Nouveau roman en série de Guillaume Macaire : chapitres 14 et 15

27/05/2021 - Actualités
 Guillaume Macaire continue la visite guidée à travers son roman proposé en série. Suivez les aventures de Juan Bautista, un jeune jockey espagnol débarqué à Chantilly, entre un père découvert depuis peu et une jeune fiancée un peu possessive
 
 
Résumé du 1er roman : l'un des top jockeys de plat en France, Jean-Barnabé Ermeline se préparait à disputer avec une 1ère chance le Prix de l'Arc de Triomphe en selle sur son champion Enigmatique. Mais à la suite d'aventures rocambolesques, il se retrouve à l'hôpital avec une balle dans la cuisse. Télécharger " A Cheval, à pied ou en voiture. "
 
Résumé des 13 premiers chapitres :
 
Ancien jockey proche de l'élite, Jean-Barnabé Ermeline a subi un grand coup d'arrêt en ayant été pris dans une sombre histoire, puis a terminé sa carrière sans éclat. Resté à Chantilly, le voilà redevenu simple lad, et cavalier d'entrainement vieillissant, tandis qu'un fils découvert sur le tard est arrivé d'Espagne plein de talent et d'ambitions pour briller au plus haut niveau sous l'habit de lumière. Alpagué par une compagne assez "hargneuse", sur laquelle Jean-Barnabé mène sa propre enquête, le jeune Juan Bautista fait rencontre fulgurante avec une comtesse lors d'un championnat en Pologne. Le soir des courses, elle l'emmène en son château pour fêter la victoire à sa façon. En plein ébat, Juan Batista reçoit un appel de sa fiancé, mais ne raccroche pas convenablement, laissant de fait un message sonore aussi malencontreux mais explicite. De retour en France, rien ne paraît, en apparence...La jeune femme trompée ne laisse rien paraître, tandis que le jockey enchaîne les succès et renoue de bonnes relations avec son père.
 
 
 
 
 
 
 
CHAPITRE 14 : EXPLICATIONS ET JUSTIFICATIFS

 
L'oreille collée à son portable, Bérengère avait tout d'abord cru à une plaisanterie quand elle avait entendu les râles et les souffles des deux amants la nuit précédente. Quand elle avait entendu une voix féminine enflammée et gutturale répéter des « Encore mon Juanito » ou des « oh, comme j'avais envie de toi », elle avait eu du mal à y croire... Pourtant, elle avait continué son écoute alors que chaque mot prononcé par « son » homme lui fracassait la tête, le cœur et le corps. Puis, au bout de quelques minutes, 4 minutes 20 exactement, comme l'avait bien noté Juan Bautista, n'y tenant plus, de rage, elle avait balancé le téléphone en direction du mur où il s'était désolidarisé de sa batterie. Quelques instants plus tard, la colère laissant place au désespoir, elle avait ramassé les morceaux pour le reconstituer. Elle pleurait de rage et d'impuissance, elle pleurait de ne pouvoir agir tant sa colère et sa peine étaient sans limites.
 
Sa première réaction eut été de le rappeler...mais plutôt que de laisser parler ses sentiments de façon spontanée, elle opta après réflexion pour une autre stratégie. Fallait-il tout gâcher pour ce qui n'était peut-être que l’aventure d'un soir?
Elle tenait à lui, car dans le genre jockey qu'elle avait déjà expérimenté, il était différent, exotique même. Elle avait fini par taper un « Je pense que tout va bien pour toi » pas agressif, n'interdisant rien et laissant Juan Bautista seul juge.
 
Elle avait pris sur elle et était déterminée à se montrer charmante pour leur dîner de ce soir. S’ils parlaient du voyage et du championnat, elle avait pris le parti de s’interdire d’évoquer la partie « stupre et luxure en Pologne ». Elle tenait suffisamment à lui pour étouffer son orgueil de femme trompée. Elle était solide mentalement, les épreuves à laquelle la vie l'avait déjà confrontée l'avaient endurcie avant l'heure.
 
