Nouveau roman en série de Guillaume Macaire : chapitres 12 et 13

19/05/2021 - Actualités
 Le Juan Batista a-t-il commis l'irréparable ? Il faut en effet bien faire attention à son téléphone quand on commet un petit écart nocturne dans un pays lointain, car la technologie ignore les distances... En attendant de voir la réaction de sa compagne, le jockey se sent au mieux de sa forme sportive et enchaîne les belles victoires. Son patron est ravi et son père, en passe de devenir garçon de voyage, est fou de joie. Jusqu'ici tout va bien !

 
 
 
Résumé du 1er roman : l'un des top jockeys de plat en France, Jean-Barnabé Ermeline se préparait à disputer avec une 1ère chance le Prix de l'Arc de Triomphe en selle sur son champion Enigmatique. Mais à la suite d'aventures rocambolesques, il se retrouve à l'hôpital avec une balle dans la cuisse. Télécharger " A Cheval, à pied ou en voiture. "
 
Résumé des 11 premiers chapitres :
 
Ancien jockey proche de l'élite, Jean-Barnabé Ermeline a subi un grand coup d'arrêt en ayant été pris dans une sombre histoire, puis a terminé sa carrière sans éclat. Resté à Chantilly, le voilà redevenu simple lad, et cavalier d'entrainement vieillissant, tandis qu'un fils découvert sur le tard est arrivé d'Espagne plein de talent et d'ambitions pour briller au plus haut niveau sous l'habit de lumière. Alpagué par une compagne assez "hargneuse", sur laquelle Jean-Barnabé mène sa propre enquête, le jeune Juan Bautista fait rencontre fulgurante avec une comtesse lors d'un championnat en Pologne. Le soir des courses, elle l'emmène en son château pour fêter la victoire à sa façon. En plein ébat, Juan Batista reçoit un appel de sa fiancé, mais ne raccroche pas convenablement, laissant de fait un message sonore aussi malencontreux mais explicite. De retour en France, rien ne paraît, en apparence....Il part aussitôt monter à Compiègne.
 
 
 
 
 
 
 
 
CHAPITRE 12 : ESPAGNOLADES AU PUTOIS

 
Le premier cheval qu'il avait à monter était un beau bai qu'il avait fréquemment travaillé le matin et qui lui avait beaucoup plu. La pluie tombée les jours précédents allait sûrement l'avantager. Tout le monde à l'écurie y comptait alors qu’en fin d'année de trois ans, il était toujours maiden. Il s'appelait Dominion. C'était un gros poulain plutôt tardif qui de surcroît avait joué de malchance jusqu'alors. Courant sans utiliser ses réelles aptitudes, il avait des moyens, pour peu qu'il fut détendu durant le parcours. Mais il pouvait tirer à l'occasion si on ne le laissait pas exprimer sa grande action et donc y laisser le plus clair de ses chances en oubliant de respirer.
 
Il avait débuté en fin de printemps dans un bon lot d'inédits, sur la distance classique, car le patron, se référant à ses origines- la tenue étant son aptitude la plus évidente- en avait jugé ainsi d'autant que le matin il était plutôt facile et pas tendu du tout. C'était à Longchamp. Tout l'entourage fut très déçu en le voyant finir à la dérive. Il avait tiré comme une brute dans une course qui s'était courue au trot de chameau jusqu'à la sortie de la fausse ligne droite. D’autant qu’un rapport possible de 30 contre 1 avait incité ses supporters à appuyer ses chances à la baraque. Un des top jockey du moment avait été retenu pour le monter et n'eût d'autre échappatoire quand il eut mis pied à terre que de dire « Raccourcissez le ! Il lui faut du rythme! »
Javier Torres Meca tenta bien d'expliquer aux propriétaires désemparés que là n'était pas la solution...Ils insistèrent tellement pour suivre à la lettre le sésame que la star de la cravache avait bien voulu leur lâcher que le poulain recourut trois semaines plus tard, à Saint-Cloud, « raccourci » de quatre cent mètres.
 
Aux ordres, l’entraîneur ibérique avait pourtant tenté de préparer l'avenir en leur disant que le raccourcissement de distance ne changerait rien à l'affaire car le poulain était un vrai cheval de 2400 et plus, comme l'était sa mère, gagnante - entre autres - du grand handicap de la Manche à Deauville qui se courrait à l'époque sur 3400 mètres. Il espérait leur faire comprendre que leur élève avait besoin de train, si possible dès l'ouverture des stalles.
 
