Roman en série de Guillaume Macaire : le grand dénouement !

18/01/2022 - Actualités
Voici enfin le dénouement du roman de Guillaume Macaire nommé " Les hommes dans l'action, les femmes dans la continuité". Il réserve d'ultimes surprises et retournements de situations à son héros principal, le jeune jockey Juan Bautista. Entamée au printemps 2021, la publication du roman du crack-entraineur arrive ici à son terme aux chapîtres 33 et 34, où l'on croise encore des personnages hauts en couleur !

Résumé du 1er roman : l'un des top jockeys de plat en France, Jean-Barnabé Ermeline se préparait à disputer avec une 1ère chance le Prix de l'Arc de Triomphe en selle sur son champion Enigmatique. Mais à la suite d'aventures rocambolesques, il se retrouve à l'hôpital avec une balle dans la cuisse. Télécharger " A Cheval, à pied ou en voiture. "

 

 

CHAPITRE 33 : CHARMANTS ESPOIRS ET REALISME
 
Le vol de retour en France avait été long ou plus exactement retardé à cause de la neige tombée la nuit sur l'aéroport Frédéric Chopin à Warsow. Juan Bautista bien décidé à empoigner la vie se mentalisait pour ne pas subir et continuer à avancer. Il avait tenté de faire comprendre à Ana que de s'expatrier avec son restant d'écurie serait une grossière erreur et il ne voulait pas cautionner cette décision en offrant son aide. Il lui avait fait valoir qu'il n'était pas compétent pour la guider dans la gestion d'une écurie. Réellement, il s'en sentait tout à fait incapable. Elle ne répondait jamais vraiment, restait dans les expectatives en lui adressant des regards interrogateurs chargés d'inquiétude et peut-être aussi de peine. Il se fit violence pour ne pas sombrer dans la pitié. En se séparant sur le « kiss and fly », elle lui avait dit qu'elle devait avant toute chose régler toutes les affaires qu’avaient engendré la mort de son époux. Le « avant toute chose » l'avait un peu inquiété.
 
À Chantilly, le gris était la teinte ambiante, au propre et au figuré, mais il fallait faire avec. Son avenir risquait de se jouer maintenant, et ce qui l'intéressait, c'était un premier rôle, pas celui de remplaçant. Deux mois plus tard, effectivement, les pensionnaires de la cour Torres Meca avaient migré vers d'autres cours en fonction des affinités de leurs propriétaires respectifs...
 
La cote de Juan Bautista avait beaucoup baissé car la connivence espagnole avec son boss du temps du vivant de Torres Meca, n’avait pas toujours été appréciée de tous. Tout devint plus compliqué pour lui, mais il s'accrochait.
Le nouveau propriétaire d’El Efficiente avait demandé à Juan Bautista de lui trouver une solution pour que son poulain reste en France. Comme il ne parlait qu'un français très basique, il comptait sur son jockey pour assurer le relais entre lui et le nouvel entraîneur. Il lui avait assuré que de toute façon il continuerait à monter son cheval en course. Juan Bautista fit placer El Efficiente chez un jeune entraîneur pour qui il montait déjà, qui était loin d’être maladroit et ils étaient de la même génération. De fait, il commença à reprendre l’exercice matinal chez ce professionnel. Il aurait bien voulu orienter Dominion aussi vers lui mais là il avait fait chou blanc… Les propriétaires du prometteur poulain lui avaient imputé l'accident de Saint-Cloud, - il fallait bien un responsable -,et Juan Bautista faisait les frais de l’énorme désillusion de cette victoire manquée, programmée un peu trop tôt dans leur esprit.
 
Juan Bautista en fut affecté mais il prit sur lui pour ne rien laisser apparaître et s'inscrivit dans l'action selon la doctrine masculine.
 
Malgré tous ces efforts, le début d'année allait se révéler médiocre bien qu’émaillé d’arrivées gagnantes ça et là, mais c’étaient des victoires sans grand relief, davantage alimentaires que propices à déclencher cette magie qu’offrent les victoires de prestige. Il continua à monter, mais de moins bons chevaux et il devait surtout ses montes à son poids qui lui permettait de monter à 53 kg sans trop de contraintes alors que beaucoup de ses collègues plus capés étaient limités à 56. Par défaut, il se trouvait donc assis sur des chances régulières qui de temps à autre se transformaient en gagnant. Si d'aucuns s’en serait largement satisfait, Juan Bautista trouvait que cela manquait de sel, de piment, et cela même si ses rapports avec les entraineurs étaient bons, et en particulier avec le jeune entraîneur d’El Efficiente. Mais ce dernier, s'il n'était pas maladroit, malgré un look proche du chanteur de reggae, n'avait pas l'envergure ni surtout l'expérience d'un Torres Meca et Juan Bautista le ressentait. Position parfois difficile pour lui car il sentait que le nouvel entraîneur d’El Efficiente commettait des erreurs qu’il était obligé de cautionner malgré sa désapprobation. Juan Bautista tenta pourtant à l'occasion de faire comprendre avec doigté l'intérêt qu'il avait à travailler le poulain dans l'esprit de sa maison précédente. L'expérience de son nouveau mentor étant bien différente de celle de Torres Meca, le poulain en portait déjà les stigmates. Les résultats furent décevants, surtout pour les « espagnols » car l'entraîneur par défaut semblait, sans être au pinacle, plutôt satisfait.
Juan Bautista commençait à penser que dorénavant, il allait avoir du mal à trouver sa place… Son père, lui, sous la dispersion des effectifs de Torres Meca avait bien espéré trouver à se replacer mais ce ne fut pas le cas. Son nouveau statut social était celui de chômeur…
 
Juan Bautista vivotait, son père se morfondait…ce qui eût au moins un effet positif, ce fut celui de les rapprocher un peu. Jean Barnabé avait bien, pour être honnête, quelques propositions, mais à Marseille et à côté d’Angers. L'idée de quitter Chantilly et donc son fils, lui interdisait toute velléité... Intuitivement, il sentait bien qu’un jour ou l'autre, JB prendrait la décision de quitter la région cantilienne qui était à présent pour lui associée à d’infâmes souvenirs dont il ne parvenait pas à se défaire.
 