Pour ce dîner italien, elle avait choisi une tenue sobre mais sexy. Elle n'était pas dénuée de finesse et elle savait bien que le bon goût, c'est d’être de circonstance. Côté éducation, les choses avaient été bien faites par ses défunts parents.
Ne disposant d’aucun élément sur sa rivale polonaise, elle ne voulait pas se laisser aveugler par la jalousie en imaginant une blonde vulgaire à forte poitrine. Elle espérait surtout que la distance entre son Juan Bautista et cette maîtresse - qu'elle n’espérait que d'un soir - allait condamner leur relation et qu'elle le retrouverait pour elle seule dans les meilleurs délais.
Elle se mentalisa pour être vis-à-vis de lui, lors de ce dîner, juste un peu distante afin de voir sa réaction. La sentant s'esquiver, il allait se rapprocher d’elle, espérait elle, alors que le coller un peu trop risquait de provoquer l'effet contraire.
Ils firent un agréable dîner italien dans une pizzeria améliorée qui faisait dans le napolitain romantique. Il ne manquait que le joueur de mandoline pour compléter le tableau. Ils parlèrent de sport hippique car elle aimait vraiment les chevaux et les courses même si elle n'en avait pas fait son métier, ses parents ayant étouffé dans l’œuf ses velléités de rentrer très jeune en apprentissage. .Elle aimait aussi mettre sa pièce à l'occasion quand, dans les écuries où elle allait monter, on lui donnait de bonnes infos. Ils parlèrent de tout sauf du sujet qui l’obsédait.
 
Mais ce dernier était tabou pour elle, en tout cas pour l'instant. Autre chose encore la tracassait, Où allait-il décider de passer la nuit à venir ? Elle était certes prête à passer l'éponge mais pas sans l'assurance de l'exclusivité.
 
Alors qu'il payait l'addition, il lui dit :
« Je rentre, je suis fatigué, demain c'est mardi, jour de galops, je vais gagner une heure de sommeil en dormant sur place et l'après-midi je monte à Fontainebleau. »
 
Elle ne commenta pas, cette solution lui allant parfaitement. Il l'embrassa dans le cou et elle dut prendre sur elle pour rester immobile alors qu'elle aurait voulu l'enlacer avec force. Ils se quittèrent ainsi. Elle lui fit un petit signe de la main en ouvrant sa voiture puis s'immobilisa pour lui dire :
 
« Si un jour tu ne montes pas cette semaine, j'aimerais te montrer quelque chose à la ferme, j'ai besoin de ton avis, OK? »
« Jeudi ou plutôt vendredi si tu veux, mais on va se voir d'ici là, non? »
 
Bérengère remonta dans sa voiture en voulant croire que ses actions remontaient sur le marché de Cupidon.
 
 
 
CHAPITRE 15 : EN SOUVENIR DE ROGER POINCELET
 
L'après-midi bellifontain permit à Juan Bautista de continuer à briller.
 
« Quand la forme est là ! » lui avait lancé un turfiste en brandissant ses tickets, la mine réjouie.
 
Il avait gagné une course très tactique en mystifiant un confrère qui enrageait tandis que lui riait aux éclats en regardant le ciel ! La plus belle course du jour, ce qui ne gâtait rien.
 
À quelques différences près, il l’avait jouée à la Roger Poincelet qui un jour à Compiègne ridiculisa Marcel Depalmas qui montait pour François Mathet un cheval imbattable dans une course à trois partants. Marcel Depalmas était connu dans les pelotons comme un vrai « pétocheux » et le professeur (c'était le surnom de Roger Poincelet) s'était dit qu'en l'occurrence il pourrait en tirer parti.
 