« Il n'a pas de changement de vitesse, mais il peut aller longtemps sur un tempo élevé, usant ses adversaires au train, à condition que l'on ne l'empêche pas de galoper pendant les trois quarts de l'épreuve ! » Il y avait beaucoup de partants dans la course, dix-huit exactement, et ses propriétaires - ils étaient deux associés dans l'aventure - avaient choisi eux même le jockey, un jeune homme qui venait de perdre sa décharge et qui avait connu une brillante saison.Hélas, Dominion fut incapable de suivre le train tant celui-ci fut élevé; à mi ligne droite, alors qu'il se rapprochait efficacement des chevaux de tête qui commençaient logiquement à baisser de pied, il fut quasiment mis à plat ventre par un concurrent qui se frayait un passage de façon quasi inconsciente. Le temps de se rééquilibrer, le poteau était là...
 
Même s’il lui était difficile de gagner, une petite place aurait pu être à sa portée. Les deux compères ne purent que recueillir avec dépit les propos du pilote qui leur confirma ce que tout le monde avait vu sur la piste. Javier Torres Meca resta muet en allant aux écuries pour s'assurer que son protégé ne s'était pas fait mal lors du violent contact, flanqué des deux propriétaires qui froissaient leur ticket l'air dépité. C'est eux qui, à l'unisson, rompirent le silence pour lui dire: « Écoutez, je crois que le mieux serait que vous fassiez comme vous l'entendez pour son prochain engagement... » L’entraîneur de Dominion connaissait trop bien ce cas de figure. Les jockeys d'aujourd'hui, pour leur confort personnel, prônent quasi systématiquement à leur descente de cheval de « raccourcir » leur partenaire qui leur a fait les bras la moitié de la course, sans même réfléchir au fait qu'il faut être deux pour tirer. Beaucoup d'entraineurs ou de propriétaires tombent dans le panneau, pour peu que le jockey en question fût l'une des fines cravaches du moment et leur fasse l'insigne honneur de porter leur livrée.
 
Cette situation avait le don d'exaspérer l’entraîneur espagnol qui, à défaut de descendre d'une dynastie de professionnels anglais, n'en était pas moins un fin metteur au point. Il avait avec son équipe, Juan Bautista aux premières loges, réalisé un bon travail de fond le matin sur le poulain, et avait décidé maintenant qu'il avait carte blanche de lui en confier le pilotage pour ce « maiden » compiégnois qui semblait lui aller comme un gant. De surcroit, il avait la certitude que Dominion avait réalisé de significatifs progrès à l'exercice alors que c'était tout sauf un « morning glory ».
 
Javier Torres Meca avait déjà discuté avec Juan Bautista de la conduite à tenir avec son protégé pour cet engagement, lors de son dernier galop sur les Aigles. L'animal ce matin là leur avait de toute évidence montré - et pas qu'à eux - le chemin de la caisse. Ils avaient devisé tous les deux en espagnol sous l'impulsion du patron, -ce qui n'était pas pour lui déplaire - ne laissant ainsi rien filtrer devant les autres lads étrangers à la langue de Cervantes. Les deux artisans, ce mot leur allait bien, en avaient reparlé à nouveau au pavillon des balances de l'hippodrome, où en cette frisquette journée picarde la cheminée prodiguait une flambée providentielle qui donnait à l'endroit une chaleur et un charme supplémentaire.
 
Il leur fallait inclure dans leurs plans un nouveau paramètre: l'état du terrain. Même si les pistes du putois sont connues pour rester « portantes », malgré l'action conjuguée de l'automne et des vannes célestes, l'état officiel du terrain du jour était jugé très souple. En arrivant au paddock de présentation, Juan Bautista vit que c'était son père qui tenait en main Dominion et il y vit encore un signe supplémentaire! C'est lui qui officia pour le boute en selle, le patron étant resté au milieu du rond avec ses clients qui semblaient ne plus savoir quoi penser.
 
La déculotté clodoaldienne ajoutée à celle de Longchamp les tenaient éloignés des brancards du pari mutuel hippodrome, du moins pour l'instant. « Bonjour, hé bien tu es garçon de voyage maintenant? » dit Juan Bautista à son père d'un ton léger.
« Je remplace Fernand qui a pris un coup de pied. » Les chevaux gagnaient la sortie, pour prendre leur canter, et Juan Bautista vérifia sa jugulaire tout en entrant en concentration car il savait que chaque détail allait être important.
Les chevaux pénétrèrent un à un dans les stalles de départ.
 