Il avait bien vu les choses… et un soir, Juan Bautista lui avoua avoir pris des contacts avec des pays d'Amérique latine - c'était plus facile dans sa langue maternelle - et avoir des ouvertures.
 
Dans Chantilly « radio chiottes » était à son pic de diffusion... L'histoire de l'incendie de la voiture de Bérengère et de sa mort avaient été copieusement commentés et la rumeur, d'un lot à l'autre, d'une cour d'entraînement à sa voisine, se chargeait de donner à l’affaire les ramifications les plus folles... Il se murmurait même que c'était Juan Batista qui avait mis le feu à la voiture de Bérengère. À partir de là, les supputations les plus invraisemblables avaient couru...
Alors qu'il souhaitait ne pas y aller, Juan Bautista s’était rendu à la messe d’enterrement pour couper court à certaines rumeurs qui faisaient de lui un assassin.
 
Chez son nouvel entraîneur, des anciens de chez Javier Torres Meca l'avaient rejoint, ce qui avait recréé une meilleure atmosphère. La collaboration avec ce garçon jeune s'était renforcée, et même si Juan Bautista avait du mal à comprendre ses décisions, il montait davantage pour lui. Mais bien vite, Juan Bautista réalisa que Laurent Lucas -c'était son nom- était probablement autant intéressé par le jeu que par le fait de gagner des courses. Une ou deux fois déjà, il lui avait fait comprendre avec finesse qu'il ne tenait pas à faire l'arrivée et qu'il avait d'autres objectifs à moyen terme. Juan Bautista savait bien que certains « petits » entraîneurs préparaient des chevaux pour un jour précis où ils seraient appuyés par l'entourage desdits chevaux pour cueillir la fleur de la cote !
 
Juan respectait scrupuleusement les consignes et  eut l'occasion de gagner un handicap à une cote substantielle quelques semaines plus tard. Il était donc bien intégré dans cette écurie et on lui faisait confiance pour ce genre de mission, ce qui d'une certaine manière était bon signe.
 
Seule la méthode ne lui plaisait pas vraiment car il n'avait jamais connu ce genre de pratique chez Javier Torres Meca où l'intégrité et la beauté du sport étaient les maîtres mots.
 
Son arrivée dans ce genre de pratiques s'était fait sans même qu'il ne s'en rende compte, et le jour J il était lui aussi passé à la caisse, même s'il était un enfant de chœur à côté des grands prêtres de la flambe, qui étaient ce qu'il convient d'appeler « l'entourage » du gagnant. Il y avait ce jour-là du monde sur la photo, et la connexion de base s’étoffait de quelques proches, amateurs « d'affaires » !
 
Doucement il entra dans le jeu et il était par retour de bon procédé, « tubé » quand un cheval – qu’il ne montait pas- devait passer ! Il avait constitué en quelques semaines un joli pécule... Il ne ressentait aucune culpabilité à ses actes car jusque-là, il n'avait jamais eu à « bigorner » de chevaux de sa nouvelle écurie. Cela s'était fait sans son intervention personnelle. Soit ses partenaires couraient sur une distance trop longue ou trop courte pour leurs aptitudes, soit le terrain trop léger ou trop lourd selon le cas se chargeait d’annihiler tout espoir de place à l'arrivée, ou soit le patron avait été « très gentil » à l'exercice afin que son pensionnaire demande à souffler dans la ligne droite.
 
On lui avait simplement fait comprendre que si par un extraordinaire concours de circonstances il se trouvait avec une chance à défendre dans la phase finale, il n'était pas utile de donner une course dure à ses partenaires dont les objectifs futurs se situaient dans les semaines à venir. Jamais une fois il n'avait été en mesure de défendre ne serait-ce qu'une petite place. « Jamais eu de gaz » avait-il confirmé à son patron en descendant de cheval, ou « pris de vitesse toute la course » ou encore « aucune action dans ce terrain-là ».
 
Dès lors, il avait seulement subi et jamais agi... Il se sentait vierge de toute culpabilité vis-à-vis de la déontologie du code des courses qui stipule que tout participant doit prétendre à la victoire. Il commençait à avoir des doutes en revanche sur les performances en demi-teinte d'El Efficiente. Maintenant qu'il était en selle tous les matins chez Laurent Lucas et qu'il pouvait savoir exactement ce qu'était le travail du matin du poulain ibérique, il pouvait plus facilement comprendre.
 
Mais à coup sûr, pour celui-là, le propriétaire n'était pas « au parfum ». Il y avait même toutes les chances pour qu'il soit le dindon de la farce... Cela contraria énormément Juan Bautista. En effet, plusieurs fois par semaine, il appelait pour parler d'El Efficiente et à cœur ouvert. Maintenant, cela allait être difficile. Juan Bautista n'avait pas envie de mentir mais il ne pouvait pas aller contre son entraîneur de patron sans s'exposer au retour de manivelle... Il mentit par omission.
 
