, que d'ordinaire Jean-Barnabé n'aimait guère, lui parurent être le plus doux des couplets quand il put enfin se remettre en selle. Cette matinée sous les frondaisons cantiliennes lui fit retrouver des odeurs et des sensations aussi fortes que celles qu'il avait ressenties lors de ses premières chevauchées sous le hallier alors qu'il était fraîchement arrivé chez Devonlodge. Il avait cru du fond de son lit d’hôpital devoir les oublier pour toujours. Il avait bien repris sa place mais ce vrai bonheur fut de courte durée et bien vite terni par un autre sentiment : celui de se sentir « hors du coup ».
 
Bien vite, il comprit que le temps avait fait son œuvre...inexorablement. Par ce qu’il sentait dans son dos, même discrètement, il réalisa qu'il était le « has been » de service. Finalement, Jean-Barnabé n'avait jamais vraiment réalisé que jockey, cela ne durerait pas toujours. Il s'était laissé porter par la vague, sans jamais avoir l'impression de faire d'efforts. Sa volonté seule avait suffi à le porter...
 
Jamais auparavant il ne s'était imaginé défaillant physiquement. Jamais il n'aurait pu imaginer que le temps fasse son œuvre et qu’il n’y puisse rien. Les questionnements maintenant se bousculaient en masse, faisant même place à une certaine panique (submergé cette fois ci par cette même vague qu'il avait pourtant su surfer quelques années auparavant). L’angoisse annonçait la peur, la peur de ne plus être à la hauteur, la peur d'être ridicule, la peur de s'enfermer dans une déchéance inéluctable à l'image de ce qu'il avait vu à l’œuvre chez sa chère maman.
 
Même si il était loin de se résigner, il ne pouvait pas faire autrement que de le constater. Il sentait bien qu'il y avait eu une énorme évolution dans les manières de faire et de penser des jeunes générations des gens du métier, en particulier celle des cavaliers d’entraînement. C’est désormais le terme qu'il fallait employer en lieu et place de lad devenu impropre… un peu comme le balayeur est devenu le technicien de surface. Jamais l'un de ces jeunes n’aurait, comme lui, repris son poste à l’entraînement alors que le corps médical était prêt à prolonger pour des semaines encore un arrêt de travail lui permettant de passer un hiver au chaud et aux frais de la princesse.
 
« Autres temps, autres mœurs », pensait-il, mais il préférait sa place à la leur. Il ne considérait pas son poste de subalterne comme dévalorisant alors que dans les rangs de ses pairs, une bonne moitié qui n’avait pas le choix subissait cette situation, et en général quittait le métier à la première occasion. Il se savait regardé par eux comme appartenant définitivement à une autre époque, celle où on était assez soumis pour respecter systématiquement l'autorité.
 
Son fils était absent, parti monter à l'étranger pour un championnat de jeunes jockeys européens, en Europe de l’Est plus exactement. Il était absent pour toute la semaine, et à dire vrai cela arrangeait plutôt Jean Barnabé car il craignait que sa reprise soit un peu difficile et il ne voulait pas en faire étalage devant lui. Il faisait un peu tache au milieu des autres cavaliers de l'écurie Camino Viti.
 
Il était « le vieux » à présent. C'est vrai que son accident récent n'avait pas sublimé sa silhouette. On lui donnait à monter des chevaux qu'habituellement on réserve aux apprentis ou aux cavaliers sans beaucoup de talent. Bref, on lui collait les « vieux » qui ne bougent plus une oreille… Parfait pour faire la paire ! Puisqu’à part les salutations et exclamations d'usage, on ne lui parlait pas vraiment, ni en marchant au pas le long des allées cavalières, ni en allant aux pistes ou en en revenant, il écoutait la conversation des autres cavaliers. L’avaient-t-ils intégré en quelques jours, ou était-il devenu si insignifiant qu'on ne le voyait même plus ? s'interrogeait-il souvent. Il trouvait les conversations des autres la plupart du temps affligeantes de crétinerie, ce qui accentuait encore un peu plus le fossé déjà considérable qui s'était creusé entre lui et ces nouvelles générations, sans qu'il en   comprenne vraiment le comment ou le pourquoi ...
 