« Vous êtes prêt messieurs? Aaaattentiooon, go! » Et le starter libéra les onze concurrents du prix de la Croix Saint-Ouen, petit bourg de l'autre côté de la forêt de Compiègne qui, voilà un siècle, abritait de célèbres écuries de course.
Dominion sortit de sa stalle avec vigueur mais sans précipitation. De toute évidence, personne ne comptait prendre le train à son compte à entendre les ho ho et les hop hop que les jockeys intimaient à leurs montures dans l'espoir que ces dernières en comprennent le sens.
 
« Quieto, quieto, amigo » susurrait doucement à l'oreille de Dominion notre ami Juan Bautista sans chercher à le reprendre toutefois afin que le pur-sang garde sa décontraction initiale. Il se retrouva devant, mais sans tirer. Juan décida de tirer parti de la situation. Il le laissa galoper à sa main, dans son action longue et puissante, mais dans son train, rien de plus. Les autres, obnubilés par l'idée que leurs chevaux n'en fassent pas trop, le laissèrent faire et sans accélérer aucunement, ni puiser dans ses réserves, Dominion avait quatre, cinq, peut être six longueurs d'avance au début de la ligne d'en face sans que personne ne tente de venir du peloton pour troubler sa sérénité galopante, tellement occupés qu'ils étaient à « empêcher d'aller » leurs montures. Dans les tribunes anglo-normandes, à la vue de ce qui leur semblait être une tactique éperdue, nos deux propriétaires s'invectivaient l'un l'autre.
 
« Mais il est fou ce mec, il ne va jamais aller au bout comme ça! »
« Il fallait l’asseoir à la sortie des boites, maintenant on fait le train pour les autres! »
« Quel abruti, mais quel abruti! »
« C'est de l'assassinat à mains armées, sur la vie de ma mère! »
« On va où comme ça, c'est du grand n'importe quoi! »
« C'est Javier qui lui a dit de faire ça? »
 
A leurs côtés, un lad à l'aspect de nabot habillé comme un clochard, au faciès ravagé et à la dentition rare et incertaine, s'amusait de leur émoi. En se penchant vers eux, comme si il leur faisait une confidence rare, la main en conque devant la bouche, il leur professa :
 
« Ne vous inquiétez pas, il sait où il est le poteau ce gonze là ! C'est pas pour rien que je me suis déshabillé dessus », rajouta-t-il en brandissant, preuve à l'appui, une liasse de tickets portant le numéro de Dominion.
 
La situation n'évolua pas jusqu'au « bout d'en face » où certains pilotes commençaient à s'inquiéter de la situation. On entendit dans le peloton un sonore :
 
« Hé les copains, si on ne s'affole pas un peu, on va pas le revoir l’es-pingouin ! »
 
Seul devant, Dominion galopait à sa guise pas plus ému que pour ses canters matinaux sous les frondaisons cantiliennes, et c'était toujours six longueurs qui le séparaient de ses concurrents. S'affoler, s'affoler certes, mais à Compiègne la ligne droite est longue et monte graduellement, aussi il n'est pas donné à tous de prolonger un effort depuis l'entrée du dernier tournant encore additionné par l'exigence d'un terrain plus qu'assoupli... C'est qu'il faut aller le chercher le winning-post! Il faut un vrai cheval de tenue et c'est que le Dominion, il en couvre du terrain en une seule foulée… Juan Bautista ne bougeait pas encore lorsqu'il entendit derrière lui les cravaches claquées sur l'arrière main des coursiers et les encouragements nourris les exhortant d'aller plus vite. Quand Dominion sentit ses congénères dans son dos, il allongea un peu plus sa foulée et personne ne fut capable de venir seulement à sa hanche. Au 200, Juan Bautista fit une reprise de rênes, claqua de concert langue et bâton sur l'épaule de son partenaire, qui en 100 mètres, malgré la portion montante des abords du poteau, prit au bas mot dix longueurs aux autres et gagna ralenti par son jockey.
 
Le gnome édenté descendit les escaliers comme une avalanche et dans un sillage de sueur délayée, clama à l'adresse des deux propriétaires restés dans les tribunes sans comprendre ce qui leur arrivait :
 
« C'était couru, c'était couru ! »
 
Quand Dominion s’arrêta après le poteau, il soufflait à peine et Juan Bautista se plaisait à penser qu'il aurait pu faire un tour de plus. Jean-Barnabé l'attendait en bord de piste avec un sourire à s'en décrocher la mâchoire. Il l’accueillit avec une grande claque sur la cuisse et un tonitruant « Bravo fils! ». Tandis que d'une main il accrochait la longe de parade au mors du poulain, de l'autre il extirpa de sa poche tout en marchant au pas de course pour suivre Dominion une liasse de tickets gagnants !
 