D'ailleurs, pour les courses du poulain, il avait défendu régulièrement ses chances sans aucune restriction de la part de Laurent Lucas. Mais ce dernier avait peut-être, par un habile travail à l'entraînement, fait en sorte que le né et élevé en Espagne ne soit pas à 100 % pour ses courses de rentrée. Sans mal courir, il ne courait pas sa valeur réelle. Ce que Juan Bautista avait pris au début pour de la maladresse de la part de Laurent Lucas était peut-être en fait tout le contraire.
El Efficiente était engagé à Saint-Cloud la semaine suivante et Juan Bautista, aux aguets, se rendit vite compte que le travail de cette dernière semaine avait été construit « à l'envers ». Toutefois, il resta sur ses positions et ne releva pas. Le mieux est d'attendre Saint-Cloud pensa-t-il...
 
Il savait que le propriétaire ne viendrait pas cette fois car il devait subir une opération chirurgicale prévue depuis longtemps. Il aurait préféré sa présence… au cas où. Au papier, même pas à 100 %, en ne répétant que sa dernière valeur, il avait de loin la première chance de la course. Au rond avant la course, Juan Bautista remarqua que son entraîneur faisait grise mine, ou pour être plus direct « qu'il faisait la gueule » alors que d'ordinaire il était plutôt jovial voire gouailleur.
« Ca va pas ? » lui demanda inquiet le jockey paré des couleurs espagnoles. Laurent Lucas ne répondit pas et se dirigea en direction d’El Efficiente qui tournait dans le rond de présentation.
 
Il marchait en regardant le sol ou droit devant lui sans jamais croiser le regard de son pilote. « Tu vas le monter dernier et venir finir prendre une petite place. Pas mieux. Interdit de gagner. » lui dit-il en durcissant le ton.
« Mais patron, hier on avait dit que... »
« Hier c'était hier, et aujourd'hui c'est aujourd'hui. »
« Mais je ne crois pas que… »
« A cheval maintenant ! » coupa Laurent Lucas.
 
Il le mit en selle et les chevaux sortirent du rond pour se rendre au départ. Devant les boîtes de départ, les chevaux tournaient avant de rentrer un à un dans les stalles.
 
Juan Bautista se sentit subitement très seul et incapable de savoir ce qu'il devait faire en pareille circonstance. S'il aimait le jeu, Laurent Lucas n'aurait jamais agi de la sorte de son propre chef. Il devait subir des pressions externes auxquelles il devait avoir bien du mal à se soustraire, pensa Juan Bautista.
 
Les boîtes claquèrent et en un instant les chevaux sortirent pour galoper avec entrain, sauf deux tout à l'extérieur dont les boîtes étaient restées closes... Le starter agita son drapeau rouge pour faire signe au préposé au drapeau blanc de lever le sien et donc informer les jockeys que le départ n'était pas validé. Mais le préposé ne le vit pas. Inquiet, le starter réitéra son injonction et l'homme au drapeau blanc le fit enfin. Mais les chevaux étaient quasiment sur lui. Il s’écarta vite pour ne pas se faire piétiner par le peloton lancé et agita en désespoir de cause le drapeau blanc. Une partie des jockeys le vit, ceux de la corde, et les autres, ceux de l'extérieur, ne comprirent finalement qu’en entendant les vociférations de leurs collègues. Mais les chevaux étaient lancés et il fut très difficile pour leurs partenaires de les arrêter d'autant que plusieurs portaient des œillères…
 
La course fut purement et simplement annulée par les commissaires de courses, certains chevaux ayant accompli les trois quarts de la course, et comme le veut l'usage, les paris furent remboursés.
 
Pour être franc, cela apporta une solution inespérée à Juan Bautista pour échapper aux ordres de Laurent Lucas, qui de toute évidence ne devaient pas venir de lui.  Alors lui aussi serait sous le joug de cette mafia des courses ? Qui avait fait disparaître Red Fernand corps et biens ? Son inquiétude grandit à l’idée de cette menace. Pour l'heure, les circonstances l'avaient aidé mais la prochaine fois ? « L'année commençait mal » se dit-il. « Si les malfaisants continuent à « racketter » les entraîneurs et les jockeys, on va souffrir » pensa-t-il alors qu'il rentrait en direction de Chantilly. La saison de courses commençait à peine et pas sous les meilleurs auspices…
 
De toute évidence Laurent Lucas ne disait pas tout, et Juan Bautista sentait bien matinée après matinée que le jeune entraîneur n'était pas dans son assiette. Aux courses, il semblait très tendu, anormalement en tout cas.
Juan Bautista commença à deviner ce qui avait enlevé toute sérénité à son nouveau patron. Pour la réouverture de Longchamp, il fut témoin d'une scène qui semblait explicite...
 
Alors qu'il garait sa voiture au parking réservé aux entraîneurs contigu à celui des jockeys, Juan Bautista, sans être vu pour autant, eut tout le loisir d'observer son patron en mauvaise posture.
 
Bien qu'il ne puisse entendre ce qu'ils disaient, les attitudes et le genre des deux hommes qui entouraient Laurent Lucas lui fit comprendre que ce dernier devait subir des pressions venant d'une faune peu recommandable.
Les « associés » de Red Fernand avaient-ils remis ça ? Cela y ressemblait beaucoup…
 
Il comprit d'autant mieux que deux jours plus tard à Maisons-Laffitte, à la fin de la réunion alors qu'il regagnait un parking très clairsemé puisqu’il avait monté la « der » et s'était un peu attardé à la buvette, il eût affaire aux deux mêmes individus. Ils lui firent comprendre que très bientôt il allait devoir obéir à « leurs » ordres s'il ne voulait pas que « sa santé en prenne un coup ».
 