Juste avant la course, dans les vestiaires il était allé voir son confrère et lui avait tenu à peu près ce langage :
 
«  Tu as la première chance de la course, et de loin. Le mien peut espérer être deuxième et l'autre est carrément nul. »
«  Pourquoi espérer ? » rétorqua Depalmas.
«  Si je fais le tour mon vieux ! Le mien, dès qu'il est isolé, est capable de dérober voire de sauter la lice !
« Sé- sé- sérieux ? Marcel Depalmas était un peu bègue.
« C'est pour ça que tu vas être sympa et pas te barrer tout seul devant. J'ai pas envie de finir à l'hosto ! »
En se rendant au départ, Roger Poincelet continua de mettre sa pression en hurlant sur Marcel Depalmas tous les vingt mètres :
« Attends-moi, attends-moi, il va dérailler, je le sens ! » Et gouailleur comme pas deux notre Roger insista lourdement pour bien préparer la suite.
 
C'était un 2400 m et pour passer devant la sortie des chevaux peu après le départ, il hurla à Depalmas :
« Cale-moi entre toi et la lice pour qu'il ne veuille pas rentrer au box par pitié ! » 
Justement, de la pitié Depalmas en avait pour un tel cas et obtempéra. Tout au long de la ligne d'en face, alors qu'ils étaient au petit canter, Roger Poincelet de continuer :
 
« T’as le temps, t’as le temps, de toute façon tu as gagné, alors ne me laisse pas dans la mouise ! »
 
 La phrase revenait toujours en boucle jusqu'à mi ligne droite ou Depalmas n'avait toujours pas lâché la tête. Des tribunes, beaucoup commentaient sans rien comprendre, François Mathet le premier même si la bienséance ne lui permettait pas d'exprimer son sentiment comme certains turfistes qui commençaient à le faire : « Mais il joue à quoi le Marcel ? Il va tirer comme ça dessus encore longtemps où il croit qu'il y a un tour de plus ?
 
À 200 mètres du poteau, Poincelet continua d'appeler Depalmas qui ne savait plus que faire…
 
« Attends, attends-moi, j'ai failli tomber, il a voulu m'emmener dans le rail. Attends, t’as le temps, tu as gagné de toute façon ! »
 
Parfaitement dans le sillage de Depalmas, donc sans que ce dernier puisse le voir, Roger Poincelet commença à équilibrer son cheval qui, il le savait, était capable de faire 150 mètres très vite surtout avec ce train excessivement réduit, et pouvait débouler vraiment. Tout en continuant sa litanie de « t’as le temps, t’as le temps », il déboîta sèchement, vint à sa hauteur en continuant « t’as le temps, t’as le temps, t’as plus le temps » et il lui prit une tête sur le poteau !
Inutile de préciser l'état de François Mathet et des « matelassiers » de service ! Roger Poincelet riait, riait et Marcel Depalmas bégayait, bégayait !
 
Sur l'hippodrome de la Solle, Juan Bautista usa de roublardises différentes et moins énormes mais tout aussi efficaces. La principale différence était que cela fût invisible excepté pour ceux du peloton et c'était « la science » de Juan Bautista qui se révélait de plus en plus.
 
Sur la route du retour, avec la satisfaction du devoir accompli, il se sentait vraiment bien pour affronter une intervention téléphonique ou un SMS de Bérengère. Pourtant aucun message vocal ou écrit de sa part n'arriva durant tout le voyage de retour dans l'Oise. Il en fut presque inquiet. Il décida donc de dormir à l'écurie et de ne pas se manifester auprès d'elle, préférant lui laisser faire le premier pas.
 
A son arrivée à l'écurie, son téléphone sonna. Il décrocha machinalement sans regarder le nom qui s'affichait à l'écran, persuadé d'avoir affaire à Bérengère. C'était Ana !
 