« C'est pas beau ça? Je l'ai monté la semaine dernière - c'est vrai que c'était une bonne monte le matin - il volait ! A l'écurie, cela va être mois double pour beaucoup! »
 
Dans l'enclosure des balances, après la photo circonstanciée – Jean-Barnabé en commanda plusieurs immédiatement aux photographes -, une satisfaction discrète mais évidente se lisait sur le visage de Javier Torres Meca. Seuls les deux associés propriétaires du poulain ne savouraient pas autant les circonstances. Grands amateurs de jeu, une victoire non accompagnée au mutuel n'était pour eux qu'une demi victoire d'autant qu'ils voyaient bien que tout le monde était au parfum sauf eux !
 
« La prochaine fois, Javier, quand vous êtes sûr de gagner, on aimerait bien être au courant ! »
« Sûr de gagner ? Est-on jamais sur de quoique ce soit avec les chevaux ? » philosopha -t-il pour éviter d'entrer dans des explications longues et compliquées. Il leur dit quand même:
 
« Sur 2400 mètres ici, les trois quarts du temps, personne ne veut jamais aller devant. Toujours cette sacrée phobie ! Alors devant, quieto, Juan Bautista a monté son poulain pour lui, pour sublimer sa vraie aptitude... De l'abattage, il en a, croyez-moi! Ainsi, il a pu s'en servir à bon escient, non ? »
 
Les deux autres se regardèrent l'air emprunté, et l'un d'eux lâcha pour sauver la face :
 
« On aurait mieux fait de mettre votre jockey dès la première fois ! »
 
Juan Bautista lui, montait la suivante et était déjà sur le pied de guerre. Plus tard, Javier le rejoignit au rond de présentation avec le propriétaire du deux ans qui courrait la der. Il savait que ce poulain là représentait quelque chose de particulier pour son patron.
 
En effet, il était né et avait été élevé en Espagne et était issu d'une jument avec qui ce dernier avait gagné de nombreuses courses dans la péninsule ibérique du temps où il y exerçait ses talents de gentleman-rider. San Sebastian, Madrid, Séville et même la plage de Sanlucar de Barameda avaient vu le couple s'y illustrer de nombreuses fois. Le propriétaire était un homme d'un certain âge, éminemment sympathique, espagnol lui aussi et déjà réjoui de participer à un quatuor 100% ibérique. Le poulain dont le suffixe SPA était apposé sur le programme s'appelait El Efficiente (efficace en français) et le triumvirat espérait effectivement qu'il le soit même pour le jour de ses débuts.
 
Javier était seulement contrarié d'avoir dû différer sa 1e sortie, d’abord pour des tracasseries administratives, une histoire de certificat d'importation qui s'était égaré entre France Galop et la Cria Caballor de Espana, et puis pour un abcès au pied du cheval. A présent en cette fin de saison, le terrain pouvait dérouter un pur-sang encore jamais confronté à ce genre de surface. Mais l’entraîneur voulait absolument qu'il ait couru au moins une fois cette année pour confirmer ses bonnes notes du matin.
 
Des débuts dans des conditions un peu spéciales ne permettaient pas toujours au jeune élève de tout comprendre et de répéter ce qu'il avait appris à faire le matin « à la maison ». Aux ordres donnés en espagnol, Javier et Ernesto qui semblaient être très proches insistèrent auprès de leur jockey pour qu'il comprenne bien que la manière allait être plus importante que le résultat brut. El Efficiente semblait de la bonne graine, aussi Javier insista :
 
« No procures gagnarabsolutamente. Tenemos muchas opportunidades mas tarde! »
 
Il le bouta en selle et Ernesto le gratifia d'un:
« Vamos amigos » en riant aux éclats !
El Efficiente justifia son nom, et en étant un peu dur avec lui, Juan Bautista aurait sûrement arraché la victoire car le poulain ibérique ne se mit à galoper vraiment qu'aux abords du poteau.
« Muy bien Juanito. Me gusta mucho! »
C'est Ernesto qui l'accueillit chaleureusement quand il mit pied à terre... L'avenir semblait leur appartenir.
L'hippodrome se vidait et la pénombre commençait à doucement l'envelopper alors que Juan Bautista et ses pairs regagnaient le parking.
 