« On te préviendra » furent leurs derniers mots, mais pas leur dernière action pour intimider - le mot est faible - le jockey ibérique.
L'instant n'était pas à la rigolade et Juan Bautista rentra à Chantilly dans une réelle inquiétude qui ne le quitta pas, même le lendemain...
En consultant les listes d'engagements, il remarqua un certain Moussaillon qui devait courir dans un réclamer sur 3000 mètres à Fontainebleau trois jours plus tard. Le cheval appartenait à un propriétaire au passé sulfureux. Ferrailleur de son état, à moitié gitan, le fameux Moussaillon courait sous les couleurs de Laurent Lucas ou plus exactement de Madame car le ferrailleur n'en n'avait pas et n'en n'aurait jamais, eu égard à ses derniers séjours derrière les barreaux. Un « arrangement » que Lucas avait mis en place alors que cela était rigoureusement interdit par le code des courses.
 
Il possédait une toute première chance dans ce réclamer. Juan Bautista venait de  monter victorieusement à Saint-Cloud sur 2400 m. Mais le cheval avait de la tenue à revendre et 3000 mètres, c'était vraiment son sport. Cela sentait la combine à la Red Fernand à plein nez.
 
Ce que Juan Bautista ignorait, c'étaient les rapports entre son patron et cette faune et surtout comment il avait pu en arriver là. Pas si compliqué même si Laurent Lucas  ne risquait pas  de s’en vanter, ça va de soi.
Tout juste sorti de son stage lui délivrant le précieux sésame qui lui ouvrait la porte de l'entraînement, le jeune Nicolas pressé d'en découdre, avait sûrement été un peu rapide et aveuglé dans la manière de prendre ses décisions. Une écurie, petite écurie pleine de charme et de promesses à ses yeux était à vendre depuis quelques jours. Elle représentait pour lui à la fois le bonheur, l'espoir, la conjugaison du verbe aimer au quotidien. Le hasard voulut qu'il rencontra fortuitement un « grand amateur des courses » qui faisait dans l'immobilier, se disant promoteur - Amateur de passage à la caisse du PMU surtout - …
 
« J'aime les jeunes qui ont le courage de s'installer. Je suis même prêt à vous donner un coup de main en achetant un cheval. »Lors d'un dîner ou Bacchus avait pris l'ascendant sur Lucullus, le jeune entraîneur s’épancha un peu trop en lui confiant son inclinaison pour la petite écurie de style anglo-normand blottie dans les frondaisons du bout du terrain des Aigles alors qu'il louait à cette époque-là quelques boxes dans une cour à moitié délabrée dans le fond de Lamorlaye.
« Je pourrais peut-être vous financer une partie, après tout, c'est mon métier de le faire. » déclara Ruben Razvan.Les banques étaient de « générosité  limitée » pour les jeunes qui s'installent, l'occasion était trop belle ! Trop belle en effet… Laurent Lucas allait l’apprendre à ses dépens…
 
Royalement son nouveau sponsor, Ruben Razvan de son état civil, lui laisserait le temps de faire du chiffre d'affaires avant de commencer à être remboursé. C'est vrai que l'écurie était charmante et dotée d'un petit logement parfait pour le jeune entraîneur et son épouse dont le souci majeur était de vivre au milieu de ses chevaux. La mort de Javier Torres Meca avait aidé à remplir ses boxes. Outre El Efficiente, il avait reçu quelques animaux de second choix certes, mais qui lui permettaient de faire ses classes. Laurent Lucas avait signé une simple reconnaissance de dette à Ruben Razvan qui lui avait financé presque la moitié de l'achat de l'écurie, ce qui avait aidé le banquier à délivrer le prêt salvateur. Le banquier d'ailleurs s'étonna que les fonds fussent virés d'un pays caucasien mais l'argent de Ruben Razvan n'avait pas encore d'odeur.
 
Obnubilé par sa quête sans doute, mais il aimait peut-être  mieux ne pas trop en savoir sur ce Razvan, Laurent Lucas pressentait bien qu'il n'avait pas vraiment affaire à un propriétaire selon l'acceptation rigoureuse du terme.
Un soir, Ruben l'appela pour lui demander de réclamer un poulain qui devait courir le lendemain à Chantilly. Il s'appelait Mont Saint Marc, et de toute évidence possédait la première chance de la course.
 