« Quel bonheur de t'entendre ! Bravo pour cet après-midi ! »
«  Comment tu sais ça ? »
« Même en Pologne, on a internet tu sais ! » Et ils rirent tous les deux.
« Et si je venais te voir à Chantilly ? »
Très mauvaise idée, pensa Juan Bautista en cherchant quelque chose à répondre, mais cela ne venait pas.
« Tu ne dis rien ? » il se lança dans des explications lentes et embrouillées qui lui firent comprendre qu'il n'y tenait pas !
« Tu ne veux plus de moi, jockey de mon cœur ? »
«  Si bien sûr, mais ici à Chantilly, tout va être compliqué à cause du boulot et du reste tu sais ! »
« C'est quoi le reste ? » dit-elle en raidissant sa voix.
« C'est le monde d'ici, la rumeur, les jalousies. »
«  Oh, j'aimerais tant te voir dans ton cadre de vie ! »
Il lui fit comprendre que les hippodromes seraient plus anonymes pour leur idylle diurne, et que pour les nocturnes, Paris les abriterait idéalement. Elle accepta ses explications et lui fit comprendre sa hâte de le revoir.
 
Toujours dans sa voiture, Juan Bautista s'était alangui et s'il avait bien vu des phares signaler la présence d'une voiture se garant derrière lui, il n'y avait prêté qu'une attention distraite, accaparé à trouver des réponses adéquates dans sa conversation avec Ana.
 
Quand les phares s’éteignirent, il reconnut la voiture de Bérengère ! Au moment même où il le réalisa, elle était déjà là, plantée devant lui à la portière. Elle voulut ouvrir mais la fermeture électronique protégea Juan Bautista qui eut juste le temps de raccrocher après un expéditif «  I call you back ASAP ».
 
La langue de Shakespeare lui avait semblé parfaite pour les explications qu'il allait avoir à donner alors qu'il débloquait les portes de la voiture.
 
« Tu parlais à qui ? » questionna-t-elle d'un ton plus que suspicieux.
« C'était un entraîneur qui m'appelait pour que je monte pour lui la semaine prochaine. »
«  Un anglais ? »
«  Non, mais parfois on parle anglais entre nous, c'est un jeu pour pratiquer un peu ! »
Il se rendit compte qu'il aurait mieux fait de raccrocher en français tout en pensant « pourvu qu'Ana n'ait pas l'idée de rappeler, pourvu qu'elle ait compris ! »
 
Bérengère allongea le bras à travers la portière ouverte et à la manière d'un caméléon qui capture un insecte, se saisit du portable pour s'empresser de vérifier l'identité du dernier correspondant.
Juan Bautista s'attendait à une issue calamiteuse ! Par une chance inouïe, le dernier appel passé était  « appel masqué » et elle ne put obtenir aucun numéro à rappeler... Un certain silence s'ensuivit et Juan Bautista recroquevillait ses orteils dans ses chaussures… Puis elle lâcha :
« Numéro masqué, numéro masqué, et pourquoi donc ? »
« Qu'est-ce que j'en sais moi ? »
« Rappelle-le pour voir. »
« Tu crois que je connais son numéro par cœur ? Si c'est pour être agressive, tu ferais mieux de partir. »
Nouveau silence… elle tourna les talons et remonta dans sa voiture sans dire le moindre mot. C’est à la fois avec soulagement et contrariété qu'il vit les phares s'éloigner. Il resta encore un peu, assis dans sa voiture, avant de gagner son petit home, et bien qu'il ne fut que 20 heures, il décida d'aller se coucher. 
 
La semaine suivante, il n'avait pas grand-chose d'intéressant à monter et passa pas mal de temps à l'écurie, ce qui lui permit de revoir son père qui avait officiellement pris ses fonctions de garçon de voyage chez Javier Torres Meca. De toute évidence, cette nouvelle situation lui avait rendu sa joie de vivre et son entrain.
 
Dominion et El Efficiente avaient superbement récupéré de leurs efforts compiégnois et dix jours après leurs courses respectives «  ne tenaient déjà plus dans leur peau ! » Avec eux, le jockey ibérique avait vraiment ressenti ce « plus » qui fait les bons chevaux. Ce « plus » n'était pas forcément explicable avec des mots et secrètement Juan Bautista espérait bien ne pas s'être trompé, d'autant plus que son contact avec le propriétaire espagnol lui avait été particulièrement sympathique.
L'avenir se montrait prometteur et même si la saison touchait à sa fin et que les opportunités étaient donc réduites pour eux, la sérénité était là.
 