Il était le dernier de la file, son « vieux » nonchalant prenait son temps, cueillait un brin d'herbe ça et là, échappant même à la vigilance de son cavalier pour engloutir une vraie bouchée d'herbe, mais il se rapprochait ostensiblement des trois gaillards devant lui sans que ses derniers, absorbés par leurs commentaires, ne le sentissent.
 
« Tout de même, vous auriez dû lui dire à Juan Bautista. »
 
« Il est dingue d'elle, alors maintenant tu peux lui dire ce que tu veux, il s'en fout. »
 
« Elle est forte celle-là, t'inquiète, il sait s'y prendre avec les gonzes. »
 
« Sauf qu'il est le seul à Chantilly à ne pas connaître son pedigree, ma parole ! »
 
« Évidemment, elle n'est quand même pas connue jusqu'en Espagne… Remarque, je ne sais pas si celle d'avant n'était pas pire ! »
« Laquelle ? »
 
« Vous savez bien, la belle blonde qui travaille à l'agence immobilière de la rue du Connétable. On la surnomme « la trilogie » parce qu'elle dit tout le temps : « Un mari pour le chic, un amant pour le choc et un vieux pour le chèque ! »
 
« Encore heureux qu’elles ne soient pas toutes comme elle », ricana le plus petit des trois avant de rajouter, « t'inquiète il va la virer dès qu'il aura compris. »
 
« Ah mais on  la vire pas comme ça la Bérengère, mon pote, » renchérit l'un, « c'est elle qui décide j'te dis. »
 
« Ah, je le comprends pas. Avec toutes les gonzesses qu'il a à sa main, qu’est cequ'il peut lui trouver à cette cinglée ? »
 
« Pas si cinglée que ça, renchérit celui qui parlait le moins des trois. Y parait que c'est une drôle d'affaire au plumard ! Si elle n'était pas jalouse comme ça... tu sais que quand elle était avec Jimmy elle lui en a fait voir ! »
 
« Il avait qu'à la virer cette saucisse ! »
 
« Mais c'est ce qu'il a voulu faire. Mais il avait peur d'elle, elle est à moitié folle quand elle est jalouse. J'ai même entendu dire qu'elle était capable de tout dans ces cas là. »
 
« Et puis maintenant cela fait pas mal de temps qu'ils sont ensemble et je me demande pourquoi. »
 
« De toute façon, cette semaine elle devra s'en passer la cocotte. Il ne rentre de Pologne que dimanche soir après la finale du championnat. »
 
« C'est vrai, jeudi, vendredi, samedi il monte à VelkaChuchle, Bratislava et Budapest si je me souviens bien. »
 
« Tu te rends compte de la chance qu'il a celui-là. Toutes les filles à ses pieds, il monte des gagnants à la pelle, y'en a qu'ont du cul quand même ! »
 
Puis, ils sentirent plus près d'eux la présence de Jean Barnabé et changèrent de sujet aussitôt.
 
L'intermède en Europe de l'Est, ce championnat des apprentis, fut pour Juan Bautista une semaine de pur bonheur.
Plaisirs de la découverte de pays différents, de traditions inconnues, d'horizons nouveaux et de rencontres. Il ignorait que les courses connaissaient une telle activité dans ces pays qui n'avaient pas encore comblé le retard que leur avait fait prendre le communisme. Entre VelkaChuchle, l'hippodrome de Prague, celui de Bratislava en Slovaquie et les quasiment voisins de Vienne et de Budapest, il fut surpris par la qualité des tracés et des pistes. Mais le plus impressionnant de tous était assurément celui de Tor Senzewiec à Varsovie.
 
Il se régala et remporta haut la main le tournoi en cumulant de nombreuses deuxième place, et s'il ne gagna qu'une seule fois, ce fut à Varsovie justement. Sur ce tracé de 2400 mètres sélectif à souhait on ne pouvait pas voler de course. Il montait pour une Comtesse polonaise, une belle femme assez sophistiquée, et gagna avec sûreté.
 
Elle était ravie et manifesta (très vite) pour Juan Bautista un intérêt autre que professionnel. Il faut dire que la veille au soir, ils s'étaient rencontrés dans un château aux alentours de Warsow, au dîner de gala qui clôturait la saison des courses en cette fin octobre. Ils avaient donc fait connaissance visuelle sans même savoir que le lendemain leurs intérêts seraient liés sur la piste.
 