« Je ne peux hélas pas aller aux courses, j'ai un rendez-vous à la même heure à Paris. » lui dit-il.
« Tu peux t'en occuper ? » il le tutoyait à présent.
« Oui bien sûr» répondit Laurent Lucas, séduit et inquiet à la fois, « Et je le réclame pour le compte de qui ? »
« Un propriétaire à désigner dans les 48 heures » lui répondit Ruben Razvan.
« Je viendrai demain soir à Chantilly le voir dans son box. »
Durant la course cantilienne, Mont Saint Marc n’eut jamais une tête de gagnant et il finit dans les derniers du peloton. De fait, Laurent Lucas n'avait pas la moindre velléité de se diriger vers la salle des balances et sa boîte de réclamation lorsque le téléphone sonna dans sa poche. C'était Ruben.
« Tu réclames quand même. Juste le prix de la réclamation, pas un centime de plus. »
«  Mais il a couru vraiment calamiteusement ! »
« Je sais. J'ai vu la course sur mon téléphone mais j'ai mon idée. Fais comme je te dis, je serai à Chantilly vers 19 heures s'il n'y a pas trop de bouchons. »
« Mais il me plaît beaucoup ce cheval » dit Ruben Razvan en refermant la porte du box où Mont SaintMarc avait trouvé asile...
 Laurent Lucas était lui de plus en plus inquiet car toute logique lui échappait.
« J'ai fait une demande de couleurs mais je ne suis pas encore agréé. Peut-on courir sous tes couleurs en attendant ? » dit Ruben Razvan
 Coincé, Laurent Lucas fit oui de la tête. Pour sceller leur accord, Ruben Razvan sortit une enveloppe et lui tendit.
« Là-dedans, il y a le montant de la réclamation et deux mois de pension d'avance. » Tout semblait convenable et net. Enfin presque.
Tout de go, il dit au jeune entraîneur :
« Je suis dans la merde, j'ai perdu beaucoup d'argent dans des investissements financiers et il me faut du cash ! » Laurent Lucas tomba des nues.
« Peux-tu me rembourser le prêt sur l'écurie ? Laurent Lucas dut avouer qu'il en était bien incapable.
«  Alors il va falloir la revendre. J'ai besoin de cet argent ! »À ces mots, Laurent Lucas se sentit défaillir. Avant même qu'il n'ait eu le temps d'ouvrir la bouche, Ruben Razvan lui dit :
« Bon, je m'en vais. J'ai quelqu'un à voir à Paris à qui j'ai prêté de l'argent aussi. » Deux jours plus tard, car le mijotage du pigeon était nécessaire à son plan. Ruben Razvan se manifesta à nouveau par téléphone :
« Alors, tu as trouvé une solution ? » Bien entendu, Laurent Lucas n'en n'avait pas la moindre, d'autant plus qu'il n’avait osé parler de tout cela à personne, pas même à sa jeune femme qui était absente de l’écurie le jour du débarquement inopiné de Razvan.
« Je ne vais pas pouvoir attendre longtemps » insista-t-il, puis il raccrocha.
Le jeune entraîneur, candide et crédule, ne pensait qu'à son écurie et ne voyait pas qu'il entrait dans une nasse dont il aurait du mal à ressortir. Aux courses de Saint-Cloud, alors qu'il s'apprêtait à quitter les lieux, Ruben Razvan qu'il n'avait pas vu durant la réunion, lui emboîta le pas direction le parking et lui demanda de monter dans sa voiture.
« Allons boire un verre un peu plus loin, j'ai à te parler. » Ruben Razvan consentait à différer le remboursement à condition que le jeune homme le mette dans la confidence de quelques petites affaires de jeux…Comme il n'avait aucune alternative, il confia à Razvan que ce n'était pas si évident à mettre en place.
« Oui, mais tu es au courant de ce qui se trame et se passe dans le métier ! Ce qui m'intéresse, c'est de jouer à coup sûr ou presque. »
« Oui mais il faudrait... »
« J'ai quelques amis, interrompit Ruben Razvan, qui vont te contacter et tu devras les tenir au courant d’éventuelles affaires. » Laurent Lucas n'avait pas eu à attendre longtemps pour faire la connaissance des « amis » de Ruben Razvan et il y avait fort à parier que c'étaient les cousins des « associés » de Red Fernand. A moins que ce ne soit carrément eux ! Au début, il leur « tuba » quelques chevaux qui furent à l'arrivée mais à des cotes très basses. Comme ils n'avaient pas vocation à être des « matelassiers », ils le lui firent comprendre de façon très claire. Ils en arrivèrent à l'essentiel :
« Faire bigorner » quelques chevaux, puis les « repasser » plus tard quand leur situation au betting serait plus rémunératrice. »
Ce jeu-là, Laurent Lucas en connaissait les risques et la précarité. Quelques années auparavant, quand il était employé dans une écurie qui préparait des coups, il avait plus souvent bu le bouillon qu'il n'était passé à la caisse. Il était à l’époque très jeune et très crédule... À présent, il avait appris… à ses dépens !
Les amis de Ruben Razvan devenaient tous les jours plus pressants. Le fameux Mont Saint Marc était tout désigné pour servir leurs desseins. Lors d'une conversation téléphonique, Ruben Razvan lui précisa :
« Je savais que le cheval ne serait pas à l'arrivée quand on l'a réclamé, mais je sais aussi qu'il vaut bien mieux qu'un réclamer pourvu que le terrain soit juste bon. Maintenant, il faut continuer une fois ou deux avant de lui trouver un engagement au poil pour le « passer ». Je compte sur toi, tu m'as compris ? »
 De l'autre côté du téléphone, Laurent Lucas répondit d’un « oui » extrêmement timide, à peine audible, alors que son interlocuteur avait déjà raccroché. Il n'avait aucune envie d'enfreindre le code des courses en entrant dans ce genre de combines malsaines, mais pour l'instant, il était coincé.
Opérer ou perdre l'écurie ?
 
Voilà pourquoi Juan Bautista avait aperçu les deux primates conserver avec Laurent Lucas dans le parking de Longchamp, sans forcément tout comprendre.
 
La suite des événements lui fit toucher du doigt le danger imminent.
 