De fait Juan Bautista partagea davantage de temps avec son père à l'écurie. Il lui arriva même de rentrer des courses de Saint-Cloud en camion avec lui, un jour qu'il avait laissé sa voiture à la révision. Ils passèrent pas mal de temps dans les bouchons mais ce contretemps a priori sans intérêt se transforma en un vrai moment d'intimité où ils parlèrent de choses et d'autres, des courses bien sûr, des chevaux de l'écurie, des espoirs mais aussi des déceptions causées parfois par certains, de sorte que l'épisode bouchons devint quasiment agréable.
 
« Il y a quand même une chose que je n'explique pas, dit Jean-Barnabé à son fils, c'est la course de Roi d'Aramis la dernière fois à Longchamp... D'ailleurs personne à l'écurie n’a d'explications. Le patron a fait toutes sortes d'analyse qui se sont révélées négatives. T’aurais pas une idée toi ? »
 
« Incompréhensible, dit Juan Bautista, vraiment pas de gaz... Mais de là à finir si loin, alors là ! Je l'avais donné à pas mal de copains et je ne voyais pas qui pouvait le battre. »
 
« Quand même, renchérit son père, ça fait plusieurs fois ces trois derniers mois que des chevaux « qui courent tout seul » sont complètement battus sans raisons apparentes. À chaque fois, les prises de sang sont incapables d'expliquer quoi que ce soit. C'est vraiment bizarre, tu ne trouves pas ? »
 
« Si bien sûr, surtout qu'à chaque fois je me suis couvert de ridicule, acquiesça le jockey. Cela revient un peu trop souvent sur des grands favoris écrasés d'argent. C'est vrai qu'on peut se poser des questions car cela fait penser à quelque chose d'anormal ! »
 
« Je n'ai pas voulu en parler au patron car j'étais trop dans l'attente de ce boulot mais je pense qu'il y a un problème quelque part. Je crois que... »
 
Le portable de Juan Bautista sonna interrompant la conversation. C'était Bérengère. 
 
Juan Bautista pensatout d'abord à ne pas répondre devant son père, puis se ravisa en pensant qu'elle allait insister et que les explications seraient encore plus compliquées après. Elle parlait d'une voix joviale et cela le rassura.
 
« Dis voir, je suis sur Chantilly, tu es rentré des courses ? On pourrait se voir. »
« Je suis avec mon père en camion avec les chevaux, on traverse Lamorlaye si tu... »
 « Je suis à l'écurie dans cinq minutes ! Elle avait déjà raccroché ne laissant aucun choix à Juan Bautista. Son téléphone sonna à nouveau aussitôt.
« Allô, tu ne crois pas que... » croyant parler à Bérengère, mais c'était Ana !
Il ferma les yeux de dépit devant une nouvelle situation qu'il allait falloir gérer rapidement. Il dit à son père discrètement pour ne pas être entendu, « Roule doucement s'il te plaît », craignant de n'avoir pas le temps de tout régler avant l'arrivée à l'écurie. Il fut bref, limite froid.
 
« Impossible de te parler pour le moment, je te rappelle plus tard. »
Il raccrocha sans lui laisser le temps de parler et décida de couper son portable pour échapper à tout nouvel appel, puis se ravisa encore en pensant à Bérengère, et le mit sur vibreur. Ils arrivèrent devant l'écurie, Bérengère dans sa voiture était déjà en faction.
 
