Domination internationale des chevaux japonais : le pourquoi du comment !

29/03/2022 - Actualités
 Le constat est frappant après la grande réunion de la Dubai World Cup : le Japon et ses coursiers sont en train de grimper en flèche sur la scène internationale. Avec 5 victoires samedi dernier, et plus que jamais, les millions investis dans l'achat de juments et d'étalons à travers le monde depuis plus de 50 ans annoncent un âge d'or pour le Pays du Soleil Levant, toujours en quête du graal sacré : l'Arc de Triomphe.

Shahryar, l'un des 5 vainqueurs japonais lors du "Super Saturday" à Meydan

 

Il est bien loin le temps où les européens se moquaient et disaient que le Japon était "un gros trou où tout rentrait mais dont rien ne ressortait". L'élevage mondial de coursiers étant basé sur le pur-sang anglais, le pays du Soleil Levant fait partie de ces nations qui ont dû construire de toute pièce leur empire des courses, en achetant à travers le monde des juments et des étalons pour espérer un jour être compétitif sur la scène internationale. Force est de constater que bien des décennies après leurs premiers achats, les japonais sont en train de passer un palier, après avoir conquis leurs premières courses à la Breeders' Cup en 2021, puis dominer le meeting de la Saudi Cup, et celui de Dubai samedi dernier. 

 

L'entraîneur japonais Yoshito Yahagi a signé un coup de 3 à Dubai (photo Ed Whitaker)

 

Avec 5 victoires lors du "Super Saturday" à Meydan, sur le dirt et le gazon, les nippons montrent que les centaines de millions investis au fil des ans leur permettent de rivaliser avec n'importe quel champion venu d'une autre contrée. La grande dynastie Yoshida y est évidemment pour beaucoup, avec ses richesses qui semblent infinies, et le fameux "royaume des 1000 poulinières" construit par les frères Teruya et Katsumi Yoshida, eux-mêmes héritiers de Zenya Yoshida, et de leur grand-père qui a commencé à acheter des juments aux Etats-Unis à l'époque de la prohibition, c'est à dire il y a un siècle ! 

 

Teruya Yoshida (à droite) a changé avec sa famille le destin des courses japonaises (aprh)

 

Le premier étalon qui a changé le destin des courses japonaises est Northern Taste. Fort bien né, ce fils de Northern Dancer faisait l'objet du fameux "inbreeding" Formule Un sur Lady Angela, la mère du chef de race Nearctic. Il a été acheté par Teruya Yoshida pour son père Zenya à Saratoga, pour 100 000 $, alors qu'il était yearling. Féru de la France, le père Yoshida l'a confié à John Cunnington, entraîneur à Chantilly. Précoce, il a gagné 2 groupes à 2 ans, puis s'est essayé au circuit classique anglais à 3 ans, avant de gagner le Prix de la Forêt en fin de saison. Au haras au Japon, il a battu tous les records jusqu'ici établis, et définitivement lancé l'empire Yoshida. Teruya Yoshida déclara d'ailleurs un jour à la presse que les succès de Northern Taste lui avait permis d'acheter tous les étalons acquis par la suite... et dieu sait qu'ils furent nombreux et coûteux ! 

 

 

Et alors que Northern Taste vieillissait, Zenya Yoshida a eu la lumineuse idée d'acheter aux Etats-Unis un autre "stallion prospect" qui est devenu encore plus grand : Sunday Silence. Détesté aux Etats-Unis, le surnommé "The Uglyduck" (le vilain petit canard) était un cheval noir au physique disgracieux, qui a connu tous les problèmes du monde dans son âge, et était qui plus est affublé d'un caractère impossible. Malgré cela, il est devenu un crack du dirt, gagnant de 2 étapes de la Triple Couronne (Kentucky Derby et Belmont Stakes), mais aussi de la Breeders' Cup Classic, dans de fameux duels avec le chouchou du public, l'alezan Easy Goer. Yoshida en a acheté un quart pour 2,5M $ en début d'année de 4 ans, en vue d'une syndication, mais Sunday Silence s'est blessé, et n'avait toujours pas les faveurs des américains, qui lui reprochait (à raison) un manque de pedigree. Qu'importe puisque Zenya Yoshida en a acheté les 75% restants pour 7 M $...et a définitivement changé l'histoire de l'élevage japonais. (Lire l'histoire complète de Sunday Silence relatée par Thierry Grandsir)

 

Sunday Silence, le miracle du Pays du Soleil Levant 

 

Au Haras, il a repoussé tous les records de Northern Taste, tout en restant très dangereux pour ses étalonniers, qui devaient s'armer d'un gourdin en bois pour se protéger en allant le chercher au paddock. Son sang est omniprésent au Japon, qui a ensuite trouvé son successeur avec Deep Impact. Il faut aujourd'hui lui trouver des courants de sang alternatifs, à l'image d'un Galileo en Europe. Mais il est tellement influent, et tellement bon... alors pourquoi s'en priver ?! La preuve, 4 des 5 lauréats japonais de samedi à Dubai transportent le sang de Sunday Silence. Le seul qui en est indemne, Panthalassa, qui a gagné en dead-heat avec Lord North la Dubai Turf, est un fils de Lord Kanaloa, lui même fils de King Kamehameha, qui a été l'alternative parfaite à Sunday Silence. Ce fils de Kingmambo est issu d'un achat in-utero, celui de sa mère Manfath à Keeneland en 2000. 