Ruben Razvan avait fini par mettre sa menace à exécution en contraignant le jeune entraîneur à revendre l'écurie. Laurent Lucas y perdit le peu d'argent qu'il avait mis de côté car il dut vendre à perte pour satisfaire son débiteur par une vente très rapide. Il se retrouva sur la paille et sa carrière d'entraîneur était en grand péril.
Après un bref retour dans l'écurie de ses tous débuts, il trouva une solution « d’attente » grâce à l'aide d'un confrère qui lui trouva une place d'entraîneur particulier dans un pays du Golfe. Écœuré, il s’expatria au Qatar pour changer d'horizon avec un statut social acceptable. Il allait y entrainer une cinquantaine de pur-sang anglais et arabe pour un gros propriétaire local. Il comptait bien se refaire la cerise pour rebondir…
 
Juan Bautista de son côté, commençait à réaliser que sa carrière en France devenait incertaine. Il n'y avait plus que son père pour le retenir. Et ce dernier, sans emploi, vieillissant, n'était plus le même. Javier Torres Meca mort, ses compagnons d'écurie dispersés, la mort violente de Bérengère, les pressions incessantes des homo sapiens à la solde de Ruben Razvan, tout cela  amenait Juan Bautista à envisager une porte de sortie. Il ne voulait pas entrer dans un jeu qui, fatalement se terminerait mal ou très mal pour lui. Jusque-là, les circonstances avaient par hasard et par chance, permis à Juan Batista de ne pas enfreindre le code des courses.
Mais la pression était de plus en plus forte et la chance de s’y soustraire de plus en plus faible, à moins que…
 
Ayant noué des contacts quelques mois auparavant avec des écuries d'Amérique du Sud, il prit son téléphone et son courage à deux mains, et se rappela au bon souvenir des deux propriétaires argentins qui étaient prêts à l'accueillir. « Au moins », se disait-il, « on parle la même langue ». Pour le reste, ce serait l'aventure. Plus rien ne le retenait vraiment en terre cantilienne. Plus rien à part son père… Mais son destin l'appelait. Son père avait connu le sien même s'il était à présent entré dans une nouvelle ère, celle de la méditation, celle d'un isolement progressif. C'était triste certes mais il lui fallait sortir des griffes des malfaisants qui n'allaient plus le lâcher.
 
La Comtesse Ana n'avait pas suffi non plus à le retenir. Il devait maintenant plus que jamais s'inscrire dans l'action s'il voulait échapper à une errance dans une soumission qui le conduirait assez vite à sa perte. La belle Ana avait bien tenté de ne pas laisser les liens se distendre. Elle lui avait même proposé de venir à Varsovie monter pour elle lors de la réouverture de Tor Sluzewiec. Comme il n'avait pas de monte ce dimanche de mars où il n'était programmé en France que des courses de trot ou d'obstacle, il s'y rendit sans grand enthousiasme. Il prit un avion le dimanche matin de bonne heure car il montait le samedi à Saint-Cloud et il n'y avait plus d'avion pour partir le samedi soir. Donc pas de galipettes dans la datcha pour Juan Bautista et Ana !
 
Ana avait conservé un maigre effectif à l'entraînement sur place et semblait faire un certain cas du trois ans que Juan Bautista monta ce dimanche-là. De fait, il gagna facilement et avec style. Pour la photo de la Victoire, alors qu'ils posaient pour la postérité, il y avait dans leurs yeux cette lueur magique que fait naître la « gagne », celle qui annonce des lendemains qui chantent, là où le rêve vous transporte dans un monde merveilleux.
 Alors qu'ils savouraient autant la victoire que leurs retrouvailles en buvant une coupe de champagne, elle commença à lui dévoiler ses plans pour la soirée. Il fut contraint de lui annoncer qu'il avait un avion le soir même car il montait le lundi en province et il n'avait pas eu d'autre choix. Le  visage si radieux d’Ana perdit d'un coup toute expression. Elle tenta d'infléchir sa décision, imagina lui faire rater son vol et Juan Bautista était à deux doigts de flancher quand son portable sonna pour un appel sans intérêt. Mais la sonnerie avait interrompu la quête envoûtante de la jolie Ana et c'est donc le téléphone qui arbitra la décision.
 
 
Maudit téléphone portable, oracle des temps modernes, son pouvoir et sa puissance sont sans limite... dans les deux sens, le bon et le moins bon.
 
S'il l’avait vraiment voulu, Juan Bautista en prenant un vol le matin de bonne heure  aurait pu partager la soirée avec celle qui était quasiment sa seule attache, tout en étant à l'heure pour honorer son engagement. Mais il avait trop peur qu'elle ne l’entreprenne à nouveau avec son histoire de déménagement de chevaux en France. S'il savait que cela n'avait pas de sens, il ne voulait pas pour autant avoir à la décevoir à nouveau en lui répétant la même litanie. C'était sa manière à lui  de lui faire comprendre qu'il ne tenait pas trop à ce qu'elle se rapprochât.
 
Le retour à l'aéroport dans la nuit polonaise était, malgré Bach et malgré la Porsche, empreint de mélancolie. Elle conduisait, mélancolique et rêveuse, l'air de se détacher de cette romance qui lui échappait malgré elle.
L'un comme l'autre n'eurent pas envie de donner à ces adieux trop de profondeur, comme pour éviter de se faire d'avantage de mal.
 