Pourtant leurs yeux respectifs s'étaient parlés, mais la Comtesse accaparée par des obligations officielles n'avait pas pu trouver d'instant propice pour s'en dégager, et avait du se contenter de regards et œillades explicites avec le jeune jockey franco ibérique. Juan Bautista avait bien vu sur le programme qu'il montait pour Hrabina (Comtesse) Ana Rydz-Peliwa, mais s'il ne comprenait pas forcément tout du dit programme, il comprit dès qu'il eut posé un pied dans le rond de présentation de Tor Senzewiec, de qui étaient les couleurs qu’il portait .
 
Elle le fixa droit dans les yeux avec une telle intensité qu'il se sentit pénétré. Il traversa le rond en souplesse et fit ses civilités au cercle qui l'accompagnait. Alors qu'il s'attendait comme les jours précédents à se faire traduire les ordres par un interprète, la Comtesse Ana Rydz-Peliwales lui donna elle-même dans un français impeccable, l’entraîneur polonais à ses côtés se faisant traduire dans la langue de Chopin les appréciations de Juan Bautista.
 
L'épreuve en elle-même fut une formalité et le cheval qu'il montait s'imposa d'une classe. C'était un magnifique entier bai appelé Dzumandi. A sa descente de cheval dans l'enclosure des balances, la Comtesse Ana le remercia d'un baiser, ce qui dans l'euphorie de la victoire pouvait paraître une chose normale. Mais Juan Bautista ressentit autre chose qu'un remerciement pour cette victoire. Bien que Hrabina Ana fut de vingt ans son aînée, il tomba immédiatement sous son charme. Pour tout homme de cheval, une victoire est un pur moment de plaisir et de bonheur, mais celle la fut sublimée et c'est sur un petit nuage, mais à regrets, qu'il quitta le « winningcircle » pour satisfaire aux traditionnelles obligations de la pesée.
 
Sous la douche qu'il se hâtait de prendre, il échafaudait des plans pour trouver un moyen de se rapprocher d'Ana avant la fin de la réunion qui comportait encore trois courses. Une fois à l'air libre, il se mêla à la foule locale au milieu de fortes effluves de saucisses et de grillades qui, malgré leur détestable odeur bas de gamme, lui rappelaient qu'il mangerait bien quelque chose...
 
Il tenta de trouver un bar, un salon correspondant un peu plus au standing de celle qui le rendait subitement si transi et langoureux, un endroit où elle pourrait avec l'entourage qui l’accompagnait au parade ring, boire le champagne pour célébrer leur succès.Mais bien qu'il n'eût pas ménagé ses recherches dans toutes les enceintes de l'hippodrome, sa quête fût vaine. La nuit tombait sur les derniers turfistes polonais accoudés aux buvettes en plein air et certains semblaient bien partis pour finir passablement éméchés.
 
Très contrarié, avec l'impression d’être cocu avant l'heure, Juan Bautista prit la direction du parking où un taxi préalablement réservé l'attendait. Il tirait son sac à roulettes avec lassitude. Le taxi driver, qui avait assisté à l’épreuve, lui fit comprendre avec geste et onomatopées qu'il était passé à la caisse grâce à son succès avec Dzumandi. Il s'empara du sac et de la selle pour les fourrer dans son coffre alors que Juan Bautista s'installait à l'arrière de la Lada bleu pyjama. Il s'enfonçait dans le siège à moitié défoncé qui semblait rempli de noyaux de pêches et en tournant la tête vers l'hippodrome qui lui avait fait connaître une si intense émotion, alors que la Lada démarrait, il la vit !
 
Bouleversé, il demanda au chauffeur de stopper la voiture alors qu'elle mimait de sa main gauche la même supplique à l'adresse de Juan Bautista. Lentement, comme pour réserver son effet, elle s'approcha de la portière dont le jeune homme avait baissé la vitre.
 
« Vous partez sans me dire au revoir? » dit-elle l'air boudeur.
 
Juan Bautista aurait voulu lui dire combien il avait tremblé durant sa quête infructueuse dans chaque recoin du pesage, mais comme il ne le pouvait par crainte du ridicule, il se cantonna à l'aspect technique du voyage.
 