Les propriétaires de Dominion un peu mis à l’écart par les causeries en espagnol attendaient leur entraîneur à l'entrée du parking. Flanqué d'Ernesto Lopez Miranda, l’entraîneur fut stoppé par un:
« On va sur quoi maintenant? »
« Écoutez, je n'en sais rien. Il faut déjà voir comment il est dans quelques jours, non ? »
« Tsss, il a fait moins qu'un canter du matin ! Il pourrait recourir demain sur la vie de ma mère: »
« Certes, certes, mais il faut voir. On se téléphone dans quelques jours, OK ? »
Alors qu'ils se dirigeaient vers leur voiture, l'un des deux faisait de grands mouvements de bras assortis de sonores « Champion du monde, Champion du monde ! »
 
 
CHAPITRE 13 : MISES AU POINT
 
Juan Bautista avait repris la même place qu’à l'aller dans l'Audi des jockeys, et avec en tête la satisfaction du devoir accompli et la perspective d'un bel avenir pour ses deux partenaires du jour, il s'était calé dans son siège pour compléter son compte sommeil. Les bips d'un texto stoppèrent sa descente dans les bras de Morphée.
 
Bérengère, évidemment !
« Alors? » disait simplement le SMS.
 
Cette fois-ci, comme il était seul à l’arrière, son compagnon de banquette étant reparti plus tôt dans une autre voiture, il allait déjà éviter les piques de l'aller.
 
Il répondit: « Je monte en voiture. Je te rappelle quand je suis à Chantilly. » Un simple « OK » fit office d'accusé de réception. Morphée l'attendait le temps du trajet...
Une fois à Chantilly au volant de sa voiture, il prit son courage à deux mains pour rappeler cette chère Bérengère, s'attendant à des commentaires assassins sur l’épisode polonais ...
 
Il n'en fut rien et ils prirent rendez-vous pour dîner dans un restaurant italien à Senlis car elle était à la ferme et cela leur faisait mi route chacun. Il en avait à peine fini avec elle que le portable sonna de nouveau. Ana ! L'intense journée qu'il avait vécue n'avait pas laissé beaucoup de place pour penser à elle. Au son de sa voix, il se sentit immédiatement heureux.
« Je voulais juste te faire un petit coucou. J'ai passé des heures délicieuses avec toi, Juan Bautista », lui avoua t-elle.
« Moi aussi », répondit-il sobrement tout en préparant une autre phrase qu'il voulait sincère et non conventionnelle, mais elle ne lui en laissa pas le temps.
« J'ai pensé venir à Paris dans les prochains jours. Qu'est-ce que tu en penses ? Tu aurais du temps pour moi ? »
« A Paris ? »
« Oui, à Paris, en France si tu préfères. »
Juan Bautista resta interloqué en pensant que tout cela allait un peu vite pour lui !
« Cette semaine je ne peux pas car je dois veiller à organiser mes affaires ici avant de booker mon vol...Mais le week-end prochain je serai libre comme l'air, si tu veux toujours de moi ! ».
 
Si il voulait d'elle ?
Elle s'était révélée une exceptionnelle amante et en plus elle lui avait fait vivre une parenthèse qu'il n'était pas prêt d'oublier... Si en plus, c'était elle qui venait à lui, whaou !
« Tu viens quand tu veux », lui répondit-il
« OK, super, on se tient au courant. Je m'organise pour venir m'occuper de mon petit Juan Bautista. »
 
Des espoirs en tous genres plein la tête, il prit la direction de l'écurie où il avait conservé la chambre de ses débuts en France, au dessus des boxes. Malgré son confort spartiate, elle lui servait de vestiaire et de base de repli les jours où il ne dormait pas chez Bérengère. Il faisait nuit noire - elle arrivait tôt en ce début novembre - tout était sombre et désert et il fut surpris de voir de la lumière dans le bureau du patron.
 
Il voulut gagner discrètement sa mansarde. Le spot éclairant les abords du bureau se déclencha à son passage près de l'escalier extérieur qui menait au couloir des chambres des lads. L’entraîneur le voyant sortit de son bureau et l’invita à le rejoindre.
 