Ana se gara en double file pour écourter cet au revoir qui commençait a mouiller son regard.
Juan Bautista récupéra son bagage prestement à l’arrière de la Porsche et accompagna d'un sourire sincère le baiser qu'il déposa sur ses lèvres, alors qu'il était déjà à moitié sorti de l’habitacle.
Peut être, pour ne pas craquer, lui non plus, car son émotion était intense.Il prit, de sa démarche svelte, la direction de l'enregistrement sans se retourner.Il n’était pas en avance, et cela lui permettait de se concentrer sur la suite de sa vie, sans trop penser à celle qu'il laissait morfondue dans sa voiture. 
 
 
CHAPITRE 34 : FUNESTE AQUARIUM 
 
 
Seul dans sa voiture sur la route de Chantilly après qu'il ait quitté l'aéroport Charles de Gaulle, il fut en proie a d'assaillantes questions sur la décision qu'il avait prise.
Même s'il ne voulait pas se l'avouer, il lui était difficile d'abandonner tous les repères qu'il avait pu construire depuis son départ forcé de la péninsule ibérique.
 
Il allait lui falloir tout recommencer de l'autre coté de l'Atlantique ...vaste besogne !
Malgré tout, il passa une bonne nuit et fit le lendemain, une fructueuse moisson sur l'hippodrome de Nancy Brabois selon cette loi de l'histoire qui veut que les entreprises expirantes (du verbe entreprendre) jettent le meilleur de leurs feux. Ce lundi Nancéen se solda par trois gagnants pour autant de montes.
 
Une fois sur la route du retour, il eut envie de faire partager à Ana la saveur de sa journée, et sa satisfaction du travail accompli.Il prit son téléphone et alors qu'il cherchait dans son répertoire, il se rendit compte qu'elle était finalement, la seule personne avec qui il pouvait partager ce genre de petit bonheur...
 
Cela l’inquiéta beaucoup et même le dérangea franchement car il eut subitement le sentiment de ne pas avoir d'amis...Juste des relations professionnelles, stockées dans un téléphone et un père qui n'en était pas vraiment un.
Il ne lui restait que quelques jours a passer en France et chaque moment lui apportait un flot de nouvelles interrogations.Il était incapable de savoir s'il laissait dans ce pays de France, qui lui avait pourtant sourit, beaucoup, ou pas grand chose. 
«Ahora, es la hora ! » Comme il l'avait entendu, sa jeunesse durant.
Après tout, il était déjà parti à l'aventure quand il avait quitté l'Espagne pour la France, parfaite inconnue pour lui. C'est une nouvelle page à écrire, se rassura t' il.
 
Il employa ses derniers jours aux taches inhérentes a ceux qui changent de vie et de pays et à passer un peu de temps avec son père et ses collègues des écuries en apéros prolongés ou en dîners.
L'avant dernier soir avant son départ, alors qu'il regagnait le petit hôtel ou il avait élu domicile pour les quelques nuits qu'il lui restaient à passer en France, il fut prit de panique...Il était un peu gris, pour ne pas dire plus. Bacchus, dans son goût de la fête, l'avait emmené un peu loin, lui et ses camarades de peloton, toujours prompts aux prouesses bachiques, qu'ils considéraient comme excusables, puisqu'ils ne pouvaient pratiquement pas manger.
 
Depuis qu'il avait quitté ses alter ego, des phares agressaient singulièrement ses rétros-viseurs, avec beaucoup trop d'insistance...Il avait prit des raccourcis à travers un lotissement, serpenté dans des rues et des ruelles au cœur de Lamorlaye et cela ne pouvait plus être un hasard.
 
Il décida de ne pas prendre la direction de l’hôtel,tant qu'il ne connaissait pas les intentions de la voiturée au phares inquisiteurs. Il risquait trop de montrer un peu facilement ou on pouvait le cueillir au nid, il continua a rouler.Le véhicule inconnu ne lâcha pas un pouce de terrain en le suivant méthodiquement dans les rues sombres de Lamorlaye. Alors que la voiture suiveuse était devenue son ombre nocturne, de la crainte, il tomba dans la panique en imaginant le pire : Les factotums de Ruben Razvan ! Ils étaient capables de tout s'imaginait-il, pensant a Red Fernand que personne n'avait jamais revu.
 
Il n'osait plus regarder dans son rétroviseur pour tenter de distinguer de quelle voiture il pouvait s'agir et qui était a l’intérieur. Son état de panique allait grandissant, et il ne savait plus vraiment ce qu'il faisait et encore moins quelle décision il fallait prendre la fuite en avant n'allait le mener que dans un mur, au propre ou au figuré. Il décida de ralentir le rythme. Alors, il vit le véhicule qui le poursuivait, le doubler et freiner devant lui pour le contraindre a s’arrêter.
 
Il reconnut alors la Porsche Polonaise d'Ana. Il la vit descendre de sa voiture et elle se dirigea, de sa démarche toujours aussi follement élégante vers lui. Il resta accroché a son volant, complètement médusé, mais soulagé, aussi.
 
« Ana serait moins dure à affronter que les sbires de Ruben Razvan en tout état de cause » pensa t'il. Elle s'approcha de la voiture de Juan B. tandis que ce dernier garda le regard droit devant lui sans avoir lâché son volant sur lequel blanchissaient ses mains crispées.
 
Le visage interrogateur, pas très sure d'elle, elle lui dit a travers la portière qu'elle avait entrouverte « Je ne pourrais plus vivre sans toi ! ». Juan ne répondit pas...
 
 Le silence lui parut interminable.
 