 

Panthalassa est le seul vainqueur japonais de samedi à être indemne du sang de Sunday Silence 

 

Finalement, à coup de millions, les japonais, et surtout les Yoshida, ont acheté tout ce qui se faisait de mieux en Europe et aux Etats-Unis, que ce soit des juments très bien nées, mais aussi des prospects étalons, et des coursières de génie acquises en cours de carrière. Pendant longtemps, la richesse du programme japonais et de ses allocations faramineuses les ont fait garder leur champions à la maison. Mais les premiers succès majeurs à l'international, comme ceux d' El Condor Pasa en France, les ont poussés à traverser leurs frontières, surtout pour courir "classique". L'élevage local est en effet très orienté sur la tenue, avec les plus grandes épreuves sur 2400 voir 3000m... On aime au Japon ces coursiers qui durent ! Toutefois, même si les distances sont longues, les courses japonaises se courent avec beaucoup de rythme. Voilà un mélange parfait pour gagner à l'international...

 

 

En effet, on essaye aussi d'importer de la vitesse dans les pedigrees avec l'achat de juments à l'étranger. Par exemple, le gagnant du Godolphin Mile Bahtrat Leon est un neveu d'une gagnante des Cheveley Park Stakes (Gr.1), Serious Attitude. Son père Kizuna, fut quant à lui un pur classique, gagnant du Derby Japonais et 4e de l'Arc. Vainqueur de la Dubai Gold Cup devant Manobo, Stay Foolish, qui a aussi brillé au meeting de la Saudi Cup, est lui issu d'une pure souche de distance. Entraînée par Maurice Zilber, sa grand-mère Silver Lane avait gagné la Grotte (Gr.3) et s'était placée des Irish Oaks. Le vainqueur de L'UAE Derby, Crown Pride, a quant à lui été programmé pour briller sur le dirt. Sa souche maternelle dévoile après quelques générations un gagnant de l'Arlington Classic aux Etats-Unis. Quant à son père Reach The Crown, qui ne fut pas forcément un phénomène en course, il était capable d'évoluer à bon niveau sur le mile et les 2400m, et est un petit-fils de la championne américaine Classic Crown... Cela saute parfois quelques générations !

 

Crown Pride, un japonais programmé pour briller sur le dirt 

 

Panthalassa, lauréat de la Dubai Turf, est issu d'une mère irlandaise par Montjeu, soeur d'un cheval de distance intermédiaire bien connu nommé Great Dane. Grand sprinteur, son père Lord Kanaloa a pourtant donné des sujets classiques au possible, le meilleur exemple restant Almond Eye. Il fut lui même conçu à partir d'une souche américaine, celle de sa grand-mère Saratoga Dew, double gagnante de Gr.1 sur le dirt. Quant à Shahryar, le vainqueur de la Scheema Classic, il présente un cas d'école, puisque sa mère Dubai Majesty fut une crack de la vitesse aux Etats-Unis, avant d'être achetée 1,1M $ en 2010 à Keeneland. Elle a donné ce vrai cheval de 2400m en croisant avec Deep Impact, le successeur de Northern Taste et Sunday Silence, que l'on connaît tous. 

 

Deep Impact fut le digne héritier de Northern Taste et Sunday Silence 

 

En fait, Deep Impact est lui-même un parfait exemple de la politique d'élevage japonaise. Meilleur continuateur de Sunday Silence, il est un fils de la classique européenne Wind In Her Hair, qui est d'ailleurs toujours en vie au grand âge de 31 ans ! Placée des Oaks d'Epsom et des Yorkshire Oaks, elle avait fini par gagner son Gr.1 en Allemagne sur 2400m. Elle est issue d'une des plus grandes familles européenes, puisque petite-fille de la championne de la reine d'Angleterre Highclere. Par ailleurs, sa cousine est la fameuse Height Of Fashion, jument de base de l'élevage de Sheikh Hamdan Al Maktoum, que l'on retrouve dans le pedigree de nombreux champions modernes, comme Baaeed

 

Wind In Her Hair, la mère de Deep Impact, fut une excellente jument sur le gazon européen 

 

Il n'est donc finalement pas si surprenant de voir le Japon dominer à l'international, sur un panel de distances et de surfaces varié, puisque leur élevage est construit sur les bases de la crème mondiale ! Bien sûr, cela requiert du temps, une marge d'erreur assez importante, puisque rien n'est écrit d'avance en élevage... et aussi pas mal d'argent ! De plus, on remarque qu'ils font de plus en plus appel aux grands jockeys internationaux, et bien sûr à leur star d'adoption, Christophe Patrice Lemaire. Leur manque encore ce graal qu'ils ont si souvent effleuré du bout des doigts : l'Arc de Triomphe ! Ce n'est pas simple, car l'automne est aussi riche au Japon avec le Tenno Sho Autumn et la Japan Cup, et ce ne sont pas tout le temps les plus grands cracks qui sont envoyés à la conquête de la plus grande course européenne. Toutefois, lorsque l'on voit la razzia effectuée par les japonais ces derniers mois à travers le monde, on se dit que leur heure n'a peut-être jamais été aussi proche. 

 

A 31 ans, Wind In Her Hair représente l'état actuel de l'élevage japonais : joyeux et durable !

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