« Encore au travail, monsieur? »
« Je jette un coup d’œil au programme à venir pour les poulains d'aujourd'hui. Je crois que l'on va se faire plaisir avec eux, non? »
Juan Bautista voulait montrer son côté mesuré à son entraîneur et asseoir son professionnalisme en se gardant de tout commentaire dithyrambique. Aussi, il resta en deça de sa véritable analyse les concernant.
« Creo que si. »
Javier ne lui posait sans doute la question que par pure forme, car il avait toujours son idée propre et bien arrêtée sur chacun de ses pensionnaires.
En outre, il considérait que les jockeys n'avaient pas trop à en savoir sur les stratégies de carrière de chevaux. Les lois du marché et le business obligeaient les entourages à prendre des décisions qui n'étaient pas l'affaire des jockeys. Pire, leurs jugements parfois très lointains du sien pouvaient amener les propriétaires à s'opposer à lui quand il fallait prendre une décision réaliste, dans l'urgence, pour dire oui ou non par exemple à une belle offre d'achat qui se présentait.
Pourtant, il le fit asseoir et lui proposa même un verre.
 
Juan Bautista s'assit mais refusa le verre pour bien montrer sa déférence.
 
« Voilà, je voulais te parler de ton père... »
« Oui, je l'ai vu rapidement à Compiègne. Il semblait très content de son rôle de substitution ! »
« Justement, à cheval, il y a eu des frictions avec certains cavaliers et encore je ne te dis pas tout ! »
« Ah bon? »
« Passons et allons au fait. Crois-tu que cela lui plairait de faire le garçon de voyage?
Pour être honnête le coup de pied qu'a soit disant reçu Fernand est surtout diplomatique. Je l'ai mis à pied car j'ai eu un problème avec lui, mais pour l'instant que cela reste entre nous. Je ne t'ai rien dit, sois discret. »
« D'accord patron. » lui dit-il sereinement.
« Alors, pour ton père? »
« Je vais être franc avec vous, Monsieur. Pour l'instant, je n'ai pas vraiment « accroché » avec mon père. Peut-être nous faut-il un peu plus de temps? »
« Tu sais Juanito, ton père est fier de toi, je le sais ! Cet après-midi, j'ai vu qu'il avait les larmes aux yeux même si il ne voulait pas me le montrer. On a parlé deux minutes quand je suis allé seller El Efficiente et qu'il marchait Dominion. Il y a des choses qui se sentent, non ? »
Juan Bautista, tout petit dans l’immense Chesterfield du bureau de son patron, ne savait pas comment éviter de laisser paraître sa gêne.
« Je sais que depuis son accident il a encore mal mais il ne veut pas le dire par fierté devant moi peut-être ? »
« Oui, j'ai vu. Et comme il est le seul de cette génération à cheval ici, j'ai bien remarqué que les autres le mettaient à l'index. J'ai l'expérience de ce genre de choses et je devine qu'il va rapidement y avoir des problèmes avec les autres. Ce poste de garçon de voyage lui irait bien et cela m'éviterait des complications futures. »
 
« Alors il faut lui proposer! »
« Pendant que tu allais te peser après le succès de Dominion et la photo souvenir, il m'a dit « Comme ça, j'aurai une photo avec mon fils! » et on ne pouvait pas ne pas remarquer son immense émotion ! »
 
Javier Torres Meca était profondément humain, et comme beaucoup d'espagnols, très sensible à l'honneur. Ses lads d'ailleurs à l'occasion s'en moquaient à cheval quand il n'entendait pas, en disant pour s'en amuser:
« Ah, ah, l'Espagne ! Le pays de l'honneur ! Mais à part des taureaux et des guitares, il n'y a pas grand chose à voir. »
Juan Bautista pensait que ce changement pour son père était une bonne idée, mais là encore il ne voulait pas exagérément influencer son patron. Javier se leva pour faire comprendre à son jeune jockey que l'entretien était terminé.
Il lui dit seulement quand il allait passer la porte:
« C'est bien, je suis content de toi... Méfies-toi seulement des tentations et elles sont nombreuses. J'en ai déjà tellement vu des jeunes comme toi se faire aspirer par la spirale négative. Je te soutiens mais parce que tu es espagnol, je ne pourrai te pardonner aucune erreur. Je ne veux pas prêter le flanc à la critique. Je ne veux pas qu'ils se disent : « Il le fait monter parce qu'il est espagnol comme lui... tu comprends? »
C'est avec une vraie satisfaction intérieure que Juan Bautista grimpa l'escalier qui menait à sa chambre. Il fallait qu’il accélère, il était initialement simplement passé pour se changer avant son rendez-vous avec Bérengère pour dîner à Senlis.

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