Il voulu lui ré-expliquer qu'il quittait la France le surlendemain et qu'une telle option était impossible. Mais ce fut peine perdue. Elle s'accrochait a la portière, comme un naufragé a son radeau, en faisant valoir tous les résonnements affolés que son cœur déchiré lui dictait. Celui de Juan Bautista  se lézardait aussi et la peine de la voir ainsi le gagnait. Ils étaient à cet instant aussi déracinés l'un que l’autre.
 
Dans l'espoir de débloquer une situation qu'il sentait déjà inextricable, il lui proposa d'aller jusqu'à son hôtel. Il se mit à réfléchir alors avec d'avantage de sérénité quand elle fut de nouveau au volant de sa voiture, à le suivre.
 
Il n'avait que cinq minutes pour trouver une solution avant d'arriver sur le parking de l’hôtel.
Il décida de rallonger le trajet de quelques encablures, via quelques détours appropriés pour gagner du temps et installer sa réflexion.
 
Il voulait absolument pouvoir lui dire de façon péremptoire et sans faiblesse que leurs routes se séparaient inexorablement, ce soir. Elle le suivait scrupuleusement a travers Lamorlaye. Ils prirent la route des Princes qui enjambe les deux theves, a l'aide de deux petits ponts de pierre qui doivent dater comme la route, de l’époque ou les princes de Condés venant de Paris, se rendaient en leur villégiature du château de Chantilly.
 
Juste avant le deuxième pont, Juan B. leva la tête vers son rétroviseur pour voir si la Porsche le suivait bien, alors qu'il abordait le deuxième pont. C'est alors qu'il vit la voiture d'Ana, enjamber le parapet de pierre et jaillir en l'air pour rebondir dessus avant de s’écraser dans la petite rivière en contrebas !
 
Juan B. stoppa net son véhicule et couru vers la berge. Il y avait fort peu d'eau dans ce bras de la Theve, et la voiture retournée, les roues en l'air, n'avait que le pavillon d'immergé. Il descendit dans la rivière, surprit d'avoir de l'eau jusqu'à la taille, car probablement que les pluies avaient gonflées les étangs de Commelles d’où viennent la vieille et la nouvelle Theve.
 
Dans le noir, il ne voyait quasiment rien et s'empara de son téléphone pour éclairer son alentour. Il dirigea le faisceau vers la portière conducteur qu'il tenta d’ouvrir mais elle était bloquée, l'habitacle s’étant déformé sous le choc. L'eau montait jusqu'à la moitié des vitres. Le faible éclairage que lui prodiguait son téléphone était insuffisant pour voir ce qu'il se passait a l’intérieur de la voiture que l'eau avait envahie en partie.
 
Il tenta de briser la vitre avec sa chaussure mais n'y parvint pas.Il décida alors d'appeler les secours. Sitôt fait, il dirigea a nouveau le rayon lumineux vers la voiture qu'il contournait pour tenter d'ouvrir la portière conducteur. Il constata que la vitre était brisée et distingua a cet instant, la tête dodelinant d'Ana a travers le bouillonnement de l'eau, sa chevelure d'or flottant a la surface comme des algues mordorées. Elle était toujours arrimée à son siège, sanglée dans sa ceinture de sécurité, tête en bas, à moitié sous l'eau.
 
Malgré la visibilité réduite, il comprit que le pire était à craindre, elle était complètement inerte. Il aurait voulu faire quelque chose mais il se sentit paralysé d'effroi et resta agenouillé devant la portière dans l'eau froide du lit de la Theve.
 
Quelques instants plus tard, au milieu des uniformes de gendarmerie et des éclats de gyrophares qui bleuissaient la berge, le corps d'Ana avait été halé hâtivement. Elle avait perdu la vie en se noyant dans quarante centimètres d'eau !
 
Quelle dérision...
 
Seul témoin de la scène, Juan Bautista du ajouter à l'horreur de ce qu'il venait de vivre, l'inquisition policière une grande partie de la nuit.
Ce n'est que le lendemain quand les enquêteurs purent enfin faire parler le téléphone de feu la Comtesse Ana (téléphone qui du d'abord retrouver son usage, après le bain forcé dans l'affluent de l'Oise) que l'esprit de Juan B. fut vraiment mis à mal.
 
Un sms inachevé lui laissa vite penser qu'il n’était pas étranger au choc contre le parapet de pierre, qui couta la vie a celle qui avait quelques semaines auparavant avait donné un sens a la sienne. Elle devait être entrain d’écrire a son adresse quand elle heurta funestement le pont.
 
Juan B. , obsédé par ce qu'il venait de vivre, laissait entrer en lui, l'idée que la fin tragique d'Ana allait le poursuivre a tout jamais dans une responsabilité spirituelle dont il ne se déferait plus.
 
Il retrouva un semblant de réconfort en pensant qu'il ne lui restait que quelques heures a passer pour quitter une vie que la mort avait marqué de ses pierres noires.Cela serait un échappatoire et cette forme de fuite, une rédemption salutaire et expiatoire a la manière des processions a la Virgen Blanca, qu'il avait connu dans sa jeunesse ibérique.
 
De ses années passées en France, il avait côtoyé tous les extrêmes des joies et des peines. Avec un tel bagage, il se demandait, ce qu'il pouvait encore lui arriver de pire, et , si les femmes d’outre atlantique allaient lui faire connaître, au nom de l'amour, des situations aussi dramatiques ?
 
Il partait pour le nouveau continent, un peu comme il était arrivé en France : en aventurier, une main derrière, une main devant. 

 

Il garderait sûrement gravé dans sa mémoire une implacable vérité:  « Les hommes s'inscrivent dans l'action, les femmes dans la durée ! »

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