Le père qui dans les phares avait vu la voiture et sa conductrice dit à son fils :
«  Allez vas-y, je vais me débrouiller tout seul. Je mettrai tes affaires dans la sellerie, il ne faut pas faire attendre ta chérie ! »
Juan Bautista sauta du camion sans rien dire, fit juste un petit signe à son père et se dirigea d'un pas leste vers la voiture de Bérangère. Elle l'accueillit avec un :
« Alors, bonne journée ? » assorti d'un baiser sur la bouche en lui mordillant la lèvre et d'un sourire craquant. Puis, elle tourna la clé de contact immédiatement et démarra en lui disant :
« Je t'emmène à la maison, je t'ai préparé une surprise ! »
Il sentit son téléphone vibrer dans son pantalon. Il ne le sortit pas et le fit définitivement taire en plongeant directement sa main dans sa poche pour le couper. Était-ce Ana ?
« Mais alors, il va falloir que tu me raccompagnes après ? »
« Ne t'inquiète pas mon chéri, ne t'inquiète pas, tu me connais, j'ai tout prévu. »
 
Un peu trop peut-être, se dit Juan Bautista intérieurement ! Toutefois, il ne montra aucune réticence et se laissa docilement conduire jusqu'à la ferme. Elle se montra douce et caressante pendant le trajet. Elle avait préparé un dîner aux chandelles, avec champagne et tralala, ce qui ne fut pas sans lui rappeler sa romantique escapade polonaise. Cela l’inquiétait un peu...
« À quoi joue-t-elle ? Que veut-elle au juste ? » s'interrogeait-il.
 
Durant le dîner préparé avec soin et tout à fait exquis d'ailleurs, elle n’aborda pas de sujets qui fâchent, se montra de plus en plus langoureuse et négocia facilement avec son amant un retour le lendemain à Chantilly.
 
Le lendemain matin, à moitié endormi sur son cheval dans les allées cavalières qui les menaient aux pistes pour l'exercice quotidien, le jeune jockey avait tout le loisir de repenser à sa soirée et sa nuit. Bérengère avait de toute évidence mis le paquet pour resserrer les boulons de leur relation, voulant, se disait-il, oublier les frasques polonaises. Son esprit vagabondait. Les interrogations ne manquaient pas. Bérengère était-elle vraiment amoureuse de lui, s’en persuadait-elle ou protégeait-elle ses « acquis » ? En tout cas, si la première option n'était pas la bonne, alors elle était bonne comédienne car elle avait sorti le grand jeu et il aurait bien aimé dormir un peu plus...
 
Mais pour lui c'était confus. Bien que moralement cette double relation ne le dérangeait pas d'un point de vue physique, il commençait à percevoir qu'avec Bérengère l'étincelle n'était plus la même, et la motivation non plus. Pourtant, il se disait aussi que c'était une relation plus simple et moins perturbante pour son travail qu'avec sa comtesse Polonaise ! Plus simple certes, mais tellement moins goûteuse et exotique ! Il essayait de penser à autre chose quand un autre cavalier d'entraînement vint à ses côtés :
 
« Alors ? Course dure cette nuit ? » Le lad est d'ordinaire gouailleur, peu discipliné et vite vulgaire, c'est bien connu !
«Tu es en lambeaux ou quoi ? Ha, ha, c'est sûr ! La Bérangère faut pas lui en promettre, faut lui en donner ! »
C'est sûrement ce qui dérangeait le plus Juan Bautista, cette réputation de stupre et de luxure qui entourait cette Bérengère et qui le confortait dans son idée de ne pas prendre de gants avec elle...
 
La matinée s'écoula lentement sous les frondaisons cantiliennes et le travail achevé, il décida d'aller retrouver Morphée sans même passer par la case déjeuner.
En ôtant les affaires de ses poches, il réalisa qu'il n'avait pas remis son portable en route.
Après tout, il n'y a pas de course pour moi aujourd'hui, je vais dormir un peu et j'écouterai mes messages au réveil, se dit-il. La déesse du sommeil lui fit une place de choix dans son royaume. Quand il se réveilla, la nuit tombait. Après une douche revigorante, il s'assit sur son lit et ralluma son smartphone.

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