« J'ai un vol pour Paris demain matin à 6 heures 30 s'excusa t’il, et mon hôtel est tout près de l'aéroport. En fait je n'ai pas choisi, c'était organisé comme cela. »
 
« Et où vous ont-ils installé? » s'enquit-elle, ce qui subitement fit imaginer les choses les plus folles à Juan Bautista.
 
« A l'hôtel Popieluszko si je prononce bien » répondit-il.
 
« Eh bien! Il y a plus gai comme endroit! » commenta-t’elle avec un sourire à l'avenant.
 
Elle laissa un blanc, qui sembla une éternité pour Juan Bautista, et le regard dans le videcomme si elle était ailleurs, rajouta :
« Bon ! Et bien je ne vais pas faire attendre votre taxi. Il me reste à vous remercier et à voussouhaiter un bon retour à Chantilly. »
 
Elle recula de quelques pas en arrière et mettant sa main à plat en direction de la voiture, elle y souffla un baiser...
 
« Voilà, pensa Juan Bautista, là s’arrête mon beau rêve, retour dans la vraie vie mon coco. »Tandis que la voiture le conduisait vers son hôtel bien lugubre, il pensait à sa Comtesse de roman... Elle ne lui avait même pas laissé espérer qu'elle le solliciterait pour monter à nouveau, ne lui avait pas demandé son téléphone, et à part ce baiser volatile dans sa mémoire, il ne lui restait rien d'autre.
 
L’hôtel Popieluszko avait dû avoir un semblant de prestige du temps de la splendeur du communisme, mais le béton avait très mal vieilli et le reste aussi. L'éclairage du hall était calamiteux et désolant. Juan Bautista récupéra sa clé auprès du concierge dont la livrée avait dû connaître l'octobre polonais de 1956, à en juger par sa fatigue et son amollissement. Penché obséquieusement au-dessus de son comptoir, ce dernier lui dit en français qu'on l'attendait au salon bar. Il fallait pour rejoindre les lieux traverser un long couloir d’inspiration stalinienne...
 
Il espéra un instant... Mais comment aurait-elle pu être ici avant lui alors qu'elle était partie après? A moins que le taxi ne l'ait promené un peu pour gagner quelques szlotys de plus. Son portable sonna...Le numéro de Bérengère s'afficha. Sa première envie fut de ne pas répondre. Il regarda sa montre et fut surpris de voir qu'il n'était que cinq heures de l'après-midi et qu'il faisait déjà grand noir... Warsovie est plus à l'est que Chantilly, et cela se voit. Il se ravisa et préféra répondre sachant que sinon elle ne tarderait pas à renouveler son appel. Elle l'avait déjà les jours précédents inondé de textos et harcelé d'appels, toujours aux plus mauvais moments. Elle le questionna sur son résultat du jour et il ne lui donna pas trop de détails. Il lui dit qu'il était attendu par l'entourage du cheval avec qui il s'était imposé quelques heures auparavant et qu’il devait raccrocher.
 
« Ok, ça va, mais surtout rappelle moi quand tu seras au lit, d'accord ? »
 
« Oui oui, bon je te laisse, gros bisou. »
 
Il s'empressa de remettre son téléphone en poche et continua sa traversée du corridor sur untapis usé jusqu'à la corde, et même troué par endroits. Il pénétra enfin dans le salon. Elle était là! Resplendissante! A peine s’approchait t’il du bar qu'elle se leva de son fauteuil et se dirigea vers lui d'un pas décidé. En arrivant à sa hauteur, elle le prit par le coude et sans arrêter sa marche, lui fit faire volte-face.
 
« On ne va pas rester là, j'ai une meilleure idée. »
 
Ils gagnèrent le hall sans mot dire en parcourant le corridor sinistre. Dans le hall, d’un pas de plus en plus décidé, elle accéléra en direction de la porte tambour au bois patiné à l'endroit où tant de mains avaient dû se poser. A la fois dans le doute et l'excitation, il la suivit et s'y engouffra à son tour. Une fois dans l'air piquant de l'extérieur, elle ordonna :
 
« Suivez-moi. J'ai ma voiture. »
 
Ils se dirigèrent vers une Porsche cabriolet bleu foncé comme la nuit et elle l'invita à s'installer.
 
Elle appuya sur le contact et la puissante voiture répondit par le bruit caractéristique de lamarque, puis elle sortit du parking de l’hôtel en douceur.
 
 

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